Poétique et genre

La littérature d’enfance et de jeunesse entre la voix, l’image et l’écrit
Résumé en anglais
Literature for children and young people between voice, image and text Children’s literature is born of combining three media : voice, pictures, and writing. This article examines the relation between the chosen medium and literary genres. Some genres are chiefly associated with listening (nursery rhymes, songs, popular tales), others with looking (picture books), still others with reading (novels). In examining the respective part devoted to each of these media, in children’s literature past and present, the analysis focuses on aspects of its international circulation and the economy of publishing. In a nutshell, the cheapest to produce have the least impact, and conversely the most expensive the greater.

ARTICLE

La représentation la plus courante que les adultes cultivés se font de la littérature d’enfance et de jeunesse est liée à sa mission sociale d’auxiliaire éducatif. Il n’y a là rien d’infondé. Les premiers écrivains pour enfants furent largement des précepteurs et des enseignants ayant pris la plume à l’intention de leurs élèves ; leurs écrits étaient pensés comme un matériau pédagogique [1] . Entre le milieu du XVIIIe siècle et la fin du XIXe siècle, tous les grands pays européens ont inventé une littérature de fiction, correspondant aux étapes du développement de l’enfance et de l’adolescence, et susceptible de plaire aux jeunes lecteurs tout en leur transmettant les valeurs du groupe. En France, cette littérature, qui dans un premier temps n’a pas de nom, se voit désignée autour des années 1830 par l’expression Livres d’éducation, avant que ne s’y substitue celle de Livres d’enfants (1843), puis de Littérature enfantine (1865). Ce n’est que dans les années 1980 que s’impose l’expression Littérature d’enfance et de jeunesse [2] .

Mais réduire la littérature d’enfance et de jeunesse à la mission que la société lui assigne, c’est courir le risque d’être aveugle à son autre versant, à ce qu’elle peut comporter d’invention littéraire et artistique. On risque de passer à côté de ce qui pourrait constituer les fondements de sa singularité esthétique, encore qu’il me faille préciser que cette singularité me semble plus évidente dans la littérature d’enfance que dans la littérature de jeunesse.

L’enfant « entre en littérature » par l’écoute, par la vue, puis par la lecture. Un tout-petit est endormi par une berceuse. Plus âgé, il apprend des chansons et des comptines, il se fait raconter des histoires, puis il regarde les images de l’album que l’adulte lui lit à voix haute. Lorsqu’il aura appris à lire, il pourra revenir sur l’album découvert auprès d’un adulte, en lire seul le texte, tout en s’arrêtant sur les images. Quand il passera à des lectures de plus grande ampleur, la majorité des recueils et des romans qui lui seront proposés seront accompagnés d’illustrations. C’est par ce second versant, à l’interaction des capacités enfantines et du « matériau » mis en œuvre, que je voudrais aborder la littérature d’enfance et de jeunesse dans ses conditions de création, dans son esthétique et dans sa circulation internationale [3] .

I. Les genres et leurs vecteurs

Toute littérature, qu’elle soit pour adultes ou pour enfants, s’est construite à partir de ces deux vecteurs que sont la voix et l’écrit, auquel est venue s’ajouter l’image (manuscrite ou imprimée) comme un vecteur supplémentaire et possible. Il me faut rappeler quelques-uns des liens nécessaires entre vecteurs et genres afin de pouvoir resituer ensuite l’invention de la littérature de jeunesse en Europe au sein de l’ensemble de la production littéraire. J’esquisse cette rapide chronologie à l’intérieur de la culture occidentale.

Les formes littéraires les plus anciennes sont liées à la voix, donc également à l’espace, au corps, au geste et au rythme : ce sont la poésie, généralement associée à un instrument musical, le chant, l’épopée, le récit mythique, le théâtre et le conte. Le point commun de tous ces genres est la nécessaire présence dans un même espace et dans un même temps de ceux qui parlent et de ceux qui écoutent.

C’est l’invention de l’écriture qui introduit la possibilité d’une communication différée dans l’espace et dans le temps. Le vecteur n’est plus le corps humain : c’est un  support (papyrus, parchemin), et la main du copiste est venue relayer la voix de l’aède, de l’acteur, du conteur. L’innovation décisive est technologique : c’est l’adoption du papier et l’apparition de l’imprimerie, qui substitue les surfaces du codex à la surface continue du volumen. C’est dans le sillage de l’invention du livre qu’il faut situer l’émergence du roman, genre profane en prose qui connaît une première mutation au XVIIIe siècle avec ce que les historiens ont appelé la « seconde révolution du livre », et qui devient le genre dominant au XIXe siècle avec l’apparition de la presse et un élargissement considérable du public lecteur, dont celui des enfants.

La troisième innovation est celle de l’impression mécanique des images. Deux genres vont naître de la mise au point d’inventions techniques permettant de passer de la reproduction artisanale des images (et particulièrement de leur mise en couleurs) à leur reproduction mécanique : la bande dessinée et l’album. La naissance de la bande dessinée à la fin du XIXe siècle est largement liée aux États-Unis au développement de la presse populaire dominicale, alors qu’elle reste longtemps en France circonscrite à la seule presse pour la jeunesse [4] . L’album connut sous la Restauration une petite présence dans la culture pour adultes, mais il ne s’est développé, à partir des années 1860-1880, de manière riche et significative, que dans le seul domaine du livre pour enfants. La bande dessinée et l’album sont donc deux genres récents, rendus possibles par des innovations techniques. Une de leurs caractéristiques est d’être l’un et l’autre tributaires d’une surface d’impression. Alors qu’un texte, qu’il soit manuscrit ou imprimé, peut être détaché de son support pour être dit ou lu à voix haute, l’image ne peut exister sans se déployer sur un espace. On peut la photographier, la photocopier, la numériser, la projeter ; quelle que soit la solution retenue, une surface doit toujours être là.

On passe de la création d’images fixes à celle d’images mobiles avec l’apparition au XXe siècle du cinéma, de la télévision, de l’écran numérique. Nous quittons ici l’espace du livre et de la littérature stricto sensu. Je laisse de côté ces nouveaux médias, mais je ne peux ignorer qu’ils entrent en constante interférence avec la littérature d’enfance et de jeunesse.

Il faut souligner pour clore ce rappel que chaque nouveau vecteur réduit le domaine des vecteurs antérieurs et qu’il en spécialise les usages, mais sans les annuler pour autant. L’écriture n’a pas mis fin à la communication orale (qui demeure au cœur de la poésie, du chant, de la pratique théâtrale). L’imprimé a réduit les multiples usages de l’écriture manuscrite ; celle-ci demeure le vecteur des genres de l’intimité (journal personnel, correspondance). La matière des romans grand public du XIXe siècle est largement passée dans les « dramatiques » et les séries de la télévision ; on continue cependant à publier des romans. Du même coup, vecteurs anciens et vecteurs nouveaux demeurent susceptibles d’entrer en résonnance les uns avec les autres dans des réalisations artistiques hybrides.

