Agrégation
ARTICLE
1. Joy Harjo et les littératures autochtones aux États-Unis
Au niveau éditorial et académique, les littératures autochtones ont acquis une visibilité et une légitimité sur la scène littéraire nord-américaine dans la décennie 1970, où de nombreux textes écrits par des auteur.es autochtones paraissent, rencontrent le succès d’un très large lectorat et suscitent l’intérêt des critiques et des universitaires (non-autochtones, bien souvent). Cette production littéraire accrue, sous forme écrite et éditée est souvent désignée sous le nom de Native American Renaissance : proposée par le critique Kenneth Lincoln en 1983, l’expression désigne globalement les textes parus entre The House made of Dawn de Navarre Scott Momaday (Kiowa et Cherokee) en 1968, et Ceremony de Leslie Marmon Silko (Laguna Pueblo) en 1977. Si elle est largement employée au niveau académique ou médiatique (encore aujourd’hui, comme le prouve une simple recherche sur internet), l’expression est très tôt critiquée car le substantif « renaissance » sous-entend que les littératures autochtones étaient comme mortes, ce qui ne rend évidemment pas compte des formes de transmission orale et de la vitalité du storytelling qui n’avaient tout simplement pas la possibilité d’être reconnus au niveau éditorial et d’accéder à la publication. Par ailleurs, l’expression « Native American » est contestée par Harjo qui appelle à l’autodésignation :
There is no such thing as a Native American. Nor is there a Native American language. We call ourselves Mvskoke, Diné, or any of the other names of our tribal nations. In many cases these names often translate as “the people”. […] […] Native American became ubiquitous in the 1990s, employed by academics to replace American Indian. [...] Many tribal nations have reclaimed or are reclaiming their original names.[1]
Lorsqu’elle affirme « There is no such thing as a Native American », Joy Harjo pointe à la fois l’inexactitude d’une caractérisation qui engloberait la diversité des communautés autochtones d’Amérique du Nord, et suggère le paradoxe d’une impossible réunion entre l’autochtonie et l’Amérique comme construction coloniale. Il paraît donc important d’être attentif aux connotations contenues aujourd’hui dans ces expressions que nous rencontrerons immanquablement dans nos lectures, et de les historiciser. Les utiliser aujourd’hui sans distance critique constituerait un contresens pour qui travaille sur l’œuvre de Joy Harjo, dans un cadre où les théories décoloniales se diffusent depuis quelques années en France, bien souvent sous l’impulsion de collègues hispanistes et anglicistes spécialistes des espaces américains, nous apportant des outils critiques intéressants pour penser les littératures autochtones.
À la fin des années 1990, la situation éditoriale des auteur.es autochtones d’Amérique du Nord est décrite en ces termes par Gloria Bird (Spokane), dans l’anthologie Reinventing the enemy’s language. Contemporary Native Women’s Writings of North America co-éditée avec Joy Harjo :
the very nature of the politics of publishing for native women from the beginning has remained hidden beneath the more obvious issues that all native people face. For native women writers in particular, to write and to be published, we work within a system that mimics a larger publication industry where our words are edited and legitimized still by an overwhelmingly male majority who are perceived as the authorities. [2]
Si la situation éditoriale s’est considérablement améliorée depuis les années 2000 pour les auteures autochtones nord-américaines, les critères d’appréciation des productions littéraires restent très souvent assujetties à un héritage marqué par la colonialité : nombre de lecteurs attendent en effet des littératures autochtones qu’elles répondent à un certain nombre de caractéristiques (ou de clichés, auxquels parfois souscrivent certains textes[3]) qui ne relèvent pas tant de la réalité que d’une vision romantisée erronée, d’une recherche d’« authenticité »[4].
Joy Harjo s’inscrit donc dans cette génération d’auteurs et d’autrices autochtones ayant rencontré un très grand succès populaire et critique à partir des années 1970, et ayant impulsé le champ des études littéraires natives dans les universités américaines[5]. Née à Tulsa, dans l'Oklahoma, en 1951, elle a quitté son foyer familial pour faire ses études à l’Institute of American Indian Arts, qui était à l'époque une école du Bureau des affaires indiennes. Elle décrit son parcours difficile dans deux textes autobiographiques, Crazy Brave et Poet warrior: a memoir, parus respectivement en 2012 et 2021. Joy Harjo a commencé à écrire des poèmes en tant que membre de l'organisation étudiante autochtone de l'université du Nouveau-Mexique, le Kiva Club, en réponse aux mouvements d'autonomisation autochtones. Elle a ensuite obtenu une maîtrise de beaux-arts à l'Iowa Writers' Workshop et a enseigné l'anglais, la création littéraire et les American Indian Studies dans de nombreuses universités américaines (University of California-Los Angeles, University of New Mexico, University of Arizona, Arizona State, University of Illinois, University of Colorado, University of Hawai’i, Institute of American Indian Arts, University of Tennessee). Joy Harjo est chancelière de l'Académie des poètes américains et a été membre fondateur du conseil d'administration et présidente de la Native Arts and Cultures Foundation. Elle a récemment été intronisée à l'Académie américaine des arts et des lettres, à la Société philosophique américaine, au National Native American Hall of Fame et au National Woman's Hall of Fame.
