Agrégation
ARTICLE
« Rien ne m’intéresse tant au monde que la façon
dont on passe d’une chose à une autre. », (I, 8). [1]
Dans L’Homme difficile (1921) [2] Hofmannsthal met en scène « l’éternelle antinomie de la parole et de l’action, de la connaissance et de la vie » [3] en exploitant le dispositif théâtral pour interroger les formes contemporaines des problèmes de l’intention. La comédie déplace le thème de la misanthropie d’une question de personnage, tournant autour du caractère du misanthrope, vers une réflexion articulant situations et langage. L’auteur avait pensé aux titres de « L’homme sans intentions », « Les difficiles » ou « Les Malentendus » [4] , pour cette pièce d’emblée paradoxale, comédie légère sur le thème de la difficulté, mise en scène d’une action toujours différée par l’inflation d’un discours discrédité mais omniprésent.
Inspirée du Misanthrope de Molière, elle est néanmoins l’unique pièce de l’auteur dont l’action est contemporaine de sa réalisation. Les règles de la dramaturgie classique sont respectées et la comédie tourne autour d’un traditionnel enjeu matrimonial. Pourtant à ce sujet apparent de la pièce, annoncé dès la première scène par le nouveau domestique Vincenz comme « le point essentiel » [5] , s’ajoute à la scène deux le thème des « malentendus chroniques » [6] invoqués par le héros Hans Karl Bühl pour expliquer ses réticences à se rendre à la soirée des Altenwyl. Les enjeux liés à la soirée et au mariage vont se superposer dans une dramaturgie complexe qui fait des retards de l’action son ressort principal pour mieux tisser ensemble les questions de la misanthropie et du langage. Cette intrigue de salons et de conversations est exposée au sein d’une société virtuelle qui n’a plus d’existence qu’au théâtre, la guerre ayant balayé dans la réalité cette vieille société aristocratique viennoise.
Le personnage de Hans Karl Bühl est une figure liée à un monde en train de disparaître. Hofmannsthal opère une mise à distance critique du modèle de Molière et un remaniement moderne de la question de la misanthropie. Il mène une réflexion d’ensemble sur les causes et les conséquences de ce mal collectif qui a mené à la dislocation de l’Empire austro-hongrois et à la première guerre mondiale. Sur la scène de la comédie, le misanthrope devient un personnage plus complexe et ambivalent, le titre de l’« homme difficile » suggérant déjà une extension de la misanthropie et une difficulté de la condition humaine. Dans cette triple perspective, historique, esthétique et éthique, le personnage d’Hans Karl Bühl constitue un symptôme de la crise de la civilisation agitant l’Europe, à la fois dernier représentant d’une classe et avatar d’un questionnement, sans cesse remanié par Hofmannsthal, sur les rapports entre le dire et le faire, le langage, l’indicible et le silence. Le point de vue historique est adopté de manière « inactuelle » [7] en tentant de cerner un enjeu qui n’est pas en lui-même spécifiquement moderne, mais dont la forme contemporaine est particulièrement alarmante pour le présent et l’avenir. La comédie de L’Homme difficile expose le problème de la nature double et duelle du langage, elle s’interroge sur le devenir de cette ambivalence entre contradiction, duplicité et métamorphose. Ainsi elle pose en même temps la question de la continuité et de la discontinuité entre langage et action et prête une attention exacerbée à la manière « dont on passe d’une chose à une autre ».
I) De « l’homme difficile » à la conscience de la difficulté
Dans les pièces au programme, c’est chez Hofmannsthal que la figure du misanthrope est la plus éloignée de sa filiation littéraire. Le lien entre misanthropie, humeur et pathologie fait l’objet de déplacements subtils. L’humeur en demi-teinte de « l’homme difficile » est marquée par l’élégance et le raffinement que le lexique autrichien et les termes français germanisés apportent à la pièce. Cette atténuation des fureurs traditionnelles du misanthrope est remplacée par la force dramaturgique des intermittences du personnage et des situations imbriquées qui en découlent. La facture classique de la pièce est discrètement mais sûrement subvertie de l’intérieur par les incongruités du personnage, les jeux de double, les conversations inachevées ou enchevêtrées. Le ressort comique découle directement de ce paradoxe, toute la pièce tournant autour du décalage entre la nature (Wesen) et la fonction du personnage mais aussi du langage lui-même. La misanthropie est avant tout une question de langage parce que celui-ci fonctionne sur un contrat implicite de reconnaissance de la communauté humaine, inscrit dans la construction du sujet avant tout « contrat social » [8] . C’est par le langage que le sujet accède à la possibilité de nommer les choses et d’être nommé, sortant du solipsisme et maniant l’héritage de la langue. Garant de l’identité, le langage est aussi le gardien de la différence, entre les mots et les choses, soi et autrui, le vécu et le sens, l’intention et l’expression. Paradoxalement le misanthrope, qui fuit la communication avec les autres au nom des malentendus chroniques, se définit d’abord comme un être de langage. Lui demandant d’être l’agent et le lieu d’une compréhension immédiate, il se méprend sur la nature du langage et lui attribue une fonction idéale, dont l’impossibilité entraîne son désir d’abolir les mots au profit d’une parole authentique. Cette méprise est au cœur du conflit du personnage et du comique dramaturgique. De plus, le jeu sur l’écart entre la nature et la fonction du langage acquiert une résonance démultipliée sur la scène théâtrale où chaque personnage est avant tout un être de langage. Le misanthrope met en question le principe même de la communication théâtrale fondée sur la double énonciation et les différents niveaux de signification. Il représente sur la scène le rapport du langage à la théâtralité et le conflit interne au langage entre dire et vouloir dire.
Le héros est d’autant plus recherché par les autres personnages qu’il développe des stratégies d’évitement et joue un rôle qu’il ne peut assumer. N’arrivant pas à quitter la société, il y reste à son corps défendant, constituant la meilleure incarnation du décalage entre langage et action et des malentendus qu’il incrimine chez les autres. La position centrale du paradoxe dans la pièce s’exprime chez le héros par une manière d’envisager successivement différents possibles sans en réaliser aucun et une tendance à la surinterprétation chez les autres personnages. Le héros Hans Karl est décrit à la scène 2 de l’acte I par sa sœur Crescence dans un portrait diffracté qui propose plusieurs interprétations de son « caractère insupportable » et de ses conséquences sociales :
[…] Allons Kari, finissons-en avec ce caractère insupportable, cette inconstance, cette indécision qui font que l’on doit se battre à couteaux tirés avec ses amis parce que l’un vous traite d’hypocondriaque, l’autre de rabat-joie, et que le troisième parle de vous comme d’un homme sur lequel on ne peut pas compter. [9]
Les personnages cherchent tous à se lire les uns les autres « comme dans un livre » [10] , la misanthropie se focalisant sur les enjeux de compréhension. En cela, elle révèle la misanthropie de chacun, l’incapacité à entendre [11] autrui et d’abord soi-même. Comme revendication excessive de la distance nécessaire entre soi et les autres, elle signale un dérèglement généralisé du rapport entre usage du langage et situation de communication. Les interprétations que les personnages ne cessent de formuler les uns sur les autres ne servent que très peu la communication et sont plutôt des obstacles à la compréhension qu’autre chose. Hofmannsthal se plaît à montrer au spectateur comment s’alimentent les blocages de la communication en mettant en évidence, à leur insu, les erreurs d’interprétation des personnages. C’est en croyant être clairvoyant qu’on s’illusionne le plus, à la manière d’Antoinette qui dit toujours très bien comprendre Hans Karl au moment même où elle se méprend, pensant qu’il veut épouser Hélène alors qu’il cherche encore à plaider la cause de son neveu [12] . Ce n’est pas la moindre des ironies qu’Antoinette, tout en entendant mal ce que lui dit Hans Karl, soit finalement sur la bonne piste, devinant les intentions que le héros ne s’est pas encore avouées à lui-même. De même à la fin, Stani croit que tout lui devient « clair comme deux et deux font quatre » [13] alors que son interprétation autocentrée est faussée. Le traitement de la misanthropie dans la pièce permet de montrer un écart entre le misanthrope comme figure théâtrale et la misanthropie comme donnée ontologique et dramaturgique qui constitue l’envers du narcissisme dénoncé par Hofmannsthal. Dans Gestern, il mettait déjà en scène ce problème de la projection de soi sur l’autre qui discrédite toute tentative de communication : « La vie n’est que l’errance muette et sans fin / De millions d’êtres qui ne se comprennent pas / Et si par hasard deux regards se croisent / Chacun ne voit que soi dans les yeux de l’autre » [14] . Avant de renvoyer à un contenu, le langage exprime d’abord une communicabilité [15] . La scène de la comédie est pour Hofmannsthal le lieu et le moyen d’une expérimentation sur les conditions de possibilité de la communication.
Hans Karl est donc une sorte de héros malgré lui, se refusant à prendre la situation en main, à trouver sa place et y étant forcé par un concours de circonstances. Feignant d’ignorer qu’il est parti prenante, comme au début de la comédie lorsque Crescence le questionne sur son intérêt pour Hélène, il ne s’engage « qu’à contrecœur » [16] et semble se retrouver à son insu au centre des attentions. Pourtant l’ensemble de la pièce montre bien que ses refus sont autant de demandes et d’attentes inversées. Ne cessant de réclamer d’être laissé à l’écart de la scène sociale et des jeux du langage [17] , c’est un mauvais joueur. Il ne respecte pas les règles du jeu, ce qui recouvre les différents sens du mot « jeu » : dimension ludique (ludus), jeu théâtral ou musical, rapport de force (agôn), mais aussi le sens spatial de marge de manœuvre [18] . Comme le remarque Stani [19] , la position en retrait de Kari est le signe d’une conception irréaliste affirmant implicitement le primat de l’absolu sur le relatif. La place en marge choisie par le héros renvoie au sens premier du terme « ab-solu », signifiant « sans attaches ». La revendication misanthropique est une quête littérale d’absolu cachant une position idéaliste non assumée, engageant un rapport aux autres sur le mode du « tout ou rien ». La pièce utilise le principe topique du misanthrope sans cesse sollicité tout en introduisant un questionnement moderne, qui prend une importance particulière dans la Vienne du tournant du siècle et met en question l’identité et le langage, à la fois autonome et dépendant de la société. S’il n’est pas un « homme impossible » [20] , comme le nouveau serviteur, dont l’exclusion est annoncée acte I scène 5 pour avoir finalement lieu acte III scène 12, Bühl est du moins dans une posture impossible qui se dévoile au fur et à mesure comme un alibi, un pré-texte. C’est justement le fait d’être confronté à l’impossible qu’il recherche, il adopte des positions inconciliables, expliquant à Hélène qu’il a eu dans les tranchées la vision qu’elle était sa femme tout en imaginant son mariage sans lui. Le discours énonçant le désir de solitude n’est qu’un masque, qui lui permet de continuer à vivre en compagnie des autres, mais de manière déplacée, sans avoir à trouver sa place. Hofmannsthal se confronte aux enjeux formels d’une misanthropie jouant sur le fragmentaire et l’elliptique et construit un personnage qui par ses contradictions et ses manques acquiert une singularité à valeur universelle, contenant en lui-même la polysémie d’une lucidité n’empêchant pas l’aveuglement.
