Agrégation

Quelques remarques sur les rapports de Chant général à la poésie épique à partir de la genèse de l’œuvre

ARTICLE

Le chemin qui conduit Neruda de la poésie douloureuse, solipsiste, des premières Résidences sur la terre, au monument épique de Chant général, est bien connu. On trouvera en particulier dans les mémoires du poète, J’avoue que j’ai vécu, le récit de ces étapes successives. Mieux, ces mémoires sont en même temps un art poétique, qui affirment l’intrication de la biographie, de l’Histoire et de la poésie. Les séquences autobiographiques sont donc ponctuées par des textes réflexifs, qui indexent l’évolution de la poétique sur celle de l’existence personnelle et collective. Le récit nous mène donc des années de l’« ensimismamiento », l’enfermement en soi-même, à la découverte d’une communauté poétique en Espagne dans les années 1930, et dès avant la guerre, à la publication du manifeste « Sur une poésie sans pureté », réfutation d’une vision autotélique et hermétique de la poésie. Cette évolution est précipitée par la guerre d’Espagne, qui ordonne à la poésie de se faire directe, transitive et engagée. Le poème « J’explique certaines choses » dans Espagne au cœur rend compte de ce congé donné « aux coquelicots de la métaphysique » pour laisser place à la dénonciation du « sang dans les rues ». Puis, dès son retour au Chili, en 1938, à la mort de son père, Neruda écrit ce qui deviendra un poème de Chant général, « Ode au fleuve Mapocho » ; la poétique engagée se dirige peu à peu vers l’idée d’un « Chant général du Chili », d’une œuvre ancrée et située dans un lieu. Il faudra encore les années mexicaines, la découverte des fresques des muralistes, et surtout, sur le chemin du retour au Chili, la visite aux ruines de Macchu Picchu, pour que ce projet se transforme en « Chant général » à la vocation continentale. C’est aussi dans l’élargissement à tout l’espace latino-américain que se précise l’idée d’épopée, comme forme modélisante pour ce projet « englobant », même si le genre devra être profondément renouvelé pour être acclimaté à la géographie capricieuse de l’Amérique. L’engagement politique dans les provinces minières du Nord du pays, l’actualité immédiate, la clandestinité ordonnée par la répression du président González Videla, viendront encore modifier le projet et lui donner sa forme définitive. Nous nous proposons ici, non pas de revenir en détail sur ces étapes, mais de proposer, à partir du récit qu’en donne Neruda, dans des textes en prose, mais aussi dans Chant général même, de tracer quelques pistes pour comprendre les rapports qu’entretient l’œuvre avec le genre épique.

Un poème américain entre rêve adamique et négociations génériques

Neruda met au premier plan l’américanisme de son entreprise dans ses commentaires et récits de la genèse de l’œuvre. L’épisode de la visite aux ruines de Macchu Picchu précipite une prise de conscience déjà largement accomplie par la rencontre avec les muralistes et le mouvement indigéniste au Mexique. Surtout, la visite à Macchu Picchu impose au poète la forme poétique qui modélisera cette exigence américaine, l’épopée :

J’ai compris la nécessité d’une nouvelle poésie épique, qui ne se confonde pas avec l’ancien concept formel. L’idée d’un long poème rimé, en sextines royales, me sembla impossible pour les thèmes américains. Le vers devait épouser tous les contours de la terre enchevêtrée, se rompre en archipels, s’élever et retomber dans les plaines [1] .

À peine la nécessité de la poésie épique s’impose-t-elle que surgit l’égale nécessité de la réformer. Le corset métrique espagnol ne saurait convenir à la nouveauté des « thèmes américains ». Or le défi est en même temps solution : si les thèmes sont nouveaux, il suffira de calquer la forme sur ces thèmes pour renouveler une forme désuète et n’en conserver que la fonction fondatrice, l’ambition totalisante. L’espace devient ainsi le terme clef de tout le projet : le poète doit inventer une forme qui rende justice à la beauté capricieuse, si loin de l’harmonie classique, mais surtout à l’immensité de cet espace qui fait éclater le cadastre européen. Cette valorisation de l’espace a pour corollaire une posture adamique :

Il n’y a pas de matière antipoétique lorsqu’il s’agit de nos réalités. Et c’est notre devoir de nous atteler à cette tâche. Les faits les plus obscurs de nos peuples doivent être mis en lumière. Nos plantes et nos fleurs doivent pour la première fois être racontées et chantées. Nos volcans et nos fleuves se sont taris dans les espaces arides de nos textes. Que leur feu et leur fertilité soient offerts au monde par nos poètes [2] .

Cette posture est bien sûr celle du premier chant, « La lampe sur la terre », qui se situe « antes de la peluca y la casaca [3] », mais aussi avant le langage : la toute première strophe du recueil parle ainsi du « trueno / sin nombre todavía [4] ». Dans le deuxième poème, « Végétations », les terres sont « sin nombres y sin números [5] ». Chant général est en fait le lieu d’une instabilité profonde sur le statut du langage dans l’Amérique précolombienne. Neruda feint d’ignorer l’existence des langues indigènes, ce qui étonne dans un texte si largement consacré à la célébration des peuples indiens. Et, plus paradoxal encore, alors que les hommes en semblent dépourvus, la nature apparaît douée de parole et capable d’articuler un langage très élaboré. Mais ce langage naturel s’est effacé :

las iniciales de las tierra estaban
escritas.
Nadie pudo
recordarlas después: el viento
las olvidó, el idioma del agua
fue enterrado, las claves se perdieron
o se inundaron de sangre. (Cg 106)

les initiales de la terre étaient écrites.
Et nul ne put
s’en souvenir plus tard : le vent
les oublia, le langage de l’eau
fut enterré, les clefs perdues
ou englouties sous le silence ou dans le sang. (CG 15)

L’abrasion du sol qui emporte l’ancienne langue de l’Amérique renvoie à l’histoire du continent, qui est celle d’une éradication, d’un enfouissement de la mémoire. Elle justifie aussi la fiction poétique d’une posture adamique qui permet d’investir un espace redevenu vierge et de « remplir de mots les confins d’un continent muet [6] ».