Poète et musicienne appartenant à la Nation Muskoke, première Poet Laureate of the United-States autochtone pour la période 2019-2022, Joy Harjo bénéficie d’une exceptionnelle reconnaissance institutionnelle et publique qu’elle met à profit pour faire entendre les voix autochtones[6]. Cet engagement passe tout d’abord par la valorisation de textes écrits par des autrices et des auteurs autochtones, dans les anthologies qu’elle a co-éditées : Reinventing the enemy’s language. Contemporary Native Women’s Writings of North America en 1997, When the light of the world was subdued, our songs came through. A Norton Anthology of Native Nations Poetry en 2020 et Living Nations, Living Words. An Anthology of First Peoples Poetry en 2021. La diffusion est bien l’une des principales missions mises en avant par Joy Harjo dans ces travaux collectifs :
Most readers will have no idea that there is or was a single Native poet, let alone the number included in this anthology. Our existence as sentient human beings in the establishment of this country was denied. Our presence is still an afterthought, and fraught with tension, because our continued presence means that the mythic storyline of the founding of this country is inaccurate. [7]
La première cause défendue par Joy Harjo concerne la (re)connaissance de l’existence des cultures autochtones américaines, dans leur diversité et leur légitimité ; c’est pourquoi elle souligne l’importance de la parution de la Norton Anthology of Native Nations Poetry, étape qui signifie selon elle que la poésie autochtone a enfin sa place dans la poésie américaine[8].
Diffusion, valorisation et reconnaissance s’accompagnent d’une revendication identitaire basée sur le droit à l’auto-détermination et à la création d’outils critiques adéquats proposés par et pour les Autochtones. Joy Harjo écrit par exemple, dans l’introduction de la Norton Anthology :
We decided that the core selection and editing team would be made up of indigenous poets. When American Indian literature began as a recognized field of academic endeavor in the early 1970s, most if not really all the scholars in attendance were non-Native. We wanted to show how this field has developed.[9]
Ce positionnement s’inscrit dans le sillage de l’anthologie éditée par le poète Acoma Pueblo Simon Ortiz en 1998, Speaking for the Generations. Native Writers on Writing. Ce volume marque une étape essentielle dans la réappropriation de la parole créative et critique par les auteur.es autochtones, comme le signale l’introduction de Simon Ortiz au titre programmatique, « Wah Nuhtyuh-yuu Dyu Neetah Tyahstih (Now It Is My Turn to Stand) » :
As representative voices of the Native people of the Americas, all the authors in this volume […] have to be listened to when they say, “Now it is our turn to stand and speak”.[10]
Le volume dirigé par Simon Ortiz a ouvert la voie à l’école critique du nationalisme littéraire autochtone aux États-Unis, nourrie notamment des apports des cultural studies. Dans Speaking for the Generations, l’écrivaine Spokane Gloria Bird souligne par exemple qu’il incombe aux auteur.es et aux chercheur.es autochtones d’analyser les littératures autochtones (« specifically Native writers and Native academics need to take control of the dialogue, to define their literary traditions in the same manner that other nationalist literary movements have done[11] »). Comme le souligne en effet Michèle Lacombe dans l’article qu’elle consacre à la critique autochtone nord-américaine, « [la] littérature comparée entre Premières Nations passe par l’entremise d’un travail collectif qui cherche à remettre en question la théorie et la critique occidentales, trop bien assimilées[12] ».
Enfin – c’est certainement le point le plus important pour comprendre An American Sunrise – l’engagement de Joy Harjo se fonde sur la dénonciation de la violence historique subie par les Premières Nations nord-américaines et sur l’écriture d’une autre histoire, longtemps oubliée et passée sous silence. Le rapport à la colonisation est loin d’être apaisé :
We are still dealing with a holocaust of outrageous proportion in these lands. Not very long ago, native peoples were 100 percent of the population of this hemisphere. In the United States we are now one-half of one percent, and growing. All of the ills of colonization have visited us in its many forms of hatred, including self-doubt, poverty, alcoholism, depression, and violence against women, among others. We are coming out of one or two centuries of war, a war that hasn’t ended.[13]
Il s’agit d’un combat encore à mener, de sorte que ce qu’écrivait Joy Harjo en 1997 est toujours d’actualité en 2020 lorsqu’elle utilise le terme « génocide » dans l’introduction de la Norton Anthology (terme dont on sait qu’il est controversé, comme en témoignent les événements liés à la venue du pape François au Canada en 2022 suite aux découvertes des fosses communes d’enfants près des pensionnats). Ce génocide perpétré à l’égard des Premières Nations nord-américaines s’est notamment appuyé sur des outils symboliques et culturels, via l’imposition d’une hiérarchie entre oral et écrit et l’éradication des langues autochtones :
Even as we continue to create and perform our traditional forms of poetry, we have lost many of these canonical texts due to destruction throughout the Western Hemisphere of the indigenous literary field by the loss of our indigenous languages. We were forced to forsake our languages for English in the civilizing genocidal process.[14]
La question de la langue incarne de manière évidente les tensions propres aux littératures autochtones, tant du côté de la création que de la réception. En l’occurrence, le rapport à l’anglais n’est pas aisé pour Joy Harjo, bien consciente de « the irony, for many of us [Indigenous writers], of our writing in English[15] » :
Many of us at the end of the century are using the “enemy’s language” with which to tell our truths, to sing, to remember ourselves during these troubled times. [...] These colonizers’ languages, which often usurped our own tribal languages or diminished them, now hand back emblems of our cultures, our own designs: beadwork, quills if you will. We’ve transformed these enemy’s languages.[16]
Cette réinvention de la langue s’opère de manière subtile mais puissante dans An American Sunrise, notamment à travers l’emploi du terme « American » : en utilisant « la langue de l’ennemi » pour penser cette « construction de l’ennemi » qu’est l’Amérique, Joy Harjo utilise le pouvoir performatif de la langue pour mieux renverser, ou inverser, les symboliques – ce que nous allons aborder avec quelques commentaires sur le titre du recueil au programme.
