Littérature et Arts Visuels

L’auteur et le metteur en scène : aperçus d’un combat
Résumé en anglais
The Playwright and the Stage-Director: Brief Outline of a Contest (Didier Plassard) This article is an attempt to re-examine the modern mise-en-scène (as originated in Germany, France and Russia in the late 19th century) from a double point of view: first, by linking it with the recent researches upon theatre life in the 18th-19th centuries; second, by considering the contemporary evolutions of performing arts, with the emergence of “post-dramatic” theatre and “scenic writing”. This broad perspective allows, first, to redefine the specifics of the modern mise-en-scène, and then to underline the complicated relations but also the convergences between playwriting and stage directing during the 20th-21th centuries: for example, the role of modern stage directors in promoting a literary repertoire, their refusal of usual scenic adaptations which denatured non-classical dramas, their attempts in deconstructing traditional text-interpretation, or the similarities between stage actualisation and re-writing of classical myths or repertoire dramas. We can therefore consider contemporary theatre as a whole, a single artistic field where, by different ways, connections between text-dramaturgy and visual dramaturgy are being explored and re-invented.

ARTICLE

La mise en scène n’est pas une exécution du texte, mais sa découverte. Patrice Pavis [1]

De tous les débats qui font régulièrement retour dans la vie littéraire et culturelle contemporaine, celui qui porte sur les pouvoirs respectifs de l’écriture théâtrale et de la mise en scène est certainement l’un des plus embrouillés, voyant s’affronter les positions les plus tranchées et les vues les plus simplificatrices. L’affirmation progressive du metteur en scène comme artiste créateur, telle qu’elle commence de se faire jour dans les premières années du 20e siècle pour se généraliser après 1945, conduit en effet à deux grandes zones de conflit : face aux œuvres de répertoire, qui constituent la part la plus importante de la production théâtrale, le metteur en scène revendique l’autonomie de son geste en s’écartant des traditions interprétatives, et par voie de conséquence des attentes de la critique comme de celles du public ; face aux œuvres nouvelles, produites par des écrivains qui sont eux-mêmes en quête de reconnaissance, le même metteur en scène se trouve en position de rivalité, les spectateurs pouvant plus difficilement distinguer les parts respectives de l’écriture et de la mise en scène [2] .

D’autres configurations cependant sont envisageables, que les dernières décennies ont vu se multiplier : metteurs en scène ou compagnies composant leur propre dramaturgie, spectacles conçus à partir de textes non théâtraux, voire non littéraires, théâtre-danse, théâtre corporel, théâtre improvisé, théâtre d’images, etc. Certains théoriciens, comme Giovanni Lista [3] ou Hans-Thies Lehmann [4] , ont cru pouvoir conclure du développement de ces pratiques que le conflit de l’auteur et du metteur en scène tendrait bientôt à se résorber : le théâtre contemporain, selon eux, serait sur la voie d’un affranchissement par rapport à la littérature, cet affranchissement se traduisant à la fois par l’apparition de dramaturgies non verbales et par la perte d’autorité du texte sur les autres composantes du spectacle lorsque sa présence est maintenue. Ainsi se réaliserait, en quelque sorte, le rêve formulé par Edward Gordon Craig dans De l’art du théâtre en 1911 [5] , celui d’un artiste complet, inventeur, metteur en scène et interprète de son œuvre.

L’ancrage persistant du répertoire ancien dans les programmations et l’extrême littérarité des nouvelles écritures théâtrales obligent à reconsidérer au moins partiellement ce pronostic. Si la place du texte apparaît aujourd’hui plus fragile ou quelque peu décentrée, c’est peut-être moins en raison d’une autonomisation croissante de la création scénique à l’égard de l’emprise réelle ou supposée de la littérature que d’une nouvelle distribution des processus signifiants dans l’économie de la représentation, distribution qui trouve son origine dans un mouvement plus ample et plus ancien, antérieur même à l’apparition de la figure du « metteur en scène moderne [6]  » dans les dernières décennies du 19e siècle. Ce que dessine l’évolution esthétique du théâtre depuis près de cent cinquante ans n’est en effet, à bien y regarder, qu’une nouvelle étape dans le lent processus qui a vu les arts de la scène, à partir du milieu du 18e siècle, se détacher de la toute-puissance du logos pour développer les pouvoirs de l’opsis, en intégrant progressivement les éléments d’un langage visuel dans la construction du sens de ce qui s’accomplit sur les planches [7] . Et cette évolution ne résulte pas seulement des mutations de la pratique scénique, décors, costumes, jeu de l’acteur et mise en scène réunis : elle procède aussi – telle est du moins l’une des hypothèses qui seront développées ici – des renouvellements conduits au sein de l’écriture dramatique.

Théâtre à voir ou théâtre à entendre

Si, dans sa Pratique du théâtre de 1657, l’abbé d’Aubignac défend avec fermeté l’idée qu’au théâtre « le poème est nommé drama, c’est-à-dire action, et non pas récit ; [que] ceux qui le représentent se nomment acteurs, et non pas orateurs ; [que] ceux-là même qui s’y trouvent présents s’appellent spectateurs, ou regardants, et non pas, auditeurs ; [qu’]enfin le lieu qui sert à ces représentations, est dit théâtre, et non pas auditoire, c’est-à-dire, un lieu où l’on regarde ce qui s’y fait, et non pas, où l’on écoute ce qui s’y dit », c’est pour ajouter aussitôt que « toute la tragédie, dans la représentation ne consiste qu’en discours », de sorte que « si l’on veut bien examiner cette sorte de poème, on trouvera que les actions ne sont que dans l’imagination du spectateur, à qui le poète par adresse les fait concevoir comme visibles, et cependant qu’il n’y a rien de sensible que le discours [8]  ». Ce discours, bien sûr, est appuyé par le geste, mais l’art de la déclamation dite aujourd’hui baroque ne connaît guère que des effets d’amplification ou d’accentuation du sens inscrit dans un texte auquel il reste entièrement asservi [9]  : il ne peut être question, alors, de suggérer d’autres plans de signification par le jeu corporel ou la mimique [10] – ce qui en revanche peut être l’un des ressorts du comique dans la farce ou la commedia dell’arte. De même en va-t-il pour les décors et les costumes : plus libres dans la comédie, où ils contribuent à planter un lieu et à construire l’identité de certains personnages, ils sont dans la tragédie de pure convention, sans relation avec l’action dramatique. L’établissement de la poétique théâtrale classique opère donc, par comparaison avec les scènes composites de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance, une forme de recentrement sur le seul instrument du langage, considéré, ainsi que l’affirmait Aristote pour la tragédie athénienne, comme porteur de l’intégralité du drame, le « spectacle » demeurant pour sa part un ornement « totalement étranger à l’art [11]  ».

Ce qui commence de se faire jour au milieu du 18e siècle, notamment au travers des recherches de couleur locale d’un Lekain soutenu par Voltaire, puis dans la réflexion d’un Diderot ou d’un Goethe par exemple, c’est donc le désir de faire de l’art du théâtre, jusque dans ses formes les plus prestigieuses, un spectacle où le monde imaginaire suggéré par la parole compose avec un nouvel ordre du visible, où ce qui est directement donné à voir sur la scène contribue à la construction du sens de l’œuvre. Ni l’Orient du Mahomet de Voltaire(création : 1741), ni l’Extrême-Orient de son Orphelin de la Chine (création : 1755) n’apparaissent plus compatibles avec l’habit à l’antique propre à la tragédie, et des éléments de caractérisation – turban, pantalon bouffant, cimeterre – commencent d’être introduits, premiers signes d’un désir de réforme qui conduira Talma, dans le Charles IX de Marie-Joseph Chénier créé en 1790, à copier la coiffure et les traits du personnage éponyme, puis, la même année, à revêtir la toge romaine pour jouer dans une reprise du Brutus de Voltaire. Dans le tournant entre 18e et 19e siècles, la diversification des genres théâtraux (tragédie bourgeoise, mélodrame, féerie, drame historique…) et le goût croissant du public pour le vraisemblable, bientôt reformulé en demande d’illusion intégrale, imposent que l’action dramatique prenne place dans un environnement visuel toujours plus convaincant, adapté à chaque œuvre. C’est dans ce contexte que l’expression de « mise en scène », apparue sous la Révolution française, devient d’usage courant : en 1828, le Théâtre de l’Ambigu-Comique à Paris célèbre même la naissance d’une dixième muse, à elle entièrement dédiée, Sénéis.

Cet intérêt pour la dimension visuelle du théâtre n’est pas seulement dû à l’évolution du public, à son désir d’effets spectaculaires que flattent les « clous » du mélodrame, ni à celui de voir l’Histoire mise en images comme Alexandre Dumas se propose de le faire dans son Théâtre Historique ouvert en 1847 : il est aussi porté par l’évolution de l’écriture dramatique, à travers l’accumulation des didascalies exigeant une mise en place et un jeu toujours plus précis. Déjà Beaumarchais avait eu soin de détailler les « caractères et habillements » ainsi que le « placement des acteurs » du Mariage de Figaro (1784) ; cette habitude se répand progressivement, tant pour nourrir l’imagination du lecteur que pour guider les interprètes dans leur découverte de nouvelles conventions théâtrales. Il n’est donc pas surprenant que, dans la première moitié du 19e siècle, on voie les auteurs, tel Victor Hugo, se substituer aux régisseurs ou aux chefs de troupe pour diriger eux-mêmes les répétitions de leurs pièces, afin d’éviter que les automatismes du métier ne conduisent à des contresens. Le drame romantique, en particulier, contraint les acteurs à s’extraire du cloisonnement des emplois et des genres théâtraux en leur demandant d’incarner un valet de comédie qui devient un premier rôle tragique (Ruy Blas), ou bien un barbon qui est aussi un père noble (Don Ruy Gomez dans Hernani [12] ). Lorsque ensuite ces pièces sont reprises dans les villes de province ou à l’étranger, des livrets de mise en scène imprimés, dont l’usage a commencé de se répandre sous la Restauration, permettent de reproduire les décors, les costumes, le jeu des acteurs et les mouvements de foule réalisés pour la création parisienne – un procédé qui témoigne à la fois de l’importance accrue des éléments visuels dans l’économie de la représentation, et du besoin de conseils qu’éprouvent les régisseurs de théâtre obligés de répondre aux nouvelles attentes du public.