II. Une littérature entre l’écrit, la culture orale et les images

Si l’on examine les parts respectives de l’oral, de l’écrit et de l’image dans les productions littéraires destinées aux adultes et dans celles qui sont destinées aux enfants, on est amené à conclure qu’elles ne sont pas équivalentes : l’oral et l’image occupent une place sensiblement plus importante dans la littérature d’enfance et de jeunesse.

S’inscrire dans les  formes de la  littéraire générale 

Cette jeune littérature s’invente en Angleterre, aux Pays-Bas, dans les pays de langue allemande et en France vers le milieu du XVIIIe siècle au sein des milieux cultivés de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie. Son émergence témoigne d’une valorisation de la vie privée et d’une nouvelle représentation de l’enfant, perçu comme un être différent de l’adulte. Il convient d’inventer à son intention une série de conduites nouvelles et, parmi celles-ci, une littérature de fiction qui lui soit spécifiquement destinée. Mais ce nouveau programme ne peut se concevoir et se réaliser que dans des pays dont le nombre d’enfants alphabétisés est suffisant pour constituer un lectorat, et au sein de milieux assez fortunés pour que la cellule familiale n’ait pas besoin de l’appoint économique des enfants. Il faut des enfants qui disposent de loisirs… et de livres. C’est pour ces raisons économiques que l’Italie [5]  et l’Espagne [6]  n’ont commencé à construire leur propre littérature de jeunesse qu’un siècle après l’Europe du Nord et qu’aujourd’hui, dans bien des pays du monde, la littérature de jeunesse est un domaine éditorial qui reste à construire.

Cette première littérature de fiction est destinée à des enfants – garçons et filles – de milieux aisés, élevés dans des institutions ou confiés à des précepteurs et des gouvernantes. Il n’y a pas alors de distinction entre livres de classe et livres de loisirs : les ouvrages sont à la fois des supports d’enseignement et des supports d’éducation [7] . On y retrouve les formes de la littérature pédagogique – fables, dialogues, historiettes prolongeant la tradition des exempla. S’y ajoutent deux genres littéraires contemporains, le théâtre de société et, plus surprenant, le roman par lettres. De tous ces genres, le plus pratiqué, celui qui fera la fortune de Laetitia Barbauld, d’Arnaud Berquin et du chanoine Schmid, c’est l’historiette morale (que les Anglais appellent moral tale). Il s’agit de courts récits situés dans la vie quotidienne, qui mettent en scène les dangers de telle ou telle conduite enfantine et les bénéfices de la vertu. Les personnages, qui sont en majorité des enfants, n’ont ni complexité ni intériorité ; ce sont "des emplois" au service de la démonstration que l’adulte s’attache à conduire sous le couvert d’une fabulation. Le genre continuera à être très pratiqué tout au long du XIXe siècle à l’intention des jeunes enfants. Je suis tentée de penser qu’il n’a pas disparu, qu’il est encore présent aujourd’hui, mais comme dissimulé dans les albums par la séduction des images.

C’est le développement du roman pour la jeunesse qui a progressivement cantonné l’historiette dans l’édition destinée aux plus jeunes. Ce roman s’invente en France à partir des deux grands modèles que sont le Télémaque (1699) de Fénelon et le Robinson Crusoé (1719) de Daniel Defoe. Louis Desnoyers reprend dans Les Aventures de Jean-Paul Choppart (1834) le schéma du voyage pédagogique, mais son héros est un Télémaque sans Mentor, qui fugue avec un chenapan de son espèce. Quant à Robinson Crusoé, on sait que sa postérité anglaise et européenne dans la littérature de jeunesse se fait sous la double forme d’adaptations et de récritures hypertextuelles [8] , ces fameuses « robinsonnades » qui  fleurirent tout au long du XIXe siècle. Le Robinson de douze ans (1818) de Mme Mallès de Beaulieu est sans doute suscité par la traduction qu’Isabelle de Montolieu donne en 1814 de Der Schweizer Robinson (1812-1813) de Johann David et Johann Rudolph Wyss. Le sous-titre, « Histoire curieuse d’un jeune mousse abandonné dans une île déserte », annonce tout le plaisir que le lecteur peut en attendre : un héros de son âge, des aventures exotiques loin des maîtres et de papa-maman. Le Robinson de douze ans est le premier vrai roman français pour la jeunesse et Jean-Paul Choppart en est le premier héros. L’autonomie – par un statut d’orphelin, un éloignement provisoire, voire un simple rêve – se révèle être l’attribut nécessaire des héros de la littérature d’enfance et de jeunesse.

Que faire de la tradition orale ?

Inventée au XVIIIe siècle pour des enfants de milieux lettrés, la littérature d’enfance et de jeunesse ne pouvait qu’être une littérature valorisant l’écrit. Elle fait peu de place à la culture orale et à l’image, mais pour des raisons sensiblement différentes. La différence d’appréciation que la France et l’Angleterre portent sur la tradition orale est d’abord d’ordre culturel, alors que la présence marginale des images est d’abord d’ordre technique.

L’esprit des Lumières, qui domine en France cette jeune littérature, ne voit que superstition et obscurantisme dans les contes que nourrices et servantes contaient jusqu’alors aux enfants des maîtres. Arnaud Berquin reproche aux contes traditionnels d’égarer l’imagination des enfants. Il présente ainsi son propre projet : « Au lieu de ces fictions extravagantes et de ce merveilleux bizarre dans lesquels on a si longtemps égaré leur imagination, on ne leur présente ici que des aventures dont ils peuvent être témoins chaque jour dans leur famille » (L’Ami des enfants, janvier 1782. Avertissement). Mme de Genlis estime que même les contes passés par le filtre des écrivains contredisent la mission éducative de la littérature pour enfants et qu’ils ne leur sont pas adaptés : « Je ne donnerai à mes enfants, ni des contes de fées, ni Les Mille et une Nuits ; les contes même que madame d’Aulnoy fit pour cet âge ne leur conviennent pas. Il n’y en a presque pas un dont le sujet soit véritablement moral ; l’amour en forme toujours tout l’intérêt […]. D’ailleurs, quand la morale de ces petits ouvrages serait bonne, les enfants n’en pourraient profiter […] ; toutes ces imaginations fantastiques ne peuvent donner à des enfants que des idées fausses, retarder les progrès de leur raison et leur inspirer du dégoût pour des lectures véritablement instructives [9] ».

Le témoignage d’André Chénier atteste de l’intégration des contes de Perrault au répertoire de l’enfance, mais lui-même affirme avec force son rejet :

Le hasard m’a fait lire, un de ces jours, les contes de Perrault, qu’on fait lire, m’a-t-on dit, à tous les enfants, et qu’on ne m’avait jamais fait lire. Il y en a en vers ; il y en a en prose. Il est bon d’avoir vu une fois en sa vie ces ouvrages et ceux de semblable démence pour connaître jusqu’où l’esprit humain peut aller quand il marche à quatre pattes. (Juin 1786) [10] .