2. An American Sunrise : enjeux du titre original
An American Sunrise. L’Aube américaine[17] : la traduction française laisse malheureusement de côté le choix extrêmement signifiant de l’article indéfini « un », qui suggère qu’il n’existerait pas d’aube américaine absolue, mais plusieurs aubes (plusieurs aubes américaines ? plusieurs aubes dont une américaine ?...). L’étrangeté offerte par l’article indéfini est très signifiante, car elle refuse le caractère absolu de ce qui serait justement « l’aube américaine » et pose au seuil du recueil, avant même l’entrée dans la lecture, la nécessité d’un relativisme indissociable de la réflexion historique et politique sur l’Amérique et sur l’américanité, qui est au centre du recueil de Joy Harjo – une réflexion qui s’inscrit dans la mise en tension d’une désignation coloniale qui perpétue l’idéologie dominante et l’absence de reconnaissance juridique, culturelle, historique, socio-politique et linguistique des peuples et des nations autochtones.
Pour qui connaît l’œuvre de Joy Harjo, le choix d’un tel titre pourrait de prime abord sembler paradoxal. En effet, l’adjectif « American » concentre l’histoire des expropriations territoriales et des tentatives d’ethnocides passées sous silence dans la construction de l’imaginaire américain, ce depuis la conquête, et impose une affiliation politique et culturelle unique à la diversité des cultures autochtones. Le titre du recueil de Joy Harjo, An American Sunrise, est donc construit sur une tension au sein d’un imaginaire américain qui est convoqué et dans le même temps mis à distance. En plaçant au cœur du titre, en position liminaire, l’adjectif « American », c’est toute cette construction sociale, politique, idéologique et ontologique qui se voit convoquée pour être mise en question et concurrencée, dans l’ensemble du recueil, par d’autres histoires et d’autres modèles.
Cette tension au sein d’un imaginaire de l’américanité se poursuit avec les connotations symboliques attachées au substantif « Sunrise », qui construit un réseau sémantique mélioratif autour de la lumière, du renouveau mais aussi des origines, ce qu’expriment très bien les derniers vers du poème « For Earth’s Grandsons » (p. 140) qui relient l’aube du passé au futur des générations à venir. Le sunrise, c’est aussi ce temps de la renaissance, du nouveau jour que célèbrent de nombreux peuples autochtones nord-américains (l’exemple le plus célèbre est sans doute les Sun Dances des peuples dits des Grandes Plaines). On perçoit cette dimension spirituelle dans de nombreux poèmes du recueil, où l’aube est liée aux rituels, à la danse, au renouveau (« Seven Generations », p. 62, ou « Weapons, or What I Have Taken in My Hand to Speak When I Have no Words », p. 70). On peut dès lors s’interroger sur la valeur programmatique du titre, qui semble indiquer qu’une nouvelle parole – celle du recueil ? – se propose d’éclairer un récit des origines jusqu’ici obscurci. Connaissant l’engagement de la Poet Laureate pour la réappropriation des discours historiques sur l’américanisation, nous pouvons supposer que le recueil fera en quelque sorte la lumière sur la naissance de la nation états-unienne, à rebours des discours idéologiques dominants de la conquête, dans la culture occidentale. Ainsi le déterminant « An », malheureusement effacé par la traduction française, contient-il la tension la plus intéressante, dans la mesure où l’article indéfini traduit la multiplicité des voix et la pluralité des récits qui fondent la construction d’une nation, et qui demandent à être encore aujourd’hui reconnus, quarante ans après le American Indian Religious Freedom Act, en 1978, auquel font vraisemblablement référence les derniers vers du poème qui donne son titre au recueil - et dont l’article indéfini a, cette fois, été correctement restitué par la traductrice (voir « An American Sunrise », p. 272). Derrière la voix de Harjo se perçoit la référence au poème de Langston Hugues[18], « I, too », signe de la volonté de s’inscrire dans un mouvement collectif de lutte contre les oppressions et pour les reconnaissances, sans ethniciser les groupes humains.
3. L’œuvre poétique de Joy Harjo : musicalité et spiritualité
Outre ses éditions d’anthologies mentionnées ci-dessus, ses entretiens et essais (The Spiral of Memory ; Soul Talk, Soul Language ; Catching the Light) et son travail musical, Joy Harjo a principalement publié des recueils poétiques : The Last Song (chapbook, 1975), What Moon Drove Me to This ?(1979), She Had Some Horses (1983), Secrets from the Center of the World (avec le photographe Stephen Strom ; 1989), In Mad Love and War (1990), Fishing (chapbook, 1992), The Woman Who fell From the Sky (1994), A Map to the Next World: Poems and Tales (2000), Conflict Resolution for Holy Beings (2015). Pour un aperçu plus général de son œuvre, il existe également deux anthologies : How we became human. New and selected poems: 1975-2001 (2004), dont je conseille la lecture, et Weaving Sundown in a Scarlet Light (2022). An American Sunrise (2019) est son dernier recueil paru, et il semble intéressant de nous arrêter quelques instants sur ce parcours poétique, dont le premier jalon important est le recueil She Had Some Horses. Dans l’introduction d’une édition ultérieure datée de 2008, soit 25 ans après la publication originale, Joy Harjo écrit que la question qu’on lui pose le plus depuis la publication du livre, est « que signifient les chevaux ? » ; après un début de réponse attendu et ironique sur le rôle du poète qui n’est pas tenu d’interpréter et de réduire en termes logiques le contenu imaginaire, musical, etc., du poème, Joy Harjo conclut « No, that’s not it at all. The horses are horses ». Ces chevaux, ce sont ceux qui ont accompagné ses ancêtres (même si les Mvskoke ne faisaient pas partie des peuples autochtones dits des Plaines), ou les chevaux de Joy Harjo elle-même ; mais ce sont aussi les chevaux métaphoriques qui peuvent devenir les poèmes, ou encore les chevaux des chants chantés par Simon Ortiz, qui fit découvrir à Joy Harjo « original and old horse songs ». C’est en effet Simon Ortiz qui fait connaître à Joy Harjo les Navajo horse songs, et le poème qui donne son titre au recueil She had some horses est inspiré d’un poème-chant de Simon Ortiz, composé pour leur fille Rainy, « There Are Horses Everywhere ». Harjo écrit :
My own poem “She had some horses” would not have been written without stomp dance, or without my having heard Navajo horse songs.[19]
Creek Stomp Dance songs are traditional Mvskoke songs that are a call and response form with rhythm (and meaning) provided by turtle shell rattles tied to the women dancers’ legs. Dancers move counterclockwise around the fire.[20]
Les chants de chevaux Diné (qui avaient aussi inspiré le poème « Four Horse Songs » du recueil What Moon Drove me to This – moins en termes de rythme que d’imaginaire, toutefois), sont donc au cœur de l’écriture poétique de She had some horses, mais aussi des recueils ultérieurs.
