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D’où viennent, où vont les Stances de Moréas ? La migration d’anciennes et modernes formes brèves dans l’atelier poétique européen du premier XXe siècle
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Les Stances de Moréas, publiées en 1899, peuvent apparaître comme un aboutissement personnel alors justement salué, mais à la portée limitée dans l’histoire littéraire moderne. En s’intéressant au voyage qui mène cette forme  dans l’atelier poétique de Moréas et à celui qui l’entraîne, recréée par le poète, en divers lieux du front poétique moderne, on voit cependant apparaître en toute clarté la fonction décisive du rappel des formes classiques et avec elle de l’ethos classique, dans la poétique moderne de la brièveté : si la stance de Moréas procède, en son esprit, autant d’Edgar Poe que de Malherbe, elle magnétise et orchestre autant la recréation occidentale du quatrain persan et du haïku que la motivation nouvelle de l’épigramme et du sonnet. Tout un aspect de la poésie des années 1900-1930 en français, espagnol, catalan ou roumain, est ainsi éclairé d’un jour nouveau.
Published in 1899, the Stances can be read as a personal achievement, perhaps rightly applauded in their time, but deprived of real importance in the frame of the modern History of Literature. Retracing however the migration of the poetic form of the « stanza » from classical tradition to Moréas ‘s context of creation, and following its passage to more advanced areas of the poetic front, we can clearly perceive the function of recalling the classical forms, and their proper ethos, when creating the modern poetics of brevity : Poe inspires the Stances as much as Malherbe, they decisively orchestrate the occidental reception of the Persian Rubayat and the Japanese haïku,  as well as they motivate a new  practice of classical epigrams and sonnets.

ARTICLE

« Il m’importe fort peu qu’on crie au scandale et qu’on vienne prétendre que je veux enrôler tout le monde sous la bannière de Moréas.[…] Le fait existe, il suffit de
l’enregistrer »
(Jean-Marc Bernard [1] )

« However I believe Moréas was a real poet »
(Ezra Pound [2] )

« Nos hemos preguntado a veces con angustia, cual séria el porvenir de las Estancias »
(Paulina Crusat [3] )

      D’où viennent, où vont les Stances de Moréas ? Il n’est pas exclu de penser qu’elles naissent et meurent avec leur auteur. Dans un article de 1902, trois ans après la publication du recueil, le critique André Beaunier écrivait en effet :

À force d’art, Moréas a su adapter parfaitement l’un à l’autre l’instrument qu’il s’était choisi et la matière qu’il voulait forger. Mais il est impossible de ne pas apercevoir les étroites limites de cette poésie. […] Et parce que nous devons à cette esthétique une rare petite merveille, ce n’est pas une raison de croire qu’elle puisse contenir la formule féconde de tout un art [4]

Les stances seraient ainsi une forme ad hoc, un instrument que s’est donné le poète pour écrire une œuvre personnelle après avoir porté, dans les années de l’Ecole Romane, le masque épique du rénovateur antiquaire de la poésie française ; un point d’aboutissement au sobre équilibre classique, qui a valu à Moréas l’estime de beaucoup tandis qu’en même temps se dessine un contexte où son œuvre semblera périmée.
      Méfions-nous cependant de ce point de vue raisonnable. Il repose sur un dessin de l’histoire que Moréas a lui-même anticipé en créant dans les Stances la légende de son infertile solitude :

Les morts m’écoutent seuls, j’habite les tombeaux.
Jusqu’au bout je serai l’ennemi de moi-même.
Ma gloire est aux ingrats, mon grain est aux corbeaux,
Sans récolter jamais je laboure et je sème [5] .

Nous croyons pour notre part que le germe des Stances n’a pas été stérile. Les morts avec lesquels Moréas ouvre un dialogue laissent migrer leur ombre tutélaire sur une forme qui assume, même discrètement, une fonction certaine dans l’atelier moderne du poème bref. Plus que la transmigration des mânes de Malherbe, c’est le déplacement de l’exemple de Moréas vers des zones de plus en plus avancées de la bataille poétique que nous entendons donc vérifier ici.

I - Les genèses multiples de la poétique des Stances

      Les sept livres des Stances offrent au lecteur une grande unité de ton, une gravité lyrique alternant les énoncés objectifs de la poésie gnomique et les inflexions douloureuses d’une mélancolie stoïque. La forme des stances est variée : le premier livre est entièrement composé de quatrains d’alexandrins aux rimes croisées, comme celui que nous venons de lire ; cette forme revient souvent dans l’ensemble des sept livres ; c’est celle qui dans sa régularité sévère, porte le mieux le tour gnomique. À partir du deuxième livre se déploie l’autre grande formule des Stances : un poème hétérométrique fondé sur l’alternance d’alexandrins et de vers de huit, six ou plus rarement quatre syllabes. C’est la coupe des plus célèbres stances de Malherbe, ce que Philippe Martinon [6] , dans son traité des strophes de 1911, appelle « le quatrain symétrique ou quatrain à double clausule ». Une bonne part des stances de Moréas use ainsi de la fameuse strophe des « Consolations à Du Perrier » [7] :

Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle
Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle
L’augmenteront toujours !
[…]
De moi, déjà deux fois d’une pareille foudre
Je me suis vu perclus ;
Et deux fois la raison m’a si bien fait résoudre,
Qu’il ne m’en souvient plus.
Non qu’il ne me soit grief que la tombe possède
Ce qui me fut si cher ;
Mais en un accident qui n’a point de remède
Il n’en faut point chercher.

Moréas, III, 12 :

Ô toi qui sur mes jours de tristesse et d’épreuve
Seule reluis encor,
Comme un ciel étoilé qui, dans la nuit d’un fleuve,
Brise ses flèches d’or,
Aimable Poésie, enveloppe mon âme
D’un subtil élément,
Que je devienne l’eau, la tempête et la flamme,
La feuille et le sarment :
Que, sans m’inquiéter de ce qui trouble l’homme,
Je croisse verdoyant
Tel un chêne divin, et que je me consomme
Comme le feu brillant [8]

L’autre forme dominante, celle du quatrain isométrique, pourrait certes faire penser au Ronsard des « Stances de la Fontaine d’Hélène » [9] – Moréas a beaucoup pratiqué Ronsard – voire à d’autres textes liés à la tradition gnomique du quatrain ; il est cependant tentant, de retrouver aussi la formule de cette strophe, dans un disciple, encore, de Malherbe, comme le Maynard [10] de « La Belle Vieille »...
      Tout invite en effet à une telle lecture. Chaque genre a un père fondateur : si Pétrarque est celui du sonnet, Malherbe apparaît bien comme le père des stances françaises, même s’il n’est pas le premier à les pratiquer. À l’heure d’écrire ses propres Stances surtout, Moréas qui a été, comme le disait Anatole France [11] , « le Ronsard du symbolisme », intervient désormais dans une fonction malherbienne [12] , comme l’agent attendu d’un retour à l’ordre. On se figure bien, écrit Charles Le Goffic en 1920, « un paragraphe commençant par cet hémistiche renouvelé de Nicolas » (entendons Nicolas Boileau) : “Enfin Moréas vint [13] …” »
      Pourtant, les Stances de Moréas ne constituent pas une reformulation de la poétique de Malherbe. Ernest Raynaud, ami de Moréas dès l’aventure de l’École Romane, nous rapporte une mise au point sans équivoque à cet égard :

Un jour que je lui vantais la Stance de Racan : Tircis, il faut songer à faire une retraite… Et celle de Maynard : J’ai montré ma blessure aux deux mers d’Italie…
Moréas me dit :
- Certes, ces stances ont leur mérite, mais s’apparentent trop, à mon gré, à l’élégie. Ce sont de véritables discours. Les stances de Malherbe, elles-mêmes, si justement admirées, ne sont que des morceaux de bravoure. Je veux faire tout autre chose. Je rêve d’une stance plus concise. Je voudrais rejeter tout développement inutile, fondre d’un trait l’idée et le sentiment et ramener le poème à ses éléments essentiels. Je voudrais que ma stance ne pesât pas plus qu’un soupir et qu’elle se manifestât avec la précision et la brièveté de l’éclair [14] .

