Éditos

“Vivre comme on lit”

Éminent professeur de littérature comparée et figure familière de la SFLGC, Philippe Chardin nous a quittés en janvier 2017, alors qu’il venait d’entamer sa dernière année d’exercice à l’université de Tours.

Philippe Chardin était un très grand spécialiste du roman européen ; ses ouvrages de synthèse (Le Roman de la conscience malheureuse, Droz, 1982 ; L’Amour dans la haine ou la jalousie dans la littérature moderne, Droz, 1990) ont apporté une contribution décisive à la connaissance des littératures du tournant des XIXe-XXesiècles. Il fut aussi le pionnier en France des études musiliennes (Musil et la littérature européenne, PUF, 1998, rééd. EUD 2011) et il restera comme un spécialiste majeur de l’œuvre de Proust (Proust ou le bonheur du petit personnage qui compare, Champion, 2006). Enseignant infatigable, d’abord à Poitiers comme assistant (1972-1981), ensuite à Reims (1981-1998) puis à Tours (1998-2017) comme professeur, il aura su transmettre tout au long de sa carrière sa confiance passionnée dans les pouvoirs de la littérature à un large public d’étudiants. Philippe Chardin était aussi écrivain et laisse une œuvre de fiction qui dialogue avec ses grands modèles comme avec son propre travail de critique : Souvenirs impies (1989), L’Obstination (1990), Alma mater (2000), Soliloque pour clarinette seule (2003), Le méchant vieux temps (2008).

Ses collègues, amis et anciens étudiants avaient préparé un volume de mélanges qui devait saluer son départ à la retraite et son éméritat ; ce volume est devenu, à notre grande tristesse, un hommage posthume. Il a été publié en janvier 2018 aux Presses universitaires François-Rabelais (Tours), sous le titre Vivre comme on lit. Hommages à Philippe Chardin.

Cette publication fut l’occasion d’une cérémonie d’hommage, qui s’est tenue le 27 janvier 2018 à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, où Philippe Chardin avait été élève (1968-1972) et où il animait depuis 2006 en codirection avec Nathalie Mauriac Dyer le séminaire de l’Équipe Proust de l’ITEM. La famille de Philippe Chardin, les contributeurs de l’ouvrage, de très nombreux collègues, amis, étudiants, ainsi que les éditeurs de l’œuvre fictionnelle de Philippe Chardin participèrent à cette émouvante réunion. La SFLGC y était représentée par son actuelle présidente et par d’anciens président.e.s. On y rappela l’investissement constant de Philippe Chardin au sein de notre société : il en fut le trésorier (1979-1983), donna une dizaine de conférences lors de ses différents congrès et organisa celui de Tours en 2012 (« L’écrivain et son public, une fratrie problématique »).

Philippe Chardin avait fait sienne la célèbre formule de Robert Musil, « Vivre comme on lit » : elle s’est tout naturellement imposée comme titre de ce recueil d’hommages. En une trentaine de contributions parcourant les genres, les époques et les cultures européennes, l’ouvrage interroge les représentations changeantes du livre et de la lecture et revient sur la notion de réception créatrice, chère à notre collègue, ce mystérieux processus qui « transforme, de manière diffuse, dans un inconscient littéraire d’écrivain, de la lecture en écriture ». La dernière section rend hommage à l’œuvre fictionnelle de Philippe Chardin. La liste de ses travaux et publications qui clôt le volume donne toute la mesure de sa contribution aux études comparatistes et plus largement littéraires.