Éditos

Les aveux imaginaires et nous

Que regarde le père Logan, héros du célèbre film d’Alfred Hitchcock I Confess (La Loi du silence, 1953), derrière la grille de son confessionnal ? On pourrait penser qu’il jette un regard sur le passé, en particulièrement vers l’histoire de la littérature européenne du xixe siècle. Le critique américain Peter Brooks ne s’y trompait guère qui, dès 2000, dans un ouvrage intitulé Troubling Confessions : Speaking Guilt in Law and Literature, proposait de traverser allègrement le corpus des écritures autobiographiques, l’histoire du roman populaire ou encore celle du mélodrame révolutionnaire pour penser les contours d’un « imaginaire confessionnel », forcément interdiscursif, interculturel et même intermédial.

Comme Peter Brooks, j’ai moi-même été inspiré, au moment de débuter ma thèse, par la généalogie foucaldienne du sujet avouant, couronnée récemment par la publication posthume des Aveux de la chair (Gallimard, 2018). Mes recherches se sont finalement focalisées sur la scène romanesque de confession telle qu’elle s’est cristallisée au creuset de divers romans français, anglais et russes écrits tout au long du xixe siècle et au-delà. Avant tout, mon idée était de retracer la trajectoire et de déconstruire les présupposés d’une analogie de sens commun, celle-ci consistant à indexer la catégorie du récit littéraire au domaine d’expérience de l’aveu religieux. Désigner paradoxalement la confession comme un lieu du romanesque au xixe siècle m’a permis, en définitive, d’esquisser une archéologie du geste autofictif contemporain tant il est vrai que celui-ci passe, depuis les années 1970, par une incorporation du discours de l’intime à la matière du roman, que ce soit à travers le déploiement d’une rhétorique de l’aveu ou grâce à la mise en scène d’une expérience analytique.

En introduisant l’imaginaire de la confession chrétienne au sein même de la représentation, les romans du xixe siècle savent nous tendre le même genre de miroirs trompeurs en produisant des images déformées de leur propre scène d’énonciation. D’Ann Radcliffe à Georges Bernanos, de Charlotte Brontë à Fédor Dostoïevski, de George Sand à Maxime Gorki, la diversité de ces scènes romanesques de confession, qu’elles soient publiques ou privées, sincères ou mensongères, nous invite à repenser la place de la littérature dans l’économie des discours sur l’intime, notamment sur l’intimité sexuelle. Lue et interprétée à l’aune des oscillations historiques du partage public-privé, la scénographie des aveux imaginaires doit finalement entrer en résonnance avec la poussée expressiviste contemporaine. Produite à la faveur des mutations technologiques du web 2.0, celle-ci ne cesse de nous interroger sur les destinées hypermodernes de la « bête d’aveu » mais aussi sur ses capacités, à l’heure où s’inventent de nouvelles manières de publier – donc de politiser – l’intimité des sujets.