Entre le milieu du 18e siècle et celui du 19e, les scènes européennes évoluent ainsi d’un régime de production basé sur un système stable de conventions indifférenciées, mobilisant essentiellement la performance des acteurs et l’imagination du public, vers un nouveau régime articulant la parole au spectacle et reposant sur la construction d’un univers scénique distinct, défini par l’action dramatique [13] . Même si elle ne fait presque toujours que combiner différemment des éléments conservés pendant plusieurs dizaines d’années dans les magasins de décors et de costumes des établissements, ainsi que dans la garde-robe personnelle des comédiens, la représentation d’une nouvelle pièce se définit ainsi peu à peu comme l’agencement original d’un texte et d’une mise en scène, une totalité spectaculaire à l’intérieur de laquelle création dramatique et création scénique entrent dans un dialogue toujours plus étroit. Une continuité s’établit donc, sur ce point, depuis les premiers efforts de Lekain et de Talma jusqu’aux enquêtes minutieuses des Meininger, d’Antoine ou de Stanislavski, qui pousseront jusque dans le choix du plus petit accessoire ou du moindre détail vestimentaire le souci de la reconstitution exacte du milieu historique et social de chacune de leurs productions.

Ainsi la recherche d’une vérité extérieure de l’action dramatique, fondée sur un désir de réalisme intégral, ne commence-t-elle pas avec le Jules César de Shakespeare dans la réalisation des Meininger (1867), Les Bouchers de Fernand Icres dans celle d’André Antoine (1888), ou le Tsar Fédor Ivanovitch d’Alexeï Tolstoï dans celle de Constantin Stanislavski (1898) : il serait plus exact de dire qu’elle trouve alors son point d’aboutissement, au terme d’une évolution qui aura duré près d’un siècle et demi. Mais cette voie se révèle, en même temps, être une impasse, puisque le cinéma naissant viendra répondre avec une bien plus grande efficacité à la demande d’une illusion réaliste. Les premiers metteurs en scène modernes sont donc tout à la fois ceux qui, par l’application systématique des principes du réalisme historique puis du naturalisme, conduisent à leur terme les réformes amorcées depuis le milieu du 18e siècle, et ceux qui font opérer un tournant décisif à l’art du théâtre en se dirigeant vers de tout autres territoires : par exemple ceux de l’abstraction (Edward Gordon Craig), de la stylisation (Max Reinhardt) ou de la convention consciente (Vsevolod Meyerhold). En d’autres termes, bien qu’elle prenne son premier essor sur le terrain du réalisme, l’apparition de la mise en scène moderne n’est pas séparable du changement de paradigme esthétique qui s’opère au tournant du 19e et du 20e siècles, et qui voit le théâtre se détacher de la scène-illusion pour explorer les voies d’une nouvelle « théâtralité » (selon l’expression forgée par Nicolas Evreinov en 1908), c’est-à-dire d’une composition scénique autonome, n’obéissant qu’à ses propres règles : un mouvement qui peut être rapproché, mutatis mutandis, de celui qui traverse alors le champ des autres expressions artistiques, musique, arts plastiques et littérature, dans lesquelles le principe de l’imitation des réalités extérieures est également remis en cause.

Une triple mutation dans l’organisation du travail théâtral

Si les recherches récentes, prolongeant le travail conduit autrefois par Marie-Antoinette Allévy [14] , ont à juste titre souligné le caractère fondateur de la « pré-mise en scène » apparue dans les années 1770-1860 [15] , le régime moderne de la mise en scène, tel qu’il s’invente en Allemagne, en France et en Russie dans le dernier tiers du 19e siècle, n’en marque donc pas moins, sur plusieurs points, une rupture décisive par rapport aux usages institués au cours de cette première vague de réforme des pratiques théâtrales. Outre le changement de paradigme esthétique auquel il vient d’être fait rapidement allusion, trois mutations d’ordre organisationnel sont ici à prendre en compte : une nouvelle distribution des fonctions au sein des compagnies et des établissements, une nouvelle conception de la direction d’acteurs, une nouvelle relation au texte et au répertoire.

Par-delà la très grande diversité des pratiques, variables selon les habitudes nationales, la taille des équipes, leurs systèmes d’organisation, l’apparition du metteur en scène moderne se caractérise toujours par une concentration des responsabilités. Chargé de rassembler selon une ligne esthétique cohérente des décisions qui, pour certaines, relevaient du directeur du théâtre, pour d’autres du chef-décorateur, pour d’autres encore du régisseur général, du régisseur de plateau, de l’auteur ou de l’initiative propre des comédiens, le metteur en scène apparaît d’abord comme le principal signataire d’une réalisation scénique qui, pour avoir été élaborée collectivement, n’en porte pas moins, et de manière toujours plus manifeste, sa marque personnelle. Ce pouvoir tend même à s’étendre au-delà du plateau, jusqu’à la responsabilité administrative et financière de l’établissement théâtral. C’est ce que fait Ludwig Chronegk au théâtre de la cour de Meiningen dès 1884, sept ans après en avoir obtenu la direction artistique, ou bien André Antoine lorsqu’il prend la direction du Théâtre des Menus-Plaisirs, rebaptisé Théâtre Antoine, en 1897, puis celle du Théâtre de l’Odéon en 1906, comme c’est aussi ce dont rêve Edward Gordon Craig tout au long de sa vie. Ainsi se met en place une tradition qui se généralise chez les réformateurs du théâtre dès la première moitié du 20e siècle (Reinhardt, Copeau, Meyerhold, le Cartel), puis que le développement des théâtres publics, après 1945, institutionnalise : désormais à la tête des lieux de production, les metteurs en scène renversent l’ancienne hiérarchie entre direction administrative ou commerciale et direction artistique, imprimant ainsi leurs choix esthétiques sur l’ensemble de la programmation, plusieurs années (voire plusieurs décennies) durant.

Cette prise de pouvoir, à son origine, est aussi une mise au pas de ceux qui, tout au long du 19e siècle, ont vu leur prestige s’agrandir et leurs exigences ne cesser de s’accroître : les acteurs vedettes, ivres de leurs succès au point d’obliger les auteurs à récrire leur rôle pour y être mis davantage en valeur [16] , ou bien de composer des récitals de gala au cours desquels ils enchaînent, tels des chanteurs d’opéra, les morceaux de bravoure de leur répertoire. Parmi les principales règles imposées par Ludwig Chronegk et Georg II von Meiningen à leur troupe dans les années 1860, celle qui suscite le plus l’étonnement des spectateurs lors des tournées internationales est l’abandon de toute distinction hiérarchique entre les interprètes. Chez les Meininger, en effet, celui qui joue le premier rôle dans une production doit accepter de n’apparaître qu’au second plan, voire comme simple figurant, dans une autre. Si cette discipline n’a guère été reprise – du moins, de façon aussi radicale – depuis lors, elle n’en marque pas moins le passage à une nouvelle conception du travail scénique dans laquelle les anciennes pratiques de mise en place et d’indications de jeu se transforment progressivement dans ce qu’on appelle aujourd’hui la direction d’acteurs.

L’apport des réflexions et des méthodes expérimentées dans les premières décennies du 20e siècle par Constantin Stanislavski (ce qu’on désigne, improprement, comme son « système ») a été sur ce point déterminant, en montrant que mettre en scène ne signifie pas dire au comédien, jusque dans le moindre détail, ce qu’il doit faire, mais bien le placer dans l’état où, même inconsciemment, il produira ce qu’on attend de lui. En d’autres termes, tandis que la « pré-mise en scène » ne prenait appui que sur le savoir-faire des interprètes, qu’il s’agissait surtout de répartir et d’harmoniser au sein de la représentation (même si la dramaturgie romantique, on l’a vu, a commencé de briser le cadre routinier des emplois), la mise en scène moderne cherche à les libérer de leurs habitudes de jeu pour les conduire à explorer sans cesse de nouvelles possibilités expressives. C’est pourquoi l’avènement du metteur en scène s’est accompagné d’une profonde transformation du protocole des répétitions et d’un allongement du temps moyen qui leur est consacré, intégrant notamment une étape préliminaire de travail à la table [17]  : au 19e siècle, une semaine de travail pour une nouvelle pièce est généralement nécessaire ; dans les premières années de la direction de Jean Vilar au T.N.P., les contraintes économiques limitent encore les répétitions à une quinzaine de jours ; aujourd’hui, elles durent le plus souvent de six à huit semaines, mais des temps de préparation de plusieurs mois, voire, en certains cas, de plusieurs années (par exemple au Berliner Ensemble sous la direction de Bertolt Brecht, au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine ou à la Schaubühne chez Peter Stein), émaillent l’histoire de la grande mise en scène dans la deuxième moitié du 20e siècle.

La troisième mutation apportée par le régime moderne de la mise en scène concerne la relation au texte et, plus largement, au répertoire. La diffusion et l’inscription d’une production dans la durée, tout d’abord, se modifient : au 19e siècle, considérant qu’il ne pouvait y avoir qu’une seule mise en scène d’un texte, les théâtres de province ou de l’étranger ne faisaient que reproduire en l’adaptant à leurs moyens la création parisienne, tandis que les plus grandes institutions, telle la Comédie-Française, remontaient plusieurs décennies durant la production d’origine, quand bien même le nom du « metteur en scène » était modifié [18] .

À l’inverse, le régime moderne de la mise en scène se distingue par le fait que chaque nouvelle production entreprend de repenser à neuf l’établissement du texte, les décors, les costumes et l’interprétation scénique. Dès 1884, Louis Becq de Fouquières conseille fermement « de ne pas laisser les œuvres classiques s’éterniser dans le même état représentatif » : « Après les avoir fait figurer un an ou deux au répertoire courant, il est bon de les démonter complètement pour la plupart, et d’attendre quelques temps avant d’en faire une reprise [19] . » En 1902, Carl Hagemann note que c’est depuis quelques années ce qui se pratique dans les théâtres des grandes villes allemandes : « On prodigue en ce cas à n’importe quelle pièce classique les faveurs d’une première création, on lui accorde des décors et des costumes entièrement nouveaux et l’on organise un grand nombre de répétitions – un luxe que les théâtres plus petits de province ne peuvent naturellement s’offrir que dans les cas les plus rares [20] . » Introduite tout d’abord pour renouveler l’intérêt du public et se conformer plus étroitement à l’évolution de ses goûts, cette révolution dans l’économie de la représentation théâtrale offre un tremplin à l’individualité du metteur en scène qui, pour être reconnu comme artiste, doit affirmer l’originalité de sa vision : c’est pourquoi, très vite, la mise en scène moderne devient, pour reprendre dans un sens restreint une formule célèbre d’Antoine Vitez, un « art de la variation [21]  », au point que certains metteurs en scène (tel Giorgio Strehler avec Arlequin serviteur de deux maîtres de Carlo Goldoni) peuvent scander leur carrière par les multiples reprises d’une même œuvre, déclinée en autant de versions scéniques distinctes.