Le problème est que ce manque semble tantôt positif, puisque l’Amérique sans nom parle un langage naturel qui fait la matière du chant, tantôt négatif, puisqu’il est heureusement comblé avec la langue espagnole, dont l’arrivée en terre indienne est saluée dans le poème « Malgré la colère ». L’expression « América sin nombre » résume ce paradoxe : le nom « América » ne correspond pas à la terre précolombienne, mais il est le seul disponible et seule cette expression contradictoire, à la limite du non-sens, peut la désigner. Hors du nom, il n’y a pas de poème : Chant général est très largement l’invocation, le développement de ce nom, comme en témoigne le chant six, « Je ne prononce pas en vain ton nom, ô Amérique ». L’œuvre est ainsi le lieu d’un double éloge, celui d’une langue qui émane de la nature, se constitue hors de la nomenclature et compose une partition sonore que joue le poème, mais aussi celui d’une langue humaine, qui découpe le réel et le rend intelligible, langue faite de « número, nombre, línea y estructura [7] ».

Or cette tension entre parole adamique et goût de la langue espagnole, entre recensement du réel et des mots, calque de l’espace et médiation encyclopédique, est en fait la même qui féconde le rapport à l’épopée. Alors que dans certains paratextes, Neruda feint de congédier le canon épique européen pour inventer un modèle autochtone, mais il entretient en réalité une relation infiniment plus compliquée à la tradition. La mise au premier plan de la géographie s’accomplit ainsi dans le mouvement même d’une inscription dans un espace générique :

Yo estoy aquí para contar la historia.
Desde la paz del búfalo
hasta las azotadas arenas
de la tierra final (Cg 106)

Je suis ici pour raconter l’histoire.
De la paix du buffle
jusqu’aux sables fouettés et refouettés
du bout du monde (CG 16)

Le renouvellement thématique est bien signalé : l’histoire conduit d’un point de repère spatial à un autre, elle est régie par la géographie plutôt que la chronologie. Mais cette annonce se dit dans la langue de la tradition épique : « Yo estoy aquí para contar la historia » renvoie aux incipits épiques par excellence, même si le verbe « contar », « raconter », prend ici la place du paronyme attendu « cantar », « chanter ». Un autre exemple de cette tension entre revendication et contestation de la tradition apparaît dans l’invocation au Bio-Bio, qui fait du fleuve la source de tout récit et réclame pour le poème un idiome naturel. En même temps, les fleuves parlent aussi dans l’épopée homérique, et cette séquence fait largement écho à la mise en garde du fleuve Scamandre à Achille. La colère du Scamandre vient en outre du fait qu’il charrie les cadavres des Troyens et qu’il est rouge de sang, comme le Bio-Bio de Chant général. Mais il y a plus, car le Bio-Bio prend ici la place de l’antique Muse pour figurer l’élan vers une parole inspirée, vers un grand style. La rencontre de deux topoi épiques, l’invocation et la personnification des éléments, altère leur sens : la naturalisation de la Muse vide l’invocation de toute dimension sacrée et place l’épopée américaine sous le signe d’une nature immanente. C’est enfin une image archétypale du poète épique qui est construite ici : le Bio-Bio est en effet une figure d’aède, qui raconte une histoire qu’il tient lui-même des feuilles de l’arbre canelo : mille ans de récits fondateurs, dont il est le dépositaire, se sont stratifiés en lui. Il est un intermédiaire entre l’arbre et le poète, qui transmet à son tour les récits sanglants de la Conquête. L’invocation au fleuve, convoquant de multiples références épiques, est emblématique du double mouvement d’inscription dans une tradition et de détournement, sinon de contestation, de celle-ci.

La revendication géographique est ainsi un trompe-l’œil, qui tend à masquer l’importance de l’intertextualité dans Chant général et à faire oublier que les références épiques sont l’objet d’une négociation permanente. Une tension caractéristique de l’épopée, genre à la fois en prise sur l’histoire, indexé sur le réel, et genre fortement inscrit dans un espace intertextuel, se trouve ainsi exacerbée dans Chant général. Cela est d’autant plus marqué que si Neruda prétend parfois faire table rase, il revendique aussi à d’autres moments des filiations et des héritages. Alors que dans l’extrait précédemment cité, il affirme la nécessité de « chanter pour la première fois » plantes et fleurs, il rend ailleurs hommage à des poètes sud-américains qui l’ont précédé dans cette entreprise. Alonso de Ercilla occupe une place privilégiée parmi ces prédécesseurs :

La Araucana ne nous propose pas seulement le récit épique d’hommes engagés dans un combat mortel, le courage et l’agonie de nos pères, embrassés dans une extermination commune, mais aussi l’inventaire vibrant des forêts et de la nature qui sont notre patrimoine. Oiseaux et plantes, eaux et oiseaux, costumes et cérémonies, langues et chevelures, flèches et parfums, neiges et marées qui nous appartiennent, tout cela trouva un nom, enfin, dans La Araucana, et par la grâce du verbe, commença de vivre. Et ce que nous revivifions comme un héritage sonore constituait alors notre existence, qu’il nous appartenait de préserver et de défendre [8] .