      Un regard sur quelques définitions courantes de la poétique de la stance montre qu’en récusant tout modèle historique, Moréas tend pourtant à réaliser ce qui pourrait paraître comme l’essence de cette forme ; lisons le Gradus Français, de Carpentier (1822) :

Une stance est composée d’un certain nombre de vers qui forment un sens complet, quoique ce sens puisse dépendre de ce qui précède ou de ce qui suit, de sorte qu’après chaque stance dont un poème se compose on peut faire un repos [15]

Le caractère distinctif de la stance est bien cette poétique de la ligne claire, où clausule de la strophe et clôture du sens s’harmonisent. La notion de repos renvoie à l’origine du terme de stanza dans la poésie italienne : une halte, une stance dans le temps de l’énoncé. La relative brièveté de la strophe, voire celle du poème entier, apparait, dès les sages de Port Royal comme un autre élément de définition qui justifie le distinguo avec l’ode. Mais la brièveté, la grandeur ne sont pas seulement des éléments quantitatifs, plutôt des attitudes morales :

Un morceau composé de plusieurs stances conserve le nom de stances lorsqu’il roule sur un sujet simple, que l’expression est douce, naturelle, et que les mouvements n’ont ni désordre ni impétuosité. Quand le sujet a plus de grandeur, le style plus d’élévation, […] une force d’enthousiasme elle prend le nom d’ode et les stances celui de strophes [16]

Schaeffer [17] s’est attaché à de telles motivations multiples ; on saisit ici le genre par un caractère en même temps que par des éléments formels : la stance est plutôt brève, quand l’ode est plus longue, mais surtout, elle manifeste naturel et simplicité, le contraire de la grandiloquence. Moréas comprendra : un atticisme plutôt qu’un asiatisme – c’est la clef esthétique de sa dernière œuvre.

      Le poète fait converger ainsi une vision classique d’unité, de brièveté, de sobriété de la stance, à laquelle il donne sa véritable application, avec une aspiration en réalité moderne à la poésie brève, et antirhétorique : quand il veut que sa stance ne pesât pas plus qu’un soupir, on entend clairement Verlaine : « rien qui pèse ou qui pose [18] ». Quand il rejette la stance qui est un discours pour demander une poésie concise, il corrobore l’axiome d’Edgar Poe, répercuté par Baudelaire : « Un long poème est une contradiction dans les termes [19] ». Dans une conférence donnée à Bucarest en 1947, le poète et mathématicien roumain Ion Barbu situe précisément ainsi le geste du Moréas des Stances : « La réforme poétique de Moréas est fondée sur la réforme antérieure d’Edgar Poe [20] . »
       La migration apparente du modèle malherbien offre donc un référent facile à appréhender, dont le rôle symbolique est fort dans le contexte d’un dépassement classique du temps d’expérimentation que vient de traverser la poésie française. Mais le moteur esthétique des Stances est ailleurs, dans la jonction du poème court moderne et de sa haine des développements avec l’ethos classique du nihil nimis, de la pudeur – « le classicisme c’est la pudeur » écrit Henri Clouard [21] en refermant les Stances. Jean-Marc Bernard, Ernest Reynaud [22] , recourront à un vers de La Fontaine pour saisir cet effort de retenue : « Loin d’épuiser une matière, il n’en faut prendre que la fleur [23] ».

II – Pas de migration sans horizon: les conditions d’une exemplarité des Stances

       Toute l’exemplarité des Stances pour les poètes à venir repose dans cet assemblage initial : une intensité moderne dans une sobriété classique, ou comme le dit Pedro Salinas dans son « Estancia en memoria de Jean Moréas », l’inquiétude moderne, mais vêtue d’une chlamyde :

Tu dolor cincelaste en estancias serenas
vestido de una clámide de clásica elegancia
y en tu inquietud moderna uniste la fragancia
de las rosas francesas con las mieles de Atenas [24]

Tu as ciselé ta peine en des stances sereines
Vêtu d’une chlamyde de classique élégance
Ta moderne inquiétude a uni la fragrance
Des roses de la France avec le miel d’Athènes

Comme le voyageur, aussi bien, du tableau de Vinicio Paladini [25] , La Partenza, toile de 1927, le poète des années 1920, des années 1930, est cet esprit formé aux disciplines classiques, comme en marbre, drapé, qui regarde d’un côté l’éternelle leçon de la Méditerranée antique, et de l’autre, pourtant, le bruit des trams sous les immeubles.

       D’un côté il y a ainsi la nostalgie d’une pureté classique, aussi bien d’une véritable antiquité, d’autant actuelle, en vérité, qu’elle récuse le faux hellénisme du Parnasse. Face aux « péchés mycéniens de Leconte de Lisle [26] », la Stance 10 du premier Livre de Moréas rappelle en effet que « la perfection est chose plus celée [27] ». Plus que l’impeccabilité formelle, la perfection du poème repose dans la pureté d’un geste. Ion Barbu [28] dit ainsi qu’avec les Stances, Moréas a ramené la poésie à Alcée comme les mathématiques d’Hilbert ont ramené au premier plan la leçon d’Euclide : la stance de Moréas a la pureté d’un théorème. Par la fenêtre antique qu’ouvre la référence à Alcée, la stance laisse habiter en elle la clarté axiomatique de l’épigramme [29] ; Stance 2 du Livre I :

Ne dites pas : la vie est un joyeux festin ;
Ou c’est d’un esprit sot ou c’est d’une âme basse.
Surtout ne dites point : elle est malheur sans fin ;
C’est d’un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.

Riez comme au printemps s’agitent les rameaux,
Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève,
Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux ;
Et dites : c’est beaucoup et c’est l’ombre d’un rêve [30] .

Comme les lecteurs du premier XXe siècle on peut bien voir ici migrer le modèle de l’Anthologie [31] ; par exemple Palladas avec la même formule d’autorité : « Ne dis pas »…

Νυκτὸς ἀπερχομένης γεννώμεθα ῆμαρ ἐπ´ῆμαρ
τοῦ προτέρου βιότου μηδὲν ἒχοντες ἒτι,
Άλλοτριωθέντες τῆς ἐχθεσινῆς διαγωγῆς
τοῦ λοιποῦ δἐ βίου σήμερον ἀρχόμενοί
Μἠ τοίνυν λέγε σαντὀν ἐτῶν, πρεσβῦτα, περισσῶν,
τῶν γἀρ ἀπελθόντων σήμερον οὐ μετέχεις. [32]

Nous naissons tous chaque matin dans l’aube grise
Survivant nos hiers et le passé défunt
Ne dis pas « j’ai beaucoup vécu… » Vaine méprise !
De tant de jours passés il ne t’en reste aucun.
Ta vie, ou mieux, ce qui en reste, part d’ici.
Ce qui précède est détruit, tison noirci [33]

Si la fenêtre classique de Vinicio Paladini montre du reste un temple comme celui de Sunion – sujet de la Stance IV, 4 – le livre de Moréas parle surtout à ses contemporains à la façon du Céramique d’Athènes. Au seuil du siècle, Maurras, Barrès, dans son Voyage à Sparte, Gomez Carrillo (dont la Grecia eterna est préfacée par Moréas) célèbrent en visitant ce cimetière antique, lu comme un vaste texte de stèles, la forme d’une sagesse qu’ils ont retrouvée dans les Stances. Gomez Carrillo écrit ainsi :

Parmi les épigrammes funéraires de l’Anthologie, qui forment comme un cimetière idéal, avec des tombes des cinq grands siècles grecs, il est des épitaphes qui rient et des épitaphes qui pleurent, mais il n’en est point de désespérée [34]

Maurice Barrès tire la leçon :

Les parnassiens sont passés à côté du bon sens, s’ils ont voulu, au nom de l’Hellénisme, bannir de la poésie les émotions personnelles, mais ils pouvaient […] du moins reconnaître dans l’élite athénienne des hommes qui pratiquaient ce que Spinoza et Goethe […] nous ont rendu accessible sous le nom d’acceptation. Cette tenue des anciens Grecs devant l’inévitable est exprimée avec une force saisissante sur les stèles et les lécythes [35]

Clairement, chez ces amis de Moréas, le cimetière du Céramique et les poèmes des Stances participent d’un même moment présent qui implique le dépassement conjoint du Romantisme gémissant et du factice marbre parnassien. Le parallèle révèle aussi le livre de Moréas comme un tombeau – c’est en fait un « auto-tombeau » selon le mot de Mac Guiness [36] . Et l’hommage au poète prend enfin l’allure et le nom d’une stèle – dans la « Stèle à Jean Moréas » de Du Plessis dès 1892, puis dans le recueil d’hommage de « La Minerve Française » en 1920, intitulé encore Stèle à Moréas. Comme le suggère alors Thibaudet [37] , l’œuvre du poète s’inscrit dans une sorte de Céramique français, digne transposition de celui d’Athènes. Stance et théorème, stance et épigramme, mais encore stance et stèle construisent donc la mouvance antique qui oriente la réception du dernier livre de Moréas en fonction d’enjeux actuels.