Portrait du metteur en scène en défenseur des textes

Le choix du répertoire, lui-même, se trouve modifié. Alors que, contrainte par les lois commerciales du succès, la vie théâtrale reposait essentiellement sur la production d’œuvres nouvelles mais éphémères, la revendication d’un théâtre à haute valeur artistique passe, pour les metteurs en scène, par une plus grande exigence littéraire : rôle de premier plan accordé aux textes prestigieux du passé, soutien aux écritures contemporaines les moins consensuelles. C’est par exemple avec les œuvres de Shakespeare, Schiller, Molière, Kleist d’une part, Bjørnson et Ibsen d’autre part, que la troupe des Meininger parcourt toute l’Europe dans les années 1870 et 1880, initiant des choix qui seront systématiquement repris après elle. Sur un autre plan, lorsque André Antoine, en 1887, fonde le Théâtre Libre, les représentations ne sont données que devant un cercle fermé, d’invités et de souscripteurs, afin que les textes des auteurs qu’il a sollicités ne soient pas interdits par la censure : une stratégie qui sera adoptée aussi, deux ans plus tard, par Otto Brahm à la Freie Bühne de Berlin. C’est assez dire combien, même en regard des œuvres de leurs contemporains, les choix de ces premiers metteurs en scène s’écartent des habitudes du théâtre commercial, engageant ainsi, paradoxalement, un processus de littérarisation de la scène théâtrale : si, d’un côté, le développement de la mise en scène moderne s’accompagne d’un accroissement du rôle des éléments non-verbaux dans l’économie de la représentation, de l’autre, il impose le retour des grands textes du passé sur les planches et favorise l’émergence d’une écriture plus engagée ou plus expérimentale, en phase avec les mutations de la poésie et du roman [22] .

Cette littérarisation de la scène théâtrale passe aussi par un nouveau traitement du texte dramatique, objet d’une attention véritablement philologique. « Notre premier souci sera de marquer une vénération particulière aux classiques anciens et modernes, français et étrangers [23]  », écrit en 1913 Jacques Copeau dans le manifeste fondateur du Théâtre du Vieux-Colombier. Le mot de « vénération », ici, n’est pas trop fort, et déborde de beaucoup le cas de l’ex-directeur de la NRF. Contrairement à une opinion largement répandue, en effet, l’invention de la mise en scène moderne a eu pour première conséquence un plus grand respect du texte, restitué dans son intégrité originelle mais aussi débarrassé des scories amoncelées par la tradition. Déjà les Meininger conservent des répliques automatiquement coupées pour les représentations, telles que les plaisanteries grivoises du portier dans Macbeth (III, 2) ou bien les détails cliniques du Malade imaginaire ; Copeau, pour sa part, cherche à retrouver les jeux de scène originels de Molière dans Les Fourberies de Scapin [24] , tandis que Charles Dullin n’a pas de mots assez durs pour critiquer les habitudes de jeu qui, ajoutées au fil des siècles par des générations de comédiens, ont fini par faire écran entre L’Avare et ses interprètes :

[...] la plupart du temps on ne joue pas la pièce, on joue à la place une série de sketchs sur l’avarice. On sacrifie l’intrigue et tous les personnages à celui d’Harpagon. N’ai-je pas vu, une fois, au Théâtre Français, commencer la pièce par l’entrée d’Harpagon : « Hors d’ici tout à l’heure et qu’on ne réplique pas [25] . »

Contre les paresses et les timidités qui tranchent dans les textes, les récrivent (c’est jusqu’au milieu du 19e siècle Le Festin de pierre de Thomas Corneille, et non Dom Juan, que joue la Comédie-Française), les recomposent pour réduire les changements de décor (Lorenzaccio dans la version d’Armand d’Artois en 1896) ou bien en modifient le dénouement (Le Roi Lear de Nahum Tate, joué en lieu et place de celui de Shakespeare jusqu’en 1838 en Angleterre), le régime moderne de la mise en scène, par la table rase qu’il fait de toutes les habitudes interprétatives, s’impose d’abord sous la forme d’un plus grand respect de l’œuvre des auteurs, qu’ils soient anciens ou contemporains [26] . André Antoine, en 1904, fait événement en montant Le Roi Lear dans un dispositif scénique simplifié qui lui permet de respecter la structure dramatique de la tragédie élisabéthaine, évitant ainsi « les mutilations, les adaptations, les transpositions qui, depuis un siècle et demi, ont, chez nous, si profondément dénaturé le grand Will [27]  » : une pratique que suivront après lui Firmin Gémier, Jacques Copeau, Gaston Baty ou Jean-Louis Barrault – mais non la Comédie-Française lorsqu’elle présentera, en 1933, Coriolan dans une adaptation controversée de René-Louis Piachaud [28] .

Théâtre d’art, le régime moderne de la mise en scène se fait un devoir de servir le texte jusque dans son étrangeté poétique plutôt que de l’adapter aux goûts supposés du public ; théâtre de culture, il accorde une place de premier plan au répertoire ancien, non sans étendre celui-ci aux classiques étrangers : face à un système éducatif longtemps cantonné aux grands auteurs du panthéon national, il contribue à faire découvrir, dans le respect de leur différence, les chefs-d’œuvre de la littérature internationale. Cet élargissement de l’horizon culturel est une dimension trop souvent oubliée lorsqu’on examine les choix de répertoire du Théâtre National Populaire de Jean Vilar ou des institutions nées de la décentralisation. Il faut se souvenir, en effet, que faire entendre les œuvres de Kleist, de Shakespeare, de Goldoni ou de Tchékhov n’était le plus souvent rien d’autre, pour l’immense majorité du public français après 1945, que de les lui faire découvrir – un geste qui n’allait de soi ni pour les critiques, ni pour le pouvoir politique, jusqu’au seuil des années 1960 [29] .

Entre hier et aujourd’hui

La table rase des traditions interprétatives, cependant, fait surgir de nouvelles questions. Revenir à la lettre du texte avec la volonté de le servir au plus près signifie-t-il, par exemple, privilégier l’époque de la fable ou bien celle de l’écriture de la pièce ? Faut-il représenter l’Andromaque de Racine dans des costumes grecs ou bien dans ceux du 17e siècle ? André Antoine, en 1909, propose au public de l’Odéon de comparer ces deux choix, d’abord en reprenant sa production de 1906 au Théâtre Antoine, dans le goût hellénisant de la fin du 19e siècle, puis en présentant ce qu’il désigne comme un « essai de mise en scène » où, comme il l’a fait pour Le Cid en 1907, il reconstitue les conditions de représentation de l’époque de la création : chandelles à la rampe, lustres, spectateurs assis sur le plateau à cour et jardin (en fait, des figurants en costumes [30] ). En 1913, pour un Tartuffe donné à l’Université Populaire du Faubourg Saint-Antoine avec le concours d’artistes des théâtres nationaux, Firmin Gémier expérimente un troisième choix, le jeu en costumes modernes, pour souligner l’actualité des personnages créés par Molière : « En les plaçant dans un cadre actuel, en les interprétant avec nos costumes, avec nos gestes familiers, nous les faisons revivre dans l’intensité de l’heure présente », déclare le metteur en scène [31] .

Treize ans plus tard, Leopold Jessner crée un Hamlet en habits de l’époque de Guillaume II, introduisant ainsi, entre le texte de Shakespeare et le public du Staatstheater de Berlin, la réminiscence de l’empire effondré en 1918. Le geste du metteur en scène allemand, pourtant, n’est pas de même portée que celui de Gémier : d’abord, parce qu’il s’effectue sur la scène d’un théâtre d’État, ce qui lui confère une bien plus grande visibilité ; ensuite, parce que l’effet produit est un rapprochement entre le « pourrissement » du royaume de Danemark, tel qu’imaginé par Shakespeare, et celui de l’Allemagne wilhelminienne. Si jouer Tartuffe en costumes contemporains ne fait en définitive que retrouver les codes de représentation de la comédie de caractères sous l’Ancien régime, en affirmant le caractère toujours actuel, donc intemporel, du personnage créé par Molière, transposer l’action d’Hamlet dans un contexte récent, mais historiquement daté, transforme le texte de la tragédie en un instrument de lecture de la société de ce temps. C’est, si l’on veut, faire de la mise en scène moins un commentaire de l’œuvre (celle-ci touche une vérité si profonde que chaque époque peut s’y reconnaître) qu’un commentaire du monde, ou plus exactement d’un moment et d’un lieu particuliers à l’intérieur de ce monde. À la représentation de l’œuvre de Shakespeare s’ajoute ainsi, par le seul biais de la mise en scène, une part de critique sociale : un niveau supplémentaire de signification s’entremêle à ceux portés par le texte.

Ainsi voit-on progressivement les metteurs en scène accomplir, par des moyens non verbaux (décors, costumes, jeu, musique, etc.), une forme de récriture qui peut être rapprochée de celle que pratiquent les auteurs dramatiques lorsqu’ils se ressaisissent, par exemple, des mythes antiques pour les déplacer dans un contexte contemporain. Hans-Henny Jahnn inventant en 1927 une Médée noire, Henri-René Lenormand transposant la même histoire de Médée dans l’Empire colonial français (Asie, 1935), Jean Cocteau, Jean Giraudoux, Jean Anouilh multipliant les anachronismes et les allers-retours entre hier et aujourd’hui dans leurs variations sur la tragédie grecque, ne font pas autre chose : écriture théâtrale et mise en scène mettent en tension l’héritage culturel et la société de leur temps, se servant de l’un comme d’un instrument d’optique pour examiner l’autre. Si, comme le rappelle Georges Banu, la mise en scène moderne, dans l’usage qu’elle fait du répertoire ancien, est bien « le lieu du présent des corps où s’accomplit le passé des textes [32]  », il ne faut donc pas oublier que ce geste prolonge, par les moyens qui lui sont propres, celui des auteurs récrivant les fables du passé : ce ne sont là, d’une certaine façon, que deux modalités complémentaires par lesquelles le théâtre continue de remplir sa fonction ancestrale, et même fondatrice, de complexification de l’expérience temporelle (ce que Daniel Mesguich appelle la mise en jeu du « plus que présent » de l’indicatif [33] ), s’interrogeant tel Hamlet sur « ce qu’est Hécube » pour nous [34] .