Le titre de la pièce indique déjà le paradoxe d’un personnage dont le rapport contrarié avec les autres et avec lui-même semble pourtant indiquer, plutôt qu’un caractère particulier, une caractéristique, voire une condition humaine comme expérience de la difficulté. En nuançant le type du misanthrope Hofmannsthal fait signe vers une subjectivité insaisissable, proprement « difficile » à cerner, dispersée en fragments contradictoires et en bribes de phrases. Si « le moi ne peut, en aucun cas, être sauvé » [21] , c’est non seulement parce qu’il n’existe rien comme une unité et une homogénéité du sujet mais aussi parce que les mouvements épars sont, comme les tergiversations du héros, impossibles à rassembler sous une même appellation. Connaître une chose, les autres ou soi-même, n’est jamais une tâche complète ou unie, d’autant plus que le mot recouvre les sens les plus variables selon les usages :
Connaître… - s’il m’est permis d’employer ce mot à propos d’un être pareil. Ce n’est qu’à de certains moments qu’on s’aperçoit combien un tel mot est ambigu : il caractérise en même temps la chose la plus superficielle du monde et le plus profond mystère de l’existence, entre deux êtres. [22]
Les mots veulent dire tout et leur contraire, aussi n’est-il pas possible de s’appuyer sur eux pour fonder la connaissance, le lien entre la profondeur et la surface a été rompu. Le constat de Hans Karl qu’« on ne peut pas faire d’analyses sans tomber dans les malentendus les plus odieux » [23] rejoint les réflexions qu’Hofmannsthal développait déjà dans Gestern où, s’inspirant de la pensée d’Ernst Mach, il opposait à l’impuissance des actions et au vide du langage l’authenticité indicible de la sensation [24] . La surface est une illusion et la profondeur ment, la seule manière que tout ne finisse pas « sens dessus dessous » [25] est de prendre en compte l’impression d’une fausse unité créée par le langage, pour en neutraliser les effets pervers [26] . Le fait que ce soit Neuhoff, incarnant la force inquiétante du monde moderne, qui prononce ces paroles dont la justesse est contradictoire avec la brutalité du personnage, est un exemple de la manière dont Hofmannsthal exploite le dispositif énonciatif pour illustrer subtilement son propos [27] . La répétition dans la pièce des « situations fausses » [28] qui sont la hantise des personnages est liée à cette croyance en une stabilité du moi et du réel qui n’est en fait que relative. Ces situations biaisées et artificielles reposent sur le fait que se mêler aux autres, c’est pour « l’homme difficile » « s’expose(r) » [29] au malentendu. Aussi la misanthropie du héros fantasmant de se retirer « comme un hibou dans sa tanière » [30] est-elle un refus de prendre le risque du langage. « L’homme difficile » est paradoxalement celui qui n’accepte pas la difficulté du langage, de l’adaptation du langage à la situation de communication. C’est seulement par rapport à un contexte momentané et changeant que le langage peut espérer restituer la nuance [31] . Si Kari, « der Schwierige » annoncé par le titre et dépeint comme tel par son serviteur Lukas dès la première scène, dit être à la fois « l’homme le moins compliqué du monde » [32] et avoir « un caractère impossible » [33] , c’est parce que les personnes ne sont, pas plus que les personnages de théâtre, indépendantes de la situation où elles se trouvent et de la manière dont on les prend, ce que rappelle Crescence [34] . Être simple ou difficile, la question est fausse parce qu’elle est mal posée. Ce qui compte c’est d’essayer d’être « der richtige Mensch », « l’homme de la situation » [35] , c’est-à-dire non pas un être de pure action, prenant la décision de se marier entre le premier et le deuxième étage comme Stani, ou cherchant à s’imposer de force, comme Neuhoff avec Antoinette, non pas d’avoir un programme [36] , mais d’être un homme dans la situation. La comédie retrace le cheminement de son héros paradoxal, le parcours d’une reconnaissance et d’une métamorphose par lesquels le misanthrope cherche sa place et sa voix [37] . La dramaturgie de la misanthropie et la thématique des malentendus chroniques s’allient pour suggérer au spectateur une intelligence commune du langage et de l’action qui est une attention à la situation, un art de la contextualisation. Ce que « l’homme difficile » peut transmettre au spectateur c’est qu’être « l’homme de la situation », c’est avoir conscience de la difficulté, chercher la juste place à lui donner, non pour la résoudre mais pour lui donner une forme viable. Le sens des nuances va de pair avec un sens de la difficulté à cultiver, qui peut seul donner accès à « ce quelque chose d’ultime qui se tient au-delà des mots ». [38]
II) Le temps de la réflexion et les mots pour le dire
Hofmannsthal crée une comédie mêlant enjeux classiques et modernes et posant la question des formes possibles dans la modernité [39] . Le temps de cette comédie se caractérise d’emblée par son étrangeté, puisque l’Empire n’est plus et que la société aristocratique encore imprégnée du XVIIIème siècle, des Lumières et de culture française s’est évanouie. C’est donc à proprement parler des fantômes qui prennent vie sous les yeux du spectateur, et ce d’autant plus fortement pour le public de 1921 [40] . Le constat du décalage entre les hautes sphères de l’aristocratie et le « véritable monde » est formulé par Neuhoff :
L’esprit et ces gens-là ! La vie … - et ces gens-là ! Mais tous ceux qui viennent à vous ici n’ont plus aucune existence réelle. Ce ne sont plus que des ombres ! Aucun de ceux qui se meuvent dans ce salon n’appartiennent au véritable monde, celui dans lequel se jouent les crises spirituelles de ce siècle. Regardez donc autour de vous : un spectre comme cette figure, là-bas, dans la pièce voisine, en train de se dandiner, imbu de la tête aux pieds de son importance, avec une banalité sans bornes – assiégé par des femmes et des jeunes filles : Kari Bühl ! [41]
Neuhoff et l’homme célèbre sont les deux représentants dans la pièce du monde extérieur, inconnu des salons où tout ce qui compte sont les conversations et les médisances, à savoir des questions de langage et d’image. La critique de la vanité de ce monde clos et vide par ces deux personnages n’empêche pas Hofmannsthal d’engager le spectateur à la plus grande méfiance envers une société moderne qui ne fait que substituer à l’aplatissement du réel par le bavardage un autre nivellement, dont la presse est exemplaire [42] . De plus cet écart entre les maîtres et les serviteurs, les sphères nobles et basses, montre qu’il y a au-dehors une autre difficulté, déjà évoquée par Neugebauer le secrétaire de Hans Karl [43] , et qui concerne ceux qui, n’ayant pas le luxe de se payer de mots, doivent gagner leur vie. Cette difficulté-là consiste à savoir que la vie est une suite d’obstacles sans fin, et si cette expérience, cette épreuve s’oppose d’abord à celle des héros compliqués que sont Karl et Hélène, c’est pour mieux montrer leur sens commun, à savoir que c’est la difficulté des choses qui confère sa valeur à l’expérience. [44]
De la même manière que le personnage du misanthrope occupe une position en marge dans l’espace scénique et social, il se caractérise par un rapport déplacé au temps. Les lieux où se situent l’action théâtrale, un « ancien palais viennois où est installé le cabinet de travail du maître maison » et le petit salon des Altenwyl « dans le goût du dix-huitième siècle » [45] signalent le cadre historique. Mais ce décor est vidé de son sens et n’a plus qu’une fonction de décoration, comme les quelques « vieilleries françaises » du XVIIIème lues par Antoinette, qui sont désormais autant d’« aboli (s) bibelot(s) d’inanité sonore » [46] destinés à s’accorder avec ses meubles et sa chaise-longue Riesener [47] . Si la figure du misanthrope opère comme un masque qui révèle d’une part la permanence du paraître, d’autre part l’absence d’unité du moi, le décor aussi est un artifice qui laisse transparaître des enjeux politiques latents, auxquels le nouveau serviteur Vincenz fait allusion dès l’ouverture de la pièce [48] . Lui qui cherche à connaître les intentions du comte Bühl [49] met ainsi en évidence l’importance prise dans l’intrigue de la comédie par les affaires privées et les conversations qui vont avec, au détriment des affaires publiques, des actions et des décisions à prendre avec des conséquences pour l’ensemble du corps social. Contrairement aux comédies traditionnelles qui s’ouvrent dans un espace public favorable aux rencontres pour se finir dans le cercle privé où se résout l’enjeu matrimonial, Hofmannsthal donne à sa comédie inactuelle le sens inverse, du cabinet de travail de Hans Karl où est débattue la décision de se rendre à la soirée des Altenwyl au salon de ceux-ci où est mentionnée la question du discours du héros à la Chambre des Pairs, qui au moment où la pièce est jouée n’existe plus. Mais on remarque que les sphères opposées des domaines privés et publics, comme les sphères hautes et basses des maîtres et des serviteurs [50] , se rejoignent à travers la question de l’intention et de sa réalisation. Par son élégante absence d’intentions et de calculs, Bühl s’oppose positivement au monde moderne « plein d’intentions cachées » et « sans dignité » [51] . La dignité de Kari en fait l’incarnation du genre même de la comédie, qu’Hofmannsthal souhaite marquée comme son héros par une ingénuité enfantine, qui n’est plus présente dans la société comme elle peut l’être au théâtre. Mais cette naïveté est ambivalente, l’absence d’intention étant aussi ce qui rend problématique toute parole et toute action. L’« hypocondrie » [52] du personnage principal, décrite comme un trait de caractère antérieur au trauma de la guerre et revenu à sa suite, n’est pas qu’une tendance à l’imagination de la maladie. Elle renvoie également à une maladie de la volonté, bien réelle même si elle avance dans l’ombre, que l’hypersensibilité nerveuse du héros rend plus visible chez lui. Néanmoins le personnage, avec ses doubles et ses contraires, fonctionne ici comme symptôme d’une crise générale de la civilisation et d’un moment particulier de cette crise où le narcissisme se trouve sans issue, bloqué entre une mélancolie qui fait tourner à vide la nostalgie douloureuse et une ostentation vaine et potentiellement agressive. Hofmannsthal n’ignore pas la réflexion freudienne sur le malaise de la civilisation européenne, les interactions entre le deuil, la mélancolie et le fonctionnement de la libido, et tout en faisant preuve d’une certaine distance critique à leur égard, la pièce interroge l’impossibilité du désir à identifier son objet.
Hans Karl Bühl demeure un modèle, même paradoxal et « bizarre » [53] , pour l’ensemble de cette irréelle société aristocratique viennoise : il en est en même temps le symbole et le contrepoint et c’est là une des leçons des difficiles. Dans un monde où les secrétaires peuvent faire la leçon aux maîtres [54] , le destin du héros est dans la reconnaissance du vide, qui seule peut permettre de le surmonter sans s’y dissoudre. Cette figure du dernier représentant d’un monde perdu et cette insistance sur le thème du destin des personnages et leur quête de sens [55] évoquent la thématique de la perte irrémédiable dans l’œuvre d’Hofmannsthal, notamment dans la Lettre du dernier des Contarin ou La Tour. La question de Kari demandant à Hélène si « quelque chose d’irréparable » [56] s’est produit est au croisement des dimensions historiques et sentimentales de la pièce. Le théâtre est ici le dispositif qui doit permettre selon Hofmannsthal de « tir(er) de l’irrémédiable les forces de la guérison » [57] . Devant l’incapacité où sont les personnages, comme les individus de l’époque, de modifier le destin collectif de la culture à laquelle ils appartiennent [58] , Hofmannsthal propose d’accepter la place condamnée qui est la leur pour opérer le dépassement de ce destin [59] . Hermann Broch a étudié ce phénomène dans l’œuvre et la vie de l’auteur pour montrer qu’elles sont construites comme des symboles « d’une Autriche, d’une noblesse, d’un théâtre en voie de disparition, symbole au sein du vide mais non symbole du vide » [60] . Le théâtre opère la transformation du fantomatique en un type d’irréel et d’onirique particulier qui agit comme un révélateur de l’envers du réel, montrant à quel point l’identité elle-même est un masque et la société un théâtre fait de représentations vides. Dans Des caractères dans le roman et dans le drame, entretien imaginaire entre Balzac et le célèbre orientaliste Hammer Purgstall, Hofmannsthal décrit la construction des personnages au théâtre par une comparaison minéralogique avec l’allotropie, c’est-à-dire quand on trouve une même matière sous deux formes différentes :
Le caractère dramatique est une allotropie du réel. […] Laissez-moi vous dire que les caractères dans le drame ne sont pas autre chose que les exigences du contrepoint. Le caractère dramatique est un resserrement du caractère réel. […] Construire la catastrophe comme une symphonie, c’est l’affaire du dramaturge, proche parent du musicien. [61]
La mélodie en mezzo voce [62] des difficiles articule en contrepoint l’hypocondrie du personnage principal avec le fonctionnement généralisé d’une société, également atteinte par un blocage de l’intention, qui se refuse à formuler des choix pour ne pas avoir à les réaliser dans le présent et à en assumer les conséquences dans l’avenir. La place marginale du misanthrope qui prétend rester en position de témoin est en fait un refus de passer le témoin, de s’inscrire dans le jeu social et la transmission, d’où son incapacité à prendre femme et à fonder une famille. La misanthropie s’étend à l’ensemble de cette société fondée sur le contrôle de l’autre et la médisance, ce qui signale une rupture de la continuité temporelle et du passage entre les générations, un accès impossible au présent.
