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La Bibliothèque en acte(s) - Trois scénographies possibles des imaginaires de la Bibliothèque

ARTICLE

Mais au fond du couloir, la porte que Papiton vient d’ouvrir vous fait accéder au silence érudit des cloîtres. Vous entrez, presque tremblant ; vous entrez dans la Bibliothèque.
Ici, se surprit à songer Frédéric, ce ne sont pas les livres qui comptent, ce qui compte, c’est la lecture.
Richard Jorif, Le Navire Argo, François Bourin, « Folio », 1987, p. 85.

Prologue

Que l’on soit écrivain ou critique, le simple geste d’écrire de ou sur la littérature revient à « déballer sa bibliothèque », selon la formule de Benjamin. « Déballer sa bibliothèque », c’est-à-dire y introduire le hasard d’une cueillette en déménageant livres et rangées, ordre et désordre précédents pour intriquer ces liasses de papiers dans un récit inédit, pêle-mêle, d’une lecture – la sienne, inventée et improvisée au pied levé pour son interlocuteur. C’est partir au rebours d’une étymologie pourtant prégnante : la bibliothèque n’est jamais qu’un meuble, que ce « lieu où sont rangés les livres » (Alain Rey), que cet espace concret où s’articule et s’expérimente l’abstraction d’une pensée sur le savoir (étymologiquement celui de l’écrit) – ce que déclinent diversement les adjectifs qui la qualifient. Publique pour dire l’accessibilité intégrale d’un ensemble pensé selon ses visiteurs, nationale pour servir le conservatoire, la recherche et la folle ambition du dépôt légal, privée pour la collection particulière savamment composée par l’amateur bibliophile, mentale pour le plus intime des florilèges livresques tel qu’Elias Canetti l’imaginait à propos du sinologue Kien [1] . C’est donc avant tout un geste de pensée qui se livre dans le grand Catalogue des Bibliothèques, imaginaires comme réelles.

Souhaitant présenter ici une réflexion à deux voix sur les liens entre archive, intertextualité, lecture et écriture, tels que nos travaux de thèse nous incitent à les définir aux côtés de Tiphaine Samoyault, nous aimerions proposer le « récit d’une méthode » (Bruno Clément), pour répondre à notre question commune : qu’est-ce que la « bibliothèque » est à même de signifier pour la Littérature comparée ? A savoir : si par le terme « bibliothèque », certains écrivains plus que d’autres ne tâcheraient pas de désigner aux regards avisés d’un diligent lecteur leur propre façon de (s’) appareiller en littérature et d’y faire chemin dans un geste critique au monde qui escorte et programme la lecture en même temps qu’il met en acte une pensée des multiples échanges littéraires. En ce sens, nous retiendrons moins une thématique ou un lieu commun de la Bibliothèque, qu’une pluralité de scénographies récurrentes qui nous disent quelque chose de la Méthode, tant pour le créateur que pour son lecteur. Nous tâcherons au passage de baliser les eaux de partage entre chacun de nos travaux et celui de Tiphaine Samoyault, à commencer par une prédilection commune pour les corpus de l’illimitation, de l’encyclopédie, du gigantisme dans l’érudition, ceux-là même qui font leur miel du pastiche, de la parodie et des entrelacements énonciatifs complexes. Melville, Pessoa, Montaigne, Valéry nous montreront la voie.

