Littérature comparée et Études culturelles

Littérature comparée et études culturelles
Résumé en français
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Résumé en anglais
L’article se propose d’observer les modalités de rapprochement entre la littérature comparée et les études culturelles, disciplines éclectiques dont les proximités épistémologiques permettent finalement d’élargir leurs champs de recherche respectifs en les hybridant. Les points de rencontre entre littérature comparée et études culturelles seront observés dans leurs relations à trois domaines majeurs : transdisciplinarité et canonicité, littérarité et approche culturaliste et, enfin, les questions de réception. La littérature comparée tend à assimiler les studies qui prolifèrent et constituent autant de champs d’expression et d’étude identifiables à des (sous)-cultures en réintroduisant un principe d’organisation dans ce qui peut sembler une dérive et un émiettement communautaristes.
The paper aims at examining the means by which could be connected comparative literature and cultural studies, some eclectic disciplines whose epistemological propinquity enable them to expand their own areas of research by hybridizing them. The meeting points between comparative literature and cultural studies will be scrutinized in their relationships to three key issues : transdisciplinarity and canonicity, literarity and culturalist approach and lastly, the questions of reception. Comparative literature tends to absorb the proliferating « studies », which represent as many fields of expression and study which could be identified as (sub)cultures, by reinstating an organizing principle in what could be perceived as a community-based and dispersing separatism.

ARTICLE

La littérature comparée, une discipline née sur les bords du Rhin dans la première moitié du xixesiècle, et les études culturelles, une méthodologie récente venue des pays anglo-saxons, n’entretiennent pas des relations simples en France, même si le xxxve Congrès de la SFLGC, « Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme », organisé à l’Université de Bourgogne en 2008 par Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller visait à les faire se rencontrer. L’avant-propos des actes rédigé à huit mains porte un titre légèrement provocateur : « Faut-il avoir peur des “études culturelles” [1] ? », question rhétorique laissant supposer que les craintes agitées sont probablement vaines. Il est vrai que les théories importées du monde anglo-saxon et notamment des États-Unis font souvent office d’épouvantail au sein du système académique français.

La littérature comparée est née à l’âge romantique dans un contexte particulier qui est celui de l’émergence des nations européennes, la vocation cosmopolite de la Weltliteratur (littérature universelle) inventée par Goethe [2]  à la suite des invasions napoléoniennes apparaissant comme une réponse au demi-siècle de violence politique que vient de traverser l’Europe et comme un remède aux nationalismes. Antonio Dominguez Leiva observe que la naissance du comparatisme littéraire coïncide avec deux bouleversements épistémiques, le « moment où le concept moderne de “littérature” succède à celui de “Belles Lettres” dans un champ esthétique de plus en plus autonome » et le « changement de paradigme qui intronisa l’histoire comme pilier des sciences humaines naissantes [3] ». Dès ses origines romantiques, la littérature comparée se trouve confrontée au dépassement de l’idée de nation – et donc d’une histoire littéraire nationale – et aux interactions avec les forces socio-historiques dans une dynamique interculturelle. À mi-chemin entre l’universalisme de la Weltliteratur goethéenne et le nationalisme herderien caractérisé par un perspectivisme ouvert aux particularismes des cultures, le comparatisme se construit en interaction avec l’émergence d’une conception relativiste de la culture.

Les études culturelles, dont la naissance même est liée à l’essor, en Grande-Bretagne, de la nouvelle gauche dans les années 60, ont été lancées à l’instigation de professeurs de littérature anglaise qui voulaient rapprocher la culture enseignée à l’université des références culturelles de leurs étudiants. Jean-Marc Moura observe que les études culturelles se sont développées en Grande-Bretagne grâce à des chercheurs venus de l’ex-empire, qui ont introduit des problématiques liées aux questions de domination et à la « Britishness » à l’instar de Stuart Hall d’origine jamaïcaine [4] . L’orientation marxiste disparaîtra avec le passage des études culturelles aux États-Unis où le discours des humanités est marqué par l’anthropologie culturelle, depuis les travaux d’Edward Tylor jusqu’à ceux de Clifford Geertz. Succédant au virage linguistique opéré par le structuralisme puis le déconstructionnisme des années soixante, le « tournant culturel » pris par les sciences humaines à partir de la réception de l’anthropologie culturelle anglo-saxonne fournit à travers l’École de Birmingham un nouveau modèle disciplinaire, un nouveau paradigme fondé sur la notion de culture [5] . Mais, selon Stuart Hall, les études culturelles ne constituent ni une théorie, ni une discipline, ni un champ unifié : « La question qui se posait, ce n’était pas de savoir quelles disciplines pouvaient contribuer au développement de ce champ, mais comment on pouvait décentrer ou déstabiliser tout un ensemble de champs disciplinaires [6]

La littérature comparée, comme les études culturelles, souffrent d’un problème d’identité – elles sont d’une définition complexe –, placées en situation de carrefour et accusées d’être des attrape-tout ou des fourre-tout, en quête permanente de reconnaissance et de légitimation [7] . Les études culturelles ne sont ni une discipline, ni une théorie, mais plutôt un mouvement comme le montre David Shumway qui reprend une formule de Fredric Jameson : « a desire called cultural studies [8] ». C’est une « non-discipline » ou une « post-discipline souveraine, un au-delà des disciplines » selon Armand Mattelart [9] . Il s’agira d’observer comment le rapprochement de la littérature comparée et des études culturelles qui présentent un certain nombre de proximités épistémologiques permet finalement d’élargir les champs de recherche des deux disciplines éclectiques en les hybridant. Nous mettrons l’accent sur le contexte français dans lequel la rencontre est plus problématique que dans les pays de langue anglaise.

I. Études culturelles et comparatisme

Les objets des études culturelles se retrouveraient « naturellement » dans la littérature comparée, ce qui a pu faire dire à certains que les comparatistes faisaient des études culturelles sans le savoir, à la manière de M. Jourdain. Afin d’établir des rapprochements entre les deux disciplines, nous articulerons notre propos selon trois axes majeurs : transdisciplinarité et canonicité, littérarité et approche culturaliste et, enfin, les questions de réception.

Transdisciplinarité et canonicité

Si le monde académique français a longtemps encouragé la monodisciplinarité, l’évolution – l’élargissement – des équipes de recherche, où les comparatistes souvent très minoritaires sont donc contraints de s’ouvrir à d’autres spécialités, a entraîné le décloisonnement des disciplines et la constitution d’équipes véritablement pluridisciplinaires – composées d’anthropologues, d’historiens, de sociologues, mais aussi de juristes, de spécialistes de sciences de la vie voire des médecins sur certains projets.

Comparatisme et études culturelles s’appuient sur des démarches transdisciplinaires : les études culturelles empruntent à l’anthropologie, à la sociologie par l’étude des « sous-cultures » des différentes communautés urbaines, à l’ethnologie et à l’étude des médias tandis que, si elle valorise le fait littéraire ou artistique, la littérature comparée puise également dans les méthodologies des sciences humaines et interroge le débat entre littératures et cultures. S’il y a effectivement rencontre des disciplines au sein des études culturelles, elle se fait le plus souvent sur le mode de la contestation. C’est ainsi que l’influence de la French Theory, incorporée au culturalisme anglo-américain, génère dans les études culturelles une opposition à l’interprétation déconstructionniste alors que ce courant de pensée est nourri des théories de Foucault, Baudrillard, Deleuze et surtout Derrida, qui sont par ailleurs accusés de n’étudier que des œuvres canoniques occidentales [10] . Les études culturelles partagent avec la French Theory une posture anti-hégémonique et un intérêt pour les communautés, les minorités, le tout dans un travail politisé de déconstruction des normes. C’est dans ce contexte que la culture pop (c’est-à-dire populaire), par opposition à ce que l’on avait considéré, depuis l’âge classique, comme la culture, la « high culture » promue par Franck Raymond Leavis dans Culture and Environnment (1932), devient le centre d’attention de plusieurs penseurs interdisciplinaires à l’image des membres de l’École de Francfort [11] qui opèrent une critique radicale des aspects politiques, sociaux et culturels de la société bourgeoise et réexaminent l’héritage du mouvement ouvrier allemand.

Le terme « culture », concept clé des études culturelles, comporte en français une connotation élitiste et artistique tandis qu’en anglais l’acception est davantage anthropologique. En fait, les études culturelles postulent que la culture ne se limite plus à la culture savante ou humaniste, mais désigne « l’ensemble de la vie d’une société, de ses croyances, attitudes et tempérament, tel que l’expriment les structures, les rituels et les gestes, ainsi que les formes artistiques traditionnelles [12] ». Stuart Hall et Tony Jefferson précisent le sens d’une culture liée au quotidien, situation qui n’exclut pas la complexité : « Par culture, nous entendons les principes de vie partagés qui caractérisent ou sont particuliers à des classes, groupes ou milieux sociaux [13] . » Les études culturelles ne se cantonnent donc pas au patrimoine culturel d’un pays (les belles-lettres, les beaux-arts) ni à la connaissance qu’un individu peut en avoir. Elles vont à l’encontre d’une vision cultuelle de la culture, qui ne doit plus être un objet de dévotion ou d’érudition. Il s’agit d’opposer à la conception élitiste de la culture – propre aux public schools et signe d’une domination de classe – une vision beaucoup plus large, ouverte aux « sous-cultures [14] » ou encore à la culture ouvrière des grands centres industriels anglais étudiée par Richard Hoggart dans The Uses of Literacy [15] . La démarche de Richard Hoggart présente une double originalité : observer une culture populaire, sujet laissé jusqu’alors aux folkloristes ou aux ethnologues, déconstruire les représentations mythiques du peuple nourries, entre autres, par la littérature, telles que le peuple révolutionnaire, la foule incontrôlable ou la populace aliénée et versatile.

La littérature comparée ne s’inscrit pas aisément dans une telle méthodologie. Encore faut-il distinguer, comme le fait Sébastien Hubier, entre l’approche historique et stylistique des études littéraires privilégiée en France, qui « pinaille sur des détails textuels » et une approche plus globale du comparatisme culturel [16] . Les comparatistes, comme les littéraires en général, ont du mal à concevoir la littérature réduite à une valeur documentaire, à un facteur culturel comme un autre. Dans un contexte où la « mort de l’auteur » n’est plus de saison, la place de l’acte de création dans la littérature reste une question digne d’étude.