Cette comédie aux couleurs changeantes est une sorte de symphonie sur le temps et le langage, oscillant entre un passé composé aux effets dévastateurs, un impossible présent et un futur antérieur tentant de construire l’avenir sur des ruines. Le héros entretient un rapport contrarié avec le temps, à la fois anachronique et flottant. Lui qui au début de la pièce demande à deux reprises à Crescence le temps de la réflexion [63] pour décider s’il va à la soirée des Altenwyl est sans cesse pressé par les autres personnages. Cette manière de remettre toujours à plus tard la décision et de différer l’action relève de la procrastination, tendance pathologique liée psychologiquement à un tempérament obsessionnel et perfectionniste. Pour ne pas avoir à se confronter à la tâche problématique, le sujet lui substitue d’autres tâches moins difficiles et moins urgentes qui font diversion. C’est bien le rôle assumé par les conversations sans fin de la comédie, qui fonctionnent sur un dispositif de prolifération de la parole, chaque discussion en entraînant plusieurs autres, reprises, interrompues ou enchâssées [64] . De plus le héros accepte, malgré ses réticences affichées, les missions que les autres personnages lui demandent de remplir pour eux : « C’est qu’il surestime parfois ses forces, l’oncle Kari. Quand tel ou tel veut quelque chose de lui – il ne sait pas dire non » [65] . Notre « homme difficile » est un drôle de misanthrope qui a du mal à se refuser aux autres, cette manière de s’occuper des affaires d’autrui à contrecoeur lui permettant de ne pas avoir à s’occuper des siennes et à investir son temps intérieur. Toujours en retard sur lui-même et sur les autres, celui qui n’arrive pas à se décider est pris par une double peur qui prend la forme d’un dilemme paralysant, peur de l’échec et peur inverse de la réussite. Le désir de contrôler son environnement révèle in fine une angoisse profonde de la frustration : la grande hantise de l’homme sans intentions, c’est l’insatisfaction. Ne pas questionner ses propres intentions lui permet de ne pas avoir à en répondre devant autrui et de ne pas se confronter à la déception si elles ne se réalisent pas. Derrière l’apparente pudeur de sa distance, l’éternel indécis semble guidé par une exigence de satisfaction totale. C’est la loi du « tout ou rien » qui fait le lien entre mélancolie, misanthropie, langage et action. La maladie de la volonté et la disparition de l’intention comme moteur du langage et de l’action est une maladie spirituelle caractérisée par « l’impuissance à se contenter » [66] des autres, des mots, et avant tout de soi-même.
En ne choisissant pas, le héros s’installe dans un temps indéfini en tension entre une éternité du temps figé et la quête de l’instant insaisissable. Le temps imaginaire de Kari, qui dit connaître Antoinette depuis une éternité, s’oppose au temps pragmatique de Stani qui lui rappelle que cela ne fait que deux ans et situe les étapes de l’histoire [67] . Ce temps indéfini dans lequel évolue Hans Karl est parsemé de moments décisifs où tient l’éclair d’une révélation fugace, comme l’instant où « on réalise tout d’un coup que l’on ne croit plus qu’il y a des gens qui puissent tout vous expliquer » [68] . On remarque que ce rapport duel au temps tisse intimement ensemble le temps et le sens, comme direction et comme signification. C’est la perte de toute garantie du sens qui est à l’origine de ce temps suspendu et d’un mode d’action fondé sur la possibilité permanente du désinvestissement. Ne lâchant pas prise sur son désir d’absolu, « l’homme difficile » a en contrepartie « la main toujours prête à lâcher celle (qu’il) tien(t) » [69] . C’est une défense pour se protéger en même temps de l’altérité et de la durée : différer l’action est un moyen d’éviter la confrontation à la différence. Le « tout ou rien » de Karl s’oppose exactement au « tout de suite ou pas du tout » [70] de Stani, la loi des possibles à la loi de l’action. Mais la bonne santé et la facilité à choisir de Stani, qui garde toujours les choses en main, relèvent d’un autre danger que celui de la difficulté maladive. Il s’agit d’une logique conquérante de puissance qui, du propre aveu du personnage, refuse les contradictions en visant l’annulation de tout décalage. Malgré leurs attitudes inverses, les deux personnages sont renvoyés dos-à-dos, faisant preuve d’une même obsession du contrôle qui est une méconnaissance de l’enjeu réel de toute situation existentielle. Si Kari rêve d’un langage transparent, Stani croit à la transparence de l’action, à la possibilité de nier l’existence des obstacles [71] et la résistance du réel. Le « fait accompli » [72] , si viril pour Stani et Crescence et qui rejoint la logique de combat de Neuhoff, est une manière de justifier ses choix a posteriori et de faire passer « le résultat d’une décision correcte » [73] avant le processus de l’expérience. C’est une manière désincarnée de choisir, sous-tendue par le danger d’une inhumanité où le courage de l’action [74] , en niant tout décalage entre soi et soi, fait l’économie du cœur.
Entre la tentation d’un repli dans le passé et celle d’un temps indéterminé, le héros semble être un homme sans âge, « ni jeun(e) ni vieux » [75] , en même temps enfant et vieillard, dans un remaniement du topos du puer senex que l’on retrouve dans d’autres textes d’Hofmannsthal et qui signale la tension entre l’innocence et l’expérience. Cette tension entraîne dans la pièce un temps répétitif, Hans Karl étant redevenu après la guerre comme il était dans sa jeunesse [76] . Mais il y a aussi un éclatement du temps en fragments détachés les uns des autres : Kari qui est respecté et écouté des vieilles personnes [77] et admiré des jeunes gens est comparé à un enfant par Neuhoff, à cause de son sourire muet et ingénu [78] . Lui qui a pourtant une conscience aiguisée des ambiguïtés du temps et sait que dans « tout commencement il y a l’éternité » [79] ne parvient pourtant pas à en tirer les conséquences, à savoir que justement cette éternité est de l’ordre d’une promesse que le temps réel ne peut pas tenir [80] . A l’image du Moi qui n’est qu’un carrefour sans délimitation [81] , le temps est pour Bühl un passage sans fin, qui ne crée pas de lien et demeure infécond. A Antoinette accusant son indifférence et son cynisme de Casanova, il oppose son absence de conscience. C’est parce qu’il ne faut pas « se cramponner à ce qui ne se laisse pas retenir » [82] que Karl ne retient ni le temps ni les femmes, mais il ne peut pas non plus retenir les leçons de l’expérience. Son attitude est une négation de la durée, or comme l’identifie bien la coquette comparant les hommes aux mouches dont la vie ne dure qu’un jour [83] , la conscience du temps est, avec le langage, une des choses qui distingue l’homme de l’animal. Le personnage, qui pourrait représenter la synthèse idéale de la sagesse de la maturité et l’authenticité de l’enfance, échoue à s’approprier le temps et n’a donc pas accès à lui-même :
Comme un enfant ? Et moi qui suis presque un vieil homme ! Mais c’est une horreur ! A trente-neuf ans, ne pas savoir où on en est avec soi-même, c’est quand même une honte. [84]
Du premier au deuxième acte, la comédie est passée de « l’horreur » [85] des autres et du langage, caractérisée par le malentendu chronique, à « l’horreur » de soi et du temps, liée à la méconnaissance de soi. Même si elle a augmenté l’hypersensibilité du héros plutôt qu’elle ne l’a diminuée, la guerre a opéré comme révélateur par la confrontation à l’angoisse de la dissolution du moi. Lors de l’ensevelissement dans les tranchées, Bühl a vécu un moment d’épiphanie où il a pris la mesure intérieure d’une vie où la durée serait vécue et où Hélène serait sa femme. Cette vision, image virtuelle plutôt passée que futur, est décrite comme un « fait accompli » [86] , symétriquement inverse de celui mentionné par Stani à propos de sa décision éclair d’épouser Hélène. Mais aucun des deux ne peut aboutir à un réel accomplissement, il manque la maturité au jeune coq arrogant qu’est Stani et Kari ne peut pas opérer la conversion du « fragment de vie » [87] entrevu en un choix durable. Ce qui est en jeu dans le dialogue avec Hélène, c’est la métamorphose de l’image en langage puis en acte, le passage de l’imaginaire au réel par l’entremise du domaine symbolique du langage et de l’adresse à l’autre. Le primat du possible sur le réel induit un rapport faussé au temps qui amène « l’homme difficile » au comble des paradoxes : « mettre un terme à … - ce qui n’a pas été du tout » [88] . Ni la décision brutale, ni la révélation, même épiphanique, ne peuvent garantir la réalisation de quelque chose. C’est seulement par le compromis du dialogue, légèrement teinté d’une couleur de maïeutique et de cure psychanalytique, que Hans Karl formule ce qui lui manque, la capacité à recueillir son propre désir, à se connaître soi-même. Si « l’instant n’est pas coupable » [89] , la faute du héros est d’avoir refoulé la vision du bonheur, de ne pas avoir été à l’écoute de lui-même :
Parce que, précisément, je n’ai pas reconnu, lorsqu’il en était encore temps, quelle était la seule chose dont ce bonheur dépendait. De ne pas l’avoir reconnu, c’était justement la faiblesse de ma nature. Et ainsi, je n’ai pas surmonté cette épreuve. Plus tard, à l’hôpital de campagne, dans le calme de tant de jours et de nuits, j’ai pu me rendre compte de tout cela avec une clarté et une pureté indescriptibles. [90]
Le temps de la convalescence est le moment privilégié où l’être porte un regard vierge sur les choses, où il sort des limbes du temps pour accueillir vraiment les « présents de la vie » [91] . L’élégance et la bizarrerie d’Hélène sont aussi liées au désir d’éviter les autres et à une incapacité à vivre au présent qui l’oppose à Antoinette et la rapproche de Bühl [92] . C’est en confiant sa vision à Hélène au moment où il croit lui faire un adieu définitif que Bühl lui donne la possibilité, dans leur seconde conversation, de lui renvoyer en miroir la peur de sa propre volonté qui transparaît à son insu [93] . La synthèse entre les deux visages du temps ne peut se faire que dans la confrontation à l’autre, qui offre un passage vers la reconnaissance de soi. Cela suppose de reconnaître sa propre altérité sans laquelle on ne saurait reconnaître l’autre dans son intégrité et sa liberté. Hechingen rappelle à sa femme que « voir et regarder sont deux choses différentes » [94] et que le secret de l’existence comme du mariage tient dans la capacité à « tout recommence(r) à neuf » [95] . Le passage du temps, qui articule comme le langage continuité et discontinuité, peut ouvrir à la métamorphose et réunir les fruits de l’expérience et l’innocence du regard neuf :
Mon cher ami, lorsque j’étais un jeune freluquet comme toi, il y a bien des choses que je n’aurais pas crues possibles moi non plus, mais quand on a sur le dos trente-cinq ans passés, vos yeux s’ouvrent à bien des choses. C’est comme si l’on avait été muet et sourd auparavant. [96]
La conscience de la difficulté des choses et l’expérience du temps vécu sont nécessaires au dessillement qui est aussi le garant d’un rapport neuf au langage. Trois allusions à la figure du sourd muet parsèment la comédie, une à chaque acte, montrant que la difficulté à ouvrir les yeux est intimement liée à celle d’ouvrir la bouche et les oreilles. [97]
III) « Ouvrir la bouche » : dire et vouloir dire
La question centrale de l’intention croise le plan du langage et celui de l’action et prend un relief tout particulier sur la scène théâtrale où dire, c’est déjà être et faire. Or « l’homme difficile » ne sait pas ce qu’il veut ni ce qu’il veut dire. L’ex-pression est difficile parce que l’intention faisant défaut, la production du langage comme fait individuel et collectif s’en trouve frappée d’inutilité. Le langage comme corps social est contaminé, il n’est plus possible d’en contrôler les effets. C’est parce que la communication est un terrain miné que l’action est entravée, la guerre est un symptôme de ce « crépuscule du sens » [98] qui affecte la civilisation européenne. L’enjeu formel de la misanthropie est au croisement de la rhétorique, de l’esthétique et de l’éthique. La disparition de l’intention signale un dérèglement du rapport du langage au réel comme référent, à la langue comme instrument et héritage, et à ses effets comme garants de la communication intersubjective. En définitive, l’origine de la maladie de la volonté qui touche « l’homme difficile » et contamine l’ensemble de la société, c’est le langage lui-même. Mais sans s’arrêter à ce constat, il faut examiner plus précisément sur quelle conception du langage repose ce procès qui lui est fait, pour faire la part entre la nature du langage et les attentes exercées à son égard.