      Comprenons-le, c’est l’inquiétude de la mort de la Beauté qui aimante ces regards vers le cimetière et le temple antique : Mallarmé voit le poète écrire « dans l’oubli d’exister à une époque qui survit à la beauté [38] » ; Apollinaire dit : « c’était au temps du déclin de la beauté » [39] . D’Annunzio ou Valéry [40] expriment une hantise semblable. Revenir à la charpente de la forme fixe, de la rime, c’est tenter de sauver la Beauté, celle qui, en tout cas, n’est pas convulsive. Songeons au ton gouailleur d’un article de Littérature, revue où incube le surréalisme, en 1920 : « Le krach du beau vers, panama des poètes n’est pas encore connu de tous [41] . » Les poètes du Renouveau méridional qui se montrent dans leurs poèmes, seuls, récitant les stances de Moréas – Francis Eon, Louis Pize [42] – ont transformé ce texte-clé en mantra fait pour conjurer une telle éclipse. Au plus profond, les commentaires de Rilke sur le sens de la rime chez Moréas, éclairent ce qu’il a recherché dans sa propre traduction de quelques stances [43] , et montrent bien qu’il ne s’agit en rien de formalisme parnassien :

Voyez l’admirable force de la rime chez Moréas […] ; évoquée, mais jamais cherchée, elle donne par son consentement mystérieux à ces lignes un aplomb, une assurance qui ne pourrait être remplacé (sic) par rien. La vraie rime n’est pas un moyen de la poésie, c’est un « Oui » infiniment affirmatif que les dieux daignent apposer aux émotions les plus innocentes [44] .

      Ce dont il s’agit, c’est de renouer avec un culte apollinien malgré l’instabilité romantique – et donc l’insuffisance et la souffrance – propre au poète moderne.

Je ne me plaindrai pas : qu’importe l’Aquilon,
L’opprobre et le mépris, la face de l’injure !
Puisque quand je te touche, ô lyre d’Apollon,
Tu sonnes chaque fois plus savante et plus pure [45]  ?

proclame Moréas dans la deuxième strophe de la stance I, 12. Tels sont les poèmes dont Rilke dit qu’il trouve « dans leur allure même » la force et la fierté de « décisions ultimes ». En 1913, Juan Ramon Jimenez choisit de traduire cette même stance :

No me he de lamentar ¿qué importa el Aquilón,
El oprobrio, el desprecio, el rostro de la injuria,
Pues que cuando te pulso, lira de Apolo, tu
Me respondes más sabia, cada vez y más pura [46]  ? 

Comme le signale Bernardo Gicovate [47] , le sonnet de 1911, « A la Luna del Arte », semble déjà recréer ce mouvement d’un don total à la poésie et qui ne se reprend pas :

Te he dado, sol insomne, latido por latido,
todo mi corazón. Tu corona luciente,
como vassallo fiel y noble, la he servido
bién. No me quedan armas que ofrecerte, ni jente [48] .

Je t’ai donné, soleil sans sommeil, battement par battement
tout mon cœur. Ta couronne radieuse
comme un vassal fidèle et noble, je l’ai bien servie
Il ne me reste à t’offrir ni armes ni gens

Le poète roumain Ion Pillat, un autre traducteur de Moréas [49] , revient lui aussi, dans Le Bouclier de Minerve, en 1933, sur le terrain moral des Stances ; au sonnet IX, le geste de l’offrande rencontre le thème de la maîtrise et de la pureté poétique :

Dar să-ţi înalţ primeşte Sonetul la picioare,
Ca să înfrunte ritmic al vremilor noian –
Când simt sub mână lira, pe fiecare an
Mai pură, mai pioasă, şi mai învigătoare [50]

Mais reçois ce sonnet, que j’élève à tes pieds
Pour qu’il affronte en rythme le gouffre du temps
Tandis que chaque année la lyre sous ma main je sens
Plus pieuse, plus triomphante et plus pure [51]

L’état d’esprit qui anime la stance, et qui est ici recréé, n’est pas simplement intemporel comme on l’a dit : il prend sens en fonction d’une inquiétude moderne, dût-il la couvrir d’une chlamyde. Aussi bien cette chlamyde idéale peut elle-même migrer, et être reconnue dans l’uniforme d’un général affronté au destin, comme dans l’amusante carte du poète catalan Josep Junoy au général Marchand, l’ancien héros de Fachoda, pendant la guerre des tranchées ; sous la photographie de l’officier figure cette adresse :

Mon général vostre admirable gest apareix antic i modernissim alhora
Mon général vostre esguart es com una estança de Moréas

Mon général votre admirable geste paraît antiquissime et modernissime à la fois
Mon général votre regard est comme une stance de Moréas [52] .

III- Le glissement des formes entre héritage ancien et appel du nouveau

      Partagé entre renouveau classique et expérimentations de l’avant-garde, Junoy offre ici l’exemple sans doute maladroit d’un collage où s’inscrit la leçon héroïque des Stances. Ce type de dialogue entre l’antiquissime voix et la modernissime actualisation peut produire aussi bien un hiatus délibéré comme dans la Contrerime XXV de Paul-Jean Toulet : la noble tonalité des Stances parle cette fois dans la première strophe et trouve dans la deuxième un réponds fantaisiste.

Ô poète, à quoi bon chercher
Des mots pour ton délire ?
Il n’y a qu’au bois de ta lyre
Que tu l’as su toucher.

Plus haut que toi, dans sa morphine,
Chante un noir séraphin.
Ma nourrice disait qu’Enfin
Est le mari d’Enfine [53] .

Toulet dont Coples et Contrerimes semblent reproduire, en des mètres distincts, le double modèle strophique des Stances de Moréas [54] , Toulet surtout qui dessine le poète des Stances emmenant Pégase par la bride [55] , met en scène, avec humour et pudeur, la rencontre de l’exemple des Stances et d’un nouvel horizon poétique, qui s’affiche sur un ton mineur.
      Mais plus qu’une simple confrontation, ou qu’un collage tonitruant, c’est une réelle dialectique qui s’engage entre les deux polarités que Vinicio Paladini a si fortement figurées par ses deux fenêtres. La pratique de Moréas dans les Stances va en effet révéler aux plus jeunes poètes la pertinence des formes anciennes et la prégnance de leur travail au sein du panorama moderne.
      Prenons la nouveauté paradoxale du vieux sonnet. C’est le sonnet de Pétrarque et de Ronsard (non celui des Parnassiens) qui oriente la poétique des Stances de Moréas : on y rencontre la formule du sonnet addition avec bilan ou renversement final (stance II, 8) ; le paragone avec un héros classique dont l’exemplum est développé dans les premières strophes avant application lyrique au moi du poète dans les dernières, comme dans les tercets du sonnet de Castiglione et du Bellay (II, 14) ; la structuration du poème par l’anaphore - Ni… ni… ; Ô… Ô… – (ainsi dans les stances IV, 10 et V, 9) comme chez Pétrarque et Ronsard encore …
      Écrite à la manière d’un sonnet, la stance de trois ou quatre strophes se donne un corset, une cambrure. Cette migration d’un modèle peut s’opérer aussi par la transformation directe d’un sonnet en une stance. Moréas a ainsi publié sous le titre « Imité de Pétrarque », deux stances non reprises dans son livre, qui réécrivent le sonnet 243 (Fresco, ombroso, fiorito, verde colle) et le sonnet 310 (Zefiro torna) du Canzoniere, avec beaucoup de libertés, respectivement en trois et quatre quatrains [56] . Est-ce un hasard ? Le premier traducteur des Stances de Moréas en roumain, le poète Ion Pillat, transposera de même le sonnet de Ronsard « Quand vous serez bien vieille » sous la forme d’une stance (Stanţe pe un motiv de Ronsard / Stance sur un motif de Ronsard) [57] .