Neruda explique dans la suite de ce texte comment cet héritage a été déshonoré par une Amérique latine qui a nié son histoire. Chant général se propose évidemment de faire honneur au legs de Don Alonso de Ercilla et de redonner à ces noms un écrin poétique. La Araucana (1590) est par ailleurs un intertexte important de certaines séquences consacrées à l’héroïsme araucan. Car si Ercilla raconte la Conquête du point de vue espagnol, il révèle une fascination pour le peuple araucan et pour sa farouche résistance qui excède l’idéologie censée l’encadrer. Les figures de Caupolicán et de Lautaro, centrales dans le chant « Les libérateurs », viennent ainsi de la geste d’Ercilla, que Neruda modifie pour construire un récit qui serve sa propre logique de l’Histoire [9] .

Un autre jalon dans la tradition américaine de l’épopée est bien sûr Walt Whitman, convoqué explicitement à plusieurs endroits de Chant général. Whitman est pour Neruda un « gran compañero [10] », celui qui l’a aidé à trouver le chemin d’une poésie continentale, spatiale, mais aussi d’une poésie démocratique, refusant de hiérarchiser les composants du réel. La référence à Whitman est tantôt implicite, tantôt explicite, oscillation caractéristique de l’intertextualité que pratique Neruda. Sa présence affleure dans « Le vent sur Lincoln », dénonciation de la trahison de l’héritage du grand président américain : le poème propose un contrepoint grinçant aux élégies mélodieuses que Whitman a consacrées à Lincoln. Walt Whitman est en revanche convoqué très ostensiblement dans le chant « Que s’éveille le bûcheron », ressuscité d’entre les morts pour faire les louanges de Staline et vilipender l’Amérique du XXe siècle [11] . L’utilisation très polémique de la référence épique m’amène ici vers une deuxième tension à l’œuvre dans Chant général, elle aussi caractéristique des ambiguïtés du genre.

L’articulation de l’Histoire et du présent, de la poétique de la durée et de l’engagement immédiat

La genèse de Chant général révèle à quel point l’œuvre naît à la fois de l’ancrage dans l’actualité immédiate et du désir de dépasser celle-ci dans une forme ample. Le projet initial d’un chant général du Chili s’agrandit lors de la visite à Macchu Picchu en ambition continentale :

Ma première idée du Chant général fut seulement un chant chilien, un poème dédié au Chili.
Je voulus m’étendre dans la géographie, dans l’humanité de mon pays, définir ses hommes et ses produits, la nature vivante. (…)

Après avoir vu les ruines de Macchu Picchu, les cultures fabuleuses de l’Antiquité me semblèrent de carton pâte, de papier mâché. (…) Je ne fus plus capable ensuite de me détacher de ces constructions. Je comprenais que si nous foulions la même terre dont nous avions hérité, nous devions être reliés d’une certaine façon à ces grands efforts de la communauté américaine, que nous ne pouvions les ignorer, que notre ignorance ou notre silence étaient non seulement des crimes, mais encore la perpétuation d’une défaite.
Le cosmopolitisme aristocratique nous avait amenés à vénérer le passé des peuples les plus anciens et nous avaient mis des ornières nous empêchant de découvrir nos propres trésors.
J’ai pensé à beaucoup de choses après ma visite au Cuzco. J’ai pensé à l’homme américain du passé. J’ai vu ses luttes anciennes confondues avec ses luttes actuelles [12] .

Et c’est dans ce même texte que Neruda affirme cette « nécessité d’une nouvelle poésie épique », qui découle bien de cette amplification du projet local, mais aussi de sa nouvelle profondeur historique : les « luttes actuelles » se raccordent ici aux « luttes anciennes ». Cette extension de l’espace, qui dépasse les frontières des origines biographiques pour épouser celles d’un continent, est absolument solidaire de la conscience d’un devenir historique commun : le projet épique naît de cette découverte du caractère indivis de la géographie et de l’histoire. Pourtant, les circonstances d’écriture d’une large partie du chant vont ramener Neruda à l’actualité la plus brûlante : près de la moitié de l’œuvre est écrite entre 1948 et 1949, dans la clandestinité et l’urgence. L’idée de chronique interfère alors avec celle d’épopée :

Dans la solitude et l’isolement, poussé par le dessein de donner une grande unité au monde que je voulais représenter, j’ai écrit mon livre le plus fervent et le plus vaste : le Chant général. Ce livre fut le couronnement de ma démarche optimiste. (…)
Même si beaucoup de techniques, des plus anciennes et classiques aux chansons populaires, ont été utilisées dans ce Chant, je veux ajouter un mot sur l’une de mes intentions.
Il s’agit du prosaïsme, que beaucoup me reprochent, comme si ce trait entachait ou ternissait cette œuvre. Ce prosaïsme est inséparable de mon concept de CHRONIQUE. Le poète doit, en partie, être le CHRONIQUEUR de son époque. La chronique ne doit être ni quintessenciée, ni raffinée, ni érudite. Elle doit être rugueuse et quotidienne, pleine de poussière et de pluie. Elle doit porter la trace misérable des jours inutiles, des dégoûts et des lamentations des hommes [13] .