La comédie de L’homme difficile constitue un aboutissement du questionnement d’Hofmannsthal sur les rapports entre le langage, l’indicible et le silence. Comme Lord Chandos, Hans Karl Bühl dénonce l’insuffisance du langage, mais « c’est le même personnage et ce n’est pas le même » [99] . Ces deux personnages sont avec d’autres figures de l’œuvre du poète autant de formes successives de cette interrogation sur l’ambivalence du langage, condensée en une phrase dans le Livre des amis : « Le véritable amour du langage n’est pas possible sans désaveu du langage » [100] . Dans Une lettre le langage est décrit comme un corps en décomposition, dont les termes abstraits pourrissent comme des champignons moisis dans la bouche du personnage, signes d’une corruption d’abord physique. La « rouille des signes » [101] et le vertige liés à la « maladie de l’esprit » [102] affectant le narrateur ont pour envers un sentiment de sublime indicible devant le moindre objet ou spectacle dont la perception est impossible à traduire par le langage. Ce malaise paralysant du sujet et du langage qui mêle indicible extatique et mal innommable renvoie à une crise du modèle organiciste selon lequel l’homme, la société et le langage sont pensés sur le modèle du corps humain. Si « le corps humain est la meilleure image de l’âme humaine » [103] , la rupture de la correspondance entre les deux entraîne une désarticulation généralisée des liens. Or « l’homme difficile », de treize ans plus âgé que Lord Chandos, a connu l’absurdité de la guerre et évolue dans une société dont le corps et l’esprit sont comme vidés de toute substance, de leur force vitale. De même le langage n’est plus qu’une coquille vide, une enveloppe sans épaisseur. Mais de la lettre à la comédie, le problème s’est déplacé du fait de ne plus écrire à celui de ne plus parler. Ce n’est plus seulement la littérature et l’activité créatrice qui sont en jeu, mais la possibilité d’être au monde et les rapports avec autrui. Altenwyl représente dans la comédie l’époque passée où la conversation était autre chose qu’un « torrent de paroles » [104] aveugle à tout sens et sourd à son interlocuteur. Il montre comment s’est complètement inversé le fonctionnement de l’art de parler et des conventions sociales, de politesse, d’hospitalité et de savoir-vivre :
Mais de nos jours, personne, pardonnez ma grossièreté, personne n’a l’intelligence qu’il faut pour faire la conversation, et personne non plus n’a l’intelligence de se taire… [105]
A l’art de « donner la réplique aux autres » s’oppose la manie moderne de « pérorer soi-même » et l’art de briller par la conversation n’a plus de valeur puisque la parole est enfermée dans un narcissisme où elle n’éclaire plus rien et perd toute valeur. L’équilibre entre l’autonomie de la parole et le silence, comme envers de la parole mais aussi moyen de la communication à part entière, est fissuré. L’écart entre le dit et le dire est méconnu par une génération pour qui le langage s’est interposé devant la réalité, aussi les mots sont-ils devenus obstacles purs et non obstacles dans un mouvement général de médiation. Constatant que « (l)es jeunes gens ne savent plus que la sauce a plus d’importance que le rôti » [106] , Altenwyl suggère que l’art du discours est dans la manière et dans la connaissance du décalage premier entre les mots et les choses, la forme et le sens, décalage auquel il convient de ménager une place sous peine d’exclure d’emblée l’interlocuteur. Le langage est devenu moyen d’exclusion et non lien social, propagateur de l’aliénation et non de la connaissance. Le problème des limites du langage se dédouble entre dire et vouloir dire, et la méfiance dont fait preuve Bühl dans cette crise générale du sens renvoie à l’ambivalence d’un langage qui est à la fois le poison et le remède.
En premier lieu « les mots ne sont pas de ce monde » [107] , ils constituent un domaine autonome et complet à sa manière. A cause de cette totalité intrinsèque, ils ne peuvent pas prétendre dire toute la vie et rien que la vie. Mais Hofmannsthal pousse plus loin la réflexion sur le statut de l’indicible : non seulement on ne peut pas tout dire, mais on ne peut pas non plus « dire le tout » d’une chose, la dire telle quelle. Le langage, que le misanthrope voudrait réduire à la communication directe de ce qu’on ressent silencieusement, est perçu comme un excès. Si le personnage n’aime pas les tropes [108] , perçoit l’implicite comme un danger, refuse l’équivocité et l’oblicité du sens, c’est parce, pour lui, le langage est en trop. Cela trahit une confusion sur la place de la part pré-linguistique et extralinguistique de la vie qui entretient une nostalgie stérile : « la croyance chevillée au corps (…) que si nous trouvions les mots justes, nous pourrions raconter la vie, de la même façon que l’on met une pièce de monnaie sur une autre pièce de monnaie de valeur identique » [109] . La vie se parle elle-même, c’est-à-dire que personne ne peut la parler directement. La langue des phénomènes et de l’expérience muette n’existe pas en tant que telle : on ne peut parler que le langage. Si le misanthrope n’arrive pas à savoir comment parler, c’est d’abord parce qu’il ne sait pas qui parle [110] . Le rêve d’un langage immédiat et authentique dont le naturel s’opposerait à la corruption des signes ambiants recouvre le fantasme que la langue de la vie prenne la place du sujet absent. Le centre manque et sans points d’appuis le sujet s’élève, comme sa parole, « sur une colonne absente » [111] . Ce rêve de disparition du sujet, d’évitement de toute responsabilité dans l’usage du langage est une « maladie infantile de l’âme » [112] , qui consiste à ne pouvoir recueillir de manière sereine « cette brûlure, ce fourmillement à l’intérieur, ce sentiment de ne pas être plein, de sentir l’absurdité de la vie, cette incapacité à trouver le calme, comme si l’on ne pouvait dormir et ne cessait de se tourner et de se retourner dans son lit » [113] . Cette « humeur » difficile, où l’écart de soi à soi prend la forme d’une blessure, est le signe que nous ne tenons en main ni les gens autour de nous ni la langue qui est la nôtre : « Je ne maîtrise pas la langue, mais la langue me maîtrise complètement » [114] . L’agitation gestuelle de Karl dans la première scène avec Crescence trahit les soubresauts intérieurs du héros qui ouvre et ferme les tiroirs, remet les tableaux qui sont de travers, cherchant par ses gestes automatiques à remettre de l’ordre dans le visible à défaut de le faire dans le dicible. Karl formule lui-même l’absence de but de ses gestes et déclare avoir utilisé « la mauvaise clé » [115] . La clé, c’est l’intention : pour trouver il faut savoir ce que l’on cherche. Or le langage peut dire beaucoup de choses, mais il n’est pas en son pouvoir de dire comment il est relié à la réalité [116] :
[…] Bien sûr, vous ne pouvez pas me comprendre, - je me comprends moi-même beaucoup plus mal lorsque je parle que lorsque je reste silencieux. Je ne peux absolument pas tenter de vous l’expliquer, c’est précisément une vérité que j’ai appris à comprendre là-bas : qu’il y a quelque chose d’écrit sur les visages humains. [117]
Aussi faut-il renoncer à interroger cette manière que les signes muets ont de signifier en pensant qu’on pourrait le traduire en mots. Le cœur silencieux du langage est une origine fantasmée qui n’est reconnue que dans l’après-coup du procès [118] de la langue parce qu’avant la parole, ce noyau de nuit du sens reste sans forme et s’il donne l’impression de suggérer l’infini, c’est parce qu’il est indéterminé. L’image du lac et des statues mises au jour une fois l’eau vidée exprime ce désir du personnage que quelque chose se dévoile d’un coup dans l’immédiateté d’une révélation libératrice : « Que tout se trouve depuis longtemps déjà tout entier quelque part, pour devenir visible seulement d’un coup » [119] . Il y a bien une nature hiéroglyphique du visible et en particulier des visages, dont le narrateur déplore dans les Lettres du voyageur à son retour la perte de l’authenticité et de l’humanité véritable. Ce qui manque aux visages des Allemands que le voyageur retrouve, c’est « une grande, une unique arrière-pensée, à jamais inexprimable » [120] , l’intention insaisissable mais signifiante dont l’unification garantit l’intégrité du corps organique et symbolique, individuel et collectif. Comme le dernier des Contarin qui ne se maintient debout que par « la force concentrée du silence » [121] , Bühl entretient des affinités avec la posture du poète lui-même qui cherche à habiter le langage d’une manière qui puisse rendre supportable le morcellement contemporain du monde. L’artiste, au prix d’un effort sans relâche, lui oppose la persistance à créer une cohésion des expériences vécues, et se confronte aux « entrailles du langage [là où se crée] cette intrication où ne peut plus être établie la frontière entre le quoi et le comment » [122] . Si le poète habite sous l’escalier, dans la demeure du temps, dans un recoin où il est séparé des autres et « possèd(e) tout cela comme jamais maître ne possède sa maison » [123] , le personnage n’est pas poète : ayant comme lui une place en marge dans sa maison, il ne parvient pas à « noue(r) en lui les éléments du temps » [124] . Le nœud du langage avec ses malentendus inextricables ne se laisse pas dénouer, au contraire il est nécessaire pour réunir les différents fils de la vie qu’il rend ainsi visibles. Pour pouvoir ouvrir la bouche, il ne faut pas chercher à annuler ce nœud du langage, mais plutôt à le redoubler par le noeud qui croise l’espace et le temps. Le dialogue de sourds entre Karl et Hechingen au téléphone joue de la proximité sonore entre « die Frage », la question, et « die Phrase », la phrase [125] : c’est dans la manière de questionner la langue, dans la demande qu’on lui adresse, que se trouvent les seules réponses [126] que le langage peut apporter et la responsabilité du locuteur.
L’opposition de la « monnaie-papier » des conversations dévaluées à la « monnaie-or » authentique de l’intimité, par laquelle Neuhoff caractérise Bühl, ne permet pas d’équilibre parce qu’elle repose chez lui sur une économie en défaut ou en excès. Qu’il soit avare ou prodigue de paroles selon que l’espace est public ou privé, le misanthrope a toujours le sentiment d’une dette impayable du langage. Mais cette dette est liée à la nature même du langage qui ne peut rédimer l’écart constitutif entre le dire et le vouloir dire. Le malentendu dans le langage est un prix nécessaire à payer [127] pour pouvoir asseoir l’échange sur un sol commun et faire circuler la parole comme valeur. Paradoxalement ce décalage interne au langage est aussi ce qui en fait un don, la chance d’une compréhension et d’une « paix intérieure » [128] apportée par le dialogue, comme le montrent les deux scènes avec Hélène. Bühl dénonce l’attitude qui consiste à accorder trop de prix aux mots : « A force de discours, tout finit par arriver, dans ce monde » [129] . Mais insister sur la consistance illusoire que les mots donnent aux choses est aussi une stratégie de « l’homme difficile » pour refuser la concrétisation opérée par la mise en mots, ne pas avoir à s’en tenir à ses intentions et lâcher la ligne de ce qu’il veut dire [130] . Dans leur première conversation, Hélène demande à trois reprises à Hans Karl qui « se perd dans (s)es histoires » s’il s’agit bien de ce qu’il voulait lui dire au départ [131] . S’il est difficile de dire l’essentiel, c’est d’abord parce qu’on ne voit pas nettement les choses qu’on vit, « ce n’est que bien plus tard que l’on se rend compte de ce que l’on a vécu » [132] . Le langage comme obstacle n’est pas la cause de la perte de la transparence de l’expérience, au contraire c’est la croyance en une transparence idéale hors-lieu et hors-temps qui l’empêche d’être un moyen de connaissance et d’action. Il n’obéit pas dans son ensemble à une « nécessité supérieure » [133] mais ignorer la part de nécessité, même relative, qu’introduit la volonté de signifier, c’est justement faire preuve d’un manque de nuance. Le sens de la nuance, comme art du relatif et du partiel, peut permettre de transformer l’aveuglement en diplopie, de voir en même temps l’absolu et le relatif. « L’homme difficile » souffre du langage parce qu’il lui demande de supporter à lui seul le poids de la nécessité, à l’image des lèvres d’Hélène « qui ne peuvent rien dire de superflu » [134] . Or cette nécessité et cet ordre sont en train de s’effondrer dans le corps social et politique et ne peuvent se reporter sur le seul langage comme organe social. Ce dérèglement du cadre collectif entraîne l’impossibilité pour l’individu de faire le deuil de la nature mixte du langage et bloque le dépassement nécessaire de l’esthétique par l’éthique.