En Europe occidentale, toutefois, les exemples d’actualisation ou de transposition de l’action dramatique par la mise en scène sont encore peu nombreux avant la Seconde guerre mondiale. C’est en Union Soviétique que le contexte postrévolutionnaire, par l’accélération qu’il donne aux recherches des avant-gardes (avant que celles-ci ne périssent sous l’étouffoir de l’art officiel), crée les conditions d’une mise en perspective critique et ludique du répertoire classique. La FEKS (Fabrique de l’acteur excentrique), dirigée à Saint-Pétersbourg par Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg, procède en 1922 à l’« électrification de Gogol » en mettant en scène Le Mariage : l’action dramatique intègre la projection d’un film de Chaplin, les numéros comiques de deux clowns nommés Albert et Einstein, ainsi que le personnage de Gogol dans les fesses de qui a été plantée une fiche électrique. L’année suivante, au Premier Théâtre ouvrier du Proletkult de Moscou, Serguei Eisenstein met en scène Le Sage d’après Alexandre Ostrovski : l’action, transposée dans le milieu des Russes blancs émigrés à l’Ouest, enchaîne numéros de cirque et de music-hall, thèmes d’agitation politique et là encore la projection d’un film – le premier du réalisateur –, Le Journal de Gloumov.

Le chemin d’une telle liberté dans le traitement du matériau littéraire ne se retrouvera guère que plus de quarante ans plus tard, autour de la crise culturelle et politique de mai 1968, lorsque Roger Planchon créera La Contestation et la mise en pièces de la plus illustre des tragédies françaises, Le Cid de Pierre Corneille, suivies d’une cruelle mise à mort de l’auteur dramatique et d’une distribution gracieuse de diverses conserves culturelles (Villeurbanne, 1969), ou que Peter Zadek montera Schiller (Les Brigands, 1966) ou Shakespeare (Mesure pour mesure, 1967), multipliant les ruptures de jeu, l’hétérogénéité des registres et la fragmentation du texte. Nombreux sont, depuis, ceux qui ont procédé à de telles déconstructions de l’héritage culturel, depuis Jérôme Savary jusqu’à Matthias Langhoff ou Frank Castorf, affirmant ainsi, jusque dans la provocation et la démesure, l’autonomie du metteur en scène en tant que créateur du spectacle, et son pouvoir discrétionnaire sur un « texte-matériau » morcelé ou tourné en dérision.

Aujourd’hui, la dimension critique et la violence contestatrice à l’égard du patrimoine littéraire du théâtre, qui ont si profondément imprimé leurs marques sur la scène entre le milieu des années 1960 et le début des années 1980, semblent laisser la place à des recontextualisations plus ludiques et moins agressives : la désacralisation des grands textes sert surtout de révélateur aux fissures identitaires créées par la disparition d’un socle culturel commun et peut servir, paradoxalement, à redynamiser l’impact de la fable originelle. Le Wooster Group plongeant la Phèdre de Racine dans un monde d’écrans vidéo et de parties de tennis (To you, the Birdie !, 2002), ou bien s’efforçant de suivre pas à pas la captation télévisée d’une mise en scène de Hamlet par Richard Burton en 1964 (Hamlet, 2007), Rimini Protokoll proposant à des habitants de Francfort de venir témoigner de leur relation personnelle à la trilogie de Schiller (Wallenstein, 2005), les actrices de She She Pop invitant leurs pères sur le plateau pour réfléchir, en leur présence, à la tragédie du vieux Lear (Testament, 2010), et même Vincent Macaigne bousculant son public pour lui raconter, sans en avoir l’air, l’histoire mise au goût du jour du prince de Danemark (Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, 2012), mettent sans doute moins en crise nos représentations des chefs-d’œuvre de la littérature théâtrale qu’ils ne se servent de leurs schémas narratifs et de leurs configurations dramatiques pour dresser un inventaire ambivalent des manières d’être, d’agir et de penser aujourd’hui. En cela, encore une fois, ces collectifs d’artistes et ces metteurs en scène ne font pas autre chose que les auteurs de théâtre qui récrivent les traces laissées dans nos mémoires par les tragiques grecs [35] , Sénèque [36] , Shakespeare [37] , Calderón [38] , Molière [39] ou Tchékhov [40]  : la récriture des fables anciennes est autant l’œuvre des auteurs que celle des metteurs en scène, cette distinction tendant même à s’effacer dans la pratique de personnalités artistiques qui, tels Carmelo Bene (Hamlet ou les conséquences de la piété filiale, 1967 ; Roméo et Juliette, 1976 ; Macbeth Horror Suite, 1996), Romeo Castellucci (Hamlet, la véhémente extériorité de la mort d’un mollusque, 1992 ; Jules César, 1997) ou Joël Pommerat (Pinocchio, 2008 ; Cendrillon, 2011), combinent les deux pratiques en un travail de composition scénique original.

Mise en scène et déconstruction critique

C’est cependant autour des questions liées à l’interprétation des textes du répertoire, plutôt que de celles de leur récriture ou de leur actualisation, que la mise en scène moderne suscite les débats les plus vifs. L’obligation dans laquelle se trouve le metteur en scène, pour asseoir sa réputation d’artiste, d’affirmer l’originalité des productions qu’il dirige, le conduit en effet presque mécaniquement à s’écarter des horizons d’attente créés par les traditions de lecture des textes, multipliant les axes interprétatifs jusqu’au risque assumé du contresens. Dès 1929, Gaston Baty, portant à la scène Le Malade imaginaire, entreprend de « déplacer le projecteur » en faisant d’Argan un véritable malade, incompris de sa famille, et souffrant de ce qu’on le prend pour un simulateur. Jouant à la fois le texte de Molière et le souvenir de la mort de ce dernier à l’issue d’une des représentations, il fait de la comédie un cauchemar expressionniste, et de ses ballets les visions nées de la fièvre du protagoniste. Les arguments par lesquels il justifie son choix pourraient être repris par bien des metteurs en scène du 20e siècle :

Plus une œuvre est grande, plus elle est riche en contrastes, presque en contradictions. Ces caractères secondaires sont sacrifiés au caractère principal dans sa réalisation normale. Notre but est de renverser les valeurs, de faire venir artificiellement, temporairement, au premier plan ce qui reste au dernier. Non pas d’ajouter à la pièce quelque chose qui ne serait point, mais d’éclairer quelque chose qui y est caché, et qu’on laisse d’habitude dans l’ombre. Nous déplaçons le projecteur. Ou, si l’on veut une autre comparaison : le musée présente la statue de face, sous son plus bel aspect, à la foule des visiteurs ; les curieux tournent autour et vont la regarder par derrière [41] .

Louis Jouvet, après la Seconde guerre mondiale, opère un même mouvement de lecture à contrepied : pour Dom Juan (1947), après avoir songé à confier le rôle éponyme à Gérard Philipe, il se décide à l’interpréter lui-même, comme un homme déjà âgé, revenu de tout, absolument certain de son athéisme, et bien plus inquiétant que sous les traits du séducteur plaisant qui lui étaient habituellement prêtés. Pour Tartuffe (1950), il se risque à faire du personnage principal un homme sincère, déchiré entre sa foi religieuse et ses appétits sexuels. De tels écarts interprétatifs seront légion dans la deuxième moitié du 20e siècle. Peter Stein, montant Torquato Tasso de Goethe (1969), fera du poète italien un « clown émotionnel », figure comique et pathétique de l’inutilité de l’artiste dans la société qui l’emploie [42] . Antoine Vitez, distribuant Richard Fontana dans le rôle de Tartuffe (1978), lui prêtera une jeunesse et une beauté fort éloignées de la figure maussade, bedonnante, aux longs cheveux noirs et gras, sous laquelle on le peint ordinairement. Jacques Lassalle, à l’acte V du Misanthrope (1998), par le jeu des regards, des mains et de l’étranglement de la voix, fera entendre dans les mots par lesquels Alceste donne congé à Célimène (« Non mon cœur à présent vous déteste, /…/ Allez, je vous refuse, et ce sensible outrage / De vos indignes fers pour jamais me dégage ») un aveu d’amour plus déchirant encore d’être dissimulé sous sa dénégation. Sans rien modifier de la lettre du texte, il est ainsi possible, par les seuls procédés de la distribution, des inflexions de la voix, des expressions du visage ou du jeu corporel de faire apparaître un sous-texte, c’est-à-dire des plans de signification ou des registres d’émotions différents (sinon antithétiques) de ceux auxquels les codifications génériques et les traditions de commentaire scolaire préparent les spectateurs.

La mise en scène moderne, de ce fait, refuse d’offrir au public la pleine réalisation de ce qu’il a rêvé à la lecture ; elle ne peut que décevoir celui ou celle qui, tel le narrateur d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, voudrait seulement entendre la Berma déclamer les vers de Phèdre : « mon cœur battait quand je pensais, comme à la réalisation d’un voyage, que je les verrais baigner effectivement dans l’atmosphère et l’ensoleillement de la voix dorée [43]  ». En lieu et place de la célébration attendue du chef-d’œuvre, le théâtre vient offrir sa mise en perspective critique, son commentaire, voire la déconstruction de ses structures idéologiques, barrant de ce fait l’accès à sa jouissance innocente (ou à ce qui est envisagé comme tel). Dans une tradition théâtrale aussi fortement littérarisée que celle des pays occidentaux, ces stratégies déceptives sont bien évidemment génératrices de conflits, et ceci d’autant plus que les systèmes éducatifs ont souvent élevé au rang de monuments nationaux l’œuvre d’auteurs dramatiques : rompre avec l’interprétation communément admise des textes de Shakespeare, Molière, Corneille, Racine, Goethe ou Schiller, c’est porter symboliquement atteinte à des lieux de mémoire constitutifs de l’identité nationale.