      De tels glissements révèlent en tout cas la dynamique mère de la stance VI, 2 de Moréas :

Solitaire et pensif, j’irai sur les chemins,
Sous le ciel sans chaleur que la joie abandonne,
Et, le cœur plein d’amour, je prendrai dans mes mains
Au pied des peupliers les feuilles de l’automne [58]

      Le sonnet 35 du Canzoniere [59] , « Solo e pensoso ai piu diserti campi », offre en effet ici l’élan du premier vers et pour les deux strophes suivantes la trame d’un scénario librement recréé, dans une clef romantique. Moréas [60] cite ce poème de Pétrarque dès ses premiers articles en Grèce en 1878, pour défendre l’idéal de la création solitaire ; il habite, comme il le sait, après maint poète de la Pléiade [61] , la posture ici définie. La figure que fixe ce sonnet devient donc comme un emblème des Stances ; Moréas en dissémine les éléments constitutifs dans la trame de son livre :

Sur la plaine sans fin, dans la brise et le vent,
Se dresse l’arbre solitaire,
Pensif, et chaque jour son feuillage mouvant
Jette son ombre sur la terre [62] .

Dans le recueil KRTU (1932) encore très marqué par le surréalisme, puis dans le cycle de sonnets de Sol i de Dol, achevé vers 1936, le poète catalan Josep Foix réinvente le sonnet 35 du Canzoniere, en suivant la voie ainsi ouverte par Moréas [63] :

Sol i de dol, amb vetusta gonella,
Em vaig, sovint, per fosques solituds,
En prats ignots i munts de llicorella
I gorg pregons que m’aturen, astuts [64] .

Seul et en deuil, en ancienne vêture
Je vais souvent par de sombres solitudes
En des près ignorés et d’ardoise remplis
Et des gorges profondes dont la ruse m’arrête.

Moréas, bien connu de Foix, révèle l’efficacité de la stylisation de Pétrarque, autorisant la reconquête moderne de ce modèle du sonnet.

      Le Grec est en effet un maître du topos : à tout prendre, « solitaire et pensif » est dans Baudelaire [65] . Plus largement c’est un thème lamartinien, celui de la deuxième strophe de « L’Automne », dans les Méditations poétiques : « Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire [66] … ». La stance de Moréas montre qu’on peut refaire du Lamartine avec une énergie nouvelle, sans trop d’épanchement lyrico-rhétorique. La médiation pour y parvenir est donc l’imitation de Pétrarque, reconnu comme modèle de Lamartine (« le docte et tendre Pétrarque fut aussi le maître de Lamartine », rappelle ainsi Moréas [67] ), dans le cadre restreint de la stance nouvellement définie : « Comme Lamartine, mais avec cette concision qui les met si loin l’un de l’autre », note René Georgin [68] dans son Jean Moréas de 1930.

      La concision reste en effet une des qualités décisives dans la dynamique de migration des Stances : la netteté classique que l’on reconnaît dans leur dessin se projette aussi bien dans la nouveauté des formes brèves importées de l’Orient, les Quatrains d’Omar Khayyam et les haikus japonais. « Plus qu’à mon tour, je change [69] », avertissait Moréas dans la stance VI du Livre I. C’est la dernière transformation de la chlamyde du poète, un changement de costume qui ne doit guère nous tromper.
      Les Rubbaiyat d’Omar Khayyam occupent les lettres françaises et anglaises depuis un bon demi-siècle au moment où la postérité s’empare des Stances de Moréas. « Rubbaiyat » signifie « Quatrain » ; c’est sous ce titre que l’on traduit en France l’œuvre du poète persan [70] . Il n’y a pas chez Moréas une tonalité orientale affichée mais la stance I, 11 que nous avons déjà rapprochée de Palladas peut bien être reçue comme recréation classique de la tonalité du Persan [71] : « Ne dites pas, la vie est un joyeux festin… »
      C’est une fonction semblable dans le champ littéraire qui superpose les deux textes. Thibaudet écrit ainsi dans ses Réflexions sur la Littérature, en 1922 :

Si Moréas avait mené une vie plus solitaire et moins gaspillée, si toutes les Stances avaient la perfection des vingt plus belles, les Stances équilibreraient les quatrains dans notre paysage littéraire. Cette forme ramassée a été pour le Grec d’Athènes et le Persan de Nisha un moyen terme parfait, un crépuscule léger entre la parole et le silence [72] .

La correspondance posée par Thibaudet éclaire idéalement le sens du geste poétique de Jean-Marc Bernard. Le volume au titre virgilien Sub tegmine fagi que ce jeune poète publie en 1913 se répartit ainsi en trois livres : « Les Amours » (on pense à Ronsard), « Bergeries et Jeux » (on pense à Racan ou Belleau, au Du Bellay des Jeux rustiques), « Livre d’Omar Kheyyam ». L’épigraphe du troisième livre, nous l’avons déjà rencontrée, est tirée de La Fontaine : « Loin d’épuiser une matière, il n’en faut prendre que la fleur ». L’art de Khayyam illustre donc les préceptes de La Fontaine. Les poèmes de ce troisième livre sont comme il se doit des quatrains. Le critique René Fernandat montre bien le syncrétisme spontané de la réception de tels textes : « telles stances imitées de Kheyyam sont d’un relief étonnant ; et le poète y semble avoir enclos autant de puissance d’évocation qu’en un sonnet sans défaut [73] ». Si le texte de Jean-Marc s’inspire des traductions anglaises et françaises de Khayyam, ses choix révèlent étonnamment la proximité des Quatrains persans avec la tonalité des Stances de Moréas. Prenons l’exemple du quatrain V de l’édition de Grolleau :

Puisque nul ici ne peut te garantir un lendemain
Rends heureux maintenant ton cœur malade d’amour
Au clair de lune bois le vin car cet astre
Nous cherchera demain et ne nous verra plus [74] .

Jean-Marc écrit :

Ce soir encore tu te lèves
Ô lune amicale clarté
Et dans le jardin enchanté
Tu viens nourrir mes tendres rêves

Plus tard dans ce même jardin
Ô lune, que de soirs encore
Tu chercheras jusqu’à l’aurore
À me revoir – hélas ! en vain [75] .

Le seul trait renforcé dans le texte de Jean-Marc est l’adresse lyrique du poète à la Lune ; à mainte reprise Moréas s’adresse à l’astre nocturne dans les Stances. Jean-Marc prend garde, du reste, de nous laisser dans le doute : la quatrième pièce du livre persan est un hommage direct au maître des Stances :

C’est vrai : les œuvres les mieux faites
Auront toutes le même sort :
Et le dernier de nos poètes,
Le divin Moréas est mort.

Mais qu’importe ! si toujours l’homme
Doit trouver, aux flancs des coteaux,
Pour méditer, ou faire un somme,
Des prés, des saules et des eaux [76]  !

      Dans le Deuxième livre de Jean-Marc Bernard, nous rencontrons encore cet « Impromptu » :

Sur la route ensoleillée
En marchant nous éveillons
Des essaims de papillons
Comme une fleur effeuillée [77] .

C’est sous la forme de la stance, dans un quatrain, un célèbre haïku de Moritaké (1473-1549) mis en circulation dès 1906 par Paul-Louis Couchoud, un des pères, si l’on peut dire du haïku occidental :

Un pétale tombé
remonte à sa branche !
ah ! c’est un papillon [78] .