On mesure le chemin parcouru depuis l’enfance du futur Louis XIV [11] et depuis la comédie de Molière qui imagine Louison proposant à Argan de lui raconter le conte de Peau d’âne – dénomination qui désigne, comme l’indique Furetière, un conte populaire et non le conte en vers de Perrault (publié en 1794) [12] . La littérature de jeunesse des Lumières en vient à construire une culture qui sépare de fait les enfants des milieux lettrés des enfants du peuple dont ils partageaient jusqu’alors largement les références. On retrouve dans l’histoire de toutes les littératures de jeunesse cette opposition latente entre la culture des élites et celle du plus grand nombre.

Les pédagogues français et anglais convergent dans leur rejet des contes. Sarah Trimmer éclaire d’un exemple ses griefs à l’égard des contes d’origine populaire :

[Cendrillon] dépeint quelques-unes des pires passions qui puissent entrer dans le cœur humain, et dont les jeunes enfants devraient, si possible, totalement ignorants, telles que l’envie, la jalousie, la haine des belles-mères et des demi-sœurs, la vanité, l’amour de la toilette, etc. [13] .

Il semble que la culture anglaise ait été par contre plus accueillante à l’égard de cet autre versant de la culture populaire que sont les comptines et les formulettes. John Newbery publie en 1765, sous le titre Mother Goose’s Melody, le plus ancien recueil qui nous en soit parvenu. La dénomination se maintient aux États-Unis alors que l’Angleterre lui substitue celle de Nursery Rhymes. On rencontre l’expression dans des titres de recueils du colportage (chapbooks) dès les années 1820-1830 ; elle s’impose avec The Nursery Rhymes of England, première collecte savante publiée en 1842 par le jeune James Orchard Halliwell [14] . Cette nouvelle appellation témoigne du glissement de ce répertoire archaïque vers le monde de l’enfance. Rien de semblable en France dans ces mêmes années. Le répertoire est absent des livres de colportage dont Lise Andries et Geneviève Bollème ont dressé la liste [15] . Je n’ai rien trouvé du côté des livres d’enfants jusqu’à fort avant dans le XIXe siècle [16] .

La littérature de jeunesse s’est inventée en France dans un rejet de la tradition populaire alors que la littérature enfantine anglaise a laissé la porte entrouverte à la poésie rythmée des nursery rhymes, à son univers absurde et féroce. Cette différence dans le rapport à la tradition orale pourrait éclairer l’évolution respective des deux littératures. La tradition du nonsense, auquel Lewis Carroll donnera ses lettres de noblesse, est totalement étrangère au cartésianisme français.

Le Romantisme réhabilite le conte et la chanson populaires. L’attention nouvelle portée aux cultures de la tradition orale suscite de nombreuses collectes dans le sillage de celle des frères Grimm. Elles contribuent à réintroduire les contes dans la culture des enfants. Le titre de la première édition française d’un choix de contes de Grimm, Vieux Contes, pour l’amusement des grands et des petits (Auguste Boulland ; vers 1824), englobe explicitement les enfants. On ne reproche plus aux contes leur immoralité. On devient à l’inverse sensible au modèle vertueux qui gouverne les contes merveilleux : les méchants sont punis et les bons sont récompensés. Mais le privilège reste aux contes passés par le filtre des récritures lettrés (Perrault, Grimm, Galland). Et, si « légitimes » que soient devenus les Contes de Perrault, leur écriture est traitée avec une relative désinvolture. On supprime les moralités, on dilue l’écriture concise de Perrault, on ajuste son propos au message chrétien [17] . Il faudra attendre le début du XXe siècle pour que les éditeurs commencent à puiser directement dans les collectes des folkloristes. Ernest Jaubert se réfère à Afanassiev dans la préface à ses Contes populaires russes qui ouvre la « Collection de contes et légendes de tous les pays » chez Nathan en 1913. Paul Faucher (« les albums du Père Castor ») publie entre 1932 et 1948 une dizaine de contes venus de la tradition populaire. Jean-Michel Guilcher croit se souvenir que le conte des Deux bossus lui fut raconté par un de ses camarades dans le dortoir de l’infirmerie du lycée de Brest [18] .

Ce sont vraisemblablement des évolutions internes à la littérature savante (entrée des formes de l’oral, fin de la grande tradition rhétorique) qui ont permis de percevoir l’économie narrative des contes non plus comme une pauvreté maladroite, mais comme une qualité esthétique intrinsèque, susceptible d’être appréciée comme telle.

Introduire des images

La faible présence initiale des images a d’autres raisons, les unes idéologiques, les autres techniques. Les pédagogues ont très tôt constaté l’attrait qu’exerçaient les images sur les enfants, et entrevu l’usage qu’ils pouvaient en faire. Dans sa préface à l’Orbis Sensualium Pictus (1658), Comenius recommande que son livre soit laissé à la libre disposition des enfants :

Qu’on le laisse entre les mains des enfants pour qu’ils tirent plaisir, tout à leur gré, à en regarder les images et à se les rendre familières autant qu’il se peut, et ceci même à la maison, avant qu’ils ne soient mis à l’école [19] .

Les images offrent une entrée dans le monde des livres, qui précède l’apprentissage de la lecture.

Mais l’intérêt pédagogique que présentent les images entre en contradiction avec la place qui leur est faite dans la culture du livre, et de ce livre d’entre les livres qu’est la Bible. L’image ne peut et ne doit être qu’une humble servante au service de la Lettre. Fénelon invite les gouvernantes à passer par ce détour pour mener à bien l’éducation religieuse de leurs élèves :

Elles peuvent ajouter à leurs discours la vue des estampes ou des tableaux qui représentent agréablement les histoires saintes. Les estampes peuvent suffire, et il faut s’en servir pour l’usage ordinaire ; mais, quand on aura la commodité de montrer aux enfants de bons tableaux, il ne faut pas le négliger: car la force des couleurs, avec la grandeur des figures au naturel, frapperont bien davantage leur imagination [20] .

Toute la difficulté est là : l’image est un relais bien utile, mais elle est aussi une séductrice.

Les illustrations ne constituent pas une marque de « livre-pour-enfants » au XVIIIe siècle. Un frontispice, un titre orné, voire quelques gravures sur cuivre insérées dans le volume peuvent tout aussi bien se rencontrer dans des romans pour adultes. La présence de quelques illustrations ne définit pas plus un destinataire enfant que celle de bois gravés dans les livres de colportage. Il n’en reste pas moins que les jeunes enfants sont, comme le peuple, du côté des illettrés et des mal-lettrés : les images, qui conviennent au peuple, conviennent aussi aux petits.

Les premiers éditeurs qui se spécialisent dans « les livres d’éducation » voient très vite le parti qu’ils peuvent tirer de ce lien entre images et enfance. Ils vont faire de la présence d’illustrations un argument de vente. Pierre Blanchard indique, dans son catalogue de 1820, la présence d’images pour les ouvrages instructifs (La Géographie en Estampes, « orné de 30 planches ») et pour ceux qui sont destinés aux plus jeunes (Les Jeunes Enfants, « imprimé en gros caractères, orné de 6 jolies figures »). Quant aux abécédaires, il propose les siens sous deux formes, en noir et blanc ou en couleurs ; les seconds sont un peu plus chers que les premiers. En 1858, Louis Hachette lance la « Bibliothèque rose illustrée ». Le second qualificatif suggère que la présence systématique d’illustrations est une des nouveautés de la collection et un des plaisirs que le jeune lecteur peut en attendre. On a tendance à oublier ce qualificatif parce que l’illustration est rapidement devenue la norme dans l’édition des romans pour enfants.