Or les deux temporalités, durée et immédiateté, qui régissent cette genèse, travaillent l’œuvre à même le texte.

Chant général est en effet une somme très hétérogène, que l’on peut grossièrement diviser en deux parties, les chants 1 à 4 plongeant dans les profondeurs de la genèse et de l’Histoire du continent, le chant 5 raccordant cette durée aux luttes immédiates qui dominent la suite du recueil. Les chants les plus indexés sur l’actualité sont aussi ceux qui témoignent de l’engagement le plus direct, le plus pamphlétaire. Mais cette symétrie est loin d’être parfaite, plusieurs chants de la deuxième partie retrouvant la profondeur temporelle de la première, en particulier le chant 14, « Le grand océan », consacré à la genèse océanique. Ces ruptures de ton, ces interpolations d’une poésie naturelle ou historique avec une poésie de circonstance, ont été fort brillamment analysées par Saúl Yurkievich dans un article qui a fait date, « Mito e historia : dos generadores del Canto general [14] ». Le critique soutient que Chant général présente des tensions difficilement réconciliables entre une vision mythique, mythologique, et une écriture testimoniale, militante, historique. L’écriture mythique s’enracine dans un temps rétrospectif, celui des origines, du commencement ; au contraire, l’écriture militante s’élance vers un « temps prospectif », celui des utopies politiques. La première est le lieu de prédilection d’un imaginaire métaphorique, alors que la seconde exige un style univoque. Or ces poétiques ont des ressorts beaucoup trop différents pour que l’amalgame soit possible :

L’écriture alterne entre des poèmes hermétiques, très polysémiques, de grande densité métaphorique, dont la tessiture sémantique est stratifiée, et dont le pouvoir de suggestion vient en grande partie de son mouvement indéterminé, et d’autres qui se rapprochent le plus possible d’une élocution prosaïque, dans lesquels le langage se simplifie, se fait direct, discursif, vériste, factuel, référentiel [15] .

La thèse de Yurkievich est en réalité plus complexe que ne l’indique l’entrée en matière polémique. Le début de ce texte a surtout pour vocation d’attirer l’attention du lecteur sur ce qu’il préfère parfois ignorer : Chant général est effectivement un ensemble hétérogène, qui contient des panégyriques boursouflés à la gloire de Staline aussi bien que de fines réécritures de Góngora. Mais la suite de l’article nuance en fait beaucoup cette introduction. Yurkievich reconnaît en effet que ce qui fait l’originalité et la réussite de Chant général, ce sont les passages où l’amalgame entre les deux poétiques a lieu, alors même que celles-ci sont a priori incompatibles. Parce que Neruda conçoit le peuple comme « prolongement de la nature génésique », les passages historiques peuvent acquérir la densité mythologique et métaphorique des chants consacrés à la nature :

Dans les représentations historiques du Chant général, la vision mythologique, l’animisme naturel, continuent à s’imposer. La chronique opère comme tremplin pour l’énergie métaphorique qui ramène toujours Neruda au même pôle d’attraction, à cet épicentre générateur, matriciel, insondable, indicible, au principe des principes [16] .

La chronique fonctionne comme « tremplin » : elle propulse le temps de la lutte vers celui de l’Histoire. On pense en particulier à la séquence de poèmes consacrés à Recabarren dans le chant IV : le présent du locuteur, le temps des grèves, cède à l’évocation épiphanique de Recabarren, et le présent s’ouvre à la profondeur du passé. Le souvenir de Recabarren revient dans le chant 11, « Les fleurs de Punitaqui », qui élargit en outre l’espace de la mine pour lui donner des résonances cosmiques : l’amalgame entre écriture testimoniale, écriture de combat, et poésie génésique et métaphorique se réalise avec une force particulière dans ce chant. Car ce dont il s’agit à chaque fois, c’est de réactualiser les luttes passées, de les réinvestir de la force du présent en même temps que de nourrir le présent de la puissance du passé. On mesure ici ce qui sépare Neruda du discours marxiste orthodoxe de la table rase : le passé participe au contraire pleinement de la lutte au présent, et c’est bien là l’apport de la l’épopée à la poésie politique : lui donner la profondeur de la durée.

Cela dit, même lorsque cet amalgame ne s’opère pas, la juxtaposition de parties hétérogènes fait sens. Ainsi le chant 14, « Le grand océan », semble-t-il mal s’insérer dans un ensemble largement consacré aux luttes immédiates. Ce chant déploie des images qui célèbrent l’élan vital, la réinvention permanente de la matière. La métaphore exprime ici la fluidité du réel, sa résistance à toute forme de pétrification. Or c’est bien le projet politique qui gouverne Chant général : refuser la crispation du réel, prendre conscience qu’il est un réservoir infini de possibilités. Le chant fournit un modèle de structure fluide, mobile, dans laquelle l’unité n’est pas la négation des particularités : les « totalités cristallines » (CG 437) de l’océan sont agitées par la « palpitation », « le tremblement » d’une matière en recomposition inlassable. Ce chant ne relève donc pas d’une logique irréconciliable avec celle de l’engagement et il n’y a pas lieu d’opposer radicalement, comme l’a souvent fait la critique, la poésie historique à la poétique génésique et apparemment atemporelle.