Ce faisant, toutefois, le metteur en scène accomplit avec les instruments dont il dispose un travail d’analyse qui n’est pas sans rappeler celui accompli par la critique universitaire, et qui souvent prend appui, notamment dans la phase de travail à la table, sur les acquis, les méthodes et les débats de cette dernière. Il n’est donc pas surprenant que le Regietheater allemand, le teatro di regia à l’italienne ou la « dictature du metteur en scène » à la française se soient imposés avec le plus de vigueur dans les années 1960-1980, lorsque la démocratisation des études secondaires puis celle des études supérieures ont profondément modifié la formation du public (comme aussi celle des artistes) et le regard porté sur l’héritage culturel. Roger Planchon usant de la psychanalyse pour mettre en lumière une fascination homosexuelle entre Orgon et Tartuffe (1962), Peter Stein soumettant Peer Gynt à une analyse sociocritique nourrie par les écrits de Marx et d’Engels (1971), Antoine Vitez reprenant à Roland Barthes, pour Bérénice (1980), l’idée d’une lutte des corps contre la contrainte des codes sociaux, Peter Brook (Le Roi Lear, 1962) puis Giorgio Strehler (Le Roi Lear, 1972 ; La Tempête, 1978) prenant appui sur Jan Kott pour explorer la dimension contemporaine de l’œuvre de Shakespeare, font de la critique savante sur les textes un instrument d’analyse autant que de légitimation de leurs expérimentations artistiques. Ainsi s’est instituée, dans un dialogue serré avec les débats intellectuels et idéologiques de son temps, une tradition interprétative qui a fait de la mission culturelle et éducative de l’institution théâtrale, telle qu’elle a été définie dans le cadre des politiques publiques de soutien à la création depuis 1945, non plus l’espace d’une transmission codifiée des savoirs et des admirations, mais un modèle de libre réappropriation des héritages.

Aussi le metteur en scène moderne, par l’introduction d’un traitement critique, mais surtout subjectif du répertoire, participe-t-il à sa façon à l’établissement des « scènes de dissensus » proposées par Jacques Rancière [44] , en faisant voler en éclats la croyance en un régime unique d’interprétation des œuvres. La déconstruction qu’il opère en portant à la scène non le texte seul, mais la mise en perspective de celui-ci à l’intérieur de l’histoire plus ou moins récente de sa réception, fait de la représentation théâtrale un objet symbolique à la fois singulier et complexe, traversé de tensions et de contradictions, par lequel les forces de création artistique n’interrogent pas seulement l’œuvre littéraire, mais aussi sa transformation en patrimoine culturel et, plus largement, les fonctions que la société assigne à l’art, celui d’hier comme celui d’aujourd’hui. Pendant l’entracte des représentations de la mise en scène déjà évoquée du Torquato Tasso de Goethe, Peter Stein et ses acteurs voulaient susciter un débat avec le public du théâtre municipal de Brême, en lui proposant notamment de réfléchir à ces deux questions : « Est-ce que nous jouons pour vous ? Est-ce que nous jouons contre vous [45] ? » L’âge d’or de la mise en scène dans le théâtre contemporain n’est donc pas né comme celui d’une autocélébration, conduite aux dépens de l’auteur, de l’imagination créatrice du metteur en scène : il s’est d’abord défini, comme tout acte de création responsable, par un questionnement sur les matériaux, les techniques et les fonctions de la production artistique.

« Langage de la scène », « écriture scénique », « écrivains de plateau »

Définir la mise en scène contemporaine par la seule dimension herméneutique ou critique du travail sur les textes reviendrait cependant à ne pas prendre toute la mesure de son aspiration à s’imposer en tant qu’activité de création à part entière, avec ou sans le concours de l’auteur dramatique. Cette aspiration est en effet si profonde qu’on la voit être revendiquée aussi bien pour de nouvelles réalisations d’œuvres du répertoire que pour des compositions scéniques originales, dans lesquelles la part jouée par l’écrit littéraire peut être extrêmement variable, depuis la mise en scène de textes non théâtraux [46] jusqu’à l’absence de tout recours au langage verbal [47] . Né comme artiste-interprète, le metteur en scène revendique le statut d’artiste-créateur et, pour ses œuvres, celui d’une « écriture scénique », selon l’expression forgée par Roger Planchon en 1961 [48] pour qualifier le travail conduit par Bertolt Brecht au Berliner Ensemble, expression reprise ensuite par Carmelo Bene pour désigner ses propres réalisations, puis systématisée par la critique italienne [49] . Comme le rappelle Frédéric Maurin [50] , c’est Antonin Artaud, trente ans plus tôt, qui a ouvert la voie de ce rapprochement en affirmant rechercher un « langage de la scène » : « Il ne s’agit pas de supprimer la parole articulée », écrivait-il dans Le Théâtre et son double, « mais de donner aux mots à peu près l’importance qu’ils ont dans les rêves. Pour le reste, il faut trouver des moyens nouveaux de noter ce langage, soit que ces moyens s’apparentent à ceux de la transcription musicale, soit qu’on fasse usage d’une manière de langage chiffré [51] . »

Dans les années 1970 et 1980, les théories sémiologiques, en élargissant considérablement le domaine d’application des concepts de « système de signes » et de « texte », prennent le relais du discours des artistes pour tenter d’offrir une base plus solide à l’analogie entre écriture et mise en scène : Marco De Marinis analyse la production de cette dernière comme celle d’un « texte spectaculaire [52]  », Keir Elam comme un « performance text [53] », Anne Ubersfeld et Erika Fischer-Lichte, pour leur part, parlent de la « représentation comme texte [54]  ». Si l’imaginaire du tissage (textus) tend ainsi à remplacer celui de l’inscription (scriptura), le mouvement opéré est le même, qui tend à gommer les différences entre la réalisation d’une œuvre écrite, dont Gérard Genette, à la suite de Nelson Goodman, rappelle qu’elle relève du régime allographique de l’œuvre d’art, et la représentation théâtrale qui, elle, participe du régime autographique. Dans les arts allographiques (musique, littérature, cinéma), en effet, l’œuvre conserve son intégrité quel que soit le support qui sert à sa communication : toute exécution d’une composition musicale, toute édition d’un poème, toute projection d’un film sont des manifestations pleines et entières de ces œuvres. Dans les arts autographiques en revanche (peinture, sculpture), l’œuvre n’est pas dissociable du support matériel travaillé par l’artiste : la copie d’un tableau est un faux [55] .

Si l’on applique au théâtre cette distinction, il est clair que les lecteurs de Racine peuvent également jouir de Bérénice dans n’importe quelle édition, sur papier, en ligne, sur un exemplaire manuscrit ou une liasse de photocopies, voire dans une lecture à haute voix, tandis qu’inversement les spectateurs de la mise en scène de la même Bérénice par Klaus Michael Grüber sont exclusivement ceux qui ont pu assister aux représentations de la Comédie-Française (1984), dont l’enregistrement filmé réalisé par Luc Godevais [56] ne conserve qu’une trace partielle et approximative. Art autographique puisque inséparable des éléments matériels de la représentation, la mise en scène repose en outre, à la différence des arts plastiques, sur un agencement éphémère que la moindre modification (par exemple, un changement de distribution) peut considérablement transformer : les spectateurs qui étaient présents à la création par Patrice Chéreau de Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, entre janvier et mars 1987, et ceux qui ont vu ses représentations à partir du mois d’octobre de la même année, lorsque le metteur en scène a repris le rôle du Dealer initialement confié à Isaach de Bankolé, n’ont absolument pas perçu la même œuvre – le mécontentement exprimé par l’auteur à cette occasion suffit pour en témoigner [57] . L’assimilation de la mise en scène à une écriture, par conséquent, apparaît largement biaisée : s’il s’agit bien d’un travail de composition, celui-ci, au contraire des créations littéraires ou musicales, ne peut être conservé sans de graves déperditions [58] , et se voit même toujours contraint de renégocier ses choix en fonction des conditions matérielles de la représentation : dimensions du plateau, de la salle et du cadre de scène, disposition et réactions du public, etc.

Bien que la notion d’écriture scénique ne conduise par conséquent qu’à une forme d’impasse théorique et méthodologique, sa fortune n’a cessé de s’accroître depuis les années 1960, avec une ambiguïté toutefois : si, pour les uns, elle sert à décrire le travail d’organisation des éléments de la représentation dans le régime moderne de la mise en scène (dont elle serait, en quelque sorte, le synonyme), pour d’autres elle ne peut s’appliquer qu’à des productions dans lesquelles la place du texte théâtral se trouve décentrée au profit d’autres composantes de la représentation – plastiques, sonores, chorégraphiques, vidéographiques, etc. [59] –, se confondant ainsi avec la notion de théâtre postdramatique formulée par Hans-Thies Lehmann [60] . Quant aux expressions d’« écriture de plateau » et même d’« écrivain de plateau », introduites par Bruno Tackels dans la deuxième moitié des années 2000, elles engendrent des confusions plus grandes encore comme le montre la série de volumes publiés sous ce label aux éditions des Solitaires intempestifs. Sont rassemblés en effet, en premier lieu, des metteurs en scène auteurs de leur propre dramaturgie (François Tanguy, Romeo Castellucci, Pippo Delbono [61] ), comme pourraient aussi bien l’être Tadeusz Kantor, le premier Robert Wilson, Richard Foreman, Jérôme Deschamps, Jan Fabre, René Pollesch et tant d’autres. S’y ajoute un auteur dramatique (Rodrigo García [62] ) metteur en scène de ses propres textes, lesquels sont aussi montés par d’autres artistes, comme c’est le cas de Bertolt Brecht, Dario Fo, Howard Barker, Valère Novarina, Lars Norén, Daniel Danis ou Falk Richter. Un volume plus récent, consacré au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine [63] , rassemble trois cas de figure distincts : la création collective à partir d’improvisations, le travail sur le répertoire (Shakespeare, Eschyle et Euripide, Molière), l’écriture de spectacles à partir des matériaux textuels fournis par un écrivain, Hélène Cixous. Mais le choix le plus étrange dans cette collection est celui du metteur en scène russe Anatoli Vassiliev [64] , dont les créations sont toutes réalisées à partir de pièces du répertoire (Pouchkine, Ostrovski, Lermontov, Molière, Heiner Müller…) ou de textes non théâtraux (La République de Platon, 1992 ; Les Lamentations de Jérémie, 1997 ; L’Iliade, chant XXIII, 2006), ainsi que le font la plupart des metteurs en scène occidentaux depuis un demi-siècle. Enfin, les définitions mêmes données par Tackels à l’expression d’« écrivain de plateau [65]  », en hésitant entre un certain régime de l’écriture dramatique (celui d’auteurs de théâtre qui écrivent leurs œuvres en fonction d’une équipe de production particulière) et la signification restreinte, « postdramatique », de l’écriture scénique des années 1970-1980 (portée en ce cas par un collectif de créateurs), achèvent de brouiller définitivement cette notion.