La condensation, l’objectivité du haïku rencontrent le refus du lyrisme complaisant dans les jeunes générations de poètes du seuil du siècle en Europe. À côté de Français comme Jean-Marc Bernard, les poètes catalans liés au retour à l’ordre noucentiste manifestent aussi un intérêt spécifique pour cette forme. À peine sortis de ce qu’on appelle en Catalogne « la batalla del sonet » (une réhabilitation de la discipline du sonnet contre les contours vagues de la poésie modernista), des poètes comme Josep Carner, Eugeni D’Ors [79] , s’emparent de l’essai de Couchoud sur le haïku, Les Épigrammes lyriques du Japon. Cette équivalence – le haïku comme épigramme [80] – est un élément crucial de leur relecture, car aucun d’eux n’entend quitter, en pratiquant une nouvelle forme, les paradigmes de l’Occident.
       Parmi les Catalans qui accueillent la forme japonaise, deux au moins conservent une relation forte avec les Stances de Moréas. Carles Riba, et Josep Junoy. Riba, auteur en 1919 d’un livre d’Estances où le sobre quatrain domine, offre en son œuvre ambitieuse des points de contacts réguliers [81] avec sa lecture ancienne de Moréas. Mais ce sont les tankas de 1936, dans Del joc i del foc, qui finalement révèlent le mieux le travail persistant de l’exemple français. C’est le contour bref du paysage des Stances, toujours en même temps un paysage moral, comme dirait Barrès, qui irrigue en divers points la poétique du tanka chez le Catalan :

Stances II, 5

Je pense à toi, plateau hanté des chevriers.
Aux pétales vermeils, à la blanche corolle,
Je préfère le deuil de tes genévriers. [82]

Del joc i del foc (1936-1946), tannka XXVIII :

Penso en vosaltres
Ametllers de Siurana
Blanca esperança
D’efimeres banderes
En l’aspror irremeiable [83]

Je pense à vous
Amandiers de Siurana
Blanche espérance
D’éphémères drapeaux
Dans les rigueurs irrémédiables

Riba a été capté dans les Stances par ces séquences où l’incipit du « Cygne » de Baudelaire (« Andromaque, je pense à vous ») est réécrit et tourné vers la mémoire d’un paysage. C’est déjà ce qui avait aimanté Nicolas Deniker, poète vite disparu, ami d’Apollinaire et du Festin d’Esope, dans sa « Stance du Vagabond » en 1907 :

Le printemps, aux lueurs du soir, déjà s’allume ;
Le ciel sourit, rose et doré,
Je pense à l’aubépine, aux fleurs sans amertume,
À la porte de la forêt [84] .

      Josep Junoy n’a pas l’envergure de Riba ; mais cet explorateur de nouveauté marque à merveille le dialogue parfois abrupt de l’aspiration classique maintenue et de la quête avant-gardiste. En 1920, Junoy présente un recueil de haïkus intitulé Amour et Paysages, écrit pour l’essentiel en français, et pour certains poèmes, en catalan.

      Le volume s’ouvre par deux épigraphes : l’une tirée du Kokkinshu, une œuvre clé dans la genèse de la poésie japonaise, l’autre tirée des Stances de Moréas, plus précisément de la première stance du quatrième livre : « Que veut-il que veut-il ce cœur [85] ? » – un vers qui révèle le sentiment de Moréas face au paysage nocturne [86] . La citation du Kokkinshou (sic) n’est pas elle-même sans révéler une parenté troublante avec d’autres stances de Moréas ; le poète consumé par la poésie est en effet une image récurrente de son livre :

Je brûle                                                                Compagne de l’éther, indolente fumée,
de cette flamme irréalisable                                 Je te ressemble un peu :
du mont Fouji                                                      Ta vie est d’un instant, la mienne est consumée
Que les dieux mêmes ne peuvent éteindre          Mais nous sortons du feu.
En vain, o ma fumée [87] .         L’homme, pour subsister, en recueillant la cendre
                                                                             Qu’il use ses genoux !
                                                                             Sans plus nous soucier et sans jamais descendre
                                                                              Évanouissons-nous [88]  ! 

Les poèmes de trois vers livrés par Junoy, selon la norme ordinaire du haïku, tiennent beaucoup de la chose vue, de l’impromptu, pour reprendre le titre de Jean-Marc Bernard. Un certain nombre rappelle les Stances :

« Ce matin d’août dans la claire rivière
je jette à plat un caillou
tiens ! un deux trois quatre plongeons de dryade [89] . »

C’est un peu le célèbre saut de grenouille de Bashô (un haïku traduit par Couchoud [90] ) :

古池や         furu ike ya              une vieille mare
蛙飛びこむ  kawazu tobikomu   et quand une grenouille plonge
水の音    mizu no oto             le bruit que fait l’eau

Mais la grenouille est remplacée par une dryade, créature mythologique de l’Occident, marqueur classique, proche de l’univers de Moréas. Plus loin, chez Junoy, cette chose vue, mémoire d’un instant – cette stance dans le temps :

Sous la pluie d’été
je marche fredonnant par la route de platanes
oublieux de ma peine [91] .

Le motif est proche, en plus condensé, de la Stance 16 du livre II :

Eau printanière, pluie harmonieuse et douce […]
À ma fenêtre, ou bien sous le hangar des routes
Où je cherche un abri, de quel bonheur secret
Viens-tu mêler ma peine, et dans tes belles gouttes
Quel est ce souvenir et cet ancien regret [92]  ?

D’autres pièces enfin ont une saveur d’emblème caché :

Tendre lierre
grimpant tardif
autour de mon cœur délabré [93] .

On songe ici à la stance IV 1, où bat le cœur dépareillé du poète, ou encore à la stance 17 du livre II où les embrassements du lierre étouffent un platane. Mais cette stance même n’ouvre pas un rapport si clair au haïku de Junoy qu’une des proses de Moréas dans son livre des Feuillets (1902) :

Oublierai-je jamais ce grand olivier que j’ai vu au bord du chemin, étouffant sous un lierre sombre et serré qui l’enveloppait tout entier ! Quelques tiges pâles et frêles s’en échappaient comme un cri de détresse [94]

De fait, le titre de Junoy, Amour et Paysage, peut bien apparaître comme une convocation de cette troisième instance : les proses brèves de Moréas, qui, développées encore après les Feuillets de 1902 trouvent une nouvelle édition en 1905 sous le titre justement de Paysages et sentiments. Ces proses, rédigées en parallèle avec les Stances, renvoient souvent aux mêmes rencontres du chemin, de la saison, du paysage. Elles sont rédigées par très brefs paragraphes, phrases isolée, en des enchaînements tendus ou absents, sans développement.

Novembre :
La nuit tombe, Novembre, ô automne ! Je t’ai toujours aimé, et mon printemps ne fut guère qu’un autre toi-même, plus alerte, mais aussi pâle [95] .

Mémento :
J’ai aimé les ormes d’un vieux quinconce, des platanes au bord d’un gave, des peupliers autour d’une fontaine. Mais il y a l’olivier tordu de Minerve [96]

La Route :
Les branchages des tilleuls séculaires forment voûte, et dans l’avenue large et courte, l’ombre est complète. C’est une bien digne ombre, non pas joueuse comme celle des jeunes taillis.
Quant à l’ombre que font les peupliers, je la compare volontiers à une trop belle femme, Didon ou Nausicaa [97] .

André Thérive avertit le lecteur de ces proses en revenant au paradigme de la brièveté et du silence : « Ecoutons derrière ces petites mélodies écourtées l’inflexion d’une voix qui sans cesse regrette de ne pas se taire ». Il n’hésite pas à comprendre d’emblée le type de phrases qui domine dans les Feuillets comme de petits poèmes : « rien qu’une strophe encore dans sa gangue, sa charpente lui sert tout juste autant qu’à une stance bien construite [98] ». De fait, une notation comme celle de l’olivier couvert de lierre est bien proche d’une stance, et presque un haïku au sens du moins où l’entendaient nombre de poètes européens d’alors. Comprenons donc que dans Paysage et Sentiment, Junoy saisit dans un même geste la coupe des Stances et celle des brefs paragraphes des Feuillets, unis dans la prégnance du paysage. L’histoire du poème bref rencontre celle du poème en prose, non assumé comme tel chez Moréas, mais affleurant pourtant en toute clarté.

      Nous pouvons dès lors énoncer une conclusion :

La genèse multiple de la poétique des Stances de Moréas conditionne toute la lecture que nous venons de faire : plus qu’une simple migration de la forme malherbienne, la stance est d’emblée pensée comme un condensé de la leçon classique dans une forme brève adaptée à la compréhension moderne de l’intensité poétique.

