Éditos
« Non, non ce n’est pas qu’il soit indifférent, ce messager de nacre, cet avant-courrier de l’Aurore, disons plutôt qu’il balance entre l’essor et la marche, et ce n’est pas que déjà il danse, mais l’un de ses bras étendu et l’autre avec ampleur déployant l’aile lyrique, il suspend un équilibre dont le poids, plus qu’à demi conjuré, ne forme que le moindre élément. Il est en position de départ et d’entrée, il écoute, il attend le moment juste, il le cherche dans nos yeux, de la pointe frémissante de ses doigts, à l’extrémité de ce bras étendu il compte, et l’autre bras volatil avec l’ample cape se prépare à seconder le jarret. Moitié faon et moitié oiseau, moitié sensibilité et moitié discours, moitié aplomb et moitié déjà la détente ! sylphe, prestige, et la plume vertigineuse qui se prépare au paragraphe ! »
(P. Claudel, « L’indifférent », L’Œil écoute, 1939)
En ce seuil de 2023, le personnage de Watteau, tel que le voit et le comprend Paul Claudel, loin de son appellation traditionnelle, me semble une figure qui peut résonner avec nos existences ; les temps incertains qui sont les nôtres pourraient nous faire pencher vers la mélancolie, où la nostalgie d’époques plus lumineuses, mais la figure tracée par peintre et écoutée par le poète, nous engage à l’élan, à la saisie du moment et du mot justes, malgré tout ce qui pèse ou qui pose, pour paraphraser un autre poète inspiré par Watteau. Sans échapper à la gravité qui nous entoure, sachons saisir les possibles dynamiques qui s’offrent à nous.
Bonne année 2023 à toutes et à tous.