Ce sont deux innovations techniques qui vont définitivement unir le texte et l’image. La révolution graphique décisive est la diffusion de la gravure sur « bois de bout », mise en point par l’Anglais Thomas Bewick (1753-1828) [21] . Les vignettes obtenues pouvaient être insérées dans le pavé typographique, alors que les gravures sur cuivre étaient nécessairement tirées à part et disposées à côté du texte imprimé. Toutes les recherches sur la cohabitation du texte et de l’image dans l’espace de la page sont nées de cette liberté nouvelle, les artistes alternant volontiers petites gravures in-texte et grandes gravures hors-texte. C’est ce que nous trouvons avec les illustrations de Tenniel (gravées par les frères Dalziel) pour Alice’s Adventures in Wonderland  en 1865.

La seconde grande innovation concerne la possibilité d’imprimer mécaniquement les couleurs. Les gravures sur bois étaient mises en couleurs après tirage : elles étaient aquarellées au pinceau ou coloriées au pochoir. En 1837, Gabriel Engelmann fait breveter un procédé « d’imprimerie lithocolore ou lithographie en couleur imitant la peinture ». L’invention de la chromolithographie va permettre l’impression de toute la gamme chromatique, à partir d’une pierre par couleur primaire. La mise au point de la presse lithographique en 1866 rendra possible des tirages à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Dans les années 1880, l’imprimeur anglais Edmund Evans affine le procédé et se rend célèbre pour sa qualité de ses reproductions d’originaux réalisés à l’aquarelle.

L’album pour enfants va naître vers le milieu du XIXe siècle de la convergence entre une moindre suspicion à l’égard des images, une attention nouvelle portée aux jeunes enfants et la possibilité de mêler sur la page du texte et des illustrations en couleurs [22] . Il s’imposera rapidement comme un genre d’une remarquable fécondité. Il attirera bien des artistes au XXe siècle, et ira jusqu’à proposer à partir des années 1970 des albums narratifs d’où l’image a chassé le texte, des albums dont le texte se réduit à son seul titre. C’est la revanche du visible sur le lisible.

Loin de s’exclure mutuellement, tradition littéraire, tradition orale, illustration et récit en images sont en fréquente interaction dans la littérature d’enfance. La tradition orale lui a donné plusieurs de ses « formes simples » : listes, randonnées, menteries, mondes à l’envers. Elle lui a transmis quelque chose de son oralité, de ses jeux de reprise (qu’on se rappelle les refrains des chansons), de rythme et de rimes. De leur côté, romans et albums font souvent appel aux contes traditionnels pour construire une connivence culturelle avec leur lecteur, leur empruntant une séquence, un personnage, voire l’ensemble d’un schéma narratif comme dans L’Enfant-Océan (1999)de Jean-Claude Mourlevat, qui est une récriture du Petit Poucet de Perrault. L’oral, l’écrit et l’image sont intimement liés dans les Aventures d’Alice au pays des merveilles. Faute de pouvoir illustrer lui-même son récit (ses amis l’en dissuadèrent), Carroll a surveillé de près le travail de Tenniel, et la mise en page des gravures est le fruit de leur collaboration. Dans cet ouvrage, l’oral est partout sous-jacent : dans le poème-prologue qui évoque l’improvisation initiale au cours d’une promenade en barque ; dans le texte lui-même avec ses dialogues et ses jeux de mots (dont l’effet suppose une lecture à voix haute) ; dans ses parodies qui moquent le répertoire des récitations, des prières et des chansons que l’on apprenait aux enfants. Seule échappe à la critique « The Queen of Hearts » ; les nursery rhymes constituent l’horizon esthétique dont se revendique Lewis Carroll.

III. Un texte qui parle, des images qui racontent

Tout vecteur impose des contraintes et offre des possibles. La littérature d’enfance a tiré un parti esthétique singulier de deux des trois vecteurs que j’ai mis en avant, celui de la communication orale et de celui des images imprimées. Tout au long de son histoire, elle a exploité des formes littéraires faisant appel à ce qu’on pourrait appeler « une mémoire de la transmission orale ». Dès que les progrès de l’impression des images le lui ont permis, elle a poussé très avant le dialogue du lisible et du visible. S’il devait y avoir une spécificité de la littérature d’enfance, elle pourrait être dans cette esthétique pour l’oreille et pour l’œil. Je donne deux exemples, de nature tout à fait différente, pour éclairer ce point.

Une écriture pour l’oreille

Nous avons en mémoire le frontispice qu’Antoine Clouzier grave pour le recueil de contes de Charles Perrault en 1697 : la servante, assise, conte, tout en filant, aux enfants des maîtres qui font cercle autour d’elle [23] . Les écrivains pour enfants vont faire fusionner cette figure de la conteuse avec celle du parent, du pédagogue et du raconteur.

Les écrivains pionniers du XVIIIe siècle ont conscience de la nécessité de prendre en compte les compétences linguistiques (construites sur une pratique orale) de leurs jeunes lecteurs. Dans ses Lessons for Children (1778-1779), Mme Barbauld met en scène les dialogues d’une mère avec son fils, dans une langue qui soit accessible au petit Charles … et à ses futurs jeunes lecteurs. De son côté, Mme de Genlis précise que les récits de la mère dans ses Veillées du château « sont souvent interrompus par les questions des enfants qui ne laissent jamais passer un mot au-dessus de l’intelligence de cinq ans, sans en demander l’explication [24]  ». Dans Le Magasin des enfants (1756) de Mme Leprince de Beaumont, ouvrage destiné à des enfants un peu plus âgés, fillettes et gouvernante sont tour à tour “raconteuses” et auditrices. Dans Le Nouveau Robinson (1779) de Campe, le père de famille, fréquemment interrompu, raconte sur 31 soirées les aventures de son nouveau Robinson. Le dispositif permet la reformulation, les questions de l’auditoire, les commentaires des uns et des autres. La mise en scène d’un personnage qui raconte et d’un auditoire qui écoute, que nous connaissons bien dans la littérature pour adultes, mime et redouble l’oral des échanges effectifs entre un adulte éducateur et un enfant.