La dramaturgie de la comédie suggère que s’« il est impossible d’ouvrir la bouche sans provoquer les plus incurables confusions » [135] , le problème du langage comme forme de vie n’est pas tant le malentendu que les conséquences qu’on en tire. Rêver à un « langage personnel » [136] qui serait le refuge de l’authenticité comprend le risque de refuser le langage de l’autre, d’oublier la tolérance que Stani reproche à son oncle [137] mais que celui-ci, malgré sa compassion envers les autres personnages, ne pousse pas jusqu’au bout. Il est impossible de comprendre toutes les nuances de quelqu’un, comme le prétend Stani [138] , mais il est tout aussi impossible d’expliquer la règle du langage autrement que par le langage lui-même. L’impossibilité du métalangage, développée par Lacan [139] , détermine l’articulation entre l’individuel et le collectif, le langage étant comme le mariage une institution :
Tout ce qui arrive est le fait du hasard. […]
Mais il y a en cela quelque chose de si épouvantable que l’être humain a dû trouver un moyen de s’extraire de ce marécage, en se soulevant lui-même par ses propres cheveux. Et c’est ainsi qu’il a découvert l’institution qui, à partir de ce qui est hasardeux, à partir de l’impur, produit le nécessaire, le permanent, ce qui vaut juridiquement : le mariage. [140]
Le marécage du non-sens menace d’ensevelir le sujet, de l’enfouir dans l’informe comme cela s’est déjà produit dans l’enfance avec la chute dans le lac familial, puis à la guerre dans les tranchées. Le langage comme torrent de paroles décomposées pouvant « remplir la bouche » [141] réactive le danger d’être submergé, noyé dans l’indéterminé, mais cette fois-ci du dedans. La hantise du langage comme corps corrompu entraîne un dégoût du contact intérieur établi par le fait de parler. Les mots ne peuvent être assimilés, goûtés par la bouche cet « envers de la face » [142] , chair intérieure qu’on ne voit jamais et dont on ne peut sonder le fond. Aussi la peur de l’informe renverse-t-elle le trajet et la fonction du langage : ce qui sort de la bouche risque de manger l’être, la parole menace d’engloutir le sujet. La dénonciation de l’insuffisance du langage signale la puissante angoisse de sombrer hors de l’humanité, dans cette boue où tout se mélange, où il ne reste que « des bêtes titubantes » [143] . Le personnage interprète les limites de l’institution en termes d’impureté, reproche littéralement au langage d’être impropre et à la parole d’être « indécente » [144] faisant signe vers une souillure originelle. Il y a là une tension entre profane et sacré à laquelle fait écho l’opposition faite par Hans Karl entre la sexualité et le mariage comme « chose sacrée » [145] jusqu’à la mort. Cette faute morale de la parole exprime le sentiment d’un défaut de nécessité et entraîne l’incapacité à se laisser toucher et à toucher l’autre par les mots. La thématique de l’indécence articule la dénonciation du narcissisme et la peur de la sexualité. Elle révèle une hantise du contact dans son ensemble qui exprime cette parenté entre le langage et le toucher [146] . Hans Karl n’aime pas les embrassades, demandant même à Crescence d’attendre qu’il soit parti pour embrasser Stani [147] . Au caractère ob-scène du langage s’ajoute la peur qu’il transmette une maladie épidémique, sa perte de vitalité en tant que lien social constituant la prédiction de l’agonie de la société dans son ensemble. Si les langues sont mortelles, le fait que le langage soit affecté par les dysfonctionnements d’ensemble de la communauté est un symptôme majeur. Le manque de « tact » [148] de Neuhoff ou d’Edine montre une absence problématique de pudeur, mais le souci permanent du tact en société masque une distance défensive, un refus de la dimension corporelle de la communication dont l’oubli est associé à la maladie du langage. Hélène, qui en parfaite hôtesse prend soin de n’être approchée de trop près par personne, a conscience qu’il s’agit d’une « sorte de réaction nerveuse » [149] et parvient à donner à l’espace intérieur de Bühl une place sur la scène, le sortant ainsi de son repli fantasmatique [150] . L’art des nuances se dévoile dans la comédie comme art du toucher, tissage de l’inexprimable et de l’impalpable pour sentir les « indicibles liens que rien ne peut rompre et que rien ne peut effleurer ». [151]
IV) De l’ingénuité et « un souffle de mysticisme » [152] : la comédie comme métamorphose du langage par le jeu
Que l’on soit amené à réformer le langage, comme le héros se « réforme » [153] en allant au cirque avant la soirée, est un prolongement naturel de la règle et de la manière dont nous avons appris à utiliser les mots. Ce qui fait qu’on applique la règle de manière adéquate dans un contexte particulier n’est pas déterminé en soi [154] . C’est là que joue l’intention de signifier, c’est dans la combinaison entre le vouloir dire et le jeu de langage dans une situation que le sens et le non-sens sont décidés. Le sentiment de la « parole malheureuse » [155] et le pathos linguistique dont souffre « l’homme difficile » sont l’envers d’un rejet du langage qui ne comprend pas l’analogie entre le langage et le jeu, et en tire des conséquences inverses à celles qui peuvent permettre de vivre les limites du langage sans affect paralysant. Finalement le héros ne s’intéresse au passage que dans la mesure où il lui permet de demeurer insaisissable sans avoir à choisir une place, mais il refuse d’accepter le langage lui-même comme passage, comme lieu en mouvement. Le paradigme du jeu pour le langage souligne la variété des situations et la souplesse des règles à adapter. C’est dans un continuum sans durée déterminée que s’élaborent la compréhension et la participation du joueur. Selon Wittgenstein, « (u)ne des sources principales de nos incompréhensions est que nous n’avons pas de vue synoptique de l’usage des mots », celle-ci consistant en une attention particulière aux liaisons et aux articulations. Or la scène théâtrale fournit à Hofmannsthal des ressources qu’il exploite au maximum pour déployer cette mise en situation du langage, sa métamorphose sur la scène, où sont représentées d’une manière synoptique ses illusions et ses offres. Après son parcours théâtral de la tragédie à la comédie et à l’opéra, avec Electre (1909), Le chevalier à la rose (1911) et Ariane à Naxos (1916), Hofmannsthal revient à la comédie et à ses vertus curatives [156] pour réconcilier la parole et le monde muet, en faisant planer en filigrane l’image du cirque comme théâtre de gestes.
L’alliance de cette problématique de la difficulté et de l’intrigue galante qui doit opérer la conversion du célibataire fait converger légèreté et gravité, métaphysique du mariage et immanence du sens. Le héros est un étrange galant [157] qui finit par former avec Hélène, ni mélancolique [158] ni coquette, un couple de « fiancés bizarres » [159] . La question de la conversion finale de Kari reste en suspens, le dénouement incongru et ironique respectant « sans mot dire » [160] l’annonce du mariage conforme au genre mais ne mettant pas de point final aux possibles tergiversations du héros dont on ne peut « connaître (le) dernier mot » [161] . Les rapports entre hommes et femmes dans la haute société sont aussi un signe de la perte d’une harmonie sociale. Sous le masque des convenances, les actions des femmes manifestent toujours « une autre intention » [162] que celle qui semble première. Hélène, qui formule ce constat et sait être à l’écoute des intentions cachées de son interlocuteur, joue dans la pièce, comme Anna l’épouse de Jaromir dans L’Incorruptible [163] , le rôle d’agent de la métamorphose du héros ouvrant la possibilité d’accéder à l’humanité et de faire des enfants dont parlait déjà La Femme sans ombre. Pourtant Bühl, refusant d’analyser ce qui s’est produit avec Hélène et de donner des explications à chaque respiration [164] , préfère fuir toute confrontation avec son futur beau-père pour éviter l’« horrible intention » de celui-ci, la demande d’un bref discours à la Chambre des Pairs. Comme le montre Wittgenstein, l’idée d’un langage privé est une impasse qui repose sur une conception divisée du langage entre un dicible extérieur et une intimité ineffable mais garante du sens. Il est pourtant possible de donner un sens privé au langage avec sa dimension publique, sens privés et publics étant interdépendants. Cette fin en demi-teinte laisse en suspens la réforme du personnage, la correspondance entre sphères privées et publiques lui demeure impossible. Après le dialogue avec Hélène, Kari, reste oppressé par le sentiment de l’indécence de la parole, ce qui montre la persistance d’un rapport problématique entre le dedans et le dehors. Selon Hofmannsthal, « mûrir » est surtout « apprendre à écouter au-dedans de soi jusqu’à oublier tout (l)e brouhaha et même être capable de ne plus l’entendre à la fin » [165] . La guerre, toujours désignée comme « drauβen », renvoie à ce qui est « là-bas », à l’extérieur. Or le héros ne peut pas oublier le vacarme du dehors, que ce soit la terrible violence de la guerre ou l’inanité des bavardages mondains. Il y a là quelque chose qui signale la rupture interne et externe de la société, un fossé que le héros ne peut surmonter, la guerre visible masquant l’autre, invisible et sans fin dans « l’espace du dedans » [166] . Si le dispositif théâtral est particulièrement propice au déploiement de l’allomatique, cette conversion par l’altérité qu’Hofmannsthal n’a cessé de penser, l’aliénation ne saurait se dissiper sans la conjonction du privé et du public. Le ressort comique du misanthrope pourchassé joue à plein jusqu’à la dernière scène et après l’exposé des deux missions de la soirée, la question de la parole publique passe à la trappe. La lutte politique pour la « réconciliation des peuples » et la « coexistence des nations » comme concorde publique est évacuée par le représentant d’une société qui évite le compromis avec les intentions de l’autre. Dans cette société virtuelle, le mariage est l’unique accord qui peut encore donner sens au corps social fragmenté et l’éloge d’une union mystique, où les deux êtres finissent par n’en former plus qu’un, signale à la fois le maintien de l’espoir et ses limites certaines. La fuite des deux amants tient à la fois de la critique des conventions sociales et du refus de les affronter, la fin de la comédie faisant reposer l’acceptation de l’héritage social [167] et du chaos politique sur la métamorphose personnelle. La comédie douce amère suggère ainsi que si le langage est essentiel à la métamorphose, il ne suffit pas pour déjouer l’aliénation.
Mais malgré cette tension entre un certain conservatisme politique et une ouverture personnelle au choix spirituel, la comédie réalise ce à quoi la scène publique résiste, la circulation entre la parole et ce qui lui échappe, entre l’identité et la différence. La langue de la pièce accueille l’élément étranger et ennemi à travers tous les mots français germanisés qui sont disséminés dans le texte et font ainsi véritablement entendre la voix de l’altérité. C’est une éthique de l’hospitalité [168] et du langage comme hôte que nous propose Hofmannsthal, qui a pris position avant le début de la guerre pour les mots étrangers dans la langue autrichienne et consacré toute la fin de sa vie à la question de l’Europe. La langue est un don et le langage un appel face auquel le théâtre produit un singulier décollement de la parole avec elle-même. Sur la scène où se mêlent les signes verbaux ou non verbaux, où l’auteur peut faire dire quelque chose de juste à un personnage que la dramaturgie discrédite ou l’inverse, l’écart est montré en même temps qu’il agit, non pas dans un implicite menaçant mais dans la jouissance d’une efficacité polysémique. La scène est un lieu où le spectateur peut voir le langage se nouer et se dénouer, dans la quête d’un juste milieu changeant selon les contextes, entre l’extrapolation et le fait de tout prendre au pied de la lettre [169] . Le théâtre, dont le modèle essentiel est pour Hofmannsthal le théâtre anglais de la fin du XVIème siècle et en particulier Shakespeare, doit « reproduire tout, absolument tout : tous les vices, tous les ridicules, tous les langages » [170] . Cette justesse des langages au théâtre est comme une tonalité musicale à trouver entre accords et dissonances. Pour pouvoir tenir en équilibre selon le modèle incarné par le clown Furlani, il faut chercher une pantomime de la rencontre, dont le théâtre et le cirque peuvent être les moyens modernes. Et c’est par le rythme, la « bonne cadence » [171] que l’auteur donne à sa comédie que les mots peuvent faire résonner la grâce, « enseigne(r) le silence à l’éloquence » [172] :
Tout dépend d’un je-ne-sais-quoi, d’une certaine grâce je dirais : il faut que tout se déroule continuellement impromptu. [173]
Cette grâce mystérieuse, qui est un rythme continu, assure le va-et-vient entre le dedans et le dehors, le grave et le léger, soi et autrui. Elle est une « récréation » [174] , véritable re-création de l’être, régénération où le spectacle mettant tout sens dessus dessous donne paradoxalement à voir une intention unifiée, exorcisant ainsi le mélange innommable du non-sens en une libération silencieuse et joyeuse. Le clown Furlani qui « mêle toujours de l’intention d’autrui » [175] à ses gestes donne ainsi l’impression d’une nonchalance suprême alors qu’il fait preuve d’une tension redoublée de l’esprit. Dans le miroir de ce double sublime dont l’élégance réussit, Bühl peut se retrouver et entrevoir une sublimation possible. Dans le silence éloquent de la pantomime où l’intention transparaît, la bonne volonté du clown trouve une expression efficace qui garantit la magie du spectacle. Bühl peut alors laisser libre cours à son empathie, à cette manière partagée avec Hélène de sentir l’intention d’autrui, sans risquer d’y perdre tout contour, comme dans la vie, puisque le clown recueille et donne corps aux intentions des autres. Mais cette éloquence muette ne peut se substituer au langage. La critique des problèmes de l’intention dans la pièce suggère le nécessaire dépassement de l’indicible comme immédiateté fantasmée et de l’intention comme langage muet. Si le spectacle régénère Bühl et le sort de sa solitude intérieure en lui montrant les gestes joyeux d’un clown « qui a raison » [176] , c’est en en parlant à Hélène qu’il s’y reconnaît, confiant son propre rapport au monde et accédant par la parole au partage de ces difficiles valeurs. Dans la pantomime comme dans la danse, se donne à voir une incarnation en mouvement, un langage du corps « hautement personne(l) » [177] , en situation de pure écoute où se croisent le dedans et le dehors. Le personnage de Kari, dont le corps parle en quelque sorte pour lui, et qui demande à Antoinette si elle sait ce qu’est le cœur, entrevoit dans les dialogues avec Hélène une possible continuité entre le langage, le cœur et le corps. Les larmes irrépressibles sont un signe de ce passage du dedans vers le dehors, de cette quête d’une ouverture de l’être où les différents moyens de signifier puissent se soutenir les uns les autres. En proposant une éthique de l’écoute et du multilinguisme, la comédie de L’homme difficile fait éprouver au spectateur comment « la vie intérieure et extérieure se pénètrent de façon merveilleuse » [178] . L’intention n’est ni purement dicible ni purement indicible, elle appartient à cette mixité indémêlable. L’hypothèse d’une intériorité ineffable et d’un langage privé est un mythe corollaire de la croyance inverse en une pure extériorité, où le sens ne dépendrait que des faits et des comportements observables. Si l’intention appartient partiellement au domaine du pré-linguistique, elle n’advient réellement que par l’expression qui lui donne forme. Le fantasme d’une intention idéale risque dangereusement de priver le sujet de toute possibilité d’expression. L’intention existe comme moteur du langage et de l’action, mais elle n’en est pas l’origine. C’est à partir de l’ex-pression que le sujet la reconstruit, la produit après-coup comme origine. Elle ne peut donc être pensée sur le modèle du langage, comme une parole muette que le langage réel exprimerait ou traduirait. L’intention est entre le dicible et l’indicible, dans le va-et-vient, la relation [179] entre les deux : le couple intention et expression étant une manière dont nous racontons les mystérieux et multiples passages entre dire et ne rien dire.