Pour comparaison, on pourra lire dans la version pdf le poème de Joy Harjo « She had some horses » suivi de trois exemples de chants de chevaux Diné tirés de l’anthologie d’ethnopoétique Technicians of the sacred, composée par Jerome Rothenberg[21]. Les chants et la spiritualité Diné sont une source importante pour Joy Harjo : Secrets From the Center of the World, par exemple, s’en inspire largement. Joy Harjo cite notamment en source du poème qui clôt le recueil, « It is an Honor », un extrait du chant de nuit Diné, Navajo Night Chant. Ce Night Chant, qui dure neuf jours, inspire également Navarre Scott Momaday (Kiowa) dans House made of Dawn, mais aussi Simon Ortiz (Acoma Pueblo) dans le poème « Beauty All Around », extrait du recueil After and Before the Lightning dont je ne peux que conseiller la lecture. Jerome Rothenberg explique d'ailleurs que chez les Diné, la poésie visuelle est inséparable de la danse, du chant, parce qu’ils forment partie d’un rituel[25].
Le poème est un chant, est une carte, est un récit : ce sont des motifs de l’écriture poétique de Joy Harjo, influencée dans plusieurs poèmes des années 1990-2000 par les songlines aborigènes, les chants des pistes qui ont fait écrire à Bruce Chatwin que l’Australie était une partition musicale. Harjo écrit par exemple, à propos du poème « Songline of Dawn » (A Map to the Next World) :
The original use of the word songline refers to the Australian Aboriginal concept of enforcing relationship to the land, to each other, to ancestors via the mapping of meaning with songs and narratives. Bruce Chatwin suggested in The Songlines (Penguin, New York, 1987) that the whole of Australia could be read as a musical score, where a musical phrase is like a map reference.[26]
La collaboration avec la poète aborigène Ali Cobby Eckermann[27] (Yankunytjatjara), pour l’écriture du poème « Story Tree » en 2021, témoigne de la permanence de cette inspiration[28].
Les recueils In Mad Love and War, The Woman Who Fell From the Sky et A Map to the Next World contiennent également de nombreuses références au jazz, qu’il s’agisse de poèmes dédiés aux saxophonistes Charlie Parker (« Bird », In Mad Love and War), du saxophoniste Mvskoke Jim Pepper (« The Place the Musician Became a Bear », The Woman Who Fell From the Sky), de poèmes réécrits après avoir été performés musicalement (« The Real Revolution is Love », In Mad Love and War ; « A Postcolonial Tale », The Woman Who Fell From the Sky), ou de poèmes devenus chansons (« Morning Song », A Map to the Next World). On retrouve également ce travail poétique dans An American Sunrise, par exemple avec le poème « Falling From the Night Sky » sous-titré « a song » (p. 134-137), avec le chant d’accueil Mvskoke (« Welcoming Song », p. 268), ou avec cette strophe du poème « Exile of Memory » rythmé par la stomp dance (p. 28).
Le jazz est également très présent dans notre recueil, par exemple avec le poème de trickster « Rabbit Invents the Saxophone » (p. 186-191)[29], et le texte en prose subséquent (p. 192-193) qui relie la création du saxophone à l’histoire Mvskoke et à l’histoire personnelle de Harjo. En effet, le lien entre Harjo et l’instrument est autobiographique (on sait qu’elle est saxophoniste, comme sa grand-mère Naomi Harjo), mais on sait également que Harjo se plaît à imaginer des liens entre le saxophone et la communauté Mvskoke :
I’ve always believed us Creeks had something to do with the origin of jazz. It only makes sense. When the west Africans were forced here they were brought to the traditional lands of the Muscogee peoples and, of course, there were interactions between Africans and Muscogees.[30]
L’influence rythmique se fait par exemple sentir dans le poème « Advice for Countries, Advanced, Developing and Falling », sous-titré « A Call and Response » (p. 198-203), principe musical au fondement du jazz (l’appel et réponse, qui imite le dialogue, n’est bien sûr pas un principe exclusivement pratiqué dans le jazz).
La musicalité et la spiritualité, avers et revers de la création poétique chez Harjo, constituent donc une porte d’entrée intéressante dans son œuvre, et permettent de donner sens à un imaginaire géographique particulièrement présent déployé par des motifs du chemin, de la carte, de la boussole, dans une construction poétique qui confond poème, chant, carte, territoire, histoire. On retrouve par exemple une étoile-boussole sur la couverture du recueil A Map to the Next World, métaphore du recueil-carte. Joy Harjo utilise très fréquemment la métaphore du chemin, de la route, du voyage pour désigner sa démarche poétique :
The poet’s road is a journey for truth, for justice.[31]
My journey on this earth in this life is marked by a path of red earth […]. It is the color of blood, it is the color of a collection of stars, it is the color of life, of breath. And, as anything in life that is a vital part of us, it needs to be fed with songs, poems; it needs to be remembered, hence, this collection of poetic prose and photographs [i.e. Secrets from the Center of the World].[32]
Le poème qui donne son nom au recueil développe plus encore ce rapport du poème à la carte : le poème est la carte et cette carte est faite de sable, dans une « langue de la terre » que les langages humains ne sont pas aptes à transcrire [33].