Le débat culture savante/culture populaire qui se situe au cœur des études culturelles conduit à s’interroger sur les modalités de l’institutionnalisation du canon, tant son processus de constitution synchronique que son fonctionnement diachronique. La tension entre canon et culture non-canonique s’est transformée aux États-Unis en une véritable « guerre du canon », aboutissant à une attaque en règle de la culture occidentale classique [17] . Même s’il existe un groupe d’œuvres canoniques jugées dignes d’être étudiées par la tradition académique, la pratique comparatiste tend à investir des littératures réputées mineures ou périphériques. La situation de minorité comporte des degrés et implique une hiérarchie, si bien que Sébastien Hubier relève un paradoxe selon lequel les études littéraires tendent à privilégier « les minores et les plumitifs [18] » tout en affichant un mépris souverain pour les sous-genres de la culture populaire auxquels s’intéressent les études culturelles comme les films de série B, les sitcoms, les comics, la paralittérature, les confessions de vedettes de la pop music ou du cinéma hollywoodien et les biographies à succès. Pour qui veut étudier la romance à l’instar d’Angelica, doctorante mise en scène par David Lodge dans son roman universitaire Small World, il faut adopter un corpus extensif allant des romans médiévaux de chevalerie aux romans sentimentaux de Barbara Cartland en passant par un poème comme The Faerie Queene d’Edmund Spenser. Le postmodernisme constitue un terrain propice à une approche culturaliste de la littérature car il favorise les réutilisations romanesques savantes des paralittératures, précipite la fusion entre le populaire et l’élitaire, alimente l’hybridation du haut et du bas culturel décrite par Mikhaïl Bakhtine. Un des objectifs de la littérature comparée peut consister à examiner l’articulation entre littérature et culture canoniques et non canoniques ainsi que les phénomènes de transmission, d’un groupe à l’autre ou d’une génération à l’autre. C’est le sens de la démarche de la thèse passablement provocatrice d’Olivier Secardin soutenue fin 2008 dans le temple de l’académie française, l’Université Paris-Sorbonne sous la direction de Pierre Brunel, et intitulée « Sémiocritique de l’hybridité. Du moderne au postmoderne », dont le but est d’analyser le fonctionnement réflexif de l’hybridité chez Diderot, Mallarmé et… Madonna. Si ce travail universitaire a suscité des réserves, c’est aussi que la situation française diffère largement de celle des États-Unis, où Robert Miklitsch a instauré des « Madonna studies [19] » tandis que David Tetzlaff présente la diva comme « the metatextual girl [20] » !

Au final, trois éléments se détachent pour décrire l’histoire des cultural studies : le premier est que les études culturelles se sont forgé un objet spécifique, la culture non-canonique, qui est à la fois la culture du présent et la culture populaire ; le second réside dans la définition de la culture qui passe de l’artefact culturel à la notion anthropologique de « way of living », principalement des classes défavorisées ou des minorités ; le troisième, qui les rapproche de la littérature et de la littérature comparée, tient dans l’accent mis sur la représentation, à la fois comme perspective sur le monde, créée par la production et la réception d’objets culturels par les médias, et comme enjeu des luttes de pouvoir.

Littérarité et approche culturaliste

Désamorçant une rivalité souvent avancée, Michael Riffaterre insiste sur la complémentarité entre littérature comparée et études culturelles en brisant le dogme de l’étude du texte en langue originale au profit de l’usage de traductions, ce qui permet, selon lui, de sortir du socle européen, de réfléchir aux enjeux d’une traduction et de poser la question de l’interprétation [21] .

On pourrait ajouter qu’une telle orientation constitue également une manière de dépasser les limites humaines et la malédiction de Babel qui affecte peu ou prou tout comparatiste. Cette position hautement transgressive pour la littérature comparée française dans sa préoccupation philologique – lire le texte en version originale est un totem – est partagée par David Damrosch pour qui la littérature mondiale donne forme à une conception de la littérature non pas comme canon, mais comme mode de circulation et de lecture. Pour David Damrosch, qui met la réception au premier plan, la littérature mondiale consiste en une réfraction elliptique des littératures nationales tout en fondant une écriture qui, contre tout fétichisme de la langue originale, gagne à être traduite. À l’inverse pour Emily Apter, loin d’être un remède au tout-anglais, la traduction est un facteur global d’uniformisation. C’est pourquoi elle s’affirme « contre » la littérature mondiale et son « principe de traduisibilité » qui tend à absorber toute forme de différence en se référant à un modèle unique, nécessairement eurocentrique [22] . Malgré le souhait tardif de Said de renouveler l’humanisme par la philologie [23] , on observe dans le monde nord-américain un quasi-abandon des questions philologiques et de la critique littéraire au profit de la « theory ». Les études culturelles se situent dans ce mouvement général en privilégiant une approche de la littérature d’après les seuls critères socio-économiques et culturels, au grand dam des littéraires « purs ».

Sans tomber dans un schématisme réducteur, on oppose traditionnellement deux grandes écoles de littérature comparée, la française dite « générale et comparée » promue par la SFLGC, et l’américaine par l’ACLA. Si l’école française, universaliste, a longtemps affiché une prédilection pour l’histoire littéraire, les études d’influences, les relations mutuelles entre les littératures, au risque d’être taxée de scientisme, l’école américaine s’est singularisée par la revendication d’une ouverture à toutes les cultures étrangères – manière de s’émanciper de la tutelle européenne – par la recherche de lois générales et l’affirmation d’une pluralité de méthodes pour éprouver les valeurs humaines et esthétiques de la littérature [24] . La seconde privilégie la théorie tandis que la première reste déterminée par les concours de l’enseignement comme l’agrégation qui commandent dissertation et commentaire de texte littéraire.

Face au déclin perceptible des approches purement littéraires, les études culturelles semblent pouvoir constituer la matrice d’une possible redéfinition disciplinaire des études littéraires et des sciences humaines dans leur ensemble. Il s’agit donc de transplanter les méthodes d’analyse littéraire vers un nouvel objet, en l’occurrence les produits de la culture de masse. Le Centre for Contemporary Cultural Studies de Birmingham avait pour but d’« utiliser les méthodes et outils de la critique textuelle et littéraire en déplaçant l’application des œuvres classiques et légitimes vers les produits de la culture de masse, l’univers des pratiques culturelles populaires [25] ». « Les Cultural Studies procèdent d’un glissement fondateur qui mobilise vers la culture populaire les outils théoriques issus des études littéraires [26] .» L’articulation critique de certaines problématiques littéraires avec la constellation culturaliste peut néanmoins conduire à ce que d’aucuns considèrent comme une hégémonie du non-littéraire. Pourtant, aux yeux de Jan Baetens, les études culturelles sont la solution plus que le problème car elles peuvent permettre à la littérature de sortir de la crise qu’elle traverse : une crise de la production avec la quasi-disparition d’une littérature expérimentale, une désaffection face à la chose littéraire comme en témoigne l’essai de William Marx, L’Adieu à la littérature [27] , une crise scientifique, « les études littéraires ayant de plus en plus de mal à démontrer leur plus-value, notamment par rapport aux sciences sociales, et partant à fonder leur légitimité [28] ».

Dès sa naissance, la littérature comparée s’est caractérisée par un discours marqué à la fois par l’historicisation du phénomène littéraire et par sa relativisation culturelle dans le cadre goethéen de la Weltliteratur. L’importance de la contextualisation – liée à une situation socio-historique – est sans doute un élément partagé par les études culturelles et la littérature comparée qui est peu encline, en France, aux approches poétiques décontextualisées. Avec la World literature, le contexte et l’espace de comparaison se sont élargis géographiquement, mais aussi socialement à la culture, l’idéologie, la race ou le genre… À l’extension planétaire du corpus correspond une prolifération des objets abordés par les études culturelles. Culturalisme et comparatisme partagent bien des sujets d’étude comme l’inter- ou la transculturalité, les phénomènes de circulation culturelle et l’histoire des constructions culturelles. La littérature comparée présente, en effet, une certaine proximité avec les préoccupations formulées dans le cultural turn anglo-saxon, notamment un intérêt pour l’histoire culturelle et sociale des représentations qui se traduit par la mise en rapport de l’histoire des idées et des mentalités avec les textes littéraires, les productions artistiques et les médias les plus divers. Par ce fait même, comme l’observe Philippe Chardin [29] , un certain nombre de comparatistes se retrouvent sans peine dans les études culturelles : les spécialistes des représentations collectives, autrement dit ceux qui étudient les relations entre histoire littéraire et histoire sociale, histoire des idées et des mentalités, l’imagologie que l’on peut comprendre comme une histoire des idées sur l’altérité culturelle, la sociocritique voire la mythocritique ou encore les littératures diasporiques, et, bien sûr, les spécialistes de ce que l’on a pu appeler la « paralittérature », littérature de jeunesse, fantasy, science-fiction, roman policier… Les travaux d’Alain Montandon au carrefour de la littérature comparée, de l’histoire culturelle et de l’anthropologie historique s’inscrivent dans une appropriation des études culturelles par le comparatisme français. La production critique est tellement vaste qu’on pourrait parler d’une « école de Clermont-Ferrand », la série impressionnante des travaux du CRLMC sur la promenade, la politesse, l’étiquette, le savoir-vivre, la civilité, l’hospitalité, le vieillir et autres sujets sociopoétiques, constituant l’équivalent des « Working Papers » du groupe de Birmingham [30]  ! À l’inverse, les comparatistes les plus éloignés des études culturelles sont ceux qui sont le mieux inscrits dans les principes fondateurs de l’école française de littérature comparée : les spécialistes tournés vers l’histoire littéraire comparée ou les questions d’esthétique, de narratologie ou de poétique comparées. À l’exception de quelques cas, dont les organisateurs du Congrès de Dijon qui ont joué le rôle de précurseurs et parfois d’agitateurs, le comparatisme français a cependant longtemps rechigné à mettre en rapport les œuvres littéraires canoniques et les production des « sous-cultures » populaires.

L’essai de Florence Dupont [31] au titre iconoclaste, Homère et Dallas (Hachette, 1990), est peut-être pionnier en la matière. Il se veut une critique anthropologique des œuvres littéraires en tant que pratiques culturelles dans une société donnée tout en visant à réhabiliter des produits culturels méprisés par la critique universitaire comme les séries télévisées. L’ouvrage, qui montre les analogies de fonctionnement entre le chant de l’aède et l’épisode de feuilleton, s’inscrit dans la perspective des études culturelles et dans la lignée des travaux anglo-saxons comme Watching Dallas. Soap Opera and the Melodramatic Imagination (Londres, Methuen, 1982) d’Ien Ang, qui invite à prendre en compte le concept de plaisir dans l’étude de la réception des produits culturels de masse. À partir de son essai Lolitas et petites madones perverses : Émergence d'un mythe littéraire (Éditions de l’Université de Dijon, 2007), Sébastien Hubier travaille sur le type de la jeune fille effrontée et lascive, à la fois figure centrale de la littérature savante et emblème de la société de consommation et de la culture de masse comme le montre un essai plus récent, Pinup Grils, Playmates et Bimbos (Éditions du Murmure, 2017). Le prometteur Douces fessées, plaisantes caresses (Éditions du Murmure, 2012) permet aussi d’explorer les voies de l’érotisme et la pornographie. Quant à Antonio Dominguez Leiva, avec Décapitations, du culte des crânes au cinéma gore [32] , il parcourt l’histoire culturelle de l’Occident afin de croiser la question de la sexualité avec le macabre dans une étude qui relie littératures, arts et cultures.