Cet emploi du dialogue pédagogique s’efface progressivement au XIXe siècle. Seul subsiste le récit-cadre servant à introduire la parole maternelle dans les recueils d’historiettes, la parole savante dans les ouvrages de vulgarisation scientifique. Tout autre est l’usage du roman discursif tel que nous le trouvons chez Ségur et Collodi. La comtesse de Ségur utilise le récit enchâssé dans Les Vacances (1859) pour tenir à distance le romanesque (pour lequel elle n’a que méfiance). La tempête et la robinsonnade sont données sous la forme d’un récit fragmenté, pris en charge brièvement par deux adultes et longuement par deux enfants [25] . Mais Ségur ne cherche pas à forger une manière enfantine de raconter à la différence de ce que fera Carlo Collodi dans Les Aventures de Pinocchio (1881-1883). Collodi joue des écarts entre un mode narratif attribuable à un adulte et une manière de raconter attribuable à un enfant. Pinocchio retrouve Geppetto dans le ventre du Requin (chap. 35). Il lui raconte dans une seule longue phrase, qui ignore les relations de subordination et de causalité, qui ne connaît que le verbe « dire » pour seul embrayeur du discours, tout ce qui lui est arrivé depuis leur séparation. Le jeu littéraire est double, puisque Collodi nous donne ainsi deux lectures des mêmes faits, racontés une première fois par un narrateur externe (du chapitre 9 au chapitre 35), une seconde par le héros lui-même dans ce pastiche de récit d’enfant.

La figure du raconteur renaît au début du XXe siècle, mais pour un tout autre usage. La parole de l’adulte n’a plus aucune visée éducative : elle est là pour faire cadeau d’une histoire à l’enfant mis en scène, figure d’un(e) enfant aimé(e) dans le monde du réel et relais dans la fiction des futurs lecteurs. L’écrivain joue sur les deux niveaux temporels, celui de l’énoncé et celui de l’énonciation. Dans les Histoires comme ça (1902), Rudyard Kipling introduit un enfant auditeur par la présence récurrente d’adresses à « Mieux Aimée » (« faut surtout pas oublier les bretelles, Mieux Aimée »). Dans Grain d’aile (1951) [26] , Paul Eluard marque par des apartés, soulignés en gras, l’intimité du lien qui unit le raconteur à sa fille : « Il était une fois une petite fille très gentille, presque plus gentille que toi, et si légère, si légère que lorsqu’elle naquit… ». Le dispositif souligne la connivence entre l’adulte et l’enfant et il légitime une écriture qui emprunte aux ressources de la communication orale. Bien des recueils, des Histoires comme ça de Rudyard Kipling à Sept histoires de souris (1972) d’Arnold Lobel, vont ainsi mettre en scène une voix adulte s’adressant à un enfant (ou à un auditoire d’enfants) comme si l’écrivain voulait retrouver quelque chose de la vivante parole du conteur et ce plaisir que formule si bien Walter Benjamin : « Qui écoute une histoire forme société avec qui la raconte […] [27] ».

Raconter entre texte et images

L’illustration, qui est loin d’être au XIXe siècle une spécificité du roman pour la jeunesse, a développé ce que nous pourrions appeler une "expansion interprétative" des œuvres de fiction. L’artiste, choisi par l’éditeur, est en position d’interprète ; il ajoute à un texte qui lui est antérieur et extérieur une traduction graphique de sa lecture. Du même coup, l’écrivain n’est plus le seul maître de sa fiction : il doit composer avec un autre créateur, qui vient après lui, introduisant des effets de sens nouveaux, selon une logique autre que la sienne. On conçoit que des écrivains de littérature générale aient souhaité (tel Flaubert) ne pas être illustrés. On comprend, qu’écrivant pour l’enfance, d’autres aient souhaité être leur propre illustrateur. On peut rappeler que Rudyard Kipling illustre lui-même ses Histoires comme ça. Mais Saint-Exupéry dit qu’il a peiné pour réaliser ses illustrations du Petit Prince. La maîtrise technique fait souvent défaut. Il y a de ce fait infiniment moins d’écrivains venant à l’illustration que d’illustrateurs venant à l’écriture. C’est l’invention de l’album pour enfants qui va révéler à quelques artistes (peintres ou illustrateurs) leurs dons d’écriture et favoriser l’émergence d’une nouvelle catégorie de créateurs, les auteurs-illustrateurs.

Dans le couple écrivain + illustrateur, nous avons affaire à deux individualités distinctes qui peuvent être proches et contemporaines, mais tout aussi bien appartenir à deux univers culturels et historiques différents (Anne Herbauts, artiste belge, illustrant Alice au pays des merveilles en 2002). L’auteur-illustrateur est par contre en position de créateur unique. Son travail s’enracine dans le même inconscient et la même pulsion créatrice. Il répartit son propos (de manière plus ou moins consciente) entre le lisible et le visible, combinant le verbal de son texte et le discours silencieux de ses images. Il n’est en aucun cas un « interprète graphique » de son propre texte. Cette position neuve naît au XIXe siècle avec Rudolf Töpffer [28]  et Heinrich Hoffmann ; on la retrouve avec Beatrix Potter au tournant du XXe siècle, avec Jean de Brunhoff dans les années trente. Aujourd’hui certains artistes sont illustrateurs (Georges Lemoine), d’autres ont une œuvre d’illustrateur et une œuvre plus intime d’auteur-illustrateur (Maurice Sendak), d’autres enfin – comme Beatrix Potter, Jean de Brunhoff, Samivel – ne réalisent la mise en images que de leurs propres textes.

C’est cette double compétence artistique qui a contribué à faire naître au sein des albums pour enfants ce que nous appelons aujourd’hui des albums iconotextuels, c'est-à-dire des albums dont les effets de sens reposent de manière insécable sur l’interaction du texte, de l’image et du support [29] . Le simple fait de rééditer dans un format différent dégrade l’œuvre. Où se nichent la richesse et la complexité de ces petits livres ? Ni dans le seul texte, ni dans les seules images, mais dans l’entrelacs de l’invention verbale et de l’invention graphique au sein d’un espace-livre. C’est ce jeu de relations intersémiotiques qui explique qu’en dépit de leur brièveté et de leur apparente simplicité, certains albums puissent se révéler d’une remarquable richesse.

L’album iconotextuel est le seul genre que l’on peut tenir pour une création pleine et entière de la littérature d’enfance, tant celle-ci a su le mener à un degré d’élaboration artistique sans équivalence avec ce qu’il a pu connaître sous la Restauration dans la culture adulte. Le plus souvent destiné aux jeunes enfants, il est écrit (du moins, devrait-il l’être) de manière à pouvoir être lu à voix haute. De tous les genres que pratique la littérature d’enfance et de jeunesse, c’est lui qui unit le plus intimement les trois vecteurs que j’ai mis en avant : l’oral, l’image et l’écrit. Il réalise pleinement le programme « écouter, regarder, lire ».

IV. Économie du livre et circulation internationale

La circulation des fictions n’est pas équivalente selon que leur vecteur dominant est l’oral, l’écrit ou l’image. Porter attention à la relation vecteur-genre éclaire quelques aspects des échanges internationaux dans le domaine de la littérature d’enfance et de jeunesse. Pour le dire sommairement, les genres les moins coûteux sont les moins puissants et les plus chers à produire et à distribuer sont les plus puissants.