Conclusion
Entre le début et la fin de la genèse de la pièce, l’auteur a été témoin et acteur de l’effondrement d’une société et des bouleversements du présent. Le primat du possible sur le réel, du bavardage sur le sens, du lacunaire sur l’achevé signale la fin d’un monde et de la vision sur laquelle il reposait. Mais au théâtre cette représentation du problématique peut profiter au spectacle. Evitant les dangers du narcissisme en poésie et les risques de dissolution du récit dans le roman, le théâtre constitue le lieu possible d’une représentation véritablement libératrice de ce malaise du sujet et du langage. La misanthropie y est productive et comique, les problèmes de langage et d’intention ne risquent pas d’être abstraits et de reconduire l’illusion qu’ils tentent d’examiner. Le dire et le faire, avec tout ce qu’ils mettent en jeu, y sont bien concrets, c’est-à-dire non pas réels, mais efficients, rendus présents. L’insatisfaction liée au désir d’un langage authentique est une manière d’éviter de sortir de soi et de faire le deuil des possibles. Le contexte d’apocalypse sociale et politique donne une charge d’affect exacerbée à cette difficulté à parler et à vivre avec les autres et la force d’Hofmannsthal est de traiter ensemble l’aspect constitutif du problème et les puissants dangers de sa forme contemporaine. Le désinvestissement généralisé de l’intention est une manière de représenter a posteriori l’évolution des choses comme inéluctable, c’est une forme de stratégie de déresponsabilisation. L’excessive sensibilité du personnage à l’indécence du langage suggère a contrario l’importance de la variété de ses usages. Il est vrai que le langage tend de dangereux pièges et que la possibilité du sens semble promettre une nécessité qui conjurerait la part du hasard. Mais se confronter à ces ombres que projettent les mots est le seul moyen d’avoir conscience de notre humanité, de ne pas devenir nous-mêmes des ombres désincarnées. La part de l’inexprimable joue un rôle essentiel dans le vécu, mais elle ne peut être exclue du jeu du langage et du silence parce qu’elle n’est pas en elle-même isolée. Aussi vouloir la préserver du langage, à moins d’être un ermite ou de faire comme certains moines vœu de silence, empêcherait tout accès à l’autre et à la grâce. Les « liaisons qu’on ne peut nommer » [180] sont au cœur de la vie qui est « pour nous tous indiciblement difficile, sournoise et d’une méchanceté sans bornes : c’est dans le fait de la supporter que se trouve la beauté et le merveilleux » [181] . La comédie, qui pose le problème d’un ton léger, en sait plus que son personnage dont l’élégance en suggère une autre, celle de l’écriture effleurant la nudité des choses avec la pudeur caractéristique de la poésie pour Hofmannsthal [182] . Dans l’interstice laissé entre le dire et vouloir dire se glisse le jeu de l’écriture qui est avant tout et en dernier lieu un acte d’amour [183] . L’artiste réunit « le don de saisir et d’apaiser » [184] et Hofmannsthal nous incite à un art du langage qui soit la recherche de cette rare mais indispensable réunion.
Notes
- [1]
Pour le texte en français, L’Homme difficile, traduit & présenté par Jean-Yves Masson, éd. Verdier, 1992, 2ème édition révisée, p. 39. Pour le texte allemand, Der Schwierige, Reclam, 2000, Universal-Bibliothek Nr. 18040, p. 39 : « Mich interessiert nichts auf der Welt so sehr, als wie man von einer Sache zur andern kommt. ». Toutes les citations ultérieures seront faites à partir de ces deux éditions.
- [2]
Commencée en 1917, la rédaction de la pièce est achevée en 1919 avant d’être représentée en 1921.
- [3]
« […] wie kann der Sprechende noch handeln – da ja ein Sprechen schon Erkenntnis, also Aufhebung des Handelns ist – mein persönlicher mich nicht loslassender Aspect der ewigen Antinomie vom Sprechen und Tun, Erkennen u. Leben » , an Anton Wildgans, direktor des Burgtheater, 14. 2. 1921, dans l’édition critique établie par Martin Stern Sämtliche Werke XII, Frankfurt am Main, 1993, S. 504, cité par Ursula Renner dans l’édition Reclam, p. 179.
- [4]
« Der Man ohne Absicht », « Die Schwierigen » « Die Miβverständnisse ».
- [5]
p. 13, « Das ist der Punkt, der für mich der Hauptpunkt ist, nämlich. », p. 9.
- [6]
p. 17, « ein unentwirrbarer Knäuel von Miβverständnissen. Ah, diese chronischen Miβverständnisse ! », p. 13.
- [7]
D’après les Considérations inactuelles de Nietzsche.
- [8]
Selon les théories développées par Hobbes, Locke et Rousseau.
- [9]
(I, 3) p. 15. « Sei Er gut, Kari, hab Er das nicht mehr, dieses Unleidliche, Sprunghafte, Entschluβlose, daβ man sich hat aufs Messer streiten müssen mit Seinen Freuden, weil der eine Ihn einen Hypochonder nennt, der andere einen Spielverderber, der dritte einen Menschen, auf den man sich nicht verlassen kann. », p. 11.
- [10]
Antoinette à Neuhoff, p. 124.
- [11]
Au double sens du terme.
- [12]
(II, 10), p. 93, texte allemand, p. 98.
- [13]
(III, 7), p. 132, « Klar wie’s Einmaleins », p. 137.
- [14]
« Es ist ja leben stummes Weiterwandern / Von Millionen, die sich nicht verstehn / Und wenn sich jemals zwei ins Auge sehn, / So sieht ein jeder sich nur in dem andern. », Gestern (Hier) in Gedichte und Dramen I, Gesammelte Werke, S. Fischer Verlag, Frankfurt am Main, 1979, p. 216.
- [15]
La réflexion d’Hofmannsthal rejoint ici certains développements de Walter Benjamin sur la nature double et paradoxale du langage : « Il n’y a pas de contenu du langage ; comme communication, le langage communique une essence spirituelle, c’est-à-dire purement et simplement une communicabilité », « Sur le langage » in Œuvres I ,Gallimard, folio essais, Paris, 2000, p. 150.
- [16]
(I, 3), p.15, « Du weiβt, ich binde mich so ungern. », p. 11.
- [17]
Cette notion développée par Wittgenstein dans les Recherches philosophiques est liée à un cheminement complexe sur le statut de l’inexprimable entre le Tractatus, et sa fin « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire », et la seconde partie de son œuvre.
- [18]
On signale d’ailleurs que le terme est issu du latin « jocus », « jeu en paroles, plaisanterie », rapproché de mots indo-européens désignant la parole.
- [19]
(I, 16), texte français, p. 58, texte allemand, p. 61.
- [20]
(I, 5), p. 25, « Unmöglicher Mann », p. 23.
- [21]
« das Ich ist unrettbar », selon la fameuse formule d’Ernst Mach in Analyse der Empfindungen (1922), L’analyse des sensations, éd. Jacqueline Chambon, Nîmes, 2000, traduction par F. Eggers & J-M Monnoyer, p. 27. Le phénoménisme de Mach procède à une critique de l’ego transcendantal kantien, d’une conception du moi comme « unité indivise et indépendante ».
- [22]
(I, 10), p. 45. « Kennen – wenn man das Wort von einem solchen Wesen brauchen darf. In gewissen Augenblicken gewahrt man erst, wie doppelsinnig das Wort ist : es bezeichnet das Oberflächlichste von der Welt und zugleich das tiefste Geheimnis des Daseins zwischen Mensch und Mensch. », p. 46.
- [23]
(III, 11), p. 144, « Mann kann nicht analysieren, ohne in die odiosesten Miβverständnisse zu verfallen. », p. 150.
- [24]
Op. cit., p. 215.
- [25]
Edine (II, 6), p. 85, « und so geht das vice versa », p. 89.
- [26]
« En voulant concevoir le Moi comme une unité idéelle, on ne sortirait pas du dilemme suivant : soit mettre en face de ce Moi un monde fait d’essences inconnaissables (démarche oiseuse et sans objet), soit considérer l’ensSur l’opposition topique de l’Autrichien et du Prussien, voir Bernard Banoun « L’homme difficile de Hugo von Hofmannsthal, une comédie pour saisir l’indicible » in Revue Méthode ! n°13, éd. Vallongues, 2007, pp. 322-23. Ensemble du monde, y compris le Moi des autres hommes, comme étant contenu dans notre propre Moi (ce à quoi on peut difficilement se résoudre avec sérieux). / Si en revanche, on envisage un tel Moi à la façon d’une unité pratique, cherchant provisoirement à s’orienter, ou comme un groupe composite d’éléments […], les questions de cet ordre ne se posent plus […]. », E. Mach, op. cit., pp. 29-30.
- [27]
Sur l’opposition topique de l’Autrichien et du Prussien, voir Bernard Banoun « L’homme difficile de Hugo von Hofmannsthal, une comédie pour saisir l’indicible » in Revue Méthode ! n°13, éd. Vallongues, 2007, pp. 322-23.
- [28]
Stani (III, 7), p. 131, « eine schiefe Situation », p. 135. Crescence (III, 10), texte français p. 141, texte allemand, p. 148.
- [29]
(III, 10), p. 142, le terme allemand « aussetzt » marque comme « s’ex-poser » le mouvement vers l’extérieur.
- [30]
(III, 13), p.148, « in eine Uhuhütte », p. 155.
- [31]
« Ce n’est pas le fait brut qu’il faut apprécier, c’est la nuance. », Hechingen (III, 5), p. 129, « Nicht die Tatsache muβ gewertet werden, sondern die Nuance », p. 133.
- [32]
(I, 3), p. 18, « Ich bin der unkomplizierteste Mensch von der Welt », p. 14.
- [33]
A Hélène (III, 8), p. 138, « Ich hab einen unmöglichen Charakter », p. 144.