Le numéro de 2012 de la Revue d’Études culturelles porte un titre alléchant : « Vers un nouveau comparatisme / Towards a new comparatism », mais le but n’est pas vraiment atteint même si la direction est indiquée. L’ensemble un peu disparate des articles recueillis ne parvient pas à une définition systématique d’une littérature comparée renouvelée, dotée d’un appareil méthodologique permettant des approches interdisciplinaires et transnationales de la littérature et de la culture. Dans son article rédigé en français mais portant un titre anglais, « Comparatism Not Dead (Or Is It, After All ?) », Antonio Dominguez Leiva prophétise non sans humour la fin de la littérature comparée traditionnelle et réclame à grand fracas la rénovation/libération de la discipline en fonction de ses vertus supposées : « Par son interdisciplinarité constitutive, son caractère interculturel et sa méthodologie éclectique, elle peut cerner, dans le totum revolutum de l’hyperconsommation culturelle contemporaine, le sens caché des réécritures “virales” des grands axes de la culture du passé [33] ». Au nom de son « ouverture d’esprit » et de sa plasticité méthodologique, la littérature comparée n’est-elle pas vouée à devenir une éclectique bonne à tout faire, un baromètre de l’air du temps ou une auberge espagnole recueillant les sans-abris académiques, au nombre desquels figurent les productions de la culture populaire ?

Questions de réception

Les chercheurs français adressent une série de reproches aux études culturelles, le premier d’entre eux étant sans doute de négliger la valeur esthétique des textes et la dimension artistique en général. Parmi les autres critiques les plus fréquemment formulées, vient d’abord l’inflation du terme « culture » qui conduit à un véritable brouillage sémantique ; c’est ensuite la survalorisation du contemporain et une tendance à interpréter le passé à l’aune des valeurs du présent et donc à négliger la dimension historique ; c’est encore le reproche de relativisme consécutif à l’invasion de la « high culture » par la « low culture » qui conduirait à une forme d’indifférenciation où tout se vaut [34] ; c’est enfin la revendication de l’hétérogénéité des communautés (issues du melting pot américain), à l’opposé des théories assimilationnistes françaises et de l’idéal d’une République une et indivisible. C’est de fait au nom de l’universel que l’université française récuse le relativisme culturaliste. Les universitaires français reprochent aussi aux études culturelles un intérêt presque monomaniaque pour les cultures « jeune », l’inconvenance de certains objets difficiles à rapatrier dans le monde des Arts et des Lettres comme les cultures d’entreprise (corporate cultures) même légitimées par une lecture sociale [35] et surtout une forme de radicalisme, dans la déconstruction systématique ou dans l’action politique de certaines communautés.

Comparatisme et études culturelles ont en commun l’ouverture à toutes les formes d’altérité, y compris au sein des sociétés occidentales, à travers les minorités ethniques, sexuelles ou sociales auxquelles des droits toujours plus importants ont été reconnus, ce qui a pu entraîner le développement du « politiquement correct » : Antonio Dominguez Leiva parle de « tensions qui traversent le champ social des sociétés hypermodernes, hantées par le victimisme communautaire tout autant que la nostalgie antimoderne [36] ». La « politically correctness » (abrégé en PC) consiste en une régulation des conduites et des codes de parole selon une euphémisation stricte du langage par respect pour les minorités, raciales, sexuelles ou culturelles. Alors qu’elles ont a priori une visée contestatrice, les études culturelles génèrent une attitude de suivisme et de conformisme, colorée par une forme de pudibonderie ou de puritanisme, très mal reçue dans le monde académique français qui y voit une police morale [37] . C’est cet état d’esprit que le roman La tache de Philip Roth met en scène. Delphine Roux, la jeune normalienne bien pensante qui, récemment entrée à l’Université américaine est également entrée en féminisme, soutenant les étudiantes qui réclament qu'Euripide soit rayé du programme, au motif qu’Alceste et Hippolyte seraient des pièces « dégradantes pour les femmes [38] ». Les études culturelles comme les études féministes attaquent une partie de la littérature occidentale qui défendrait une élite conservatrice, blanche, masculine et hétérosexuelle et serait au service de la culture dominante qui vise à exclure les femmes de la scène politique (ainsi que toute forme de « minorité »).

Mais si la réception française est hostile ou absente, c’est que le terrain des études culturelles est déjà occupé par des champs de recherche autochtones comme le montrent Armand Matterlart et Érik Neveu [39] . C’est aussi qu’en France, la résistance et la réticence sont en soi un objet culturel. L’argument du « provincialisme » d’un monde académique français ignorant l’anglais valait sans doute dans les années 1960-70, mais il n’est plus de mise de nos jours. La culture de masse et les mass-médias sont au cœur des sujets traités par la revue Communications créée en 1961 par Edgar Morin, Georges Friedmann et Roland Barthes ou encore par le CECMAS, le Centre d'études des communications de masse, fondé par Georges Friedmann en 1960. La sociologie de la littérature et de la lecture a été développée par Robert Escarpit, invariablement cité en tant que « père fondateur de la sociologie moderne de la lecture [40] ». C’est lui qui, au cours des années 1960, prend en compte, pour la première fois en France, des phénomènes littéraires peu étudiés jusque-là tels que la consommation du livre, les circuits de distribution, les genres littéraires mineurs, les bibliothèques, les institutions littéraires, le livre en tant que support matériel de la lecture et l’édition (Sociologie de la littérature, 1958). La revue et la collection « Le sens commun » de Bourdieu aux éditions de Minuit marquent l’intérêt de la sociologie pour la socialisation de la culture : la traduction française de The Uses of Literacy de Richard Hoggart fut d’ailleurs accueillie dans cette collection. Les travaux de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, notamment son ouvrage Les structures élémentaires de la parenté (1949), permettent de réinterroger les rapports nature-culture (universalité de l’une, spécificité de l’autre liée à un groupe). Les essais sémiologiques de Roland Barthes dans Mythologies (1957) sur les mythes de la vie quotidienne tels le bifteck et les frites, l’iconographie de l’abbé Pierre, le tour de France comme épopée ou la nouvelle DS Citroën peuvent apparaître comme précurseurs des études culturelles.

La place des études culturelles est également occupée par les historiens, comme le montre Anne Chalard-Fillaudeau [41] , dans le sillage de l’École des Annales fondée par Marc Bloch et Lucien Febvre qui visent à renouveler l’histoire grâce aux recours aux sciences sociales et à privilégier une histoire-problème qui fonde ses interrogations dans un rapport interactif entre le présent et le passé. C’est dans cet héritage que s’inscrit l’histoire culturelle en France, à la fin des années 70, grâce à Roger Chartier, qui prend appui sur une tradition (Les Annales, l’histoire des mentalités, le marxisme) qu’il renouvelle en profondeur avec un passage de « l’histoire sociale de la culture » à une « histoire culturelle du social ». L’histoire des mentalités investit fortement le culturel avec Michel de Certeau (L’invention du quotidien), Alain Corbin (Le territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage 1750-1840) ou Emmanuel Le Roy-Ladurie (Histoire humaine et comparée du climat). Actuellement, l’histoire culturelle conduite par Pascal Ory et Philippe Poirier emprunte des méthodologies du type de celles des études culturelles [42] de même que l’histoire culturelle du présent proposée par François Martin et Sylvain Venayre [43] . L’histoire culturelle invente de nouveaux objets (la mémoire, l’hygiène corporelle, les odeurs, la sensibilité…) et redéfinit le réel à partir de sa « représentation [44] ». La culture étant entendue comme ensemble des représentations collectives propres à une société, l’histoire culturelle peut se définir comme histoire sociale des représentations, principalement dans leur dimension symbolique, ce qui entre dans le programme des études culturelles. La « culture » envisagée par l’histoire culturelle ne se réduit pas à l’acception restreinte de capital de connaissances acquises, mais elle englobe l’ensemble des représentations collectives propres à une société. L’histoire culturelle se distingue ainsi des histoires fondées sur le qualitatif comme l’histoire des arts, des sciences ou des idées, toutes articulées sur la détermination de critères de valeur et attachées au privilège de la singularité et, de ce fait, se rapproche des études culturelles qui valorisent les productions faiblement légitimées. Il en résulte un attachement à la dimension collective des phénomènes et à la prise en compte des contextes – sans réduction à un simple déterminisme –, qui fait que la démarche culturaliste met en avant le mesurable (davantage que le quantifiable), le relationnel (ou le médiatique) et l’homologique (les correspondances) [45] .

La réception des études culturelles, comme celle des études postcoloniales, a été différée en France, d’abord par le retard des traductions puisqu’il faut attendre presque trente ans pour que l’ouvrage inaugural de Dick Hebdige, Subculture : The Meaning of Style, de 1979 soit traduit par Marc Saint-Upéry en 2008 : Sous-culture : le sens du style (Paris, Zones) tandis que certains articles de Stuart Hall ne seront compilés et traduits qu’en 2007 : Identités et culture. Politique des Cultural Studies, traduction Christophe Jacquet, aux éditions Amsterdam. Nous avons déjà évoqué ailleurs le caractère tardif des traductions des essais d’Homi Bhabha, Judith Butler ou Gayatri Spivak [46] . Et comme pour les études postcoloniales, se produit une véritable flambée éditoriale dans les années 2000 :

– en 2003, François Cusset, French Theory. Foucault, Derrida, Deleuze et Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis, Paris, La Découverte ;

André Kaenel, Catherine Lejeune et Marie-Jeanne Rossignol, Cultural Studies. Études Culturelles, Nancy, Presses Universitaires Nancy ;

Armand Matterlard et Erik Neveu, Introduction aux cultural studies, Paris, La Découverte, coll. « Repères », réédité en 2008 ;

– en 2007, Bernard Darras (dir.) Études culturelles & Cultural Studies, MEI n°24/25, Paris, L’Harmattan ;

– en 2008, Hervé Glévarec, Éric Macé et Éric Maigret (dir.), Cultural Studies. Anthologie, Paris, Armand Colin-Ina, coll. « Médiacultures » ;

– en 2010, Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, 2 volumes, Dijon, Éditions du Murmure, 2010.

Les éditions « La Découverte » et « Amsterdam » jouent un rôle pionnier dans l’introduction des nouvelles méthodologies.

II. Littérature comparée et studies

Par son intégration dans un certain nombre de départements d’universités américaines, notamment en littérature comparée, la French Theory a contribué à l’émergence de nouveaux domaines de recherche : cultural studies, gender studies, subaltern studies, colonial, postcolonial studies, etc. Les studies ont comme principe originel d’étudier une « culture » tenue pour minoritaire ou minorée, c’est-à-dire délaissée par les humanités traditionnelles. Espace théorique plus que philosophique, la French Theory, en tant que pensée de la différence, explore les devenirs minoritaires et vise à déconstruire les normes dominantes en les contestant de l’intérieur par une interrogation critique du centre et des zones liminales. Ce faisant, elle rejoint les objectifs de la littérature comparée souvent prise entre l’impératif catégorique de réhabiliter l’Autre, le subalterne, et l’éternel soupçon de réduire l’altérité et de l’annexer.