La tradition orale

La culture orale ne fait l’objet d’aucune tractation financière ; elle ne coûte rien et ne circule plus guère. Pendant des siècles, les contes ont parcouru de grandes distances, portés par les peuples qui ont migré d’est en ouest. Puis, comme les hommes, les contes se sont, si l’on peut dire, eux aussi sédentarisés. Au sein d’une même culture nationale, les contes, les chansons et lesformulettes possèdent aujourd’hui encore de nombreuses formes régionales, parfois inconnues dans les régions limitrophes.

La culture orale perd sa dimension de performance (la circonstance, la voix, le geste) quand elle se fixe par l’écriture ou l’enregistrement. Les recueils de contes effacent la voix du conteur, l’écoute de disques se substitue à la transmission de bouche à oreille des chansons, des comptines et des formulettes. Si cette littérature orale chantée et rythmée reste encore transmise par les adultes dans l’espace privé – ou des grands vers les petits dans les cours de récréation –, c’est parce qu’elle ne peut être totalement coupée de son vecteur oral et sa fonction ludique (les chansons-jeux). Elle est, de ce fait, éminemment nationale.

Les contes, quand ils sont recueillis, transcrits et publiés, se séparent par contre de leur antique vecteur : ils deviennent des livres, que l’on traduit et qui entrent dans la loi commune régissant le commerce des livres. Mais si les grandes collectes folkloriques du XIXe siècle ont réduit le conte à sa seule trace écrite, elles ont du même coup rendu visible l’existence de cet antique patrimoine. C’est ce patrimoine qui est mis en avant par toutes les jeunes nations qui conquièrent leur indépendance. On sait qu’un des objectifs de la collecte des frères Grimm est de constituer un « Trésor de la culture allemande ». Cette fonction de miroir national est très présente dans la littérature de jeunesse. La Norvège est restée sous domination danoise jusqu’en 1813. En 1888, Elling Holst publie un recueil de chansons et de jeux qui deviendra l’album fondateur de la culture enfantine norvégienne, le Norsk Billedbok for Barn [Album norvégien pour enfant]. Il souligne dans son introduction que son recueil est une des manifestations du « génie national » de la Norvège.

Livres et traduction

L’imprimé est un vecteur qui a engendré un nombre considérable de professions : éditeurs, traducteurs, illustrateurs, imprimeurs, relieurs, distributeurs, libraires. Ce sont autant de médiateurs qui introduisent des négociations commerciales au sein de la production intellectuelle et artistique. Au cours du XIXe siècle, le commerce des livres se développe de manière si considérable que des accords internationaux viennent réglementer les droits de traduction. (Convention de Berne, 1886). Le marché du livre se dote au XXe siècle de lieux de rencontres et de négociations comme la foire internationale de Francfort (1948), ou celle de Bologne (1963), qui consacrée aux seuls livres pour enfants. Le livre est une marchandise qui s’exporte et s’importe. Il s’importe par exemple quand un pays comme le Japon décide, à l’époque Meiji, de s’ouvrir aux pays occidentaux. Ce fut une surprise pour moi de voir revenir du Japon, sous forme de dessins animés, Sans Famille (Hector Malot, 1878), Heidi (Johanna Spyri, 1880), Princesse Sarah (A Little Princess, Frances Burnett, 1905). Il pourrait être intéressant de lancer des recherches sur les étapes de la diffusion internationale de grands classiques pour la jeunesse du XIXe siècle, à la manière de celles que Franco Moretti évoque dans la troisième partie de son Atlas du roman européen ; 1800-1900 [30] .

La traduction est là pour contourner la malédiction de Babel et donner à lire à chacun dans sa propre langue. Elle s’accompagne souvent d’aménagements qui visent à réduire l’écart entre la culture du texte original et celle du texte traduit. Dans la traduction en russe d’Alice’s Adventures in Wonderland par Vladimir Nabokov [31]  et dans certaines traductions espagnoles, la souris n’est pas venue dans les bagages de Guillaume le Conquérant, mais dans ceux d’un autre envahisseur, l’empereur Napoléon 1er.

Les échanges sont en général déséquilibrés et se font au profit de la culture qui dispose de la plus forte puissance économique. Mais loin d’empêcher irrémédiablement l’émergence d’une littérature enfantine nationale, la présence d’œuvres traduites peut être ce qui va en permettre l’émergence. Le paradoxe n’est qu’apparent. Au XIXe siècle, les frères Garnier impriment à Paris des traductions en portugais pour leur jeune frère installé au Brésil, Hetzel des traductions en espagnol qui sont distribuées en Espagne et en Argentine. L’éditeur italien Emilio Treves importe les innovations techniques de l’édition française [32] . Il s’inspire d’Hetzel quand il crée à Milan sa propre maison d’édition en 1861. Il donne en 1864 une traduction de Histoire d’une bouchée de pain (1861) de Jean Macé et publie en 1886 Cuore d’Edmondo De Amicis. Dans un premier temps, les livres traduits construisent un public de jeunes lecteurs. Ils offrent dans un second temps des modèles littéraires aux écrivains nationaux. La traduction peut ainsi contribuer à donner des livres à une culture jusqu’à ce que cette culture puisse se créer dans sa propre langue ses propres livres.

La circulation des images

Les images relèvent du livre imprimé, mais leur circulation internationale présente plusieurs particularités. La première est d’ordre technique. Le désir de reprendre les illustrations originales d’un livre étranger se heurte au XIXe siècle – en particulier dans le domaine naissant de l’album – à la difficulté (voire à l’impossibilité dans le cas des pierres lithographiques) de faire circuler les matrices. L’éditeur-importateur a le choix entre trois possibilités : il fait redessiner les illustrations originales, il achète une reproduction (obtenue par stéréotypie ou galvanotypie) des gravures sur cuivre ou sur bois, il fait imprimer l’ensemble dans le pays d’origine par l’intermédiaire de l’éditeur initial. Tel fut le cas, à la fin du XIXe siècle, pour les albums de Kate Greenaway qu’Hachette fait imprimer en Angleterre par Edmund Evans. Avec la généralisation de l’offset autour de 1960, puis des fichiers numériques à partir des années 1980, le problème disparaît.

Dans le cas d’un roman illustré, c’est le choix du texte qui est premier et l’éditeur qui en rachète les droits peut décider ne pas reprendre les illustrations originales. La création d’un nouveau jeu d’illustrations correspond à une volonté soit d’actualisation esthétique, soit de « naturalisation » culturelle. La première édition d’Alice au pays des merveilles en swahili (1940) fait d’Alice une petite fille noire et une édition japonaise qui date de 1961 l’habille comme une petite écolière japonaise [33] .

Mais la célébrité d’un illustrateur peut aboutir à inverser les raisons de traduire. C’est la renommée d’Arthur Rackham (et non celle encore mince de Lewis Carroll en France) qui est à l’origine d’une double édition d’Alice au pays des merveilles chez Hachette en 1908 et 1909. Dans le cas des albums, c’est toujours la réalisation de l’artiste qui est à l’origine de la décision de traduire, que celui-ci soit en position d’auteur-illustrateur ou de simple illustrateur. C’est pour ses illustrations et non pour son choix de nursery rhymes (qui heurte à l’évidence la conception française de la poésie pour enfants) que Hachette publie en 1885 le recueil Mother Goose (1881) de Kate Greenaway sous le titre Scènes familières. Quand l’éditeur catalan J. J. de Olañeta publie en 2002 une traduction de Nos enfants, scènes de la ville et des champs (1900) d’Anatole France, ce n’est pas l’académicien français qui lui importe, mais les illustrations de Maurice Boutet de Monvel qui accompagnent son texte.

