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Dead Letters : une naissance du roman américain (1769-1853) ?

ARTICLE

Associer roman et « Nouveaux mondes » sous l’égide d’un corpus américain pourrait passer pour un réflexe ; pourtant, non seulement l’émergence du roman américain en lien avec les modèles européens est actuellement discutée par les américanistes [1] mais cette articulation s’avère particulièrement fructueuse pour qui s’intéresse au roman et à ses formes.
En effet, alors que par exemple les spécialistes du roman épistolaire considèrent que le genre décline après 1840 [2] , cette date est également celle, sinon inaugurale, du moins fondatrice, où la fiction prendrait véritablement son essor aux États-Unis, entre autres parce qu’elle est relayée par les revendications conjointes de ceux que l’on constituera, plus tard, en véritable groupe avant-gardiste, The American Renaissance : Hawthorne, Melville, Poe… Or, certaines de ces œuvres sont travaillées par la présence de la lettre, notamment « The Purloined Letter » (1845) et « Bartleby the Scrivener » (1853), qui s’achève sur des « Dead Letters », des « lettres au rebut » ; et, si l’on ne saurait mettre évidemment The Scarlett Letter, 1850, dans cet ensemble puisque la lettre en question est une lettre de l’alphabet et non une missive, nous y reviendrons malgré tout…
Par ailleurs, si l’on ne réduit pas le développement du roman épistolaire au seul domaine français auquel il est souvent cantonné [3] , on peut percevoir à quel point cette forme est partie prenante du développement de la fiction romanesque sur le sol américain ; et l’on peut faire dès lors remonter le « premier roman nord-américain » à celui de Frances Brooke, History of Emily Montague, paru dès 1769, qui n’est rien d’autre, comme son titre ne l’indique pas, qu’un roman par lettres.
De 1769 à 1853, de ce que l’on pourrait appeler des Lettres américaines, des Lettres canadiennes ou encore des Lettres du Nouveau monde – après tout on lit en France des Lettres iroquoises dès 1752 [4]  – aux « Dead Letters » qui hantent Melville, on peut se demander si ne se joue pas quelque chose comme la fondation d’une littérature de la lettre, d’une litera-ture, d’une fiction travaillée par sa matérialité scripturale problématique.
Nous ne prétendons naturellement relayer ici toutes les œuvres épistolaires, ni toutes celles qui font référence à la lettre dans cette Early American Literature, mais il nous semble possible de suivre notre hypothèse dans quelques textes fondateurs : ces lettres du Nouveau monde reprennent d’anciens modèles européens tout en élaborant une littérature nouvelle sur le paradigme même de la lettre perdue.

 

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Notes

  • [1]

    Le développement du roman aux États-Unis, traditionnellement repoussé après 1820, pourrait s’appuyer sur une « naissance » entre 1789 et 1819 (voir Ronan Ludot-Vlasak, Jean-Yves Pellegrin, Le Roman américain, PUF, 2011 ; voir également la thèse récente de Juliette Dorotte, « La naissance du roman américain (1789-1819) : poétique de l’hybridité », Paris IV (Marc Amfreville dir.), décembre 2014).

  • [2]

    Sur ce point, voir notamment Laurent Versini, Le Roman épistolaire, Paris, PUF, 1979.

  • [3]

    Voir Benoît Tane, « Roman épistolaire », in Dictionnaire raisonné de la caducité des genres littéraires, Saulo Neiva et Alain Montandon dir., Genève, Droz, 2014, p. 841-853.

  • [4]

    Maubert de Gouvest, Jean-Henri, Lettres iroquoises, Irocopolis, chez les Vénérables, 1752, 2 vol. (166 p., 164 p.). Cette édition est consultable sur Gallica (dernière consultation le 17/01/2017) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k821905. Ce texte a également été réédité : Les Lettres iroquoises, éd. par Enea Balmas, Paris, Nizet, 1971.