À l’inverse, ce sont parfois des chants par trop monologiques et partisans qui semblent rompre l’unité de l’œuvre, on pense en particulier au chant « Que s’éveille le bûcheron ». Mais si Neruda condamne la politique stalinienne après les révélations du XXe congrès et fait son autocritique dans ses mémoires, il ne retirera jamais cet ensemble pourtant d’abord composé de façon autonome, à l’occasion du plan Marshall, et qui aurait donc pu être détaché d’une œuvre dans laquelle il s’est pour ainsi dire interpolé. Neruda fait donc le choix d’assumer ses erreurs pour affirmer que la poésie ne doit pas se mettre au-dessus de l’urgence commune et immédiate. En ne reniant pas ces passages qui ne survivent pas à la circonstance qui les a occasionnés, il accepte au fond une hétérogénéité inévitable au principe de sa création, au principe d’une « poésie sans pureté ».

Neruda radicalise ainsi une tension essentielle de l’épopée, qu’il fait entendre sur le mode de la dissonance à force de jouer sur elle, mais qui est bien une constante du genre. L’épopée est en effet à la fois aux prises avec l’histoire au long cours et l’actualité, ou plus exactement avec la complexité et l’immédiateté. Cette complexité, c’est celle que Florence Goyet appelle « travail épique » dans sa lecture si féconde de plusieurs épopées guerrières [17] . C’est ce travail de la narration qui permet de « penser » sans concept, d’élaborer des solutions politiques à la crise présente. Car si les épopées ont tendance à déplacer ces récits dans le passé, il n’est nulle « distance épique » dans cet apparent éloignement, mais un moyen de mieux réfléchir l’actualité. Dans le cas de La Araucana, l’éloignement n’est pas historique mais géographique : Ercilla se déplace au Chili pour penser dans le récit guerrier qui oppose Espagnols et Araucans la crise contemporaine de la royauté espagnole. L’épopée n’est pas seulement affirmation patriotique pour lui, mais instrument d’une réflexion complexe sur les formes du pouvoir. C’est une même alliance de recul, de profondeur dialogique, et de préoccupation présente, qui tend parfois à l’engagement monologique, qui est non seulement active, mais exacerbée et exhibée dans Chant général.

Le sujet épique, entre voix prophétique et ancrage biographique

Une dernière question que pose la genèse de Chant général vient du fait que l’œuvre elle-même raconte son propre engendrement, que le poète expose les étapes et les processus qui ont permis l’élaboration d’une poésie épique. Or, le récit de cette construction se fait selon deux modalités très différentes : soit elle est condensée, présentée comme un trajet exemplaire, presque allégorique (chant 2 et 9), soit elle est au contraire décomposée, prise en charge par un locuteur qui accepte sa part irréductible de subjectivité au lieu de la gommer.

Dans les chants « Hauteurs de Macchu Picchu » et « Les fleurs de Punitaqui », le récit du parcours du poète témoigne d’un effort pour départir la première personne de l’idée d’individualité. Le deuxième chant semble s'intégrer étrangement à la construction d'ensemble, puisqu'il interrompt la narration entre les chants 1 et 3. Il occupe pourtant une place stratégique, car c’est en fait toute la question de la légitimité de la voix et du discours qui se joue ici : le « je » ne s’affirme que pour mieux se défaire de toute subjectivité et se donner une extension collective. Ce chant résume le parcours du poète, proposant un trajet exemplaire d'une poétique solipsiste et hermétique à un projet collectif et transitif. Toute l’évolution qui mène de la poésie solipsiste à l’épopée se trouve ici condensée dans une révélation lors de la visite des ruines de Macchu Picchu. Les premiers poèmes (1-5) sont un tissu de références à l'œuvre antérieure, en particuliers aux deux premiers volets de Résidence sur la terre. L’être est errant, en souffrance, condamné au flottement dans un espace « déshabité », pour employer un terme qui est le titre d'un poème de Résidence. La préposition « entre » scande cette poésie de l’apesanteur paradoxalement gluante : elle est chez Neruda signe de disjonction, associant des termes qui appartiennent à des plans sémantiques divergents. Le sixième poème introduit au cœur du chant une rupture radicale : le texte passe du passé simple au passé composé, du récit au discours. Alors que le récit coupait l’être passé du présent de l’énonciation, le discours établit un pont entre passé et présent. Le temps retrouve une orientation et l’espace n’est plus intervalle impossible à combler, mais « ici » de la demeure. Le septième poème raconte la découverte de la « mort véritable », la mort collective, l’engloutissement de tout un peuple dans les profondeurs de la terre, bien différente de la petite mort de l’existence quotidienne auparavant évoquée. Or cette conscience de la mort est le socle à partir duquel est repensé le rapport à la communauté. Le dernier poème retrouve le topos épique de la nekuia. Le poète ne prétend pas ramener à la vie les morts de Macchu Picchu car le constat de leur disparition physique est sans appel : « No volverás del tiempo subterráneo [18] ». Mais ce qu'il peut rapporter dans le monde des vivants, c’est une parole, une histoire : « Yo vengo a hablar por vuestra boca muerta [19] ». Le « je » qui s’affirme ici n’a plus aucune commune mesure avec celui du début : il est devenu perméable à l’altérité, réceptacle de voix qu’il lui appartient de rendre publiques. Le chant raconte donc dans un effet de raccourci saisissant les évolutions d’une poétique, la découverte d’une communication possible avec les morts comme avec les vivants. Toutes les étapes du parcours qui ont conduit le poète à l’élaboration d’une forme épique, de la prise de conscience du nécessaire engagement en Espagne à la découverte de la communauté historique de l’Amérique latine, à Macchu Picchu bien sûr, mais aussi au Mexique, sont résumées et concentrées dans un trajet exemplaire qui reprend à la poésie mystique son efficacité mais la vide de son fonds sacré.