Les études culturelles, qui affirment « la politisation de la théorie et la théorisation des politiques », s’intéressent aux rapports hégémoniques que l’on retrouve dans le triptyque classe, race, genre, tout en recherchant les moyens de les subvertir [47] . Les études culturelles sont engagées politiquement dans les luttes contre les discriminations, ce qui les distingue des Kulturwissenschaften allemandes dont l’énergie réformatrice s’exprime au sein des sciences humaines pour les modifier de l’intérieur [48] .

Ainsi, paradoxalement, les Cultural Studies, nées du marxisme britannique des années 1950-1960, en sont venues à se concentrer sur l’ethnicité et le genre en délaissant les problèmes de classe, favorisant l’éclatement de ce que Stanley Fish nomme les « interpreting communities ». Textes et phénomènes sont alors réduits à de simples illustrations de théories préexistantes et omnipotentes – théories elles-mêmes limitées, puisque quantité de ces mouvements communautaires n’entretiennent avec elles qu’un rapport extrêmement éloigné, et les simplifient à l’extrême en les récupérant [49] .

Au-delà de l’influence de la French Theory et de l’hypertrophie du communautarisme américain, puis britannique, on assiste à la prolifération des studies qui constituent autant de champs d’expression et d’étude identifiables à des (sous)-cultures. La constitution de ces nouveaux foyers de recherche issus des études culturelles permet de renouveler et d’élargir la littérature comparée, une discipline par tradition européenne qui, en retour, pourrait réintroduire une forme d’organisation – sinon d’universalisme – dans ce qui peut sembler une dérive et un émiettement communautaristes. Nous nous intéresserons successivement à la triade études postcoloniales, subalternistes, ethniques puis aux études de genre (gender studiesqueer studies) et enfin au études de médias (media studies).

Études postcoloniales, études subalternistes, études ethniques

Les études postcoloniales possèdent une dimension culturaliste tout en étant caractérisées par un mode particulier de lecture du monde, un prisme socio-politique qui vise à examiner les séquelles du colonialisme européen, les rapports de pouvoir et d’hégémonie inscrits dans les discours, les interactions socio-culturelles à l’œuvre dans la relation coloniale. Mais elles dépassent le cadre des études culturelles car le postcolonial comporte une production proprement littéraire sous l’espèce d’un vaste corpus de littératures d’expression européenne issu des pays anciennement colonisés, conçu selon le processus désormais bien connu du « writing back [50] », qui affirme par ailleurs les fondements littéraires du postcolonialisme. Les études postcoloniales trouvent un débouché dans le champ de la littérature comparée, même si Gayatri Spivak pronostique la mort à venir de la discipline [51] , en raison de la concurrence des areas studies ou précisément des cultural studies, qui risquent de l’absorber et peut-être aussi par son incapacité à sortir de son eurocentrisme originel. Quoi qu’il en soit, il existe un certain nombre de proximités méthodologiques entre études postcoloniales/ études culturelles et littérature comparée dans la mesure où ces champs théoriques, sensibles à l’asymétrie des échanges et des situations, visent à décentrer le regard pour adopter le point de vue de l’autre, à reconsidérer les rapports entre centre et périphérie et à scruter les formes d’interactions culturelles. L’un des fondateurs du postcolonialisme, Edward Said, était comparatiste et, dans Culture et Impérialisme, il montre les liens étroits entre le développement de la littérature comparée et l’émergence de l’impérialisme européen au xixe siècle. Le modèle interprétatif « postcolonial » s'est développé, notamment dans le domaine des analyses littéraires, dans un rapport à la fois étroit et critique à la méthode comparatiste. Le postcolonialisme a ainsi pu s’emparer de questions non traitées par la littérature comparée, longtemps attachée aux littératures nationales et à leurs relations, pour s’intéresser à un système plus vaste, mondial, incluant diverses aires linguistiques, europhones ou non. Il a surtout rompu avec une pratique eurocentrique de la littérature comparée, conformément aux vœux d’Edward Said [52] qui souhaitait réhabiliter les littératures des marges et déjouer la centralité géographique de l’Europe, remise en cause qui est devenue une doxa des études culturelles.

La littérature et les études littéraires ont pris un tournant transnational sous la poussée de la mondialisation, qui marque l’affaiblissement de la référence à la nation au profit de flux généralisés et transfrontaliers [53] , à l’instar des études culturelles, elles-mêmes « dénationalisées ». Les littératures, les textes, les différentes productions culturelles et artistiques s’enrichissent par une circulation qui ne s’arrête pas à la frontière d’un pays ou d’un continent et ils sont en retour modifiés, transformés par le regard et la lecture – la réception – d’une autre culture. La circulation des textes au sein des cultures rejoint une question classique de littérature comparée : les études de réception (ou d’influence), mais non limitées à l’Europe, ni à la littérature d’ailleurs. Ces études de réception « élargies » interrogent également sur l’impact idéologique des biens culturels et pratiquent de manière plus systématique la méthodologie de l’enquête empruntée aux sciences sociales. La littérature comparée se trouve prise dans une tension agonistique entre deux principes, synthétique et analytique, entre les catégories du « transnational » et du « national », voire du « local ». Elle doit surmonter une forme de binarisme pour s’appliquer à un corpus issu d’un contexte géopolitique innervé par les flux planétaires. Dans la perspective actuelle qui consiste à analyser les ressorts et les manifestations de la globalisation, la méthodologie comparatiste est sollicitée pour rendre compte des nouvelles formes littéraires et non-littéraires « mondiales », en particulier celles qui relèvent de la tradition orale, une manière de retourner au « local » et de rétablir une singularité culturelle contre un universalisme uniformisant. Cette préoccupation contemporaine de la littérature comparée rejoint pleinement les études culturelles intéressées par la dimension populaire de la culture, les pratiques culturelles spécifiques de certains groupes et les phénomènes de massification. La méthodologie comparatiste emprunte ainsi à des analyses de sociologues culturalistes postcoloniaux comme Partha Chatterjee qui propose que l’on s’intéresse aux « fragments » de la société [54] , aux communautés subalternes élaborant chacune séparément son système politique dans un dispositif global qui invite à repenser la conception européenne de la nation, tandis qu’Arjun Appadurai analyse les ethnoscapes, les paysages culturels constitués par les groupes transplantés dans un contexte de mondialisation [55] . Si la mondialisation a un impact sur les études culturelles, l’étude de la manière dont la conscience de la mondialisation informe la création littéraire pourrait constituer un objectif de la littérature comparée.

On peut donc postuler une sorte de consubstantialité des démarches – comparatistes – et des approches, interdisciplinaires et pluridisciplinaires, entre les études postcoloniales et la littérature comparée, au point d’ailleurs qu’Emily Apter considère les études postcoloniales comme des héritières de la littérature comparée qui, de fait, pourraient la remplacer, tandis que les comparatistes français, on l’a vu, sont enclins à les rejeter en tant qu’études culturelles ignorant les spécificités de la création littéraire [56] . Jean-Marc Moura envisage le rapprochement de la littérature comparée et des études postcoloniales dans des « études transcoloniales [57] » afin d’aboutir à une histoire comparée des littératures postcoloniales d’expression européenne, dans un projet résolument comparatiste qui mettrait en valeur les effets de transculturalité et d’hybridité. D’un point de vue épistémologique, la méthodologie comparatiste est désormais invitée à combiner les théories, dont celles émanant des études culturelles : « il me semble que les combinaisons de théories (le « bricolage »), ou les théories qui favorisent une approche de la complexité sont mieux adaptées au “pluri-objet”, en d’autres termes aux objets connectés ou mis en réseau de la littérature comparée », écrit Françoise Lavocat [58] . Et, de fait, l’élargissement des objets (et des sujets) entraîne une hybridation des méthodologies de la littérature comparée, ce qui oblige la discipline à repenser la cohérence de ses parcours épistémologiques de plus en plus complexes.

Les études culturelles rejoignent les études postcoloniales et subalternistes par leur approche de la culture en tant que relation de pouvoir, de domination, de subversion, délimitant les aspects occultés par les discours sociaux hégémoniques et démontant les hiérarchies imposées par les idéologies tels le patriarcat, l’impérialisme ou l’État-nation. Elles mettent au jour les systèmes de valeurs véhiculés par une culture tout en montrant comment « les représentations qu’ils recèlent œuvrent à stimuler les processus de résistance ou d’acceptation du statu quo [59] » chez les groupes populaires, qu’ils réussissent à construire une identité collective agissante ou qu’ils sombrent dans une aliénation consentie. Dans l’Inde des années 1980, un collectif d’historiens indiens animé par Ranajit Guha crée les études subalternistes [60] , inspiré notamment par le penseur italien Antonio Gramsci, dont les analyses démontrent la capacité de l’élite dominante à conserver le pouvoir, non seulement par les moyens de répression politique, mais aussi par la manipulation de l’opinion publique afin d’obtenir l’acquiescement organisé des masses. L’hégémonie se réalise pleinement quand les masses reconnaissent comme leurs les idées et les valeurs véhiculées par certaines productions culturelles, qui servent en réalité les intérêts de ceux qui les dominent (Quaderni del carcere, 1947-1951). La cible du discours critique des subalternistes indiens, c’est le grand récit normatif de l’histoire européenne, allant de l’Ancien Régime au capitalisme industriel et à la modernité, récit imposé comme le paradigme dominant des sciences sociales et le modèle de référence implicite de l’historiographie universitaire [61] . Tous les peuples, quelle que soit leur diversité géographique et sociale, obéiraient à ce régime d’historicité propre à la modernité occidentale. Ranajit Guha cherche à démontrer l’existence, dans le peuple indien, d’une conscience politique élémentaire, antérieure à toute influence de discours venus de l’élite. Pour cela, il s’appuie sur la narration de l’histoire des mouvements jusque-là négligés comme les révoltes paysannes anticoloniales en Inde, qui n’étaient pas à son sens « pré-politiques », mais répondaient à un projet politique délibéré. Cette étude pose divers problèmes méthodologiques liés à l’absence d’archives directes venant des communautés paysannes et à l’intégration des traces écrites au sein des archives officielles, nécessairement suspectes et donc à déconstruire selon Gayatri Spivak [62] . Les archives coloniales requièrent, en effet, un autre mode de lecture, against the grain, « à contre-fil ».