L’horizon d’attente définit le seuil où les Stances deviennent exemplaires : malgré le scepticisme possible assez tôt sur la fertilité de leur modèle, leur dépassement manifeste des limites du Parnasse dans une définition plus exigeante de la beauté, leur association très forte à un état d’esprit, et, de fait, à la posture testamentaire [99] d’un poète bientôt frappé de mort, transforment les strophes des Stances en un véhicule idéal de la quête d’une modernité classique. Le travail du sonnet de l’intérieur même de la stance de Moréas est peut-être annonciateur du renouveau indiscutable de cette forme dans l’entre-deux-guerres. La compréhension de la forme ancienne comme potentiellement plus moderne que les développements lyriques désormais refusés éclaire en tout cas les enjeux de la migration des modèles à cette époque.

Enfin, loin de nous scandaliser avec Étiemble, de la tromperie que sont sans doutes des quatrains persans et des épigrammes japonais écrits en Occident sans aucune connaissance de l’Orient, nous croyons que chez leurs auteurs, c’est la stance de Moréas qui trouve une authentique postérité, jusqu’à faire enfin poser le regard, avec Junoy, sur la prose qui en partage si souvent la primitive matrice et la primitive impulsion.

      L’œuvre de Moréas n’était donc pas si ultime, définitive, qu’elle n’engendrât aucune postérité. Peut-être cette œuvre volontaire n’a-t-elle fait que susciter un fantasme de la perfection, une image archétype que divers poètes ont en vain tenté d’incarner. Mais c’était une réserve de tentatives pour plusieurs décennies. Dans le Mercure de France de 1901, Remy de Gourmont notait étonnamment : « Pour achever M. Moréas, il faudrait deux générations : il est le précurseur d’un grand poète qui ne naîtra pas [100] . »

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  • YOURCENAR, Marguerite, La Couronne et la Lyre, Gallimard, Paris, 1979.

Notes

  • [1]

    Jean-Marc Bernard, « Les Poètes Fantaisistes », dans Œuvres, Paris, Le Divan, 1923, t. 2, p. 442- 471, p. 450.

  • [2]

    Ezra Pound, « Jean Moréas » dans « A Study on French Poets », dans Investigations, New York, Boni & Liveright, 1920, p. 62-64, p. 64.

  • [3]

    Paulina Crusat, introduction à J. Moréas, Poemas y Estancias, Madrid, Rialp, 1950, p. 10.

  • [4]

    André Beaunier, « Jean Moréas », dans La Poésie Nouvelle, Paris, Société du Mercure de France, 1902, p. 137-171, p. 171.

  • [5]

    Jean Moréas, Les Stances, Paris, Mercure de France, 1899, I, 12, p. 29.

  • [6]

    Philippe Martinon, Les Strophes : étude historique et critique sur les formes de la poésie lyrique en France depuis la Renaissance, Paris, Champion, 1911, p. 137.

  • [7]

    François de Malherbe, « Consolation à M du Périer, Gentilhomme d’Aix en Provence, sur la mort de sa fille », dans Œuvres poétiques, Paris, Les Belles Lettres, 1968, t. I, p. 158-161, p. 160.

  • [8]

    J. Moréas, op. cit. III, 12, p. 109.

  • [9]

    « Stances de la fontaine d’Hélène », dans Ronsard, Œuvres complètes, éd. Jean Céard, Daniel Ménager et Michel Simonin, éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1993, tome 1, p. 415-419.

  • [10]

    François Maynard, « La Belle Vieille », dans Les Œuvres de Maynard, Paris, Augustin Courbe, 1646, p. 257-260, p. 259 : « L’âme pleine d’amour et de mélancolie / Et couché sur des fleurs et sous des orangers, / J’ai montré ma blessure aux deux mers d’Italie / Et fait dire ton nom aux échos étrangers… »

  • [11]

    Anatole France, « Le Symbolisme de Jean Moréas », dans La Plume, n°41, 1er janvier 1891, p. 1-4, p. 2.

  • [12]

    André Beaunier, op. cit. : « Et là encore, il semble donc se rapprocher, suivant une évolution semblable à celle que subit notre ancienne histoire littéraire, de ce Malherbe que, jadis, il réprouvait, bien qu’il déclarât en savoir déjà « priser les hauts dons ». Le style des Stances, par sa tenue, sa correction un peu froide, une sorte de sécheresse qui n’est pas sans beauté, a quelque analogie avec celui de Malherbe ».

  • [13]

    Charles Le Goffic, « Hommage à Moréas », dans Nouvelle Revue Critique, XXVII, 161, 25 mars 1920, p. 661.

  • [14]

    Ernest Raynaud, Jean Moréas et les Stances, Paris, Société Française d’Editions Littéraires et Techniques, 1929, p. 79-80.

  • [15]

    L.J.M Carpentier, Le Gradus Français ou Dictionnaire de la langue poétique précédé d’un nouveau Traité de la versification et suivi d’un nouveau Dictionnaire des rimes, Paris, Johanneau, 1825, (deuxième édition augmentée), p. 55-59, p. 55.

  • [16]

    Ibid.

  • [17]

    Jean-Marie Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? Paris, Editions du Seuil (Poétique), 1989, passim.

  • [18]

    Verlaine, « Art poétique », dans Jadis et Naguère, Paris, Léon Vanier, 1884, p. 23-25, p. 23.

  • [19]

    Edgar Poe, « The Poetic Principle » (1850), séquence traduite par Charles Baudelaire dans ses « Notes nouvelles sur Edgar Poe » (1857), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », t. II, 1976, p. 319-337, p. 332.

  • [20]

    Ion Barbu, « Jean Moréas » (conférence prononcée en français à Bucarest en 1947), Versuri şi proză, Bucarest, Minerva, 1984, p. 192-200, p. 194.

  • [21]

    Henri Clouard, « Jean Moréas, notre Maître », Les Guêpes, 2e Année – n°15 (Mai-Juin 1910) – « À la Mémoire de Jean Moréas », p. 114-118, p. 115. Voir aussi chez Moréas, la Stance II, 8, où la noble adresse du poète au paysage grec après un long exil s’achève par l’expression délibérément plate du finale : « Quand je vous ai revus, je vous ai bien aimés ».

  • [22]

    Jean-Marc Bernard, Sub tegmine Fagi (1913), « Livre Troisième ou Livre d’Omar Kheyam », dans Œuvres, op. cit., épigraphe, p.70 ; Ernest Raynaud, Jean Moréas…, op. cit., p. 95.

  • [23]

    La Fontaine, « Epilogue » du Livre VI, Fables, Paris, Presses Pocket, 1989, p. 194.

  • [24]

    Pedro Salinas, « Estancia en memoria de Jean Moréas », dans Prometeo, n°32, Janvier 1911, p. 686 (nous traduisons). Voir Eloy Navarro Dominguez, « Entre el Modernismo y la Poesia pura, sobre los dos sonetos de Salinas publicados en Sevilla » dans Miguel Nieto Nuño, José María Barrera López, Pedro Salinas en su Centenario, Universidad de Sevilla, 1992, p. 149-162.

  • [25]

    Vinicio Paladini, « La Partenza », 1927, coll. part.

  • [26]

    André Thérive « Intitiation à Jean Moréas » Nouvelle Revue Critique, t. XXVIII, n°161, 25 mars 1920. « Hommage à Moréas pour le Dixième anniversaire de sa mort », p. 662-675, p. 666.

  • [27]

    Moréas, Les Stances, I, 10, p. 25-26.

  • [28]

    Ion Barbu, op. cit., p. 96 : « Avec Hilbert, la géométrie redécouvre Euclide, avec Moréas la poésie retourne à Alcée, mais ce retour est investi de l’ensemble des forces de la pensée moderne ».

  • [29]

    Comme le note Alexandre Embiricos (Les Ėtapes de Jean Moréas, Lausanne, La Concorde, 1948 : « Si […] dans les Stances il s’est haussé au classicisme grec, c’est […] parce que le classicisme français conduit tout droit à l’hellénique » (p. 127) ; « Ce laconisme substantiel est très hellénique » (p. 142).