Or cette scène fondatrice est la matrice de plusieurs séquences dans l’œuvre, et en particulier du chant 11. Car tout se passe comme si la légitimation de l’autorité prophétique devait être un processus continu : l’exigence de renouvellement du pacte poétique se conforme à celle des mandats politiques dans une société démocratique. Le chant 11 raconte l’expérience du poète en tant que sénateur des provinces du Nord et le deuxième poème montre que représentation politique ne fonctionne pas dans une société où la politique est pur décorum. Ce chant affirme donc le nécessaire relais de la parole poétique pour pallier cet échec. Les poèmes 10, 11 et 12 montrent des ressemblances patentes avec « Hauteurs de Macchu Picchu », procédant à une mise en abyme similaire, revenant également sur une poétique solipsiste qui a depuis été dépassée : « Antes anduve por la vida, en medio / de un amor doloroso [20] ». Le poème « L'homme » répète ensuite l'expérience de la rencontre communautaire : « Aquí encontre el amor », que Claude Couffon traduit« Là, j'ai trouvé l’amour » (CG 383). Mais il s’agit bien du déictique « aquí », déjà fondamental dans le deuxième chant pour mettre un terme à l'errance existentielle. Le poème répète ainsi l’expérience du chant 2, montrant que la révélation politique est à reconduire pour que le mandat du poète conserve sa légitimité. Mais cette duplication attire aussi l’attention sur le caractère non littéral de ces récits : si on les interprétait sur un plan biographique, on arriverait à une contradiction : le chant 2 prétend que la révélation a eu lieu à Macchu Picchu, le chant 11 à Punitaqui. Si l’on se défait de cette lecture biographique pour lire dans ces poèmes des récits exemplaires, la contradiction est levée et la logique de construction d’une voix prophétique vidée de ses accents subjectifs apparaît très visiblement.

Il faut encore noter que ces deux chants symétriques sont saturés de ce que le critique Alastair Fowler appelle des « signaux génériques [21] ». Le topos de la nekuia appartient bien sûr à ces indices. Dans « Hauteurs de Macchu Picchu », le nombre douze, nombre d’or de l’épopée, structure le chant en douze poèmes. L’orthographe « Macchu Picchu », que Neruda préfère systématiquement au plus homologué « Machu Picchu » signale certainement l’écart entre le lieu référentiel et le lieu symbolique, mais il permet aussi de doter de douze lettres le toponyme. Plus généralement, ces deux chants, 2 et 11, sont placés sous la tutelle de Dante. Les références à l’Enfer sont particulièrement denses dans ces textes qui ont pour enjeu l’invention d’un moi épique et elles permettent d’inscrire Chant général dans une certaine tradition épique. L’ascension physique aux ruines est en même temps une descente archéologique à la rencontre des morts qui apparente le chant à une catabase. Le prologue se diapre des couleurs du soufre pour créer un décor infernal. L’égarement qui précède la descente initiatique fait référence au début de l’Enfer, tout comme le chemin qui mène à la citadelle de pierre : « entre la atroz maraña de las selvas perdidas [22] ». Le choix du terme « selva », qui n’est pas le seul à signifier « forêt » en espagnol, permet de faire entendre un écho à la « selva selvaggia » de Dante. Lorsque le poète découvre la mort collective, la plongée des hommes dans l’abîme est assimilée à la chute des feuilles en automne – « os deplomasteis como en un otoño [23] » –, comparaison qui fait référence au chant III de l’Enfer :

Come d’autumno si levan le foglie (…)
similimente il mal seme d’Adamo
gittansi di quel lito ad una ad una,
per cenni come augel per suo richiamo.

Comme en automne les feuilles s’envolent (…),
Pareillement la semence d’Adam
Se jette du rivage, âme après âme,
Comme des oiseaux, par signes, à son appel [24] .

Dans le chant 11, le poète réclame la main de « Pedro Ramirez » pour explorer « les souterrains calcaires » : le mineur prend ici la place de l’auguste Virgile pour assumer la fonction de guide sur un chemin qui s’apparente au parcours des cercles infernaux. Le mot d’ouverture dantesque « camino » est mis en exergue dans « Vers les minerais ». La référence à Dante est encore plus explicite lorsque les supplices infligés aux mineurs sont évoqués : « La muerte los mordía, / el oro, ácidos dientes y veneno / estiraba hacia ellos [25] ». La syntaxe étrangement perturbée de ces vers crée un effet d’archaïsme et fait signe vers l’univers médiéval de Dante. Les références à la tradition épique font du poète le successeur de Dante en tant que poète porte-parole, voix prophétique [26] .