À partir des années 1990, le groupe prend un tournant culturaliste et s’éloigne de l’inspiration marxiste des débuts, centrée sur le paradigme de la conscience du dominé, au profit de l’analyse des discours, influencée par les théories postmodernistes et postcoloniales [63] . Dans une posture caractéristique des études culturelles, les études subalternistes se donnent donc pour but d’opérer une relecture de l’histoire écrite par l’élite occidentalisée, de décentrer le regard – envisager l’histoire par le bas – et de penser des modalités de lutte anti-impérialiste non occidentales. Un concept-clé est celui d’agency, qui désigne la conscience et la capacité d’initiative des subalternes, la puissance du peuple à agir et, partant, une forme de résistance possible. Si les études subalternistes concernent avant tout les historiens, elles constituent un paradigme qui intéresse à la fois les études culturelles et la littérature comparée : elles concrétisent en tout cas un mouvement (théorique) qui naît dans la périphérie et va vers le centre. Et si Said a suscité le rapprochement entre études postcoloniales et littérature comparée, Gayatri Spivak a fait de même avec les études subalternistes, elle qui pose par ailleurs l’analogie des tissus-textes littéraire et historique dans l’analyse d’une nouvelle de Maswatha Devi qui met en scène Jashoda, mère de vingt enfants et nourrice de métier [64] . Parmi les comparatistes français, Cécile Kovácsházy est l’une des rares à avoir tenté d’appliquer la méthodologie subalterniste à un corpus littéraire dans son essai de HDR encore inédit, « Serpillières et mansardes. Le récit ancillaire européen du XIXe siècle à nos jours », où elle examine le personnage littéraire de la bonne et de la femme de ménage, mais aussi par ses recherches sur des champs littéraires mineurs comme les littératures tsiganes ou des écrivaines wallonnes ignorées du canon telle Madeleine Bourdouxhe.

Les études culturelles comme les études ethniques prennent leur source dans le melting pot devenu salad bowl des États-Unis, pays d’immigration qui forme un terrain propice pour les ethnic literatures, concept ignoré en France. Avec la multiplication des « groupes à trait d’union » (hyphenated-groups) – African-Americans, Asian-Americans, Arab-Americans, etc., elles connaissent même une véritable inflation. Les États-Unis possèdent ainsi une tradition ancienne avec les textes de l’émigration juive ou, plus récente avec les écritures minoritaires, afro-américaines ou amérindiennes, qui mettent en scène l’ethnicité. La littérature chicana est écrite par des Mexicains et plus largement des Latino-américains émigrés aux États-Unis, mais aussi nés dans ce pays, c’est-à-dire des émigrés de seconde ou même de troisième génération. Les littérature ethniques peuvent être apparentées à ce qu’on appelle ailleurs littératures migrantes ou de migration, celles des Haïtiens émigrés au Québec, des Turcs en Allemagne ou des « Beurs » en France avec comme emblème un modèle de réussite de la République française, le sociologue et romancier Azouz Begag. Ce domaine littéraire, interculturel et transnational, a dorénavant été pris en charge par la littérature comparée, parfois associée à la littérature dite francophone. Les études littéraires comparées, qui font désormais partie de l’étude des diaspora et des « migration studies », tirent leur spécificité de leur analyse des relations entre le contexte migratoire et les représentations littéraires – les effets de poétique –, dans un espace mondialisé [65] .

Gender studies/ études de genre

Dans les actes du congrès de la SFLGC de Dijon dédié aux « Études culturelles », une section est consacrée à la catégorie « Sexe, genre, études féminines ». Dans son article « Du culturel dans les études de genre [66] ? », Anne Tomiche précise qu’études de genre et études culturelles ne sont ni solubles ni incluses les unes dans les autres, mais qu’elles comportent un certain nombre d’intersections, dont la notion de culture. Elle évoque l’opposition entre essentialistes, pour qui la différence sexuelle est une donnée de la nature, et constructionnistes pour lesquels cette différence s’inscrit dans des pratiques socio-culturelles. La culture serait même omniprésente car s’il est acquis que le genre est une construction sociale, des féministes comme Monique Wittig montrent que le sexe est également la production culturelle d’une société hétéronormative, qui agit par une série de discours, scientifique, métaphysique ou politique. Le langage lui-même par sa catégorisation grammaticale du genre institue une asymétrie dans la langue entre un universel, non marqué, le masculin, et un féminin doté d’une marque spécifique. Sur le modèle des études culturelles, les gender studies se sont progressivement étendues à tous les domaines des sciences humaines et sociales en conservant une de leurs caractéristiques fondamentales : l’interdisciplinarité.

Les études de genre développent une critique qui vise à déconstruire toutes les assignations essentialisées (identité, binarisme des sexes, fatum biologique…) et rencontrent les études postcoloniales sur des terrains qu’elles partagent à l’intersection des rapports entre littérature et politique : les modalités de la représentation, la question de la voix – de porte-parole –, les processus de marginalisation ou encore la résistance à l’hégémonie. Les gender studies se sont également inspirées des subaltern studies et les travaux de Gayatri Spivak font autorité dans le domaine. Son article « Can the Subaltern speak ? » est devenu un classique par son interrogation sur la capacité de la femme subalterne à trouver un espace d’expression et à être entendue, sur les processus qui la réduisent au silence, en fait, sur son agency (sa puissance d’agir). Archétype de la subalterne, la femme indigène a subi une double colonisation, impériale et patriarcale, expliquent Kirsten Holst-Petersen et Anna Rutherford dans A Double Colonization : Colonial and Post-Colonial Women’s Writing (Aarhus, Dangaroo, 1985). Il s’agit alors non seulement de modifier l’équilibre des pouvoirs en place, mais d’« empower » la femme incapacitée (« disempowered »), de la faire prendre conscience de ses « pouvoirs » – au triple sens de capacité, de puissance et d’instances d’action ou de décision. Par ailleurs, les féministes postcoloniales contestent l’« universalisme » du féminisme blanc et occidental qu’elles aspirent à « provincialiser » et visent à lire l’oppression des femmes à l’intersection du racisme, de la colonisation et du patriarcat pour renverser l’universalisme et aboutir à des approches localisées [67] .

Les études de genre s’articulent aisément à la littérature comparée comme les prouvent les travaux d’Anne Tomiche [68] à partir des mouvements d’avant-garde du premier xxesiècle, courants essentiellement masculins, mais qui tiennent un discours sur le féminin et entretiennent des liens avec les mouvements féministes qui leur sont contemporains. Passant du féminin au masculin, Anne-Isabelle François interroge la formation de la masculinité dans les œuvres des Inklings [69] , en particulier de C. S. Lewis et J. R. R. Tolkien. Ces mondes possibles de la fantasy élaborent des constructions centrées sur l’entre-soi masculin tout en générant des usages où les « fans », réunis en communauté, construisent leur propres « fictions du masculin ». L’ouvrage qu’Anne-Isabelle François co-dirige avec Patrick Farges et Maxime Cervulle, Marges du masculin : exotisation, déplacements, recentrements [70] , croise études culturelles, études de genre et littérature comparée pour examiner un corpus d’œuvres filmiques, télévisuelles et littéraires des XXet XXIsiècles – on va de Jean Dujardin à Bernard Banoun en passant par Marlène Dietrich et Winfried Georg Sebald – et mettre au jour les processus de décentrements et de recentrements de la masculinité qui se déploient au cœur de la fiction.

La problématique queer (détournement d’un terme d’insulte homophobe) n’est pas très différente de la précédente et cherche à se déplacer des savoirs dominants vers une multiplicité de savoirs marginaux ou dissidents. Nées après la parution de l’ouvrage d’Eve Sedgwick, The Epistemology of the Closet (Berkeley, University of California Press, 1990), les études queer ont évidemment des points de rencontre avec les LGBT studies (études lesbiennes, gay, bisexuelles et trans-genres) et concrétisent le goût des études culturelles pour la défense des minorités, en l’occurrence sexuelles [71] . Elles amplifient l’effet communautaire tout en radicalisant le caractère militant de leur démarche, même si l’engagement tend parfois à être noyé dans un méta-discours global, déconnecté des actions concrètes fondatrices de la théorie queer. À l’instar de la démarche des études culturelles, l’objectif des études queerest de déconstruire les essentialismes et de proposer une nouvelle approche des notions d’identité et d’altérité, se fondant, entre autres, sur un refus des assignations identitaires figées et des binarismes réducteurs (homosexuel/hétérosexuel, masculin/féminin, nature/ culture). Contre la pensée « straight [72] », la théorie queer réaffirme leconcept crucial de différence tout en attaquant inlassablement les résidus de monovalence et l’essentialisme impensé qui les accompagne. La sexualité et ses déviances sont souvent associées à une forme de théâtralité qu’il s’agisse des schèmes de l’érotisme bourgeois aux XIXet XXe siècles [73] ou de la théorie de la performance développée par Judith Butler : l’identité queer se fait en répétant les actions, les actes et les comportements qui vont former cette identité [74] . Le drag queen, qui disjoint spectaculairement sexe et genre, sursignifiant les codes du féminin et du masculin, ne doit pas conduire à penser que la politique queer se résoudrait en une esthétique car elle débouche en fait sur une éthique, qui propose des modèles de formations nouvelles du sujet tout en dévoilant les modalités d’institution des normes.

Les effets contestataires et subversifs des études queer peuvent rejoindre le potentiel de défamiliarisation propre à la démarche comparatiste [75] , qui travaille la confrontation entre des textes et contextes divers sans chercher à ramener l’inconnu au connu, mais l’application de la théorie queer à un corpus littéraire connaît un succès bien plus important dans le monde anglophone qu’en France. Et comme pour les études postcoloniales, ce sont souvent des Britanniques ou des Américains issus des French Studies qui abordent des corpus francophones, à l’image de James Day qui a édité Queer Sexualities in French and Francophone Literature and Film, ouvrage collectif qui contient un article d’un des rares spécialistes français de la question, Pierre Zoberman [76] . Cet engouement peut s’expliquer par le fait qu’une forme de censure puritaine s’est longtemps exercée sur les littératures britannique et américaine davantage que sur la littérature française, même si la société française décrite dans les romans est hétéronormative. Confrontés à la technologie corrective, à l’« orthopédie » morale et sociale imposée par la société anglaise post-victorienne, Virginia Woolf et Edward Morgan Forster, par exemple, donnent à voir des désirs déviants puissamment dissimulés sous un discours écran. Ainsi, l’expression de l’homosexualité, féminine ou masculine, se lit en creux dans les ellipses ou les ruptures de l’écriture moderniste. L’écriture se travestit, dérive de l’orthodoxie en minant le décor monumental de la capitale impériale qu’est Londres ou en entremêlant des motifs homoérotiques aux codes du roman anglo-indien et à l’exotisme. Il faut dire que l’histoire impériale a pu se lire en termes sexuels : mainmise masculine de la métropole sur la colonie féminisée, culte de la virilité et interdit absolu de l’homosexualité.

Media studies/ Étude des médias

La définition de Franck Rebillard peut servir de point de départ : « L’étude des médias s’intéresse aux formes, aux significations, aux modalités de production et de réception, au contexte historique et aux enjeux politiques des contenus d’actualité diffusés par voie imprimée, audiovisuelle ou numérique [77] ». Ce type d’études se retrouve dans les « media studies » anglo-saxonnes ou dans les « sciences de l’information et de la communication [78] » françaises. Consacrées comme discipline universitaire dans les années 1970, les sciences de l’information et de la communication partagent avec les études culturelles un intérêt pour l’analyse des discours, les nouveaux médias, la communication organisationnelle et interpersonnelle. Les études de médias peuvent aussi concerner certaines branches de la sociologie ou des sciences du langage. Les études culturelles et les études de médias ont des zones de recoupement esquissées par l’article de synthèse de Laurent Martin, selon lequel les media studies fonctionnent sur un modèle théorique qui combine les sciences sociales, l’économie politique et un fonctionnalisme structurel [79] . La principale contribution des études culturelles aux études de médias a été, selon lui, de proposer des méthodes de traitement qualitatif de la question des publics, de la réception ou des audiences. Cet apport d’un modèle qualitatif se traduit par le rejet du paradigme des « effets » au profit de celui des « usages ».