An American Sunrise s’inscrit peut-être plus profondément encore dans cette territorialité historique, ou dans cette histoire territorialisée, en revenant, à rebours, sur les traces de la piste des larmes. L’ancrage géographique et historique du recueil est très net, avec la présence inédite dans l’œuvre de Harjo de textes en prose à valeur documentaire (A Map to the Next World contenait certes des textes en prose, mais il s’agissait de récits, de contes), notamment le texte à teneur historique et la carte placés au seuil du recueil. De fait, dans An American Sunrise, un tissage mémoriel s’effectue entre musicalité, spiritualité, territorialité et temporalité (voir p. 88-90). Ce feuilletage temporel se déploie bien à travers la notion d’héritage, celui des ancêtres mais aussi celui que l’on laisse aux générations futures. Par les références multiples aux enfants, aux petits-enfants, par un regard rétrospectif sur sa propre existence (« Becoming Seventy », p. 220-241), mais aussi par la proximité de la mort (la sienne et celle d’amis et de proches, comme Shan Goshorn, une artiste multidisciplinaire Cherokee reconnue pour ses objets tressés notamment, décédée en 2018 : le poème « First Morning » lui est dédié, p. 130), Harjo construit dans ce dernier recueil poétique un ethos de la maturité.
4. Archive collective et tissage d’un espace-temps
Le recueil se construit en contrepoint de l’histoire officielle qui efface et met sous silence les entreprises d’ethnocide qui ont accompagné la colonisation du territoire nord-américain. L’ancrage historique est évident, puisque l’entrée dans le recueil se fait par un texte en prose factuel, rappelant le point de départ symbolique de la déportation des populations autochtones au début du xixe siècle : la signature par le président Andrew Jackson, fervent défenseur d’une politique de dépossession des Autochtones, de l’Indian Removal Act en 1830. L'adoption de l'Indian Removal Act a en effet entraîné le déplacement de centaines de Premières Nations de leurs terres ancestrales et leur relocalisation forcée. C’est cet acte officiel de déportation en 1830 qui établit définitivement le « Territoire indien ». On assiste à la « politique du déracinement des nations de l’Est et la transplantation des tribus dans le "Territoire indien", réserve dessinée entre le Mississippi et les Rocheuses, à l’exemple du sentier des larmes qui conduit les Cherokees jusqu’à leur réserve en 1834 ». La plupart des membres des cinq tribus dites « civilisées » du sud-est des États-Unis (Cherokee, Creek, Chickasaw, Choctaw et Séminole) ont été déplacés vers les plaines centrales des États-Unis : « les bouleversements de l’histoire ont conduit à des formes d’ethnocide par les déportations dans des réserves, les regroupements hétérogènes, la déculturation et la prédominance de la langue anglaise »[34].
Si le terme « Trail of Tears » est généralement associé à la déportation des Cherokee, les autres communautés ont également connu ces déportations[35], parquées dans des camps, puis déportées par bateaux pour certaines, ou à pied jusqu’à ce qui constitue aujourd’hui l’État de l’Oklahoma, terme choctaw qui signifie « peuple rouge ». Des milliers d’individus sont morts de faim, de froid ou d’épuisement sur le chemin. Le « Territoire indien » s’amenuise ensuite au gré des récupérations des terres par le gouvernement, jusqu’à disparaître en 1907 avec la création de l’État de l’Oklahoma. Le recueil s’ouvre sur cette déportation, avec un prologue en prose et une carte qui placent l’origine de la parole poétique dans l’Histoire et dans le territoire. Dans ce texte liminaire, Joy Harjo rappelle non seulement que de nombreux Mvskoke connurent leur « trail of tears », et élargit par ailleurs l’emploi à toutes les migrations forcées par la misère et la persécution (voir p. 10).
Plusieurs textes en prose sourcés ancrent le recueil dans une perspective historiographique inédite dans l’œuvre de la poète. En effet, si l’engagement de Harjo dans la dénonciation de la colonisation est explicite dès ses premiers recueils, jamais la prose documentaire n’avait été si présente, tant il est vrai que l’on peut considérer An American Sunrise comme une archive collective rétablissant la parole des vaincus face à l’historiographie états-unienne officielle, celle des vainqueurs. Dans cette archive collective se mêlent les témoignages des déportés, sourcés ou non, et les voix multiples, dont celle d’un « je » autobiographique, qui composent un recueil testimonial choral. L’énonciation est multiple : le « je » (le « I » est très autobiographique dans certains poèmes, références que la lecture des textes autobiographiques de Harjo permettra de repérer) et le « nous » (inclusif ou exclusif, le « we » ne désigne pas toujours le même groupe humain) alternent. Qu’il s’agisse des dédicaces ou des « you » singuliers ou pluriels présents dans les poèmes (l’anglais, qui ne distingue pas P2 et P4, ne rend pas toujours aisée l’interprétation), les adresses sont multiples, tout comme les références contemporaines ou classiques, littéraires ou picturales (T.C. Cannon, Emily Dickinson), ce qui contribue à construire un recueil polyphonique. Un travail précis sur les temporalités et sur l’énonciation semble donc riche de perspectives pour comprendre cette archive collective qui mêle aux archives véritables, sourcées pour certaines, le pouvoir d’une imagination qui redonne vie aux disparus et voix aux absents.