Mais à d’autres moments, la voix renonce à cette autorité et à cette construction prophétique pour assumer une part de subjectivité irréductible. Chant général s’achève ainsi sur le chant « Je suis », chant autobiographique qui s’offre comme une variation sur le trajet de l'ensemble de l’œuvre. Le premier poème, « La frontière », rejoue en miniature la genèse du premier chant. Puis la suite du chant détaille ce qui était abrégé de manière exemplaire dans les deuxième et onzième chants : le poème « Le frondeur » raconte les amours douloureuses de l’adolescence et retrouve un style plus hermétique pour formuler le sentiment de l'incommunicabilité. Les poèmes 6 à 9, qui relatent les années en Asie, redonnent un contexte géographique et historique à la poétique de Résidence sur la terre : les dates ponctuent le récit, alors que la reconfiguration des chants 2 et 11 brûlait les repères. Tout se passe comme si le processus de condensation mis en place auparavant révélait à présent tous ses ressorts autobiographiques et se défaisait pour être rendu à la singularité d’une vie. De même, la découverte de l’amour collectif, qui était résumée dans la révélation des ruines, puis dans celle de la mine, se redécompose ici en une série d’expériences, la guerre d’Espagne, le séjour au Mexique, le retour au Chili. Dans un même mouvement, la voix se déleste des fonctions prophétiques dont elle s'était investie pour revenir à une exploration personnelle de la matière, comme le montre le poème « La ligne de bois ». Dans le poème « Le vin », il n'est plus question de communion politique, mais de rencontre amicale et de simple plaisir sensuel. Le poème « Les fruits de la terre » annonce même la poétique des Odes élémentaires, fondée sur l’intimité avec les choses et sur un rapport domestique à l'altérité. L’impératif éthique du chant 2 devient simple appétit, décalant le « je » d’un positionnement collectif à une ligne plus subjective.

La pensée politique de Chant général est ainsi travaillée par une subjectivité qui n’est jamais complètement absorbée par la voix prophétique. C’est aussi dans cette perspective qu’il faut lire l’étonnante fin du chant 9, « Que s'éveille le bûcheron ». La parole vindicative y fait soudain place au pur chant, dans un curieux mélange d’humilité heureuse et d’aveu d’impuissance :

Yo aquí me despido, vuelvo
a mi casa, en mis sueños (…)
Soy nada más que un poeta: os amo a todos,
ando errante por el mundo que amo:
en mi patria encarcelan mineros
y los soldados mandan a los jueces.
Pero yo amo hasta las raíces
de mi pequeño país frío. (…)

Yo no vengo a resolver nada.

Yo vine aquí para cantar
y para que cantes conmigo. (Cg 463)

Je prends congé, je rentre
chez moi, dedans mes rêves (…)
Je ne suis qu’un poète et je vous aime tous,
je vais errant par le monde que j’aime :
dans ma patrie on emprisonne les mineurs
et le soldat commande au juge.
Mais j’aime, moi, jusqu’aux racines
de mon petit pays si froid. (…)

Je ne viens rien solutionner.

Je suis venu ici chanter, je suis venu
afin que tu chantes avec moi. (CG 347-348)

Ce chant qui relève de la poésie de circonstance s’achève sur un contrepoint majeur, comme si le poète voulait corriger in extremis la direction très monolithique qu’il a prise. Se pose ainsi encore une fois la question de l’articulation entre immédiateté de l’engagement, univocité du discours poétique, et complexité de la voix et des rythmes du poème qui assume une part de subjectivité. À défaut de « travail épique » à proprement parler, il y bien dans l’épopée moderne une « autre voix », une pensée concrète du politique, « une force de pierre pensive » (CG 518).

Les tensions que révèlent la genèse de Chant général et son inscription dans l’œuvre sont ainsi caractéristiques du genre épique. Neruda les assume, les montre, joue avec elles. L’épopée est un genre à la fois indexé sur le monde et inscrit dans une tradition textuelle, aux prises avec elle. Elle branche par ailleurs l’actualité sur l’histoire au long cours, arrime l’engagement politique à la complexité des rythmes du poème. Les testaments qui achèvent Chant général, pour faire du parti et de la patrie les héritiers du poète, au lieu du cercle familial, rendent compte de ces ambivalences. Le premier lègue ainsi aux syndicats la maison du poète, offre un espace, un bout de terre et d’océan, un monde « de flor marina y piedra constelada [27] », où les hommes pourront trouver refuge et paix, tandis que le deuxième lègue des livres :

Dejo mis viejos libros, recogidos
en rincones del mundo, venerados
en su tipografía majestuosa,
a los nuevos poetas de América,
a los que un día
hilarán en el ronco telar interrumpido
las significaciones de mañana. (Cg 625)

Je laisse mes vieux livres, découverts
aux quatre coins du monde, vénérés
dans toute la grandeur de leur typographie,
aux nouveaux poètes de l’Amérique,
à ceux
qui tisseront un jour sur le métier qui bourdonne sans fin
les différents sens de demain. (CG 514)

Entre legs de l’espace matériel et transmission livresque, ces deux testaments formulent le double ancrage de l’épopée. Les deux poèmes suivants jouent également la juxtaposition, celle des « Dernières volontés » et celle de l’affirmation vitale « Je vais vivre » : négatif et positif, retrait et assertion confiante se suivent. Deux poèmes encore continuent ces adieux constamment différés : l’ode au parti et la coda du poète, l’hommage à l’autre et l’affirmation du « je » dans sa situation présente, son existence concrète. Les poèmes testamentaires juxtaposent donc les forces à l’œuvre dans tout le Chant pour mieux les révéler, mieux signaler leur nécessaire co-présence. C’est encore une fois le principe d’une poésie impure qui est proclamé au fondement de l’œuvre épique.