Le cinéma est souvent associé à l’étude des médias dans les départements de « Film and media studies » des universités du monde anglophone. En France, les rapports entre littérature et cinéma sont étudiés par plusieurs disciplines – études cinématographiques, lettres françaises ou étrangères, langues – et aussi en littérature comparée comme le prouvent, entre autres, les travaux de Claude Murcia, Jeanne-Marie Clerc ou Jean Cléder [80] . Ce type d’étude s’est longtemps focalisé sur la problématique de l’adaptation, impliquant une relation ancillaire du cinéma par rapport à l’œuvre littéraire adaptée, mais la situation a évolué car s’est créé « un nouveau rapport du cinéma à la littérature, qui passe par l’appropriation et la création d’un objet autonome affranchi des liens hiérarchisés avec le texte-source et libéré du pacte de fidélité qu’une nouvelle épistémologie a contribué à rendre obsolètes [81] ». Les aspects les plus souvent examinés concernent les phénomènes d’influence, les questions de poétique, les transferts sémiotiques ou les processus d’intermédialité. Le film Hiroshima mon amour, sorti sur les écrans en 1958, qui est le fruit d’une collaboration originale entre le cinéaste Alain Resnais et l’écrivaine Marguerite Duras, apparaît comme une œuvre totale empruntant à tous les langages selon Jean-Marie Clerc, qui utilise le terme de « parallèle » pour mettre en relation littérature et cinéma, sauf que les parallèles ont fini par se rejoindre [82] . Les études cinématographiques pourraient aussi trouver leur place dans un domaine comme les visual studies – traduit en français par « études visuelles » ou « cultures visuelles » –, manifestation de la prédominance d’un régime scopique et signal d’un « iconic turn » remettant en cause le paradigme du langage. Ce champ se trouve à la confluence des études culturelles, de l’histoire de l’art, de la théorie littéraire et des sciences et, à ce titre, peut concerner le comparatisme dans la mesure où il s’intéresse à la culture visuelle, regroupant à la fois les images matérielles ou manufacturées, les représentations mentales et sociales voire les paysages épistémiques tout en interrogeant les rapports entre le visible et le social et le politique [83] . La conception élargie de l’image coïncide avec un refus d’établir une hiérarchie esthétique, posture caractéristique d’une épistémologie fondée sur la notion de culture à l’instar des études culturelles. Ce domaine encore neuf en France peut inclure la photolittérature, qui réfléchit sur les interactions entre littérature et photographie, débordant le simple phénomène de l’illustration pour examiner la rivalité née au xixesiècle entre deux formes d’expression artistique au statut asymétrique, le médium photographique souffrant d’un déficit de légitimité. Jean-Pierre Montier [84] avertit qu’il s’agit de dépasser la « démarche comparatiste traditionnelle » entre ce qui constituerait deux types de langage pour aborder le genre de manière spécifique et envisager la photographie comme prisme métaphorique afin d’étudier les échanges symboliques qui s'opèrent avec le discours et les modes de représentation littéraires. L’étude des images et du regard, la constitution des imaginaires personnels ou sociaux, les transports métaphoriques – la métaphore est une figure de la relation par essence comparatiste – entre univers culturels constituent bien des objets de la littérature comparée, qui ne se réduit pas à une addition de ressemblances et de différences [85] .

Le rapport avec les médias reste à inscrire dans le champ de la littérature comparée car lire et écrire se font désormais dans un contexte influencé par les nouvelles technologies de communication. Il faut rappeler le rôle joué par un comparatiste de renom, Robert Escarpit, qui participa (avec Roland Barthes et Algirdas Julien Greimas) au congrès fondateur de la discipline des sciences de l’information et de la communication en 1972, qui deviendrait deux ans plus tard la 52e section du Comité Consultatif des Universités, ancêtre du Conseil National des Universités. Il dirigea d’ailleurs des thèses sur la place du lecteur dans le texte s’inspirant de « l’écriture de la lecture » de Roland Barthes [86] et des travaux de Richard Hoggart. Différemment des approches sémiotiques du « lector in Fabula » d’Umberto Eco, Robert Escarpit vise le lecteur physique, matériellement investi dans la lecture [87] . Au-delà des études traditionnelles sur l’intermédialité, concept forgé au début des années 1960 par Jürgen Ernest Müller à partir de la notion d’intertextualité, ou sur la correspondance entre les arts [88] , Béatrice Jongy développe la notion d’automédialité qu’elle emprunte à des chercheurs allemands pour désigner la construction du sujet autobiographique à la fois dans l’écrit, l’image et les nouveaux médias [89] . Ce contexte fait émerger la problématique du rapport de la littérature avec les médias de communication, le numérique et les réseaux sociaux, à commencer par la pratique de la numérisation des livres. Les écrivains contemporains communiquent désormais largement par ces moyens [90] – écrire est un acte social – et usent des mondanités digitales, qu’il s’agisse de personnalités aussi différentes que Salman Rushdie, Alain Mabanckou ou Amélie Nothomb. Par ailleurs, les médias jouent un rôle important dans la fabrique de la fiction des romans de Bret Easton Ellis, Jean Echenoz ou In Koli Jean Bofane et son Congo Inc. Le testament de Bismarck (2014), dans lequel Google remplace avantageusement le bouche à oreille traditionnel ou le « téléphone arabe » pour retrouver quelqu’un dans le labyrinthe du Grand Marché de Kinshasa. Quant à la littérature, elle est aussi numérique, interactive, multimédia et se construit à partir d’un hypertexte électronique, un réseau quasi infini de liens tissé par le cyberspace. En interaction avec la toile, l’écriture fictionnelle peut devenir collective et collaborative, en tout cas donner corps à une littérature expérimentale [91] . Alexandre Gelfen montre comment le « microblogging », écriture de soi brève, fluide et asynchrone, a fait de Facebook ou de Twitter des lieux d’écriture littéraire en conduisant à des formes de contraintes expérimentales [92] . Les approches sociologiques de la lecture et de la littérature ne peuvent que gagner à recourir aux médias au sens large afin de quitter les espaces réservés à l’expression littéraire pour investir les lieux de dialogue de la société.

Pour illustrer les rapports entre littérature comparée et « film & media studies » on peut revenir à Dijon, le lieu du congrès originel sur les relations entre études culturelles et comparatisme et évoquer les travaux d’Henri Garric qui associe littérature, arts majeurs et arts mineurs dans une conception de la littérature comparée inspirée par les études culturelles et articulée aux questions politiques, sociales et anthropologiques. Son habilitation à diriger des recherches soutenue en 2013 « Déviances mineures de la littérature et des arts face aux configurations narratives et à l’absolu silencieux [93] » examine un corpus de différents médias modernes relevant des visual studies, comme le cinéma, le cinéma d’animation, la bande dessinée et les séries télévisées afin de construire une épistémologie du silence qui renvoie de manière paradoxale et en négatif aux sound studies [94] . Henri Garric établit ainsi un lien significatif entre silence et littérature mineure par le biais de la culture populaire, qui n’a guère voix au chapitre. La rencontre entre des œuvres hétérogènes, venues d’arts et de contextes culturels différents, conduit à une remise en cause des hiérarchies pré-établies et un déplacement des lignes de force du champ culturel.

Conclusion

Au-delà des différences entre les traditions britannique et nord-américaine, la première davantage tournée vers les stratégies de résistance culturelle des classes populaires, la seconde plus intéressée par les théorisations de l’expression culturelle des communautés, la méthodologie des cultural studies se fonde sur l’examen de la contribution des faits et des luttes culturels à la transformation de la société dans son ensemble. Le domaine le plus proche des études littéraires se situe dans les analyses stylistique, sémiologique et textuelle de la pop culture, liées à la French theory. Si les cultural studies ont eu du mal à s’implanter dans le champ académique hexagonal, c’est sans doute en raison d’une résistance française à tout ce qui est imposé par le monde nord-américain, d’une réticence au décloisonnement disciplinaire et, surtout, du sentiment de l’inutilité des études culturelles car une bonne partie du champ qu’elles recouvrent était occupée par des méthodologies spécifiques à l’université française.

L’intégration des études culturelles aux études littéraires comparées a été plus difficile en France qu’aux États-Unis en raison même du statut du littéraire et de l’acte de création qui conserve une place d’exception, ce qui entraîne une prééminence de la critique littéraire. Pour autant, la littérature comparée, discipline en perpétuelle redéfinition de ses objets et de son périmètre, volontiers ouverte aux méthodologies d’autres secteurs scientifiques, a intégré des pans entiers des études culturelles, qu’il s’agisse des études postcoloniales, études de genre ou des études de médias, même si le brassage des productions culturelles et artistiques issues de la culture savante et de la culture populaire reste encore limité à une minorité de chercheurs. Ces derniers n’hésitent pas à travailler sur des corpus mêlant soap operas, séries télévision, comics, films et (para)littérature, même si leurs analyses restent marquées par une approche stylistique et littéraire qui peut constituer le trait distinctif du comparatisme français au vu de son histoire.

Les évolutions récentes de la littérature comparée s’inscrivent dans les mutations de la globalisation, l’extension planétaire des échanges et des communications, la marchandisation des pratiques culturelles et une circulation mondialisée des flux du capital qui efface les frontières nationales au profit d’un système-monde. C’est à l’échelle du globe que se nouent les relations entre littérature comparée et études culturelles et c’est la planète elle-même qui peut fonder la rencontre des disciplines comme en témoigne un colloque interdisciplinaire organisé par Heike Harting, Simon Harel et Imen Boughatta à l’Université de Montréal en avril 2018 : « Études culturelles et littéraires planétaires : Nouvelles épistémologies et avenirs relationnels à l’ère de l’anthropocène [95] ». Le projet participe d’une volonté d’intégrer les études environnementales, l’écocritique aux humanités, notamment numériques, et de faire émerger un nouveau domaine de recherche qui vise à examiner les modalités par lesquelles les études culturelles et littéraires permettent de penser la vie planétaire, le chronotope de la planète et les relations humaines et non-humaines à l’ère de l’anthropocène. Cette planétarité globalisante mais soucieuse des localismes est une manière de rejouer l’universalité de la Weltliteratur goethéenne.