Face à la déportation réelle d’est en ouest inscrite dans l’Histoire, le recueil propose un chemin inverse : un retour réel du « je » qui revient sur les traces de ses ancêtres, d’ouest en est (« I returned to see what I would find, in these lands we were forced to leave behind », p. 22), doublé d’un voyage intérieur sur le chemin de la mémoire collective. Le passé et le présent se superposent d’emblée, dans le texte liminaire, par l’emploi d’un « we » qui abolit les frontières temporelles, et qui fait de l’expérience de déportation passée une expérience d’exil au présent. Espace et temps sont donc liés par la mémoire, qui passe avec fluidité du « je » au « nous » et du présent au passé : « We are in time. There is no time, in time » (« Exile of Memory », p. 46). La temporalité est d’autant plus complexe qu’elle s’ouvre aux temps du mythe, avec par exemple des références ténues aux mythes de la création (« Another will fall from the sky / Through the knots of a tree » est par exemple une référence à la femme tombée du ciel, mythe wendat de la création qui donne son titre au recueil The Woman Who Fell From the Sky). Le recueil déploie également une temporalité rêvée, celle d’un temps d’avant la destruction, d’un temps des origines face auquel le présent semble n’être qu’une version pervertie (« Tobacco Origin Story », p. 204-207).
Née de ce mouvement de retour en arrière sur les traces des ancêtres exilés, la parole poétique permet alors de faire advenir une autre temporalité à mesure que le recueil devient chemin : la spatialisation mise en scène dans les poèmes désigne autant un cheminement au présent qu’un retour en arrière, voire une avancée vers un futur, dans une construction spiralaire intéressante à analyser : en témoignent « The Story Wheel » (p. 72) et surtout le texte en prose « We follow the DNA spiral of stories… » (p. 216) : ce texte en prose emporte le « je » dans le souvenir (recréé, imaginé) de la bataille de Horseshoe Bend. S’ils suspendent volontairement leur incrédulité, s’ils acceptent d’entrer dans la vision de monde proposée par Harjo ou si, a minima, ils acceptent une lecture symbolique où les traumatismes hérités sont représentés, les lecteurs font alors l’expérience d’un recueil testimonial où sont abolies les frontières individuelles et temporelles. C’est que le rêve et la poésie permettent ces échappées hors d’un rationalisme inapte à traduire l’expérience du monde, ce qu’expriment ces vers du poème « By the Way » : « Does that make sense? / Maybe it does only in the precincts of dreams and poetry » (p. 264). C’est aussi le sens du texte en prose « One March a few years back » (p. 256-259), où la courbe du temps se plie dans l’espace du texte et fait coexister deux temporalités passées, celle de Monahwee au galop et celle de Harjo rentrant en voiture à Atlanta (voir p. 256-258). Au-delà d’un système de croyance, cette courbe du temps est une image qui exprime la persistance du passé dans le présent (que l’on pourrait aussi appeler le traumatisme), rendue paradoxalement visible, incarnée, par un revenant, c’est-à-dire par celui qui revient – l’image, au passage, est intéressante pour ce recueil entièrement construit sur le retour du « je » sur les terres ancestrales.
Cette omniprésence des revenants dans le recueil révèle vision de monde non héritée du naturalisme, d’une mondiation non dualiste (Descola) où les non-humains comptent tout autant que les humains. Il faut donc prêter attention aux voix des fantômes réactivées par la parole poétique, mais aussi aux voix des arbres et des éléments naturels, voix silencieuses que le « je » poétique entend (« Exile of Memory », p. 38 ; « Singing Everything », p. 132). Ce qui nous semble intéressant, c’est la juxtaposition des lectures, puisqu’une interprétation ontologique n’interdit pas, bien au contraire, une interprétation historique : le cas des revenants est exemplaire, puisqu’ils désignent autant la « réalité » du monde invisible dans l’ontologie animiste par exemple, que l’héritage traumatique de l’Histoire, comme une présence-absence qui signale l’impossible deuil. Le poème « Let There Be No Regrets » porte également plusieurs lectures, puisque les références animistes proposent une vision du monde à laquelle s’opposent les projets d’exploitation minière et pétrolière du monument national de Bears Ears, dans l’Utah, validés par le gouvernement Trump en 2017-2020 (« To the destroyers, Earth is not a person », p. 194).
Nous avons parlé de feuilletage temporel, de superposition des espace-temps, de juxtaposition des voix, de polyphonie qui crée un concert de voix portées par le « je » : il serait certainement plus pertinent de parler de « tissage » ou de « tressage », un artisanat important dans la culture Mvskoke, qu’il s’agisse de tissus ou d’objets tressés (je rappelle que le poème « First Morning » est dédié à Shan Goshorn, une artiste multidisciplinaire Cherokee reconnue pour ses objets tressés notamment). C’est par exemple ce lien entre tissage et écriture poétique que met en avant l’artiste Allison A. Hedge Coke, dans sa contribution à l’ouvrage édité par Simon Ortiz, intitulée « Seeds ». Allison A. Hedge Coke dresse des parallèles stimulants entre les existences entremêlées, la mémoire et les héritages, le tressage, le tissage et l’écriture :
All creative work feed other creative work. The memories I have imprinted in my mind from making bark and pine-needle baskets and from weaving fabric are significant for my writing today. These weaving skills may produce layered imagery, a tangle of raw material shaped into something tangible through gentle strokes of the fingers and the mind’s eye.[36]
Il ne nous paraît pas anodin que parmi les poètes appréciés par cette auteure pour leur « layered imagery », Joy Harjo figure en première mention[37].
