Éditos

Littérature et expériences croisées de la guerre: apports comparatistes

Tandis que s’ouvraient, en 2014, les commémorations de la Première Guerre mondiale, l’Université de Strasbourg et son centre de recherches en littérature comparée, L’Europe des lettres, ont proposé de consacrer le 39e Congrès annuel de la Société française de littérature générale et comparée aux représentations littéraires de la guerre. Il s’agissait, pour les quelque soixante comparatistes invités, de définir la contribution particulière de leur discipline à une approche des imaginaires et des poétiques littéraires propres aux conflits armés. Nullement limitée au XXe siècle (même si, en raison de ce centenaire, plusieurs ateliers seraient naturellement consacrés à la Grande guerre), la problématique proposée devait être celle des points de vue croisés d’écrivains de cultures diverses sur les conflits. Elle invitait à considérer et à comparer l’expérience que chacun des camps adverses pouvait avoir d’un même conflit. Dès le titre du recueil, l’ensemble des travaux que l’on pourra lire ici soulève ainsi la question essentielle des expériences plurielles de la guerre, et de leur restitution par des textes littéraires écrits dans des langues diverses, ou venus de cultures différentes.

Parce qu’elle a fait des perspectives contrastées l’un de ses objets privilégiés, la littérature comparée offre un apport irremplaçable pour interroger les images et la poétique de la guerre. Regards différents portés sur la même situation historique selon que l’écrivain appartient à un camp ou un autre ; croisement ou non de ces regards au moment même de la guerre ; effets de focalisation, regards engagés ou regards distancés (sans oublier le regard de Dieu, souvent invoqué) ; perspective aérienne de l’aviateur, vision à ras de terre du soldat, ou même parfois point de vue imaginaire des animaux victimes de la folie humaine ; mensonges de la propagande et témoignage vrai des hommes qui souffrent ; lyrisme ou anti-lyrisme de la poésie de guerre ; destin de la langue elle-même face à l’indescriptible – autant d’axes pour aborder les modes littéraires du conflit armé, et de ses suites. Car la guerre continue souvent en soi, comme à retardement, lorsque les armes se sont tues, et inspire par alluvions des textes écrits longtemps après la fin des hostilités.

Croiser les époques pour asseoir le récit, et se réclamer de maîtres lointains pour s’en donner le courage – tels sont souvent les principes de l’écriture. Mais aussi croiser les arts. Car, dans son effort pour dire les combats et la misère des hommes, la littérature se sert souvent d’autres arts comme point d’appui, ou comme repoussoir : la peinture, la musique, la photographie, le cinéma offrent à la réflexion littéraire un apport précieux lorsqu’il s’agit de penser les possibilités de la représentation. On voit ici tout l’apport du comparatisme, que le volume décline en sept grands pans : Les littératures anciennes et leurs échos ; Points de vue ; Regards croisés ; Guerre et crise du langage (poésie) ; Crise du langage (roman) ; La Guerre et la correspondance des arts ; Traumatismes d’après-guerre.

Le Comité scientifique et éditorial du recueil : Michèle Finck, Tatiana Victoroff, Enrica Zanin, Pascal Dethurens, Guy Ducrey, Yves-Michel Ergal et Patrick Werly.