 

 

 

Bibliographie

  • Ouvrages

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    • Pouchepadass, Jacques, « Que reste-t-il des Subaltern Studies ? », Critique Internationale, 24, 2004, p. 67-79.
    • Rebillard, Franck, « L’étude des médias est-elle soluble dans l’informatique et la physique ? À propos du recours aux digital methods dans l’analyse de l’information en ligne », Questions de communication, n°20, 2011, p. 353-376.
    • Riffaterre, Michael, « On the complementarity of comparative literature and cultural studies » dans Charles Bernheimer (dir.), Comparative Literature in the Age of Multiculturalism, Baltimore et Londres, The Johns Hopkins University Press, 1995, p. 66-73.
    • Spivak, Chakravorty Gayatri, « Deconstructing Historiography » [1984], dans Ranajit Guha & Gayatri Chakravorty Spivak (dir.), Selected Subaltern Studies, Oxford & New Delhi, Oxford University Press, 1988, p. 3-32.

Notes

  • [1]

    Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, 2 vol., Dijon, Éditions du Murmure, 2010.

  • [2]

    En 1827, Goethe écrivait à Eckermann : « Le mot de littérature nationale ne signifie pas grand-chose aujourd’hui : nous allons vers une époque de littérature universelle (Weltliteratur), et chacun doit s’employer à hâter l’avènement de cette époque », Johann Wolfgang Goethe, Conversations avec Eckermann, traduction Jean Chuzeville, nouvelle édition revue et présentée par Claude Roëls, Paris, Gallimard, 1988, p. 206.

  • [3]

    Antonio Dominguez Leiva, « Les défis du comparatisme culturaliste », dans Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, op. cit., vol. 1, p. 55.

  • [4]

    Jean-Marc Moura, « Au-delà du postcolonial. Cultural Studies et Littérature comparée », dans Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, op. cit., vol. 2, p. 225-236.

  • [5]

    David Chaney, The Cultural Turn. Scenes-Setting Essays on Contemporary Cultural History, Londres & New York, Routledge, 1994.

  • [6]

    Stuart Hall, « L’émergence des Cultural Studies et la crise des humanités », dans Identités et culture. Politique des Cultural Studies, traduction Christophe Jacquet, Paris, Éditions Amsterdam, 2007, p. 63.

  • [7]

    Voir Daniel-Henri Pageaux, « Littérature générale & comparée et Anhtropologie », dans Alain Montandon (dir.), Littérature et anthropologie, revue Poétiques comparatistes, Paris, Société française de littérature générale et comparée, 2006, p. 20.

  • [8]

    David R. Shumway, « French Theory, English Departments, and Cultural Studies in the U.S. », dans Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), op. cit., vol. 2, p. 151.

  • [9]

    Entretiens avec Marie-Hélène Bourcier, François Cusset et Armand Mattelard par Bernard Darras, « Les études culturelles sont-elles solubles dans les Cultural Studies ? », dans Bernard Darras (dir.) Études culturelles & Cultural Studies, MEI n° 24/25, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 32.

  • [10]

    François Cusset, French Theory, Foucault, Derrida, Deleuze et Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis, Paris, La Découverte, 2003.

  • [11]

    Des années 1920 aux années 1960, l’École de Francfort a rassemblé un groupe d’intellectuels, dont Max Horkheimer, Theodor Adorno, Herbert Marcuse ou Erich Fromm, autour d’une « théorie critique » de la société moderne, perçue comme une entreprise de domination et d’aliénation.

  • [12]

    Raymond Williams, Keywords, Londres, Fontana, 1976, p. 80, cité et traduit par Antonio Dominguez Leiva, « Heur et malheur des études culturelles : Pour un nouveau culturalisme littéraire », dans Alain Montandon (dir.), Littérature et anthropologie, op. cit., p. 272.

  • [13]

    Stuart Hall et Tony Jefferson, Resistance through Rituals : Youth Culture in Post-War Britain, Londres, Hutchison Publications, 1976, p. 10, cités et traduits par Anne Chalard-Fillaudeau, Les études culturelles, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2015, p. 12.

  • [14]

    Voir l’étude de Dick Hebdige sur les mods, les rockers et les skin-heads des sixties, Sous-culture : le sens du style, traduction Marc Saint-Upéry, Paris, Zones, 2008 [Subculture : The Meaning of Style, 1979].

  • [15]

    Richard Hoggart, The Uses of Literacy : Aspects of Working Class Life, Londres, Chatto & Windus, 1957, traduction Françoise et Jean-Claude Garcias, La culture du pauvre : études sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Éditions de Minuit, « Le sens commun », 1970.

  • [16]

    Sébastien Hubier, « Faut-il avoir peur des études culturelles ? », dans Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, op. cit., vol. 1, p. 16.

  • [17]

    Voir John Guillory, Cultural Capital : The Problem of Lierary Canon Formation, Chicago, The University of Chicago Press, 1993 et Harold Bloom, The Western Canon. The Books and School of the Ages [1994], Londres, Macmillan, 1995.

  • [18]

    Sébastien Hubier, « Faut-il avoir peur des études culturelles ? », dans Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, op. cit., vol. 1, p. 17.

  • [19]

    Robert Miklitsch, From Hegel to Madonna : Towards a General Economy of Commodity Fetishism, Albany, NY, State University of New York Press, « Suny Series in Postmodern Culture », 1998.

  • [20]

    David Tetzlaff, « The Metatextual Girl: Patriarchy, Postmodernism, Power, Money, Madonna », dans Cathy Schwichtenberg (dir.), The Madonna Connection : Representationnal Politics, Subcultural Identities, and Cultural Theory, Boulder, Westview, 1993. La bibliographie sur Madonna est très importante, citons encore Georges-Claude Guilbert, Madonna as Postmodern Myth: How One Star’s Self-Construction Rewrites Sex, Gender, Hollywood, and the American Dream, Jefferson, N.C., McFarland, 2002.

  • [21]

    Michael Riffaterre, « On the Complementarity of Comparative Literature and Cultural Studies » dans Charles Bernheimer (dir.), Comparative Literature in the Age of Multiculturalism, Baltimore et Londres, The Johns Hopkins University Press, 1995, p. 66-73.

  • [22]

    Emily Apter, Against World Literature. On the Politics of Untranslatability, Londres et New York, Verso, 2013, p. 3.

  • [23]

    Edward Said, Humanism and Democratic Criticism, New York, Columbia University Press, 2004 ; Humanisme et démocratie, traduction Christian Calliyannis, Paris, Fayard, « Documents », 2005.

  • [24]

    Voir Pierre Brunel, Claude Pichois et André-Michel Rousseau, Qu’est-ce que la littérature comparée ?, Paris Armand Colin, 2000, p. 27-28.

  • [25]

    Armand Matterlard et Erik Neveu, Introduction aux cultural studies [2003], Paris, La Découverte, « Repères », 2008, p. 27-28.

  • [26]

    Ibid., p. 39.

  • [27]

    Paris, Éditions de Minuit, coll. « Paradoxe », 2005.

  • [28]

    Jan Baetens, « Études culturelles et études littéraires : pour un permanent aller-retour », Interférences Littéraires/Literaire Interferenties, n° 6, mai 2011, p. 185-195, p. 185.

  • [29]

    Philippe Chardin, « Faut-il avoir peur des études culturelles ? », dans Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, op. cit., vol. 1, p. 28.

  • [30]

    La bibliographie d’Alain Montandon est consultable sur son site : alainmontandon.fr 

  • [31]

    Citée par Antonio Dominguez Leiva et Sébastien Hubier dans le texte de présentation de la revue d’études culturelles française, http://etudesculturelles.weebly.com/

  • [32]

    Paris, PUF, coll. « Littératures européennes », 2004.

  • [33]

    Antonio Dominguez Leiva, « Comparatism Not Dead (Or Is It, After All ?) », dans Antonio Dominguez Leiva et Sébastien Hubier, Vers un nouveau comparatisme / Towards a new comparatism, 2012, http://etudesculturelles.weebly.com/nouveau-comparatisme.html, p. 12-13, dernière consultation le 26/07/2018. Dans le volume, on trouve aussi un article utile d’Anna Avaraki sur « Littérature Comparée et interdisciplinarité. Quelques réflexions sur les directions actuelles du comparatisme français et étatsuniens », p. 247-257.

  • [34]

    Ce qui n’est pas le cas selon Sébastien Hubier qui considère que tout ne se vaut pas, mais « que tout est digne d’être étudié », « Faut-il avoir peur des études culturelles ? », dans Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, op. cit., vol. 1, p. 22.

  • [35]

    Social Textest la revue de référence des études culturelles, publiée par Duke University Press depuis 1979. C’est dans cette revue que le physicien Alain Sokal avait réussi à publier en 1996 un article canular et parodique : « Transgressing the Boundaries : Towards a Transformative Hermeneutics of Quantum Gravity ».

  • [36]

    Antonio Dominguez Leiva, « Faut-il avoir peur des études culturelles ? », dans Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, op. cit., vol. 1, p. 11.

  • [37]

    C’est le sujet de l’ouvrage de Cristina Nehring, L’amour à l’américaine : une nouvelle police des sentiments, traduction Amélie Petit, Paris, Premier parallèle, 2015. Elle évoque outre La Tache de Philippe Roth, Disgrâce de J. M. Coetzee, Blue Angel de Francine Prose et les œuvres de David Lodge.

  • [38]

    Philip Roth, The Stain [2000], La Tache, traduction J. Kamoun, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2011, p. 252.

  • [39]

    Nous suivons leur argumentation, Armand Matterlart et Érik Neveu, op. cit., p. 74-75.

  • [40]

    Edmond Cros, « Sociologie de la littérature », dans Marc Angenot, Jean Bessière, Douwe Fokkema et Eva Kushner (dir.), Théorie littéraire. Problèmes et perspectives, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Fondamental », 1989, p. 128.

  • [41]

    Anne Chalard-Fillaudeau, op. cit., p. 124-129.

  • [42]

    Voir par exemple, Pascal Ory, L’Entre-deux-mai : Histoire culturelle de la France (mai 1968-mai 1981), Paris, Éditions du Seuil, 1983.

  • [43]

    François Martin et Sylvain Venayre (dir.), L’histoire culturelle du contemporain, Paris, CCIC & Nouveau monde, 2005.

  • [44]

    Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales ESC, n° 6, nov-dec 1989, p. 1505-1520.

  • [45]

    Voir Pascal Ory, L’histoire culturelle, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2011, p. 13-28.

  • [46]

    Voir Yves Clavaron (dir.), Études postcoloniales, revue Poétiques comparatistes, Paris, Société française de littérature générale et comparée, 2011.

  • [47]

    Antonio Dominguez Leiva, « Heur et malheur des études culturelles : Pour un nouveau culturalisme littéraire », dans Alain Montandon (dir.), Littérature et anthropologie, op. cit., p. 276.

  • [48]

    Voir Anne-Chalard-Filllaudeau, op. cit., p. 59-60. Anne Chalard-Filllaudeau consacre un tiers de son ouvrage aux études culturelles à l’allemande, les Kulturwissenschaften ou « sciences de la culture », p. 53 à 104.

  • [49]

    Texte de présentation de la revue d’études culturelles française en ligne, http://etudesculturelles.weebly.com/ par Sébastien Hubier et Antonio Dominguez Leiva.