  • [30]

    J. Moréas, op. cit., I, 11, p. 25.

  • [31]

    René Georgin, Jean Moréas, Paris, Nouvelle Revue Critique, 1930, p. 195 : « Il a le sens grec de l’épigramme ; il semble que par cette distinction de ton et cette délicatesse du sentiment, il continue les poètes de l’Anthologie ».

  • [32]

    Palladas, Anth. Pal., 79, dans J.W. Mackail, Select Epigrams from the Greek Anthology, Londres, New York, Bombay, Longmans, Green et Cie, 1908, p. 293.

  • [33]

    Traduction de Marguerite Yourcenar, La Couronne et la Lyre, Gallimard, Paris, 1979, p. 456.

  • [34]

    Enrique Gomez Carrillo, La Grecia eterna (1908), La Grèce éternelle, chap. XII. « Les stèles du Céramique », trad. Barthez, Paris, Perrin, 1909, p. 152-153.

  • [35]

    Maurice Barrès Le Voyage de Sparte, (1905), chap. X, « Mon ami Tigrane, disciple des stèles du céramique », Paris, Emile-Paul, 1911, p. 120.

  • [36]

    Patrick McGuiness, Poetry and Radical Politics in Fin-De-Siècle France, From Anarchism to Action Française, Oxford University Press, 2015, p. 245.

  • [37]

    Albert Thibaudet, «Hécate aux trois visages », dans La Revue critique des idées et des Livres, 25  mars 1920, p. 679-689, p. 687 : « Ainsi, de chaque côté de ce tombeau figureraient, sous une forme plus plastique que l’Enfin Malherbe vint, la naissance de l’art classique français et sa lutte […] ; et comme une frise l’entoureraient une suite de formes nobles, sorties du marbre aussi légèrement et discrètement que sortent du papier les Stances. Ce tombeau serait moins celui d’un Moréas réel que d’un Moréas idéal et brisé dont le premier n’a réalisé que de beaux fragments ».

  • [38]

    Stéphane Mallarmé, Pages, Paris, Edmond Deman, 1891, p. 9-13, p. 9.

  • [39]

    Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools (1920), Paris, NRF, Poésie Gallimard, 1990, p. 7-14, p. 10.

  • [40]

    Gabriele D’Annunzio, Elettra, (1904) « Canti della Morte e della Gloria », III, Tutte le Poesie, Rome, Newton, 1995, p. 237-238, p. 238 : « Alziamo gli Inni funebri […] Alla Bellezza che da noi s’esilia » ; P. Valéry écrit « La Jeune Parque », en 1916, en hommage posthume à la Beauté qu’il imagine comme « une sorte de morte » (commentaire cité par Fabien Vasseur, Fabien Vasseur commente Poésies et La Jeune Parque de Paul Valéry, Paris, Foliothèque, Poésies Gallimard, 2006, p. 58.

  • [41]

    Louis Aragon, recension d’un recueil de Carlos de Lazerme (Les Jours passés), Littérature, n°15, deuxième année, juillet-août 1920, p. 38.

  • [42]

    Francis Eon : « Et moi, si la dure constance / De mon destin m’opprime, hélas !/ Je marche en disant une stance/ De Moréas… » (cité par Jean-Marc Bernard, « Les Poètes Fantaisistes », Œuvres, op. cit., II, p. 442-471, p. 450 ; Louis Pize « À Jean Moréas », La Minerve Française, t. V, n°20, Paris, 1er avril 1920, p. 34-35 : « Comme un refrain berçant ma course solitaire / Moréas que de fois vos Stances m’ont conduit/ Dans le Novembre affreux qui dépouillait la terre / […] C’est une Stance encor que je redis tout bas […] Et la Stance parfaite et jamais monotone / Nous enivrera mieux qu’une lourde liqueur… »

  • [43]

    En 1921, Rilke, qui conseille Rolf Von Ungern Sternberg pour sa traduction allemande des Stances, se prend d’émulation et traduit trois poèmes de Moréas (voir Charles Dédeyan, Rilke et la France, Paris, Société d’Edition de l’Enseignement Supérieur, 1961, t. III, p. 344-346).

  • [44]

    Rainer Maria Rilke, lettre citée par Charles Dédeyan, op. cit., p. 348.

  • [45]

    Moréas, Les Stances, I, 12, p. 30.

  • [46]

    Juan Ramon Jimenez, dans Enrique Diez Canedo et Fernando Fortún, La poesía francesa moderna, Madrid, Renacimiento, 1913, p. 184.

  • [47]

    Bernardo Gicovate, « La Poesia de Juan Ramon Jiménez en el simbolismo », Comparative Literature Studies, Vol.4, No 1 / 2, The Symbolist Mouvement, Penn State University, 1967, p. 119-126, p. 124.

  • [48]

    Juan Ramon Jimenez, « A la Luna del Arte » (1911), Segunda Antología Poética, Madrid, Calpe, 1922, p. 141.

  • [49]

    Ion Pillat a traduit treize stances de Moréas, dont 10 dix intégrées dans le recueil Limpezimi (1927).

  • [50]

    Ion Pillat, « La Roma, cînd Horatiu… », Scutul Minervei (1933) dans Eternitati de-o clipa/ Eternités d’un instant, trad. A. Dobrescu-Warodin, préface A. Martin, Bucarest, Minerva, 1989, p. 244.

  • [51]

    Idem, nous donnons ici la traduction (légèrement retouchée) de G. Danoux et M. Beauchamp, Le Boucler de Minerve, 2016, p. 26.

  • [52]

    Josep Junoy, Obra poética, éd. J. Vallcorba, Barcelone, Barcelone, 2010, p. 168-169.

  • [53]

    Paul Jean Toulet, Les Contrerimes, éd. M. Décaudin, Paris, NRF Poésie Gallimard, 1979 p. 44.

  • [54]

    Toulet consacre explicitement son Dixain III à la « grande ombre » de Moréas, ibid. p. 115.

  • [55]

    Paul-Jean Toulet : [exposition], Paris, Bibliothèque nationale, mai-juin 1968, catalogue rééd. par Jean Adhémar et Marie-Christine Angebault, n°43 a. « MORÉAS conduisant Pégase par la bride », croquis à la plume par Toulet. 17,5 x 11 cm, coll. André Schuck, BNF, Paris, 1968.

  • [56]

    Jean Moréas, « Imité de Pétrarque », La Minerve Française, 1er avril 1920, p. 7-8.

  • [57]

    Ion Pillat, op. cit. p.97. Le Roumain s’inspire du geste de Yeats qui déjà traduit ce poème de Ronsard mais en révélant dès son titre la médiation de Moréas.

  • [58]

    Moréas, Les Stances, VI, 2, p. 181.

  • [59]

    Pétrarque, Canzoniere, Le Chansonnier, éd. et trad. P. Blanc, Paris, Garnier, 2004, p. 106.

  • [60]

    J. Moréas, Ολίγαι σελίδες επ’ ευκαιρία της μεταξύ των κ.κ. Ε. Δ. Ροΐδου και Αγγέλου Βλάχου αναφυείσης φιλολογικής έριδος / Υπό Ιω. Παπαδιαμαντοπούλου, « Quelques pages sur la convenance de la querelle philologique élevée entre Rhoïdis et Blachos » (1878), cité et traduit par Robert. A. Jouanny, Moréas, écrivain grec, Paris, Minard, 1975, p. 392-414, p. 408.

  • [61]

    Mentionnons Du Bellay (L’Olive, v. 84), Ronsard (Amours de Marie, v. 25), parmi une dizaine d’autres poètes du xvie français.

  • [62]

    J. Moréas, Les Stances, III, 14, op. cit., p. 113.

  • [63]

    Gabriella Gavagnin, « La via occitanofrancesa al petrarquisme de J.V. Foix », dans Els Marges 78, Hivern 2006, p. 21-35, p. 27) a signalé cette médiation de Moréas…

  • [64]

    J. V. Foix, Sol i de dol (1936), Barcelone, Edicions 62, 1993, p. 9 (Foix précise que ces sonnets ont presque tous été écrits entre 1913 et 1927).