- [34]
« Mon cher, les gens sont, Dieu merci, très simples, si on les prend simplement », p. 20, « Mein Lieber, die Menschen sind gottlob sehr einfach, wenn man sie einfach nimmt », p. 17.
- [35]
(I, 3), « J’ignore vraiment si ce serait précisément moi l’homme de la situation. », p. 23. « Ich weiβ wirklich nicht, ob ich gerade der richtige Mensch dafür wäre.», p. 20.
- [36]
(I, 18) « J’ai donc un bon programme devant moi », p. 62, « Da hab ich also ein richtiges Programm. », p. 65.
- [37]
On peut remarquer que malgré ses difficultés, Bühl occupe un rang important et envié, comme le montre la discussion entre l’homme célèbre et Neuhoff (II, 2), texte français, p. 79-80, texte allemand, p. 82-83.
- [38]
(II, 14), p. 101, texte allemand, p. 107.
- [39]
« Le présent octroie des formes. Dépasser ce cercle enchanté et conquérir d’autres formes, c’est la démarche propre de la création. » in Le livre des amis, traduit et présenté par J-Y. Masson, Paris, éd. Maren Sell, coll. « Petite Bibliothèque Européenne », 1990, p. 55.
- [40]
Ce thème du devenir fantomatique des êtres et de la société est topique dans la Vienne de 1900, on le retrouve notamment chez Arthur Schnitzler dans Vienne au crépuscule et La Nouvelle rêvée.
- [41]
(II, 2), p. 79. « Geist und diese Menschen ! Das Leben – und diese Menschen ! Alle diese Menschen, die Ihnen hier begegnen, existieren ja in Wirklichkeit gar nicht mehr. Das sind ja alles nur mehr Schatten. Niemand, der sich in diesen Salon bewegt, gehört zu der wirklichen Welt, in der die geistigen Krisen des Jahrhunderts sich entscheiden. Sehen sie doch um sich : eine Erscheinung wie die Figur dort im nächsten Zimmer, vom Scheitel bis zur Sohle sich balancierend in der Selbstsicherheit der unbegrenzten Trivialität – von Frauen und Mädchen umlagert – Kari Bühl. », p. 81-82.
- [42]
Hélène, p. 68, l’homme célèbre, p. 79. Malgré la sévérité de Karl Kraus envers le jeune Hofmannsthal dans La littérature démolie, les deux auteurs se rejoignent sur ce constat.
- [43]
« Peut-être Sa seigneurie ne mesure-t-elle pas suffisamment quelle amère sévérité morale s’attache à la vie, dans nos sphères dépourvues d’éclat, et combien il n’est jamais question pour nous que d’échanger de pénibles devoirs contre de plus pénibles encore », (I, 7), p. 32. « Vielleicht ermessen Euer Erlaucht doch nicht zur Genüge mit welchem bitteren, sittlichen Ernst das Leben in unsern glanzlosen Sphären behaftet ist, und wie es sich hier nur darum handeln kann, für schwere Aufgaben noch schwerere einzutauschen. », p. 31.
- [44]
Hélène est dite « difficile à connaître » par Kari (I, 16, p. 58, « Sie ist schwer zu kennen, p. 61), de même pour la difficulté des tours du clown Furlani derrière leur apparente facilité (II, 1, p. 72, « alle diese Sachen sind ja schwer », p. 73).
- [45]
p. 11 & 67, texte allemand, p. 7 & 68.
- [46]
Selon l’expression mallarméenne.
- [47]
(I, 8), p. 34, « Ein paar alte französische Sachen », p. 33.
- [48]
« Quel est son travail ? Il administre son majorat ? Quoi d’autre ? Il s’occupe de politique ? », p. 11. « Was arbeitet Er ? Majoratsverwaltung ? Oder was ? Politische Sachen ? », p. 7.
- [49]
« C’est que cela jette une lumière sur certaines de ses intentions », p. 12. « Nämlich : es wirft ein Licht auf gewisse Absichten », p. 8.
- [50]
La correspondance entre les deux est plus développée dans L’Incorruptible et La Femme sans ombre, dont la rédaction du livret pour Strauss est contemporaine de celle de L’homme difficile.
- [51]
(I, 12), p. 44-45. « Ein wunderbarer Mann in unserer absichtsvollen Welt », p. 46, « Denn wir leben in einer würdelosen Welt », p. 47.
- [52]
p. 16 (I, 3, Crescence), p. 40 (I, 8, Stani). Voir aussi Neuhoff à Antoinette (III,4) : « les Kari Bühl, cette sorte d’hommes sans bonté, sans consistance, sans nerfs, sans loyauté ! », p. 123, « diese Sorte von Menschen ohne Güte, ohne Kern, ohne Nerv, ohne Loyalität ! », p. 127.
- [53]
p. 40, 43 & 150, texte allemand, p. 40, 44 & 157.
- [54]
(I, 7), p. 33, texte allemand, p. 32.
- [55]
Crescence à Hans Karl, (I, 3) : « ainsi, tu as une mission, et toute la soirée a un sens pour toi », p. 24, « so hast du eine Mission, und der ganze Abend hat einen Sinn für dich », p. 21. Hechingen à Stani (III, 2) : « Dès l’instant où je vais franchir le seuil de ce salon, c’est mon sort qui se décide. », p. 115, « Wenn ich jetzt die Schwelle dieses Salons überschreite, so entscheidet sich mein Schicksal. », p. 118.
- [56]
(III, 8), p. 134, « Etwas Irreparables ? », p. 139.
- [57]
La Tour, (II, 1), in Le Chevalier à la rose et autres pièces, Gallimard, nrf, 1979, p. 365.
- [58]
Comme le rappelle Neuhoff « toute culture connaît son moment de plein épanouissement ; la valeur sans la présomption, la distinction tempérée par une grâce infinie » (I, 12, p. 48) et connaît réciproquement le déclin des valeurs qui l’ont fondée.
- [59]
« Mon palais à moi, c’est mon destin », « Mein Schicksal ist mein Palast » in La lettre du dernier des Contarin in Andréas et autres récits, Gallimard, 1970 &1994, coll. « l’Imaginaire », trad. Eugène Badoux & Magda Michel, p. 231. Or L’homme difficile commence dans la maison du comte Bühl, dans son cabinet de travail comme c’est le cas pour le comte Alvise Contarin écrivant à son bureau, et Hans Karl déclare n’y être pour personne (I, 2, texte français, p. 14, texte allemand, p. 10), ce qui montre sa difficulté à occuper les lieux. La maison symbolise à la fois la subjectivité et le destin, au croisement de l’espace et du temps.
- [60]
In Création littéraire et connaissance, Tel Gallimard, 1966, trad. Albert Kohn, p. 152.
- [61]
In Ecrits en prose, éd. de la Pléiade, J. Schiffrin trad. E . Hermann, avant-propos de C. Du Bos, 1927, pp. 63-64.
- [62]
Comme dans la deuxième scène décisive de dialogue entre Hélène et Hans Karl où les confidences se font tout bas, comme un murmure, (III, 8), Hélène : « Parlons encore plus bas, si vous le voulez bien », p. 136, Bühl : « […] Je vous entends mal, vous parlez si bas. » / Hélène : « Vous m’entendez très bien », p. 137-138. C’est dans sa vision que Bühl entend pleinement la « voix claire et pure » d’Hélène. Hofmannsthal disait avoir voulu « fixer la mélodie d’une aristocratie mourante », à Paul Géraldy ayant traduit la pièce sous le titre L’Irrésolu, Paris, Arthème Fayard, 1955, « Les Œuvres libres » n° 115, p. 223.
- [63]
(I, 3), p. 10 & 21, texte allemand, p. 11 &17.
- [64]
Pour le détail des enchâssements des dialogues, voir Florence Fix « Hofmannsthal : l’homme en difficulté » in La misanthropie au théâtre, ouvrage coordonné par Frédérique Toudoire-Surlapierre, PUF, coll. « CNED/PUF », 2007, p. 103.
- [65]
(III, 2), p. 116, « Er übernimmt manchmal ein bissl viel, der Onkel Kari. Wenn irgend jemand etwas von ihm will – er kann nicht nein sagen. », p. 119.
- [66]
« Vers 1890, les maladies spirituelles des poètes, leur sensibilité suraiguë, l’angoisse indicible de leurs découragements, l’outrance de leur symbolisme, leur impuissance à se contenter des mots existants pour exprimer leur sentiments, tout cela deviendra la maladie générale des jeunes gens et des jeunes femmes des classes cultivées. » in Des caractères dans le roman et dans le drame, op. cit., p. 68. Voir le commentaire de la maladie européenne de la volonté par J-Y. Masson dans son ouvrage Renoncement et métamorphose, éd.Verdier, 2006, p. 205-213.
- [67]
(I, 8), p. 35, texte allemand, p. 34.
- [68]
p. 37, « Zum Beispiel, wenn man sich plötzlich klarwird, daβ man nicht mehr glaubt, daβ es Leute gibt, die einem alles erklären könnten. », p. 37.
- [69]
p. 38, texte allemand, p. 38.
- [70]
« La décision doit naître de l’instant. Tout de suite ou pas du tout, c’est ma devise ! », p. 39, « Der Entschluβ muβ aus dem Moment hervorgehen. Gleich oder gar nicht, das ist meine Devise ! », p. 39.
- [71]
Selon le célèbre titre de l’ouvrage de J. Starobinski, Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle, Gallimard, 1971.
- [72]
(I, 16), p. 57, texte allemand, p. 59.
- [73]
Loc. sit.
- [74]
(I, 16), Hans Karl à Stani : « J’admire ton courage », puis « C’est une autre sorte de courage que celui des tranchées », p. 58. Le mot utilisé dans le texte allemand « Mut » (p. 61) peut également s’employer au sens de « cœur ».
- [75]
Crescence, p. 60, texte allemand, p. 64.
- [76]
(I, 3), p. 15, texte allemand, p. 11-12.
- [77]
(I, 18), p. 60, texte allemand, p. 63.
- [78]
(I, 12), p. 46, texte allemand, p. 46.
- [79]
(II, 10), p. 89.
- [80]
Ce qui est développé par Hofmannsthal dans les Chemins et les rencontres : « Mais il est sûr que le chemin et la quête et la rencontre sont de quelque façon au nombre des mystères d’Eros. […] La rencontre promet davantage que ne peut tenir l’étreinte. Elle semble inscrite, si j’ose dire, dans un ordre supérieur des choses, celui-là même qui préside aux mouvements des astres et à la fécondation des pensées. » in Lettre de Lord Chandos et autres textes,trad. Jean-Claude Schneider & Albert Kohn, nrf, Poésie Gallimard, 1980 & 1992., p. 117, nous soulignons.
- [81]
Voir la postface à l’édition Reclam d’Ursula Renner, « Sprechen ist ein ungeheurer Kompromiβ », p. 180-181.
- [82]
(II, 18), p. 89, texte allemand, p. 93.
- [83]
Loc. sit.
- [84]
p. 102, le mot « horreur » est en français dans le texte allemand, p. 108. Le diagnostic a déjà été donné par Crescence (I, 18) : « Mais avec toi on a jamais su où l’on en était ! », p. 61.
- [85]
(I, 3), p. 17, texte allemand, p. 13.
- [86]
Hans Karl, p. 106, Stani, p. 57.
- [87]
(II, 14), p.105, « in diesem Stück Leben », p. 112.
- [88]
p. 104, texte allemand, p. 110.
- [89]
- [90]
(II, 4), p. 106, texte allemand, p. 113. Acte II scène 12, Bühl disait déjà à Crescence que sa faiblesse était de « distinguer rarement ce qui est définitif » (p. 96), mais à ce moment-là il vient de finir sa conversation avec Antoinette et croit avoir saisi ce qu’il doit dire à Hélène : il dit donc quelque chose de juste sur lui-même, tout en étant encore dans l’illusion quant à ses intentions et à l’action à laquelle ses paroles doivent mener.
- [91]
Selon le sous-titre de L’Aventurier, autre comédie d’Hofmannsthal.
- [92]
(II,14), p. 104, texte allemand, p. 110. Voir aussi Antoinette (II, 11) : « L’instant est tout, je ne peux vivre que dans l’instant. J’ai une si mauvaise mémoire », p. 94, texte allemand, p. 99.
- [93]
pp. 136-37, texte allemand, pp. 142-43.
- [94]
- [95]
p. 127, texte allemand, p. 131.
- [96]
(III, 2), p. 118, texte allemand, p. 121.