Risquons une hypothèse : sans doute est-ce en raison même des confusions et des approximations qu’elle permet que l’analogie entre écriture et mise en scène connaît une telle fortune critique depuis cinquante ans. Elle accompagne d’une légitimation théorique l’affirmation du metteur en scène comme artiste-créateur, laquelle se manifeste tant dans les mutations de sa pratique artistique que, très concrètement, dans la transformation de son statut juridique, en France tout particulièrement.

Rappelons brièvement les principales étapes de cette évolution. Le metteur en scène a d’abord été reconnu par la loi du 26 décembre 1969 [66] comme un « artiste du spectacle » « pour l’exécution matérielle de sa conception artistique », ce qui laisse supposer que cette « conception artistique » préalable et immatérielle relève, quant à elle, de la catégorie des « œuvres de l’esprit » protégées par la loi du 11 mars 1957 sur la propriété intellectuelle. Dès le début des années 1970, les tribunaux ont emboîté le pas de cette interprétation, qui fait jurisprudence depuis lors, et la mise en scène est considérée comme une création originale dont la contrefaçon est susceptible de poursuites. Mais c’est au milieu des années 1980 qu’une frontière décisive est franchie : le 1er janvier 1984, la convention collective nationale établissant la nomenclature des emplois artistiques définit le metteur en scène comme

un artiste qui assure la traduction en un langage scénique de l’œuvre écrite d’un auteur dramatique ou lyrique ; au niveau de la conception, il a lui-même qualité d’auteur ; il prépare, dirige et coordonne, directement ou indirectement, le travail du décorateur, du compositeur, des interprètes et techniciens qui concourent à l’élaboration et à la présentation d’un spectacle [67] .

En 1986, la signature d’une convention entre le Syndicat National des Metteurs en Scène et le Syndicat des Directeurs de Théâtre Privés Parisiens reconnaît à son tour le statut d’auteur au metteur en scène, ouvrant ainsi à ce dernier la possibilité d’adhérer à la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques et d’y déposer ses œuvres, soit sous la forme d’un livret de mise en scène, soit (le plus souvent) sous celle d’un enregistrement vidéo, pour garantir leur protection juridique [68] . Ce nouveau statut a aussi une incidence économique : salarié pendant les répétitions, le metteur en scène est, selon l’AGESSA et le Code du travail, rémunéré en droits d’auteur à partir du premier jour des représentations [69] .

Dramaturgie visuelle et poétique de l’écart

Initié par les artistes, repris par les critiques et les théoriciens, entériné par le législateur, le processus d’assimilation de la mise en scène à un langage ou à une écriture doit surtout être lu, par-delà ses approximations, comme une tentative de description de la complexité des opérations mentales mises en jeu dans la représentation théâtrale contemporaine. Cette complexité naît aussi bien des multiples combinaisons entre les éléments non verbaux réunis sur le plateau (formes plastiques, mouvements, projections, lumières, création sonore...), que de l’interaction qui peut surgir entre ces mêmes éléments et le langage humain proprement dit. Souterraine pendant la première moitié du 20e siècle (depuis Craig jusqu’à Artaud, en passant par les avant-gardes historiques), clairement affirmée avec le développement d’un « théâtre d’images [70]  » à partir de la fin des années 1960 tout autant que par les scènes expérimentales du happening et de la performance, l’idée d’une composition scénique qui serait à elle-même sa propre dramaturgie, développant une narration sans le secours des mots (ou bien accordant à ces derniers « à peu près l’importance qu’ils ont dans les rêves », comme l’imagine Le Théâtre et son double), n’a cessé de se développer depuis plus de trente ans, au croisement du théâtre d’acteurs, du théâtre de marionnettes, du cirque, de la danse et des arts plastiques. Comment écrire une histoire de la mise en scène, aujourd’hui, qui ignorerait les noms de Pina Bausch, de Philippe Genty ou de Josef Nadj ? Comment établir une ligne de partage entre les projets théâtraux et les projets chorégraphiques d’un Jan Fabre ou d’une Gisèle Vienne ? Dans quelle catégorie placer les travaux de la Scena Plastyczna, du groupe ALIS, de tant de compagnies italiennes depuis les années 1980, plus récemment de Philippe Quesne ou d’Alain Béhar ? Tout comme l’opposition stérile du texte et de la scène, les cloisonnements disciplinaires entre les différents arts du spectacle vivant apparaissent chaque jour plus obsolètes, tandis que se multiplient les tentatives d’exploration d’une dramaturgie visuelle.

Ainsi la « révolution einsteinienne » qu’identifiait Bernard Dort en 1984 s’est-elle largement confirmée. Remarquant que « pour avoir quelque chance de saisir ce qui se produit entre le texte et la scène, il faut renoncer à penser les rapports de ceux-ci comme des relations entre deux entités, impénétrables l’une à l’autre », le critique poursuivait en ces termes :

Le renversement de la primauté entre le texte et la scène s’est transformé en une relativisation généralisée des facteurs de la représentation les uns par rapport aux autres. On en vient à renoncer à l’idée d’une unité organique, fixée a priori, voire d’une essence du fait théâtral […], et à concevoir plutôt celui-ci sous les espèces d’une polyphonie signifiante, tournée vers le spectateur [71] .

Trente ans plus tard, il apparaît plus évident encore que la création théâtrale contemporaine ne peut être décrite comme un renversement du primat du texte vers celui du plateau (c’est-à-dire comme une « révolution copernicienne », hypothèse que Dort déjà estimait réductrice). C’est bien, en effet, un phénomène de « relativisation généralisée » auquel nous continuons d’assister, les différents « facteurs de la représentation » étant tous susceptibles, en eux-mêmes ou par leur jeu combiné, de contribuer au renouvellement des arts de la scène. On peut d’ailleurs relever, dans la perspective qui nous occupe, que certaines voies de ce renouvellement sont empruntées conjointement par les auteurs et par les metteurs en scène, dans leur commune recherche des modes d’articulation du logos et de l’opsis. Deux exemples de procédés mis en œuvre par les uns et les autres suffiront à le montrer.

Le premier de ces procédés, déjà ancien, pourrait être appelé celui d’une poétique de l’écart, survenant lorsque les significations portées par la parole et celles suggérées par l’action scénique divergent sensiblement. « Ne pas montrer ce qui est dit [72]  » : longtemps érigée en principe absolu de la mise en scène contemporaine, la célèbre formule d’Antoine Vitez résume en quelques mots plusieurs décennies de choix artistiques dont les principaux enjeux ont été rappelés précédemment. Montrer le contraire de ce que dit le texte, ou autre chose que ce qu’il dit, rendre manifeste le sous-texte des intentions cachées ou le sur-texte des structures idéologiques, telles sont en effet les opérations conduites par le régime moderne de la mise en scène, créant ainsi, entre ce que voit le spectateur et ce qu’il entend, une faille que soit sa réflexion (notamment chez Brecht), soit son imagination (par exemple chez Grüber) est invitée à combler. On n’a pas assez observé, cependant, combien les auteurs de théâtre, dans la seconde moitié du 20e siècle, ont su investir ce principe pour le mettre en œuvre dès la conception du texte. L’œuvre de Samuel Beckett, en particulier, multiplie ces effets : faire entendre le monologue de Winnie pendant qu’elle s’enfonce dans un mamelon (Oh les beaux jours, 1963), le dialogue de Nagg et Nell enfermés dans des poubelles (Fin de partie, 1957), ou bien préciser, après les répliques de Vladimir (« Alors, on y va ? ») et d’Estragon (« Allons-y »), « Ils ne bougent pas » (En attendant Godot, 1952), opère un réglage entre logos et opsis analogue à celui de la mise en scène, et dont bien d’autres auteurs se ressaisiront par la suite. Qu’il s’inscrive dans le livre ou qu’il s’invente sur le plateau, un même principe dramaturgique se trouve ainsi mis en jeu, illustrant ce que Jean-Pierre Sarrazac et Catherine Naugrette appellent la « réinvention du drame sous l’influence de la scène [73] ».

Le procédé de l’indétermination, pour sa part, pourrait désigner l’ensemble des moyens par lesquels la situation dramatique et les conditions d’énonciation demeurent non formulées ou se voient effacées. C’est ici, surtout, que les caractéristiques d’un théâtre « postdramatique » se retrouvent. Du côté de la mise en scène, ce peut être en imposant le jeu frontal, l’adresse au public et l’expression assourdie des émotions, comme le pratiquent Claude Régy ou Stanislas Nordey ; ou bien en procédant au découplage de l’acteur et du rôle, chaque personnage étant tout à tour incarné par un interprète différent, selon une logique d’atelier dont Vitez, l’un des premiers, a usé pour l’Andromaque de Racine en 1971  ; ou bien encore en privilégiant un traitement choral des voix (L’Annonce faite à Marie de Claudel, mise en scène Frédéric Fisbach, 1996), parfois accentué par la démultiplication des interprètes d’un même personnage (Faust de Goethe, mise en scène Einar Schleef, 1990). Le partage de la distribution entre différents registres de présence [74] (en scène, à l’écran en direct, à l’écran en différé), de figuration (acteurs, masques, marionnettes) ou de corporéité (acteurs, danseurs, performers, artistes de cirque), tel qu’il est massivement exploré depuis les années 1980, contribue lui aussi à déconstruire la représentation pour faire apparaître, en lieu et place des structures dramatiques, une forme de paysage mental traversé par différentes figurations de l’humain.

Mais ces diverses modalités de l’indétermination, à leur tour, peuvent être programmées par l’auteur, inscrites dans la matière même des mots qu’il confie au metteur en scène. Pluralité des modes d’incarnation, ruptures du dispositif énonciatif, dissociation de l’interprète et du rôle émaillent l’écriture théâtrale contemporaine : les premiers mots d’Hamlet-machine, de Heiner Müller (1977), ne sont-ils pas « J’étais Hamlet », suivis, quelques pages plus loin, par ceux de « l’Interprète d’Hamlet : Je ne suis pas Hamlet » ? Texte rhapsodique, selon l’analyse de Jean-Pierre Sarrazac [75] , c’est-à-dire fondamentalement disjoint, dissocié en blocs de paroles hétérogènes, le texte théâtral renonce à la distinction entre dialogues et didascalies, à la détermination du contexte de l’énonciation, et même à l’attribution des répliques. Il ménage ainsi, pour l’auteur et pour le metteur en scène, la possibilité de s’affirmer tous deux comme artistes créateurs.

