Éditos

Bas relief de George André Lacroix (1958), détail.
La vertu d’amitié

En ces temps où le mot résilience est de saison, on peut, sous le nom antique de stoïcisme, en trouver bien des expressions littéraires anciennes, qui, par-delà les années, peuvent, comme toute pensée vive, nous rejoindre. Loin du raidissement solipsiste auquel on réduit souvent ce courant de pensée, Sénèque fait dans les lettres à Lucilius de l’amitié la plus belle des vertus. On peut la pratiquer pleinement dans la présence, mais la distance ne l’entrave pas, heureusement. Voici quelques lignes dont j’espère qu’elles pourront éclairer la période qui vient…

« Le sage, bien qu’il se suffise, n’en désire pas moins un ami, ne fût-ce que pour exercer l’amitié, pour qu’une si belle vertu ne reste pas sans culture, et non, comme Epicure le dit dans sa lettre, pour avoir qui veille à son lit de douleur, qui le secoure dans les fers ou dans le besoin, mais un homme qui malade soit assisté par lui, et qui enveloppé d’ennemis soit sauvé par lui de leurs fers. Ne voir que soi, n’embrasser l’amitié que pour soi, méchant calcul : elle finira comme elle a commencé […] Pourquoi est-ce que je prends un ami ? afin d’avoir pour qui mourir, d’avoir qui suivre en exil, de qui sauver les jours, s’il le faut, aux dépens des miens. […] Nul doute qu’il y ait quelque ressemblance entre cette vertu et l’affection des amants : l’amour peut se définir la folie de l’amitié. Eh bien ! éprouve-t-on jamais cette folie dans un but de lucre, par ambition, par vanité ? […] Et de quelle manière [le sage] s’en approche-t-il ? comme de la plus belle des vertus, sans que le lucre le séduise, ou que les vicissitudes de fortune l’épouvantent. »

 

(Sénèque, Lettres à Lucilius, traduction J. Baillard, 1861, Remacle.org)