- [97]
(I, 3), Crescence à Hans Karl : « Mon cher, je ne suis ni sourde, ni aveugle » (p. 18, texte allemand, p.14), (II, 13), Hélène à Neuhoff « Lisez-vous sur les lèvres, comme les sourds-muets » (p. 97, texte allemand, p. 102).
- [98]
Selon le titre d’un ouvrage de Pascal Dethurens, Thomas Mann et le crépuscule du sens, éd. Georg, 2003.
- [99]
Comme le montre J-Y. Masson dans la postface de l’édition Verdier, p. 164.
- [100]
Op. cit., p. 78.
- [101]
Selon le titre d’un article de Claudio Magris repris dans son ouvrage L’anneau de Clarisse, Grand style et nihilisme dans la littérature moderne, éd. L’esprit des péninsules, 2003.
- [102]
In Lettre de Lord Chandos et autres textes, op. cit., p. 38.
- [103]
Ludwig Wittgenstein in Philosophische Untersuchungen, (Recherches philosophiques), texte allemand et traduction anglaise de G.E.M. Anscombe, Oxford, 1953 (nouvelle édition révisée en 1995). Trad. F. Dastur, M. Elie, J.-L. Gautero, D. Janicaud & E. Rigal, Paris, Gallimard, 2005, II, p. 178.
- [104]
(II, 1), texte français, p. 69, texte allemand, p. 70.
- [105]
Loc. sit..
- [106]
(II, 1), p. 72, texte allemand, p. 74.
- [107]
Les mots ne sont pas de ce monde, lettres à un officier de marine, traduit de l’allemand et préfacé par Pierre Deshusses, Rivages Poche, Petite Bibliothèque, n° 494, éd. Payot & Rivages, 2005.
- [108]
Voir La misanthropie au théâtre, « Prolégomènes », op. cit., pp. 40-44 & pour les autres pièces au programme, Le misanthrope dans l’imaginaire européen d’Elisabeth Rallo-Ditche, éd. Desjonquères, coll. « Littérature & idée », pp. 31-33.
- [109]
Les mots ne sont pas de ce monde, op. cit., p. 127.
- [110]
Quand il cherche à confier à Hélène la révélation qu’il a eue au front, Hans Karl a d’ailleurs cette phrase éloquente : « mon Dieu, qui pourrait raconter cela ! », p. 105, « mein Gott, ja, wer könnte denn das erzählen ? », p. 111.
- [111]
Selon le titre de l’ouvrage de Claude Lefort, nrf Gallimard, 1978.
- [112]
- [113]
Loc. sit.
- [114]
Karl Kraus, Aphorismes, tirés de Dits et contredits, Pro Domo et Mundo publiés aux éditions Ivréa, 1993 & 1985, éd. Mille et une nuits, 1998, n° 198, p. 43.
- [115]
(I, 3), p. 19, texte allemand, p. 16.
- [116]
Voir Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, trad. Gilles-Gaston Granger, Paris, Gallimard, 1993, (4.12). C’est pourquoi Wittgenstein passe de l’expression « les limites du langage » dans le Tractatus à celles de « jeux de langage » et de « formes de vie » dans les Recherches philosophiques, rejetant ainsi tout discours totalisant et métaphysique sur une essence du langage au profit d’une réflexion sur la métamorphose du langage dans des usages et des contextes auxquels nous choisissons ou non de donner un sens.
- [117]
(II, 14), p. 103, texte allemand, p. 109.
- [118]
Au sens grammatical lié à l’expression du temps dans la langue.
- [119]
(I, 18), p. 61, « Daβ alles schon längst irgendwo fertig dasteht und nur auf einmal erst sichtbar wird. », p. 65.
- [120]
Andréas et autres récits, op. cit., p. 226. In Lettres du voyageur à son retour, précédé de la Lettre de Lord Chandos, éd. du Mercure de France, Gallimard, 1969, trad. Jean-Claude Schneider, p. 7 & suivantes.
- [121]
Andréas et autres récits, op. cit., p. 226.
- [122]
Kraus, op. cit., p. 41.
- [123]
« Le poète et l’époque présente », in Lettre de Lors Chandos et autres textes, op. cit., pp. 93-94.
- [124]
Ibid., p. 95.
- [125]
(I, 15), p. 55, texte allemand, p. 57. Ce qui est traduit en français par « Pas une base, une phrase ! » avec l’idée de la langue comme socle, sol sur lequel fonder les choses.
- [126]
Le terme a la même étymologie que « responsabilité », l’anglais qui a conservé la racine commune « response » dit le lien entre les deux termes.
- [127]
Comme le montre Lacan, voir Séminaire II, Paris, Seuil, 1978. Cette thématique est commentée à propos d’Alceste par E. Rallo-Ditche, op. cit., p. 29 & 70.
- [128]
- [129]
(II, 14), p. 101, « Durchs Reden kommt ja alles auf der Welt zustande. », p. 107.
- [130]
(II, 12) à Crescence : « Je n’ai pas ta manière d’aller droit au but. Je sors facilement de la ligne que je me suis fixée, je dois bien l’avouer », p. 95, « Ich hab nicht deine zielbewuβte Art. Ich komm leicht von meiner Linie ab, das muβ ich schon gestehen. », p. 100.
- [131]
(II, 14), p. 105-106, « Was wollen Sie damit sagen ? », p. 111, « Sie haben mir etwas sagen wollen, war es das ? », p. 112, puis en chiasme « War es das, was Sie mir haben sagen wollen, genau das ? », p. 113.
- [132]
Les mots ne sont pas de ce monde, op. cit., p. 38.
- [133]
(I, 8), p. 40, « einen bizarren Begriff einzuschieben : den der höheren Notwendigkeit », p. 40. Le nom de l’héritage paternel « Hohenbühl », commenté par J-Y. Masson dans sa postface (p. 164), est lié à une hauteur problématique. La nécessité supérieure est un concept qui renvoie au passé évanoui et c’est pour cela qu’il est devenu « bizarre » dans le monde moderne.
- [134]
(II, 14), p. 107, « zu Ihren Lippen, die nichts Überflüssiges reden können», p. 113.
- [135]
(III, 13), p. 148, « […] daβ es unmöglich ist, den Mund aufzumachen, ohne die heillosesten Konfusionen anzurichten ! », p. 155.
- [136]
D’après le titre du poème « Eigene Sprache » in Gedichte und Dramen I, op. cit., p. 189.
- [137]
(I, 13), p. 50.
- [138]
- [139]
Voir notamment J-C. Milner, Les noms indistincts, éd. Verdier poche, 1983.
- [140]
(II, 10), pp. 89-90.
- [141]
(III, 13), p. 148, « in den Mund nehmen », p. 155.
- [142]
J. Lacan, Le Séminaire. Livre II, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1978, p. 186.
- [143]
p. 91, « ein tierisches Dahintaumeln », p. 96.
- [144]
(II, 14), p. 101, voir aussi (III, 13), p. 148.
- [145]
(II, 10), p. 91.
- [146]
« Par le fait de livrer leurs pensées les uns aux autres ou de les accepter, les êtres humains communiquent comme dans des baisers et des étreintes : celui qui accueille une pensée n’accueille pas quelque chose, mais quelqu’un. » in Le Livre des amis, op. cit., p. 33.
- [147]
- [148]
(I, 13), p. 49, « so viel Taktlosigkeiten als Worte », p. 51.
- [149]
- [150]
Voir Ariane Ferry « Le personnage du misanthrope et son rapport à l’espace chez Ménandre, Shakespeare, Molière et Hofmannsthal » in Méthode ! n° 13, op. cit., pp. 339-41.
- [151]
(I, 12), p. 47.
- [152]
« La comédie peut-elle nous paraître savoureuse sans un souffle de mysticisme ? » in Le Livre des amis, op. cit., p. 85.
- [153]
(I, 18), p. 62.
- [154]
Ce sur quoi insiste Wittgenstein dans ses cours à Cambridge de 1939, voir J. Bouveresse, Dire et ne rien dire, l’illogisme, l’impossibilité et le non-sens, éd. Jacqueline Chambon, coll. « rayon philo », 2002, pp.118-129.
- [155]
Selon le titre d’un autre ouvrage de Bouveresse, La parole malheureuse, de l’alchimie linguistique à la grammaire philosophique, éd. de Minuit, coll. « critique », 1987.
- [156]
Hofmannsthal cite Novalis, « après une guerre malheureuse, il faut écrire des comédies », Die Ironie der Dinge in Reden und Aufsätze II, op. cit., p. 284. Sur les rapports entre comédie, comique et ironie, voir Bernard Banoun, op. cit., pp. 321-22. Sur la pathologie et la guérison dans la pièce, voir « Les difficiles sur la scène de théâtre : névrose collective et comédie » in Mélancolie et misanthropie, ss dir. de G. Zaragoza, éd. du Murmure, coll. « Lecture plurielle », 2007, pp. 94-104.
- [157]
dont le nom « Bühl » renvoie peut-être à « buhlen », « courtiser, faire la cour », « Buhler », amant, galant, courtisan. Y aurait-il, Hofmannsthal connaissant parfaitement le français et ayant introduit de nombreux mots germanisés dans le texte, un double sens avec le mot français « bulle » ? Dans cette hypothèse, le nom pourrait évoquer la tension entre la figure du misanthrope, homme bulle, et celle du séducteur pris dans une intrigue galante.
- [158]
(II, 14), p. 103, « spleenig », p. 108.
- [159]
(III, 14), p. 150.
- [160]
Loc. sit.
- [161]
Hélène (II,13), p. 99.
- [162]
p. 103. Voir aussi Hans Karl à Stani, (I, 13) «Vois-tu, j’ai perdu l’habitude de tirer des conclusions sur l’état dans lequel se trouvent les femmes à partir de leurs actes, quels qu’ils soient », p. 52.
- [163]
La dernière comédie de l’auteur (1923) où le rôle de messager de la nécessité supérieure incarné par le serviteur Théodore donne son titre à la pièce, L’Incorruptible, L’Arche éditeur, Paris, 1997. Sur les liens et les différences avec L’homme difficile, voir la postface de J-Y. Masson, pp. 127-142.
- [164]
p. 141 & 145.
- [165]
- [166]
Selon le titre d’un ouvrage d’Henri Michaux.
- [167]
(III, 13), « Plutôt renoncer à mon siège héréditaire […] », p. 148, « Aber lieber leg ich doch die erbliche Mitgliedschaft nieder […] », p. 155.
- [168]
Telle qu’elle est développée par J. Derrida, notamment dans Le monolinguisme de l’autre, éd. Galilée, 1996.
- [169]
(I,10), « prendre à la lettre », p. 43, « wörtlich nehmen », p. 43 & (III,2), p. 119, en français dans le texte allemand « au pied de la lettre nehmen », p. 123.
- [170]
Des caractères dans le roman et dans le drame, op. cit., p. 61.
- [171]
(I, 18), p. 61.
- [172]
à la manière de l’acteur Mitterwurzer dont Hofmannsthal fait l’éloge dans Eine Monographie,Reden und Aufsätze I in Gesammelte Werke, op. cit.,p. 480.
- [173]
Hechingen à Stani, p. 119, « Es kommt alles auf ein gewisses Etwas an, auf eine Grazie – ich möchte sagen, es muβ alles ein beständiges Impromptu sein. », p. 122.
- [174]
(II, 1), p. 71, « eine wahre Rekreation », p. 72. Le rire noble provoqué par le clown redonne vie aux mouvements du corps et de l’esprit, voir Bernard Banoun, op. cit., p. 322.
- [175]
p. 72.
- [176]
p. 71.
- [177]
Le langage des mots est « individuel dans sa manifestation et général dans sa vérité » là où celui du corps montre tout ensemble « dans une vérité hautement personnelle » in Über die Pantomime, Reden und Aufsätze I, op. cit., p. 505.
- [178]
Les mots ne sont pas de ce monde, op. cit., p. 70.
- [179]
A la fois au sens de lien et de récit.
- [180]
(I, 12), p. 47, « namenlose Verbindungen », p. 48.
- [181]
- [182]
« Au plus haut degré de l’art règne la nudité, le dépouillement volontaire ; la contrepartie en est le plus grand sérieux, le plein accomplissement. Quand un tel état s’interrompt un instant et qu’on jette un coup d’œil vers l’extérieur, c’est de l’impudeur. » in Le livre des amis,op. cit., p. 73.
- [183]
« Je crois que l’on ne devrait écrire que quand on en sent la disposition, et cette disposition on l’a quand on désire, avec une sorte d’amour, ce que l’on veut représenter », Les mots ne sont pas de ce monde, op. cit., p. 106.
- [184]
Ibid., p. 146.