Il importe peu, à ce point, de savoir à quel moment le texte se trouve fixé par l’écrit (avant, pendant, au terme des répétitions, voire des représentations), dans quel lieu il s’invente (plateau, chambre d’écriture ou bord de scène), ni quel est le statut de celui qui l’élabore (auteur de théâtre, écrivain, auteur-metteur en scène, collectif). Aucune de ces catégories, en vérité, n’introduit de critère décisif, les seules différences se trouvant dans les œuvres, non dans la position de ceux qui les produisent. Il n’importe même pas de mesurer quelles sont les parts respectives des éléments verbaux et des éléments non verbaux dans la représentation pour déterminer si ces œuvres sont ou ne sont pas novatrices : l’émergence d’une dramaturgie visuelle est un enrichissement des possibilités expressives de la scène, non la substitution d’un modèle représentatif à un autre. Ce qui continue d’importer, en revanche, c’est la puissance d’expression que les artistes de théâtre, quels qu’ils soient, confèrent à la scène, et quel sens prend pour le spectateur la configuration des forces qu’ils convoquent. Écoutons encore une fois Bernard Dort :

C’est la représentation théâtrale en tant que jeu entre des pratiques irréductibles l’une à l’autre et néanmoins conjuguées, en tant que moment où celles-ci s’affrontent et s’interrogent, en tant que combat mutuel dont le spectateur est, en fin de compte, le juge et l’enjeu, qu’il faut maintenant essayer de penser. Le texte, tous les textes, y ont place. Ni la première, ni la dernière : la place de l’écrit et du permanent dans un événement concret et éphémère. Cette confrontation-là, du moins, n’est pas près de finir [76] .

Notes

  • [1]

    Patrice Pavis, La Mise en scène contemporaine. Origines, tendances, perspectives, Paris, Armand Colin, 2007, p. 291.

  • [2]

    Roger Planchon l’affirmait déjà en 1977 : « La mise en scène d’une œuvre contemporaine n’est pas présente, alors que la mise en scène d’un ‘classique’ se voit : on peut mesurer l’originalité d’un travail. » (Roger Planchon, entretien avec Jean-François Halté et Charles Tordjman, Pratiques, n° 15-16, juillet 1977, p. 53.)

  • [3]

    Giovanni Lista, La Scène moderne, Arles, Actes Sud, 1997.

  • [4]

    Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre postdramatique (1999), Paris, L’Arche, 2002.

  • [5]

    Edward Gordon Craig, De l’art du théâtre (1911), Belval, Circé, 2004.

  • [6]

    Cette appellation, on le sait, est aujourd’hui sujette à caution, plusieurs historiens du théâtre (Roxane Martin, Sabine Chaouche notamment) ayant récemment mis l’accent sur les premiers signes d’une mise en scène « moderne » au cours du 18e siècle. Comme on le verra dans la suite de cet article, plusieurs aspects doivent être pris en compte dans ce débat : si l’hypothèse d’une mutation subite et complète de la pratique théâtrale à la fin du 19e siècle ne peut plus être sérieusement maintenue, la convergence, à cette époque, de plusieurs lignes de transformation des pratiques scéniques, certaines commencées depuis longtemps, d’autres d’apparition plus récente, constitue cependant un phénomène original, et ceci d’autant plus qu’il se produit simultanément dans plusieurs pays européens (Allemagne, France et Russie essentiellement) avant de se répandre sur d’autres continents.

  • [7]

    « […] c’est à partir de 1750 que tout change. La dimension visuelle du théâtre se voit reconnaître une importance capitale », notent Mara Fazio et Pierre Frantz (Mara Fazio, Pierre Frantz (dir.), La Fabrique du théâtre, Avant la mise en scène (1650-1880), Paris, éditions Desjonquères, 2010, p. 13).

  • [8]

    Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 407.

  • [9]

    Voir Sabine Chaouche, L’Art du comédien. Déclamation et jeu scénique en France à l’âge classique (1629-1680), Paris, Honoré Champion, 2001.

  • [10]

    Certaines tragédies, comme Britannicus, peuvent inviter à de tels effets : mais ils demeurent toujours ponctuels.

  • [11]

    Aristote, La Poétique, 1450b, trad. M. Magnien, Paris, Le Livre de Poche, 1990, p. 95.

  • [12]

    Voir Florence Naugrette, « Le devenir des emplois comiques et tragiques dans le théâtre de Hugo », communication au Groupe Hugo, Université de Paris VII, 31 mars 2001, http://groupugo.div.jussieu.fr/Groupugo/01-03-31naugrette.htm

  • [13]

    On pourrait ainsi distinguer deux grandes étapes dans l’histoire moderne de l’activité théâtrale professionnelle en Occident : une première (16e-18e siècles) voit la naissance de troupes régulières, de lieux de représentation et d’auteurs dont le statut symbolique s’affermit progressivement, mais la réalisation scénique tend d’abord à se réguler dans un système de conventions stabilisé, codifié par genres spectaculaires, et comparable sous certains aspects à ceux qui se sont développés dans les grandes formes théâtrales de la Chine ou du Japon ; une seconde, qui se met progressivement en place au cours du 19e siècle, tend au contraire à la diversification de chaque production. L’émergence d’un régime moderne de la mise en scène peut être analysée comme une institutionnalisation de ce processus de singularisation.

  • [14]

    Marie-Antoinette Allévy (Akakia-Viala), La Mise en scène en France dans la première moitié du dix-neuvième siècle, Paris, Librairie E. Droz, 1938.

  • [15]

    Voir notamment les études rassemblées par Mara Fazio et Pierre Frantz (La Fabrique du théâtre, Avant la mise en scène (1650-1880), op. cit.), par Marco Consolini et Jean-Pierre Sarrazac (Avènement de la mise en scène / Crise du drame. Continuités-discontinuités, Bari, Edizioni di Pagina, 2010), par Isabelle Moindron, Olivier Goetz et Sylvie Humbert-Mougin (Le Spectaculaire dans les arts de la scène, du Romantisme à la Belle Époque, Paris, CNRS Éditions, 2006), l’ouvrage de Roxane Martin, La Féerie romantique sur les scènes parisiennes, 1791-1864, Paris, H. Champion, 2007 , ou celui de Sabine Chaouche, La Mise en scène du répertoire à la Comédie-Française, 1680-1815, Paris, H. Champion, 2013.

  • [16]

    Voir André Antoine, « Lettre à Charles Le Bargy », in Jean-Pierre Sarrazac, Philippe Marcerou (dir.), Antoine, l’invention de la mise en scène, Arles, Actes Sud – Papiers, 1999, p. 90-95.

  • [17]

    Voir Georges Banu (dir.), Les Répétitions de Stanislavski à aujourd’hui, Arles, Actes Sud, 1997.

  • [18]

    Voir Didier Plassard, « Le metteur en scène : homme-mémoire, interprète ou démiurge », in Mises en scène du monde, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2005, p. 70-71. Les recherches de Sabine Chaouche (La Mise en scène du répertoire à la Comédie-Française, 1680-1815, op. cit.) ont montré récemment que les acteurs de la Comédie-Française, au 18e siècle, pouvaient avoir le souci de marquer d’une nouvelle interprétation la reprise d’un texte de répertoire. Il n’en demeure pas moins que le luxe croissant des réalisations scéniques, au 19e siècle, a considérablement freiné cette pratique, et conduit à remonter la même pièce, durant plusieurs décennies, sans rien changer de l’établissement du texte, des décors, des costumes, ni même des jeux de scène : les travaux conduits sur les différentes productions d’Hernani à la Comédie-Française, entre 1830 et 1877 (Anne Ubersfeld, Noëlle Guibert, Le Roman d’Hernani, Paris, Mercure de France / Comédie Française, 1985 ; Evelyn Blewer, La Campagne d’Hernani, édition du manuscrit du souffleur, Saint-Pierre-du-Mont, Eurédit, 2002), l’ont clairement établi.

  • [19]

    Louis Becq de Fouquières, L’Art de la mise en scène, Essai d’esthétique théâtrale, Marseille, éditions Entre/vues, 1998, p. 118.

  • [20]

    Carl Hagemann, Regie, Die Kunst des szenischen Darstellung, troisième édition, Berlin / Leipzig, Schuster & Loeffler, 1912, p. 323 (trad. DP).

  • [21]

    Voir Antoine Vitez, Le Théâtre des idées, Paris, Gallimard, 1991, notamment p. 112 et p. 124.

  • [22]

    Voir D. Plassard, « Des théâtres de papier : délittérarisation ou relittérarisation de la scène contemporaine ? », in Joëlle Chambon, Philippe Goudard, Didier Plassard (dir.), Dramaturgies, Mélanges offerts à Gérard Lieber, Montpellier, Espaces 34, 2013, p. 103-113.

  • [23]

    Jacques Copeau, « Un essai de rénovation dramatique », Registres I – Appels, Paris, Gallimard, 1974, p. 25.

  • [24]

    Voir J. Copeau, Mise en scène des Fourberies de Scapin de Molière, Paris, éditions du Seuil, 1950, p. 147-149.

  • [25]

    Charles Dullin, Mise en scène de L’Avare de Molière, Paris, éditions du Seuil, 1946, p. 13 (souligné par l’auteur). Cette réplique marque le début de l’acte I, scène 3.

  • [26]

    Voir Bernard Dort, « Le texte et la scène : pour une nouvelle alliance » (1984), Le Spectateur en dialogue, Paris, P.O.L., 1995, p. 260-261.

  • [27]

    A. Antoine, « [Le Roi Lear] », in J.-P. Sarrazac, P. Marcerou (dir.), Antoine, l’invention de la mise en scène, p. 138.

  • [28]

    Les remous causés par cette adaptation serviront de déclencheur pour les manifestations d’extrême-droite à Paris en février 1934.

  • [29]

    Voir D. Plassard, « ‘Réjouir l’homme est une tâche douloureuse’ – Le TNP de Jean Vilar et la presse (1951-1963) », in Revue d’histoire du théâtre, Paris, n° 198 (1998-2), p. 101-128.

  • [30]

    Voir Karel Vanhaesebrouck, Le Mythe de l’authenticité, Lectures, interprétations, dramaturgies de Britannicus de Jean Racine en France (1669-2004), Amsterdam / New-York, éditions Rodopi, 2009, p. 257-258.

  • [31]

    Firmin Gémier, cité in Catherine Faivre-Zellner, Firmin Gémier, héraut du théâtre populaire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 79.