Je voudrais terminer en soulignant la béance que la poésie de Harjo laisse visible, en dépit du pouvoir guérisseur des mots. Il est vrai que la poésie pour Harjo est un rituel cathartique qui permet d’apaiser, de corriger, de réparer peut-être le passé. C’est par exemple ce qu’expriment les vers liminaires du poème personnel « Washing my Mother’s Body » (p. 76). En dépit du pouvoir de la poésie, cette béance (celle de l’histoire personnelle et collective, des blessures individuelles, familiales, communautaires non réparées) n’est pas comblée : elle apparaît dans le recueil, comme une cicatrice, comme une « trace-mémoire », pour reprendre l’expression très juste de Chamoiseau que nous citions dans la présentation générale, qui montre autant la blessure que sa réparation. Cette cicatrice, on la retrouve par exemple dans les images très explicites des « fantômes enragés » ou de la « mémoire en lambeaux », que l'on retrouve par exemple dans les poèmes « Exile of Memory » (p. 24) et « How to Write a Poem in a time of War » (p. 120). La parole se déploie à partir de ces cicatrices, mais il serait me semble-t-il inexact de terminer par une vision de l’Histoire, de la communauté ou de l'individu réparée grâce au pouvoir de la poésie : la permanence de la colonialité, à travers les injustices et les inégalités d’aujourd’hui, mais aussi les irréparables crimes de l’Histoire coloniale nord-américaine (les déportations, les enfants arrachés à leurs familles et placés de force dans les pensionnats, les femmes stérilisées, etc.), empêchent une lecture ultime dans laquelle la poésie aurait le pouvoir de tout guérir. Le poème peut, aussi, être ce lieu paradoxal, à la fois refuge et réclusion d’un « je » captif de la mémoire, ce que semble aussi suggérer le poème « A Refuge in the Smallest of Places » (p. 148).
[1] Joy Harjo (ed.), When the light of the world was subdued, our songs came through. A Norton Anthology of Native Nations Poetry, New York/London, W. W. Norton & Company, 2020, p. 3-4. Du côté francophone, le terme « amérindien » est souvent employé dans les travaux académiques. Dans l’anthologie qu’il consacre aux littératures autochtones du Québec, Maurizio Gatti explique qu’il emploie « de préférence le terme Amérindien plutôt qu’Autochtone parce qu’il [lui] semble plus précis et sans équivoque : plusieurs Québécois, par exemple, se considèrent comme des autochtones parce qu’ils sont nés au Québec et correspondent ainsi à la définition de ce terme dans le dictionnaire. » (Maurizio Gatti, Littérature amérindienne du Québec. Écrits de langue française, Montréal, Éditions Hurtubise, 2004, p. 42). La critique francophone emploie toutefois majoritairement aujourd’hui le terme « autochtone », délesté du poids des imaginaires de l’« Amérique » et de l’« Indien ».
[2] Gloria Bird, « Introduction », Reinventing the Enemy’s Language. Contemporary Native Women’s writings of North America, ed. Joy Harjo and Gloria Bird, New York, Londres, W.W. Norton & Company, 1997, p. 22.
[3] Sur les attentes des lecteurs et l’essentialisation de « l’autochtonie » en littérature, nous renvoyons à l’entretien avec la romancière innue J. D. Kurtness réalisé en amont du festival « Paroles autochtones » (Nantes, 14-17 mars 2024) : voir « Refuser l’essentialisme : entretien avec J. D. Kurtness », dans « Littératures autochtones (Amérique – Australie). Actualité de la recherche et ressources », carnet de recherche Hypothèses, coord. Cécile Brochard, décembre 2023. Disponible en ligne : https://litautochtones.hypotheses.org/1286 [consulté le 26 juin 2024]
[4] C’est ce que pointe Simon Ortiz par exemple lorsqu’il souligne que les Premières Nations ont fait l’objet d’une attention particulière sur la scène publique depuis le milieu des années 1990, notamment grâce aux efforts et aux engagements des communautés pour se faire entendre et protéger leurs territoires, leurs langues et leurs cultures ; le revers de ce gain d’attention et de respect est, pour Simon Ortiz, la création d’un imaginaire « romantique » de l’« Indien » - stéréotype sur lequel un auteur comme Sherman Alexie a beaucoup écrit. Sur cette question, nous nous permettons également de renvoyer à notre contribution au séminaire « Éthique et esthétique de la simplicité » organisé par Dominique Peyrache-Leborgne, Cécile Mahiou, Chantal Pierre et Philippe Postel, intitulée « Poèmes et récits autochtones nord-américains : simplicité et décolonialité (Rita Joe, Leslie Marmon Silko) » (à paraître).
[5] Certains critiques nord-américains distinguent deux vagues dans cette Native American Renaissance, non pas tant en termes de générations (Leslie Marmon Silko est née en 1948, Joy Harjo en 1951) que de renouvellement des thématiques et de jeux sur les attentes du lectorat ; cette seconde vague serait parfaitement incarnée par l’écrivain Spokane Sherman Alexie, dans son maniement de l’ironie et, parfois du cynisme, pour mieux maltraiter les clichés sur « l’Indien », y compris au sein des communautés natives. Par ailleurs, les auteurs de la première vague de cette Native American Renaissance ont rencontré le succès dans les années 1970, soit avant des auteurs comme Joy Harjo : c’est ce qui explique que, dans les remerciements de son autobiographie Crazy Brave, Joy Harjo rend hommage à ses prédécesseurs sur la scène littéraire : « Two important American writers made this book possible : the storyteller, poet, and artist N. Scott Momaday and the Laguna Pueblo writer, artist, and prophet Leslie Silko » (Crazy Brave, New York, W. W. Norton & Company, 2012, p. 167).
[6] On peut lire la présentation de Living Nations, Living Words. An Anthology of First Peoples Poetry, projet signature de Joy Harjo dans le cadre de sa mission de Poet Laureate of the United States, sur le site de la Library of Congress : https://www.loc.gov/programs/poetry-and-literature/poet-laureate/poet-laureate-projects/living-nations-living-words/ [consulté le 22/11/2023].
[7] Joy Harjo (ed.), When the light of the world was subdued, our songs came through. A Norton Anthology of Native Nations Poetry, op. cit., p. 1.
[8] Ibid., p. 6.
[9] Ibid., p. 7.