  • [65]

    Ch. Baudelaire, « Les Foules », Le Spleen de Paris, XII, Œuvresop. cit., t. 1, p. 291: « Le promeneur solitaire et pensif tire une singulière ivresse de cette universelle communion ».

  • [66]

    Lamartine, « L’Automne », Méditation vingt-troisième, Méditations poétiques, Paris, Au dépôt de la Librairie Grecque-Latine-Allemande, 1820, p. 101-102.

  • [67]

    J. Moréas, « Sur Lamartine », Variations sur la vie et les Livres, repris dans Œuvres en prose, Paris, Librairie Valois, 1927, p. 225-237, p. 235.

  • [68]

    René Georgin, Jean Moréas, La Nouvelle Revue Critique, 1930, p. 178.

  • [69]

    J. Moréas, Les Stances, I, 6, p. 17.

  • [70]

    Notons que la première traduction catalane de l’œuvre de Khayyam par R. Vivès Pastor s’intitule cependant Estances, (Barcelone, L’Avenç, 1907).

  • [71]

    À la même époque, John William Mackail rapproche Khayyam de diverses pièces de l’Anthologie (Select Epigrams… op. cit., p. 84, 394, 416).

  • [72]

    Albert Thibaudet, « Réflexions sur la Littérature », dans NRF, t. XIX, 1922, p. 206- 214, p. 208.

  • [73]

    René Fernandat, « Un poète mort au champ d’honneur, Jean-Marc Bernard, Dauphinois », dans La revue hebdomadaire, n°18, Paris, Plon Nourrit, Ier mai 1920, p. 92-109, p. 103.

  • [74]

    Omar Khayyam, Les Quatrains d’Omar Khayyam, V, trad. Ch. Grolleau, Paris, Charles Carrington, 1902, p. 49.

  • [75]

    Jean-Marc Bernard, Sub tegmine fagi, op. cit., t. III, 21, p. 81.

  • [76]

    Ibid. III, 4, p. 72

  • [77]

    Ibid., « Impromptu », dans « Livre Second ou Livre des Bergeries et des Jeux », p. 57.

  • [78]

    Aradika Moritaké (1472-1549) dans Paul-Louis Couchoud, Les épigrammes lyriques du Japon, (1906), réédité sous le titre Le Haïkai, Les épigrammes lyriques du Japon, Paris, La Table Ronde, 2003, p. 34. Notons que Couchoud, qui a promu le haïku en français, a aussi édité avec P. Maublanc, Cent épigrammes grecques (Paris, Payot, 1919).

  • [79]

    Voir Jordi Mas et Marcel Ortin, « La primera recepció de l’haiku en la literatura catalana », dans Els Marges 88, Printemps 2009, Barcelona, p. 57-82, en particulier p. 58-66. Carner traduit justement le haïku de Moritaké qui a séduit J.-M. Bernard.

  • [80]

    Dans sa conférence de 1938, « De l’epigrama i mes enllà », Carles Riba distingue epigrama clos grec et epigrama obert japonais. Mais il définit ainsi la tentative de ses tankas : « El meu exercici, doncs, fora per a contenir una sensació, una reflexió, un fet d’amor o de creencia, dins un traç sobri i just de paraula. L’epigrama es al capdavall aixó : una notació en els temps (voir Enric Sulla, « Les tannkas de Carles Riba », Llenga & Literatura, 3, 1988-1989, p. 265-336, respectivement p. 178 et p. 173.

  • [81]

    Plus tard dans les Elégies de Bierville (1942), l’adresse au Sunium (II) refait d’une certaine manière la stance IV, 4 de Moréas, qui suggère aussi à Riba l’image du « temple mutilé ».

  • [82]

    J. Moréas, Les Stances, op. cit., II, 5, p. 51.

  • [83]

    Carles Riba, Del joc i del foc, Barcelone, Selecta, 1946, tanka XXVIII, cité par E. Sulla, p. 294 (nous traduisons).

  • [84]

    Nicolas Deniker, « Stance du Vagabond », Cahiers de Mecislas Golberg, n°1-2, janvier-juin Paris, L’Abbaye, 1907, p. 15.

  • [85]

    J. Moréas, Les Stances, op. cit., IV, 1, p. 117-118, p. 118.

  • [86]

    C’est le lyrisme du dialogue intérieur que prolongent les premiers disciples : Apollinaire dans Le Guetteur Mélancolique (Paris, Gallimard, 1970, p. 15) : « Et toi mon cœur pourquoi bats-tu ? »… ou bien Paul-Jean Toulet, Les Contrerimes, LXX, op. cit., p. 90 : « N’écoute pas battre ce cœur… »

  • [87]

    Josep Junoy, Amour et Paysage, dans Obras, op. cit., p. 255.

  • [88]

    J. Moréas, Les Stances, op. cit., IV, 7, p. 129.

  • [89]

    Josep Junoy, op. cit., p. 274.

  • [90]

    Bashô (1644-1694), version de Couchoud, op. cit., p. 97.

  • [91]

    J. Junoy, op. cit., p. 276.

  • [92]

    J. Moréas, Les Stances, op. cit., II, 16, p. 73-74.

  • [93]

    J. Junoy, op. cit. p. 314.

  • [94]

    J. Moréas, « Notes de Voyage », Les Feuillets, 1902, repris dans Œuvres en prose, op. cit., p. 137-167, p. 167.

  • [95]

    Ibid., « Novembre », p. 111-114, p. 112.

  • [96]

    Ibid., « Memento », p. 124-128, p. 125.

  • [97]

    Ibid., « La Route », p. 129-136, p. 132.

  • [98]

    André Thérive, préface de L’Œuvre en prose, op. cit., p. VII-XVI, p. IX.

  • [99]

    Posture testamentaire confirmée non seulement par la mise en scène des ultima verba et de l’autorité du maître dans les pièces des disciples, comme Charles Derennes, Louis Pize etc. mais aussi par l’usage chez Rilke, en épigraphe d’un texte comme Das Testament, de deux vers des Stances où se marque cette autorité : « Mais j’accuse surtout celui qui se comporte / contre sa volonté » Le Testament, [Das Testament], trad. Jaccottet, Paris, Seuil, 1983.

  • [100]

    Remy de Gourmont, « La Poésie française contemporaine et l’influence étrangère », Flegrea, Naples, 20 octobre 1900, recueilli sous le titre de « L’Influence étrangère », dans le Problème du style, Mercure de France, octobre 1902, p. 157-168, p. 160.

Pour citer cet article

Christophe Imbert, « D’où viennent, où vont les Stances de Moréas ? La migration d’anciennes et modernes formes brèves dans l’atelier poétique européen du premier XXe siècle », SFLGC, bibliothèque comparatiste, publié le .../.../2019, URL : https://sflgc.org/acte/imbert-christophe-dou-viennent-ou-vont-les-stances-de-moreas-la-migration-danciennes-et-modernes-formes-breves-dans-latelier-poetique-europeen-du-premier-xxe-siecle/, page consultée le 19 Avril 2024.

Biographie de l'auteur

IMBERT Christophe

Christophe Imbert, ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, est professeur de Littérature comparée à l’Université de Toulouse 2. Dans une approche philologique de la tradition culturelle, il a d’abord restitué l’histoire d’une formule qui signait l’exil ou  la disparition du sanctuaire commun de l’Europe dans la première modernité  (Rome n’est plus dans Rome, formule magique pour un centre perdu, Garnier, Bibliothèque des études seiziémistes, 2011); puis il a voulu montrer comment  l’ensemble de la Romania se constituait en territoire de l’imaginaire culturel européen (Romania ou l’Empire du Soleil, l’émergence d’un mythe culturel européen, XVIIIe-XXe s. à paraître chez Garnier en 2019). ll s’est aussi intéressé spécialement  au paysage allégorique, d’abord dans le collectif  édité avec Philippe Maupeu, Le Paysage allégorique,Du paysage mental au pays transfiguré PUR 2011), puis, plus récemment,  en interrogeant l’histoire du Bois sacré (Le Bois Sacré, Histoire d’un paysage entre imaginaire cultuel et tradition culturelle,  en examen  aux PULM) et du Château allégorique (avec Cristina Noacco, en examen aux PUR). Ses travaux portent surtout sur la poésie, et de façon privilégiée dans le champ des langues romanes.