Notes

  • [1]

    Pablo Neruda, « Algo sobre mi poesía y mi vida » (1954), dans Obras completas, Barcelona, Galaxia Gutenberg, 1999-2002, t. 4, p. 933.

  • [2]

    Pablo Neruda, « A la paz por la poesía » (1953), dans Obras completas, op. cit., t. 4, p. 890.

  • [3]

    Pablo Neruda, Canto general, ed. Enrico Mario Santí, Madrid, Cátedra, 1995 (désormais noté Cg), p. 105 : « avant la perruque et le justaucorps », Chant général, trad. Claude Couffon, Paris, Poésie / Gallimard, 1984 (édition de référence du programme, désormais notée CG), p. 15.

  • [4]

    Cg 105 : « le tonnerre / alors sans nom » (CG 15).

  • [5]

    Cg 107 : « sans noms et sans chiffres » (CG 17).

  • [6]

    Pablo Neruda, Obras completas, op. cit., t. 5, p. 339.

  • [7]

    Cg 181 : « nombre, nom, ligne et structure » (CG 85).

  • [8]

    Pablo Neruda, Obras completas, op. cit., t. 4, p. 1088.

  • [9]

    J’aurais des scrupules à reprendre un commentaire déjà proposé dans « Chant général ou la nécessité d’une nouvelle poésie épique », in : Saulo Neiva (dir.), Désirs et débris d’épopée au XXe siècle, Bern, Peter Lang, 2009, auquel je renvoie donc éventuellement.

  • [10]

    Pablo Neruda, Obras completas, op. cit., t. 5, p. 1154.

  • [11]

    Là aussi, je ne voudrais pas trop répéter ce que l’on trouvera développé dans « Walt Whitman and Pablo Neruda, American camerados », Revue Française d’Études Américaines, Paris, Belin, 2006, n° 108.

  • [12]

    Pablo Neruda, « Algo sobre mi poesía y mi vida » (1954), dans Obras completas, op. cit., t. 4, p. 931.

  • [13]

    Pablo Neruda, Obras completas, op. cit., t. 4, p. 1205.

  • [14]

    In : Emir Rodriguez Monegal et Enrico Mario Santi (dir.), Pablo Neruda, Madrid, Taurus Ediciones, 1986, p. 198-218.

  • [15]

    Ibid., p. 199.

  • [16]

    Ibid., p. 211.

  • [17]

    Florence Goyet, Penser sans concepts : fonctions de l’épopée guerrière. Iliade, Chanson de Roland, Hôgen et Heiji monogatari, Paris, Champion, 2006.

  • [18]

    Cg 140 : « Tu ne reviendras pas du temps enfoui sous terre » (CG 50).

  • [19]

    Cg 141 : « Je viens parler par votre bouche morte » (CG 51).

  • [20]

    Cg 497 : « Avant je circulais dans la vie, un amour / douloureux m’entourait » (CG 381).

  • [21]

    Voir Alastair Fowler, Kinds of Literature. An Introduction to the Theory of Genres and Modes, Oxford, Oxford University Press, 1982.

  • [22]

    Cg 131 : « parmi l’atroce enchevêtrement des forêts perdues » (CG 41).

  • [23]

    Cg 133 : « vous avez croulé bas comme dans un automne » (CG 42).

  • [24]

    Dante, La Divine Comédie, L’Enfer, trad. Jacqueline Risset, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, chant III, p. 46-47. Le texte de Dante s’inscrit en outre dans toute une tradition épique, puisque la comparaison des hommes avec les feuilles apparaît dans l’Iliade (chant VI), avant d’être reprise dans l’Énéide (chant VI).

  • [25]

    Cg 496 : « La mort les mordait, / l’or et les dents acides, le poison / elle allongeait vers eux » (CG 380).

  • [26]

    Il faudrait bien sûr ajouter que ces références ne servent pas seulement l’inscription générique et qu’elles sont objet d’un détournement et d’une négociation. Ces chants qui multiplient les échos à l’Enfer de Dante liquident en même temps la référence au sacré : le monde des morts et l’Enfer de la mine sont des lieux de matière et le discours géologique y recouvre le théologique. En outre, la révélation n’est pas d’ordre spirituel, puisque le poète découvre que la faim et la nécessité de la matière sont les expériences fondamentales de l’homme. Et puis, dans « Les fleurs de Punitaqui », la grève est négation de l’ordre infernal, elle met un terme à une souffrance qui est chez Dante vouée à un perpétuel recommencement. La référence à Dante est très précise dans le poème « La lettre », qui invite le peuple à franchir le seuil de l’avenir : les lettres transparentes, délivrant un message d’espoir, s’opposent aux lettres sombres qui invitaient à abandonner toute espérance au seuil des cercles de l’Enfer.

  • [27]

    Cg 624 : « de fleur marine et de pierre étoilée » (CG 513).

Pour citer cet article

Delphine Rumeau, « Quelques remarques sur les rapports de Chant général à la poésie épique à partir de la genèse de l’œuvre », SFLGC, Agrégation, publié le 10 mars 2018, URL : https://sflgc.org/agregation/rumeau-delphine-quelques-remarques-sur-les-rapports-de-chant-general-a-la-poesie-epique-a-partir-de-la-genese-de-loeuvre/, page consultée le 20 Avril 2024.