  • [50]

    Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin, The Empire Writes Back. Theory and Practice in Post-Colonial Literatures[1989], Londres & New York, Routledge, 2002 ; L’Empire vous répond. Théorie et pratique des littératures post-coloniales, traduction Jean-Yves Serra et Martine Mathieu-Job, Presses Universitaires de Bordeaux, 2012.

  • [51]

    Gayatri Chakravorty Spivak, Death of a Discipline, New York, Columbia University Press, 2003. Elle veut que son livre soit lu comme « the last gasp of a dying discipline » (p. xii).

  • [52]

    Voir Edward Said, Culture and Imperialism [1993], Londres, Vintage, 1994 ; Culture et Impérialisme, traduction Paul Chemla, Paris, Fayard / Le Monde diplomatique, 2000.

  • [53]

    Voir Alec G. Hargeaves, Charles Forsdick, David Murphy (dir.), Transnational French Studies: Postcolonialism and Littérature-monde, Liverpoool, Liverpool University Press, 2010.

  • [54]

    Partha Chatterjee, The Nation and its Fragments: Colonial and Postcolonial Histories, Princeton, N. J., Princeton University Press, 1993.

  • [55]

    Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation[1996], traduction M. Abélès et F. Bouillot, Paris, Payot et Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2005, p. 71.

  • [56]

    Emily Apter, « Comparative Exile: Competing Margins in the History of Comparative Literature », dans Charles Bernheimer (dir.), op. cit., p. 86-96.

  • [57]

    Jean-Marc Moura, « Postcolonialisme et comparatisme », Bibliothèque de Littérature comparée, SFLGC, http://sflgc.org/bibliotheque/moura-jean-marc-postcolonialisme-et-comparatisme/ , dernière consultation le 02/05/2019.

  • [58]

    Françoise Lavocat, « Le comparatisme comme herméneutique de la défamiliarisation », Bibliothèque de Littérature comparée, SFLGC, http://www.vox-poetica.org/t/articles/lavocat2012.html#_ftn7, dernière consultation le 4/08/ 2018.

  • [59]

    Voir Armand Matterlard et Erik Neveu,op. cit., p. 37.

  • [60]

    Le groupe a produit six volumes intitulés Subaltern Studies : Writings on South Asian History and Society, publiés dans les années 1980 puis réédités dans les années 1990 aux Oxford University Press à New Delhi.

  • [61]

    Voir la synthèse de Jacques Pouchepadass, « Que reste-t-il des Subaltern Studies ? », Critique Internationale, 24, 2004, p. 67-79.

  • [62]

    Gayatri Spivak, « Deconstructing Historiography » [1984], dans Ranajit Guha & Gayatri Chakravorty Spivak (dir.), Selected Subaltern Studies, Oxford & New Delhi, Oxford University Press, 1988, p. 3-32.

  • [63]

    Voir David Ludden (dir.), Reading Subaltern Studies: Critical History, Contested Meaning and the Globalization of South Asia, Londres, Anthem, 2002.

  • [64]

    Gayatri Chakravorty Spivak, « A Literary Representation of the Subaltern: Mahasweta Devi’s “Stanadayini”» a été repris en 1987 dans In Other Worlds: Essays in Cultural Politics (Routledge, p. 241-268), qui a été traduit par Françoise Bouillot, En d’autres mondes, en d’autres mots. Essais de politique culturelle, Paris, Payot, 2009.

  • [65]

    Voir sur le sujet Crystel Pinçonnat, Endofiction et fable de soi. Écrire en héritier de l’immigration, Paris, Classiques Garnier, coll. « Perspectives comparatistes », 2016.

  • [66]

    Anne Tomiche, « Du culturel dans les études de genre ? », dans Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, op. cit., vol. 2, p. 103-111.

  • [67]

    Voir Adrienne Rich, « Notes Towards a Politics of Location », dans Lewis Reina and Mills Sara (dir.), Feminist Postcolonial Theory : A Reader [1984], New York, Routledge, 2003, p. 29. Sur l’intersectionnalité des oppressions qui pèsent sur la femme, voir Kimberlé Williams Crenshaw, « Cartographie des marges : Intersectionnalité, politiques de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du genre, 2-39, [1991] 2005, p. 51-82.

  • [68]

    Voir l’ouvrage qu’elle a dirigé avec Pierre Zoberman, Littérature et identités sexuelles, revue Poétiques comparatistes, Paris, Société française de littérature générale et comparée, 2007.

  • [69]

    Les Inklings sont un cercle littéraire informel lié à l’université d’Oxford, actif dans les années 1930 et 1940.

  • [70]

    Anne-Isabelle François, Patrick Farges et Maxime Cervulle (dir.), Marges du masculin : exotisation, déplacements, recentrements, Paris, L’Harmattan, coll. « Identités, Genres, Sexualités », 2015.

  • [71]

    La première critique à avoir utilisé le terme « queer » est Teresa de Lauretis dans un article intitulé « Queer Theory : Lesbian and Gay Sexualities : An Introduction » et publié dans la revue Differences, A Journal of Feminist Cultural Studies, vol. 3, n° 2, Summer 1991, p. iii-xviii.

  • [72]

    Voir Monique Wittig, La Pensée straight, Paris, Balland, 2001.

  • [73]

    Voir Sébastien Hubier, « Pour une archéologie culturelle de l’érotisme bourgeois », dans Antonio Dominguez Leiva, Sébastien Hubier, Philippe Chardin et Didier Souiller (dir.), Études culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme, op. cit., vol. 2, p. 89-102.

  • [74]

    Judith Butler, Gender Trouble, Feminism and the Politics of Subversion, Londres & New York, Routledge, 1990, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, traduction Cynthia Kraus, Paris, La Découverte, 2005.

  • [75]

    Voir Françoise Lavocat, art. cité.

  • [76]

    Amsterdam et New York, Rodopi, 2007. L’article de Pierre Zoberman, « A Modest Proposal for Queering the Past: A Queer Princess with a Space of her Own » se situe p. 35-50.

  • [77]

    Franck Rebillard, « L’étude des médias est-elle soluble dans l’informatique et la physique ? À propos du recours aux digital methods dans l’analyse de l’information en ligne », Questions de communication, n° 20, 2011, p. 353-376.

  • [78]

    Voir Robert Boure (dir.), Les origines des sciences de l’information et de la communication : regards croisés, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002.

  • [79]

    Laurent Martin, « Culture et médias : quelles approches aujourd’hui ? », Le Temps des médias, 2009/1, n° 12, p. 261-277. Il évoque le bestseller de l’édition universitaire, le manuel de Richard Campbell, Christopher Martin et Bettina G. Fabos, Media & Culture : an Introduction to Mass Communication, Boston, Bedford / Saint Martin’s, 2002.

  • [80]

    Claude Murcia, Nouveau roman, nouveau cinéma, Paris, Nathan Université, coll. « 128 », 1999 ; Jeanne-Marie Clerc et Monique Carcaud-Macaire, L’adaptation cinématographique, Paris, Klincksieck, coll. « 50 questions », 2004 ; Jean Cléder, Entre littérature et cinéma. Les affinités électives, Paris, Armand Colin, 2012.

  • [81]

    Claude Murcia, « Littérature et cinéma : ébauche d’un état des lieux », dans Anne Tomiche et Karl Zieger (dir.), La Recherche en Littérature générale et comparée en France en 2007, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2007, p. 133.

  • [82]

    Voir les analyses de Jeanne-Marie Clerc, « Où en est le parallèle entre cinéma et littérature ? », Revue de littérature comparée, vol. 298, n° 2, 2001, p. 317-326.

  • [83]

    Voir Maxime Boidy, Les études visuelles, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2017.

  • [84]

    Jean-Pierre Montier, Transactions photolittéraires, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2015. Voir aussi la Revue internationale de Photolittérature en ligne et son premier numéro publié en 2017, Ut photographia poesishttp://phlit.org/press/?post_type=numerorevue&p=2786 , dernière consultation le 14/08/2018. Jérôme Dutel est un des rares comparatistes français à avoir abordé ce sujet.

  • [85]

    Voir par exemple Massimo Fusillo, « Hybrid Transitions. Comparative Literature and Visual Culture », Revue de littérature comparée, n° 348, 2013/4, p. 413-421.

  • [86]

    Roland Barthes, « Écrire la lecture », dans Le Bruissement de la langue, Paris, Éditions du Seuil, 1984, p. 34.

  • [87]

    Voir le bilan de Jean-François Tétu, « Sur les origines littéraires des sciences de l’information et de la communication », dans Robert Boure (dir.), Les origines des sciences de l’information et de la communication : regards croisés, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « « Communication », 2002, p.71-93.

  • [88]

    Yves-Michel Ergal et Michèle Finck (dir.), Littérature comparée et correspondance des arts, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, coll. « Configurations littéraires », 2014.

  • [89]

    Voir Jörg Dünne & Christian Moser (dir.), Automedialität. Subjektkonstitution in Schrift, Bild und neuen Medien, Munich, Fink, 2008. Béatrice Jongy consacre un numéro de la revue d’études culturelles à L’automédialité contemporaine, n° 4, 2008, http://etudesculturelles.weebly.com/automeacutedialiteacute.html, dernière consultation le 26/07/2018.

  • [90]

    Voir, par exemple, Serge Tisseron, L’Intimité surexposée, Paris, Ramsay, 2001 ou Philippe Lejeune, « Cher écran… », Paris, Éditions du Seuil, 2001.

  • [91]

    Voir sur le sujet l’article de Covadonga Lopez Alonso, « À la recherche d’un statut. Les textes électroniques sont-ils un genre mineur ? », dans Béatrice Rodriguez et Caroline Zekri (dir.), La notion de « mineur » entre littérature, arts et politique, Paris, Michel Houdiard Éditeur, 2012, p. 111-126.

  • [92]

    Alexandre Gefen, « Ce que les réseaux font à la littérature », Itinéraires, n° 2, 2010, p. 155-166.

  • [93]

    Voir la version publiée : Henri Garric, Parole muette, récit burlesque : les expressions silencieuses aux xixe-xxesiècles, Paris, Classiques Garnier, coll. « Perspectives comparatistes », série « Modernités et avant-gardes », 2015.

  • [94]

    Philippe Le Guern. « Sound studies. Sons de l’histoire et histoires du son », Revue de la BNF, vol. 55, n° 2, 2017, p. 21-29. Voir aussi Michael Bull (dir.), Sound studies: Critical Concepts in Media and Cultural Studies, 4 volumes, Londres, Routledge, 2013 (une somme de 1576 pages !).

  • [95]

    Voir le texte d’appel : https://nouvelles.umontreal.ca/article/2018/04/17/etudes-culturelles-et-litteraires-planetaires/, dernière consultation le 7/08/2018.

Pour citer cet article

Yves Clavaron, "Littérature comparée et études culturelles", Bibliothèque comparatiste, n. 13, 2020, URL : https://sflgc.org/bibliotheque/clavaron-yves-litterature-comparee-et-etudes-culturelles/, page consultée le 24 Novembre 2024.