  • [32]

    Georges Banu, « De l’histoire vers la mémoire », in Opéra, théâtre, une mémoire imaginaire (Cahiers de l’Herne, n°58), Paris, Éditions de L’Herne, 1990, p. 13.

  • [33]

    Daniel Mesguich, L’Éternel éphémère, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 33.

  • [34]

    Voir D. Plassard, « Qu’est-ce qu’Hécube pour nous ? Mise en scène et régime d’historicité », in Petra Bolte-Picker, Gerald Siegmund (dir.), Subjket : Theater, Francfort, Peter Lang, 2011 (p. 21-30).

  • [35]

    Quelques exemples : Steven Berkoff, Greek (1980), Laurent Gaudé, Médée Kali (2003), Rodrigo García, Agamemnon (2003). Voir D. Plassard, « De l’effondrement des récits à l’explosion des figures : les présences paradoxales du mythe dans l’écriture théâtrale contemporaine », in Ariane Eissen, Jean-Paul Engélibert (dir.), La Dimension mythique de la littérature contemporaine, Poitiers, La Licorne, 2000 (p. 41-56).

  • [36]

    Par exemple : Sarah Kane, L’Amour de Phèdre (1996).

  • [37]

    Par exemple : Tom Stoppard, Rosencrantz et Guildenstern sont morts (1967), Edward Bond, Lear (1969), Heiner Müller, Hamlet-machine (1977) et Anatomie Titus Fall of Rome (1984), Botho Strauss, Le Parc (1983) et Viol (2005), Howard Barker, Sept Lears (1989), Normand Chaurette, Les Reines (1991), Rodrigo García, Rey Lear (2004), Peter Verhelst, Richard III (2005).

  • [38]

    Par exemple : Pier Paolo Pasolini, Calderón (1966).

  • [39]

    Par exemple : Didier-Georges Gabily, Chimère et autres bestioles (1992).

  • [40]

    Par exemple : Volker Braun, Société de transition (1982).

  • [41]

    Gaston Baty, « Présentation de la mise en scène du Malade imaginaire au Théâtre Montparnasse, 19 décembre 1936 », Cahiers Gaston Baty, n°1, 1963, p. 46-47.

  • [42]

    Voir D. Plassard, « ‘Se souvenir aussi est un acte politique’ – Temps, histoire, mémoire dans quelques mises en scène de Peter Stein à la Schaubühne », in D. Plassard (dir.), Mises en scène d’Allemagne(s) depuis 1968, (« Les Voies de la création théâtrale », vol. 24), Paris, CNRS Éditions, 2013, p. 129-132.

  • [43]

    Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, in À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 1954, p. 441. J’emprunte cet exemple à l’article très éclairant de Florence Naugrette, « Peut-on parler de contresens de mise en scène ? », Le Contresens, n° 2, Transitions, 21.01.2012, http://www.mouvement-transitions.fr/intensites/le-contresens/sommaire-des-articles-deja-publies/300-peut-on-parler-de-contresens-de-mise-en-scene

  • [44]

    Voir Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 54-55.

  • [45]

    Voir D. Plassard, « ‘Se souvenir aussi est un acte politique’… », loc. cit., p. 132.

  • [46]

    Quelques exemples fondateurs : Orlando furioso de Luca Ronconi, d’après le poème de L’Arioste (1969) ; Catherine d’Antoine Vitez, d’après le roman Les Cloches de Bâle de Louis Aragon (1975) ; ou encore Voyage d’hiver au Stade Olympique de Klaus Michael Grüber, d’après le roman Hyperion de Friedrich Hölderlin (1977). Ces trois réalisations s’écartent du régime habituel de l’adaptation théâtrale en ce qu’elles conservent les caractéristiques non dramatiques (absence durable de dialogues, verbes au passé, voire jeu à la 3e personne) des textes d’origine.

  • [47]

    Par exemple dans Le Regard du sourd de Robert Wilson (1970).

  • [48]

    Voir Émile Copfermann, Roger Planchon, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1969, p. 123.

  • [49]

    Voir Lorenzo Mango, La scrittura scenica, Un codice e le sue pratiche nel teatro del Novecento, Rome, Bulzoni, 2003.

  • [50]

    Frédéric Maurin, communication sans titre, in Mises en scène du monde, op. cit., p. 207-220.

  • [51]

    Antonin Artaud, « Le théâtre de la cruauté » (premier manifeste) (1932), Le Théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1964, p. 145.

  • [52]

    Marco De Marinis, Semiotica del teatro – L’analisi testuale dello spettacolo, Milan, Bompiani, 1982, chapitres 2 et 3 en particulier.

  • [53]

    Keir Elam, The Semiotics of Theatre and Drama, Londres, Methuen, 1980.

  • [54]

    Anne Ubersfeld, L’École du spectateur (Lire le théâtre II) (1981), Paris, Belin, 1996, p. 27. Erika Fischer-Lichte, Die Auffühtung als Text (Semiotik des Theaters, vol. 3), Tübingen, Gunter Narr, 1983.

  • [55]

    Le régime autographique, dont relèvent les arts de la scène, est celui dont les productions, « qui consistent en des objets ou événements physiques, tombent naturellement sous les sens et se prêtent à une perception directe par la vue, l’ouïe, le goût, le toucher, l’odorat, ou quelque collaboration de deux ou plusieurs de ces sens » ; le régime allographique, qui comprend la littérature, concerne à l’inverse les arts qui « ne se prêtent pas, comme d’autres, à la contrefaçon (fake) au sens strict, c’est-à-dire à l’acte de présenter frauduleusement une copie ou une reproduction comme l’original authentique […] : rien n’est plus aisé que de recopier ou de reproduire le texte de La Mort des amants » (Gérard Genette, L’œuvre de l’art I – Immanence et transcendance, Paris, éditions du Seuil, 1994, pp. 37 et 85). En d’autres termes, dans les arts allographiques, l’œuvre conserve son intégrité quel que soit le support qui sert à sa communication ; dans les arts autographiques, l’œuvre n’est pas dissociable des conditions matérielles de sa manifestation.

  • [56]

    Un extrait peut en être consulté sur le site de l’INA :http://www.ina.fr/video/I10089408

  • [57]

    Voir Anne Ubersfeld, Bernard-Marie Koltès, Arles, Actes Sud – Papiers, 1999, p. 59-60.

  • [58]

    L’édition d’un texte, la copie d’un film, la partition ou l’enregistrement d’une composition musicale permettent d’accéder à ces œuvres jusque dans leurs moindres nuances. Ce n’est pas le cas de la captation vidéo d’une mise en scène : non seulement parce que la perception du jeu des comédiens, celle des variations de l’éclairage ou de l’espace acoustique s’y trouvent toujours plus ou moins gravement altérées, mais aussi parce que le cadrage de l’image et le montage des plans opèrent une sélection à l’intérieur de l’œuvre, recomposant celle-ci.

  • [59]

    Voir par exemple le dossier « Théâtre contemporain : écriture textuelle, écriture scénique », réuni par Clyde Chabot dans le numéro 184 de la revue Théâtre / Public (Théâtre de Gennevilliers, 1er trimestre 2007).

  • [60]

    H.-T. Lehmann, Le Théâtre postdramatique, op. cit.

  • [61]

    Bruno Tackels, Les Castellucci (Écrivains de plateau, I), Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2005 ; Id., François Tanguy et le Théâtre du Radeau (Écrivains de plateau, II), Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2005 ; Id., Pippo Delbono (Écrivains de plateau, V), Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2009.

  • [62]

    B. Tackels, Rodrigo García (Écrivains de plateau, IV), Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007.

  • [63]

    B. Tackels, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil (Écrivains de plateau, VI), Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2013.

  • [64]

    Idem, Anatoli Vassiliev (Écrivains de plateau, III), Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2006.

  • [65]

    Notamment en préface aux volumes I et III de la collection.

  • [66]

    Articles L.762.1 et R-382.1 et suivants du Code du travail.

  • [67]

    IDCC 1285 – Annexe B 1 – Nomenclature et définition des emplois – Convention collective nationale du 1er janvier 1984. Ce texte a depuis été abrogé et remplacé par : « Le metteur en scène, en piste, en espace : Est un artiste qui met en forme en un langage scénique une œuvre de l’esprit. Il prépare, dirige et coordonne, directement ou indirectement, le travail de l’équipe qui concourt à l’élaboration et à la présentation d’un spectacle. » On remarquera que la disparition de la référence à « l’œuvre écrite d’un auteur dramatique ou lyrique » ouvre au metteur en scène la possibilité d’être le seul auteur du spectacle.

  • [68]

    Voir http://www.snms.info/snms/historique.htm

  • [69]

    Voir http://www.snms.info/metier/fiches-metier/droit-auteur-metteur-en-scene.htm. Dans la pratique toutefois, d’autres procédures (notamment celle d’un salaire couvrant temps des répétitions et temps des représentations) sont couramment utilisées. Voir aussi Sophie Proust (dir.), Mise en scène et droits d’auteur, Montpellier, L’Entretemps, 2012.

  • [70]

    Cf. Béatrice Picon-Vallin (dir.), La Scène et les images (« Les Voies de la création théâtrale », vol. 21), Paris, CNRS Éditions, 2001.

  • [71]

    B. Dort, « Le texte et la scène : pour une nouvelle alliance », loc. cit., pp. 268 et 270.

  • [72]

    A. Vitez, « Ne pas montrer ce qui est dit » (1974), Le Théâtre des idées, op. cit., p.184.

  • [73]

    Jean-Pierre Sarrazac, Catherine Naugrette (dir.), La Réinvention du drame (sous l’influence de la scène) (Études théâtrales, n° 38-39), Louvain, Centre d’Études Théâtrales, juin 2007.

  • [74]

    Voir Béatrice Picon-Vallin (dir.), Les Écrans sur la scène, Lausanne, L’Age d’homme, 1998.

  • [75]

    J.-P. Sarrazac, L’Avenir du drame, Lausanne, L’Aire, 1981.

  • [76]

    B. Dort, « Le texte et la scène : pour une nouvelle alliance », loc. cit., p. 274.

Pour citer cet article

Didier Plassard, "L’auteur et le metteur en scène : aperçus d’un combat", Bibliothèque comparatiste, n. 10, 2014, URL : https://sflgc.org/bibliotheque/plassard-didier-lauteur-et-le-metteur-en-scene-apercus-dun-combat/, page consultée le 22 Décembre 2024.