La dernière particularité des images nous ramène à leur statut dans les albums. Il arrive que des mots soient insérés dans les images. Choisir de les effacer, de les traduire ou de les conserver devrait impliquer que l’on en ait évalué la fonction. Les traducteurs français et allemand de l’album de Maurice Sendak In the Night Kitchen (1970) ont laissé telles quelles les écritures que Sendak a insérées dans ses images. Du même coup, un niveau de lecture essentiel à la compréhension de l’album (la vie, la mort, la résurrection) est irrémédiablement perdu pour les lecteurs français ou allemands. On retrouve ici la proposition avancée plus haut : lire un album, ce n’est pas simplement lire un texte, c’est lire un iconotexte, déchiffrer les entrelacs de sens du texte et des images. Les traducteurs ne mesurent pas toujours qu’il leur faut lire l’album dans sa totalité, alors même qu’ils ne pourront ensuite rendre compte de leur lecture qu’à travers leur traduction du seul texte [34] .

*

L’oral, l’écrit et l’image sont trois vecteurs présents dans toutes les littératures de jeunesse, mais sans l’être nécessairement dans les mêmes proportions. Ces littératures de jeunesse ne se sont développées ni à la même époque ni au même rythme. Certaines ont plus de deux siècles, d’autres sont en train de naître. Ces décalages dans le temps sont la conséquence des décalages dans le développement économique, dans la scolarisation des enfants, dans la puissance commerciale. D’où la question que je me pose : ce que j’ai dit de l’importation au XIXe siècle des grandes littératures pour la jeunesse en Italie et en Espagne, et du rôle que la traduction a pu jouer dans l’émergence d’une littérature enfantine nationale, sera-t-il être également vrai avec les nouveaux médias des XXe et XIXe siècles ? On ne peut s’empêcher de penser que la puissance du livre n’est rien à côté de celles de la télévision, du cinéma, des jeux vidéo, de la publicité. Ces nouveaux médias sont des industries de l’imaginaire, du jeu et de la persuasion. Ils disposent de budgets sans commune mesure avec ceux du livre et ils visent à conquérir des marchés toujours plus larges, avec un souci de rentabilité toujours plus rapide. Leurs stratégies d’exportation semblent faire peu de cas des traditions culturelles nationales, et leur mode de diffusion contourne l’alphabétisation préalable qu’imposait l’accès au livre. Nous nous retrouvons devant un équivalent de l’antique relation entre l’image et l’illettré. La mondialisation du marché culturel est si rapide et si puissante qu’elle pourrait décourager toute velléité d’autonomie et de diversité culturelles. Cette crainte paraît fondée – à moins que nous ne soyons que de mauvais analystes de la complexité du présent. Verrons-nous au XXIe siècle naître avec ces nouveaux médias de nouvelles cultures enfantines nationales ou régionales, comme nous l’avons vu avec le livre  au XIXe siècle ?

***

Pour une bibliothèque comparatiste de littérature d’enfance et de jeunesse

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Notes

  • [1]

    Entre 1748 et 1763, Mme Leprince de Beaumont gagne sa vie en Angleterre comme gouvernante dans des familles de la grande aristocratie. Mme de Genlis est nommée « gouverneur » des enfants du duc de Chartres en 1782. Arnaud Berquin fut précepteur des enfants de l’éditeur Panckoucke. En Angleterre, Mrs Barbauld dirige avec son mari un internat pour garçons. Le chanoine Schmid rapporte qu’il imagina ses contes pour les élèves de sa petite école en Bavière.

  • [2]

    Titre du « Que sais-je ? » de Denise Escarpit (Presses Universitaires de France, 1981). La dénomination antérieure était devenue trop restrictive et ne permettait plus d’englober l’important marché de l’adolescence (la scolarisation obligatoire passe à seize ans en 1971).

  • [3]

    Le point de départ de mon propos est une communication donnée à l’occasion du 30e congrès de l’International Board on Books for Young People (Macao, 21-23 sept. 2006) sous le titre « Listening, Looking and Reading : The three Media in Children’s Literature ». Je précise que je laisse de côté les manuels scolaires et les documentaires.

  • [4]

    La Famille Fenouillard deChristophe commence à paraître en août 1889 dans Le Petit Français illustré, périodique pour la jeunesse de la maison Colin, après une version courte publiée sous la forme d’un récit illustré (« Une partie de campagne ») dans le Journal de la jeunesse de Hachette (février-avril 1889).

  • [5]

    S’ajoute dans les deux pays une faible unification linguistique : « Des livres pour les enfants sans finalité avant tout éducative semblaient inconcevables, et cela non seulement pendant les années du Risorgimento, mais aussi et surtout au moment où l’Italie se constitua en État national, et où prit forme la gigantesque entreprise éducative qui devait aboutir à l’institution de l’école obligatoire dans un pays qui comptait alors 78% d’analphabètes, et dans lequel les italophones n’étaient qu’une petit minorité de 600 000 personnes perdues au milieu de 26 millions de dialectophones. L’école devait former la nation. » (Mariella Colin, « La naissance de la littérature romanesque pour la jeunesse au XIXe siècle en Italie ; entre l’Europe et la nation », Revue de Littérature Comparée, « L’invention du roman pour la jeunesse au XIXe siècle », n° 304, oct.-déc. 2002, p. 507).

  • [6]

    Au début du XIXe siècle, le taux d’analphabétisme était en Espagne de 94%. Il oscille, selon les sources, entre 56 et 68% au début du XXe siècle, alors qu’il est tombé à moins de 20% en France et à moins de 10% en Angleterre. (Marisa Fernández-López, « La naissance du roman hispanique à la lumière de ses modèles français, anglais et américains », Revue de Littérature Comparée, « L’invention du roman pour la jeunesse au XIXe siècle », n° 304, oct.-déc. 2002, p. 495).

  • [7]

    Comme en témoigne le titre complet du Magasin des enfants (1856) de Mme Leprince de Beaumont: Magasin des enfants ou dialogues d’une sage gouvernante avec ses élèves de la première distinction dans lesquels on fait penser, parler, agir les jeunes gens suivant le génie, le tempérament et les inclinations d’un chacun. On y représente les défauts de leur âge, l’on y montre de quelle manière on peut les corriger; on s’applique autant à leur former le cœur qu’à leur éclairer l’esprit. On y donne un abrégé de l’Histoire sacrée, de la Fable, de la Géographie, etc. Le tout rempli de réflexions utiles et de contes moraux pour les amuser agréablement et écrit d’un style simple et proportionné à la tendresse de leurs années.