[10] Simon Ortiz (ed.), « Introduction », Speaking for the Generations. Native Writers on Writing, Tucson, The University of Arizona Press, 1998, p. xi et p. xix.
[11] Gloria Bird, « Breaking the silence. Writing as "Witness" », dans Simon Ortiz (ed.), Speaking for the Generations. Native Writers on Writing, op. cit., p. 28.
[12] Michèle Lacombe, « La critique littéraire autochtone en Amérique du Nord : approches anglophones mises en contexte », dans Maurizio Gatti et Louis-Jacques Dorais (dir.), Littératures autochtones, Montréal, Mémoire d’encrier, « Essai », 2010, p. 155.
[13] Joy Harjo, « Introduction », Reinventing the Enemy’s Language. Contemporary Native Women’s writings of North America, ed. Joy Harjo and Gloria Bird, New York, Londres, W.W. Norton & Company, 1997, p. 21.
[14] Joy Harjo (ed.), When the light of the world was subdued, our songs came through. A Norton Anthology of Native Nations Poetry, op. cit., p. 1-2.
[15] Ibid., p. 2.
[16] Joy Harjo, « Introduction », Reinventing the Enemy’s Language. Contemporary Native Women’s writings of North America, op. cit., p. 21-22.
[17] Joy Harjo, L’Aube américaine [An American Sunrise, 2019], édition bilingue, trad. Héloïse Esquié, Paris, Globe, 2021. La pagination entre parenthèses se réfère à cette édition au programme.
[18] Langston Hughes est une influence importante dans l’œuvre de la poète : « Every poem has poetry ancestors. My poetry would not exist without Audre Lorde’s “Litany for Survival”, without Mvskoke stomp dance call-and-response, without Adrienne Rich’s “Diving into the Wreck”, without Meridel Le Sueur or N. Scott Momaday, without death or sunrise, without Walt Whitman, or Navajo horse songs, or Langston Hughes, without rain, without grief, without– » (Joy Harjo, Poet Warrior, New York, W. W. Norton & Company, 2021, p. 183). Sur les liens entre Hughes, Harjo et le jazz, on pourra lire l’article d’Audrey Goodman, « After Hours, Through the Night: Jazz Poetry and the Temporality of Emergence », Miranda [Online], 20 | 2020. URL: http://journals.openedition.org/miranda/24424 (consulté le 02/07/2024)
[19] Joy Harjo, When the light of the world was subdued, our songs came through. A Norton Anthology of Native Nations Poetry, op. cit., p. 2.
[20] Joy Harjo, « Notes », How we became human. New and selected poems: 1975-2001, New York, Norton, 2004, p. 212.
[21] Jerome Rothenberg, Les Techniciens du sacré [Technicians of the Sacred, 1968 pour la première édition], anthologie traduite par Yves di Manno, Paris, Corti, 2007, p. 79-82 et p. 256-257.
[22] Joy Harjo, Secrets From the Center of the World, photographs by Stephen Strom, University of Arizona Press, 1989, p. 60.
[23] Cité par Joy Harjo, « Notes », How we became human. New and selected poems: 1975-2001, op. cit., p. 212-213.
[24] Simon Ortiz, After and Before the Lightning, Tucson and London, The University of Arizona Press, 1994, p. 52.
[25] Jerome Rothenberg, « Navajo visual poetry », https://www.ubu.com/ethno/visuals/navajo.html (consulté le 30/05/2024). Le résumé du rituel est extrait de Shaking the Pumpkin, op. cit., p. 157.
[26] Joy Harjo, « Notes », How We Became Human. New and Selected Poems: 1975-2001, op. cit., p. 226.
[27] Pour une présentation d’Ali Cobby Eckermann, voir le carnet de recherche « Littératures autochtones (Amérique – Australie). Actualité de la recherche et ressources » : https://litautochtones.hypotheses.org/285 et https://litautochtones.hypotheses.org/2615 (consulté le 30/05/2024)
[28] Voir https://redroompoetry.org/poets/ali-cobby-eckermann/fair-trade-collaborations-joy-harjo-and-ali-cobby-eckermann/ (consulté le 30/05/2024)
[29] Comme Coyote, Rabbit est un personnage de trickster, personnage rusé qui figure dans de nombreux récits autochtones nord-américains.
[30] Joy Harjo, « Notes », How We Became Human. New and Selected Poems: 1975-2001, op. cit., p. 224.
[31] Joy Harjo, « introduction », How We Became Human. New and Selected Poems: 1975-2001, op. cit., p. xxvii.
[32] Ibid., p. xxiii.
[33] Joy Harjo, A Map to the Next World, op. cit., p. 19. Nous nous permettons de renvoyer à notre article : « "Le chant perdu des pierres perdues" : supports matériels et mémoriels dans la poésie autochtone contemporaine (Amérique du Nord - Australie) », dans Écrit sur l’écorce, la pierre, la neige…, revue Elseneur, Caen, Presses Universitaires de Caen, n°36, décembre 2021, p. 63-80. Disponible en ligne : https://journals.openedition.org/elseneur/332 [consulté le 26 juin 2024].
[34] Daniel Royot, Les Indiens d’Amérique du Nord, Paris, Armand Colin, 2007, p. 20-21.
[35] « Usually it is just the Cherokee whose forced migration from east to west is recognized as “The Trail of Tears”, but there were many tribes forced west, including the Mvskoke Creeks. The removal took place in stages. Some groups were taken by a southern route through New Orleans, brought up the Mississippi River on steamboats to the Arkansas River. », Joy Harjo, « Notes », How We Became Human. New and Selected Poems: 1975-2001, op. cit., p. 211.
[36] Allison A. Hedge Coke, « Seeds », dans Simon Ortiz (ed.), Speaking for the Generations. Native Writers on Writing, op. cit., p. 115.
[37] Ibid., p. 112.