  • [8]

    8 La première adaptation de Robinson Crusoé spécifiquement destinée à la jeunesse paraît en Angleterre en 1768, en France sous le titre Histoire corrigée de Robinson Crusoe (d’après D. Defoe) dans son île déserte. Ouvrage rendu propre à l’instruction de la  jeunesse sur le plan de J.-J. Rousseau, Aubry, an III (1794). Joachim Heinrich Campe publie en 1779, sous le titre Robinson der Jüngere, la première grande récriture pour enfants du roman de Defoe : un père raconte soir après soir les aventures de Robinson à ses enfants ; la famille en tire les conclusions morales nécessaires. Le livre connaît un immense succès et il est traduit dans toutes les grandes langues européennes (à Paris en 1783).

  • [9]

    Adèle et Théodore ou Lettres sur l’éducation (1782), Lettre XIV.

  • [10]

    « Essai sur les causes et les effets de la perfection et de la décadence des lettres », dans André Chénier, Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1950, p. 664.

  • [11]

    Selon les Mémoires de Pierre de La Porte, c’est avec des « contes de Peau d’âne » que les gouvernantes endormaient Louis XIV enfant.

  • [12]

    Le Malade imaginaire (1673 ; II, 8).

  • [13]

    « Cinderella] paints some of the worst passions that can enter into the human breast, and of which little children should, if possible, be totally ignorant, such as envy, jealousy, a dislike of mothers-in-law and half-sister, vanity, a love for dress, etc . » (The Guardian of Education, premier périodique consacré à la critique des livres pour enfants, que Sarah Trimmer crée et anime de 1802 à 1806).

  • [14]

    L’attention portée aux comptines et aux formulettes est nettement plus tardive en France. On connaît un recueil de Philippe Kuhff, Les Enfantines du « Bon pays de France » (Sandoz et Fischbacher, 1878), destiné aux mères de famille. Eugène Rolland publie la première collecte savante chez Maisonneuve et Cie en 1883 sous le titre Rimes et jeux de l’enfance.

  • [15]

    La Bibliothèque bleue. Littérature de colportage, Robert Laffont, « Bouquins », 2003.

  • [16]

    Le plus ancien exemple que je connaisse est l’utilisation de la comptine Pin pa ni caille pour organiser une partie de cache-cache (Comtesse de Ségur, Après la pluie le beau temps, 1871, chap. 15).

  • [17]

    Les Contes de fées par Charles Perrault. Edition revue avec soin par un directeur de bibliothèque chrétienne, Limoges, Martial Ardant, 1859.

  • [18]

    Isabelle Nières-Chevrel, « De l’oral à l’album. Trois contes de Jean-Michel Guilcher : Le Violon enchanté, Bernique et Les Deux Bossus », La Revue des livres pour enfants, n° 210, avril 2003, p.72.

  • [19]

    « Let it be given to children into their hands to delight themselves withal as they please, with the sight of the pictures, and making them as familiar to themselves as may be, and that even at home, before they be put to school ». Il n’y a pas de traduction française. Je cite à partir de la première édition américaine (1810) faite sur la 12e édition de la traduction anglaise donnée par Charles Hoole en 1659.

  • [20]

    Traité de l’éducation des filles ,1687 (chap. « De l’usage des histoires pour les enfants »). 

  • [21]

    On obtient les surfaces à graver en coupant le bois perpendiculairement aux fibres. On utilise des bois durs (souvent des fruitiers) qui permettent des tirages à plusieurs milliers d’exemplaires.

  • [22]

    On peut tenir Der Struwwelpeter (1845-1847) de Heinrich Hoffmann pour l’album fondateur. Hachette en donne une traduction française en 1860.

  • [23]

    Sur le glissement de la conteuse à la lectrice, voir Ségolène Le Men : « Mother Goose illustrated : from Perrault to Doré », Poetics Today, vol 13, 1-1992, Duke University Press, Durham, p. 17-39.

  • [24]

    Adèle et Théodore ou Lettres sur l’éducation, 1782, Lettre XIV.

  • [25]

    Le marin Lecomte (chap. V) aux seuls enfants, Sophie (chap. VI) devant un auditoire d’enfants (« On avait installé Sophie dans un fauteuil, et elle commença au milieu d’un grand silence »), Paul (chap. VIII, IX, X) et M. de Rosbourg (IX) devant la famille réunie.

  • [26]

    Le nom patronymique de Paul Eluard est Paul Grindel.

  • [27]

    Walter Benjamin, Essais, II 1935-1940 (trad. Maurice de Gandillac), Denoël/Gonthier, 1983, p. 75.

  • [28]

    Mais l’œuvre de celui-ci n’est pas destinée aux enfants.

  • [29]

    Le terme « iconotexte », forgé par Michael Nerlich en 1985, est un mot-valise (terme lui-même forgé par Lewis Carroll) d’autant plus satisfaisant qu’il unit « icône » et « texte » d’une manière analogue aux genres mixtes qu’il désigne. La bande dessinée, le roman-photo, une partie des albums pour enfants sont des iconotextes.

  • [30]

    Éditions du Seuil, 2000 (voir en particulier « les trois Europes », pp. 191-206). Franco Moretti n’évoque qu’en passant les livres pour la jeunesse, à propos des cabinets de lecture. Voici, à titre d’exemple, la chronologie des traductions d’Alice’s Adventures in Wonderland (1865) jusqu’en 1940 : allemand et français (Londres, 1869), suédois (1870), italien (Londres, 1872), danois (1875), russe (1879), néerlandais (abrégé, 1874 ; intégral, 1899), norvégien (1903), finnois (1906), japonais (1920), irlandais et chinois (1922), serbe (1923), hébreu (1923), hongrois (1924), catalan (abrégé, 1922; intégral, 1927), castillan et polonais (1927), portugais (Sao Paulo, 1931), tchèque (1931), turc (1932), bulgare (1933), afrikaans (Londres, 1934), bengali (1940), swahili (Londres, 1940).

  • [31]

    Berlin, Gamayun, 1823, sous le pseudonyme de V. Sirin.

  • [32]

    Exilé pour cause de convictions libérales, il est à Paris en 1854.

  • [33]

    Warren Weaver, Alice in Many Tongues. The Translations of Alice in Wonderland, Wisconsin-Madison,The University of Wisconsin Press, 1964.

  • [34]

    Isabelle Nières-Chevrel, « Traduire In the Night Kitchen, ou de la difficile lecture d’un album », Mεta, vol. 48, n° 1-2, mai 2003, Traduction pour les enfants/ Translation for Children, pp. 154-164. Pour un exemple concernant les effets de mise en page, voir Elzbieta, L’Enfance de l’Art, éd. du Rouergue, 1997, p. 174.

Pour citer cet article

Isabelle Nières-Chevrel, « La littérature d’enfance et de jeunesse entre la voix, l’image et l’écrit »,  Bibliothèque comparatiste, n. 7, 2011., URL : https://sflgc.org/bibliotheque/nieres-chevrel-isabelle-la-litterature-denfance-et-de-jeunesse-entre-la-voix-limage-et-lecrit/, page consultée le 26 Avril 2024.