Mettre en avant la méthode ici, c’est avant tout donner corps à une certitude : que la méthode s’enseigne parce qu’elle se tire des œuvres lues elles-mêmes, et qu’en ce sens, s’y jouent maints processus de l’élaboration et de la compréhension d’une œuvre. Il s’agit donc moins d’un chemin (methodos) à suivre que d’un parcours à emprunter, et donc à dérouter de sa voie(x) initiale. Rappelons avec Bruno Clément que « si la méthode qui sert à l’un peut servir à l’autre » (sa vertu première), c’est aussi dans la mesure où « la méthode, autrement, est bien souvent importée, transférée » (Balzac poursuivant en romancier l’œuvre  du naturaliste Cuvier par exemple). Si, comme le dit Descartes, le « dessein n’est pas d’enseigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j’ai tâché de conduire la mienne », alors une proposition de cours à deux voix consiste notamment dans la monstration des efforts de jointure et d’articulation entre un travail et un autre, entre une pensée du littéraire et une autre, entre deux corpus. Notre première tâche a ainsi résidé dans la construction d’une bibliothèque commune, que nous puissions « déballer » ensemble, déranger à loisir pour mieux nous comprendre et afin de mieux mettre en jeu (au triple sens d’écart, de divertissement et d’interprétation) la spécificité de nos gestes comparatistes… C’est bien cette bibliothèque que nous vous invitons aujourd’hui à partager, posant d’emblée que l’approche d’Anne est plus proprement épistémologique, réfléchissant aux conditions, aux appareils et aux effets de mise en mémoires du texte et de l’œuvre par ses dispositifs internes – la machin-ation du texte contemporain, tandis que la mienne, essentiellement littéraire, s’inscrit dans un questionnement sur l’intertextualité à tous bouts de champs, témoignant de la triple lecture définie par Tiphaine Samoyault (ludique, herméneutique et uchronique [2] ), par laquelle je m’efforce d’explorer l’éparpillement intrinsèque de mon corpus « consacré » à Dieu, à Faust et au Diable, aux plans philologique, poétique et esthétique.

Trois scénographies de la bibliothèque nous intéresseront ici ; la progression que construit la fiction du commentaire signale que si elles ne sont pas plus exclusives les unes des autres que forcément consécutives selon l’ordre narratif, elles se lient néanmoins en faisant fond les unes sur les autres. Comment ne pas en effet « Bâtir la Babel sombre » (Acte I)  ou du moins la poser comme préalable avant d’en déclarer le grand incendie et de « Brûler la Bibliothèque » (Acte II) ? De cette vaste table rase à l’appareillage vers des rives inconnues, il n’y a plus qu’un pas : ce sera notre dernier acte ou comment « (faire) fuir la Bibliothèque » par sa fantastique mise à l’eau… (Acte III)

Bâtir la Babel sombre

Première scénographie de la Bibliothèque en acte(s), cette bâtisse de la Babel sombre, selon la belle expression de Baudelaire, contiendrait dans son geste l’impossibilité et l’exhaustivité du savoir total mis en livre et réuni sur les étagères improbables de l’écrivain.

Des représentations fantasmatiques du « savoir total » à la cécité d’Homère

Partons des premiers vers du poème « la Voix », d’où provient ce titre :

Mon berceau s’adossait à la bibliothèque
Babel sombre, où roman, science, fabliau
Tout, la cendre latine et la poussière grecque,
Se mêlaient. J’étais haut comme un in-folio. [3]

Pourquoi la Babel est-elle sombre ?

Telle est la question apparemment badine que pose Sophie Rabau dans son essai sur l’Intertextualité, particulièrement intéressée ici par cette curieuse « naissance de la vocation poétique » dans une bibliothèque, qui « pourrait bien servir d’illustration et de fable à la naissance de l’intertextualité » [4] . C’est dans la nouvelle de Pirandello, « Un monde de papier », qu’elle trouve une clé : la bibliothèque est sombre, forcément, pour celui qui ne sait plus (pas) lire ses volumes, propriétaire aveugle ou infans « haut comme un in-folio » cueilli au berceau (l’enfant étant par définition celui qui ne sait pas encore parler, et a fortiori lire). Sombre désigne donc moins la couleur des reliures vieillies par le temps ou celle métaphorique d’un funeste pouvoir des Livres, que celle qui témoigne de l’opacité des autorités. Les histoires de bibliothèques « obscures » et de narrateur frappé de cécité, physique ou figurée, sont légion. Outre les exemples donnés par Sophie Rabau (Les Mots de Sartre, le narrateur borgésien de La Bibliothèque de Babel), songeons aux premiers pas de Thérèse la femme de ménage illettrée dans la librairie privée de Kien (Auto-Da-Fé), à Salvatore, l’étrange moine analphabète du Nom de la Rose « qui a l’air d’un animal et parle la langue de Babel » [5] ou au Méphistophélès de Valéry, qui endosse un rôle de pseudo-secrétaire auprès du disciple dans « Mon Faust » et réplique  lors de la scène de la bibliothèque faustienne :

Le disciple : Vous avez lu tout cela ?
Méphistophélès : Moi ? Je ne sais pas lire.
Le Disciple : A votre âge ?
Méphistophélès : De mon temps, on ne savait pas lire. On devinait. Donc on savait tout.

C’est chaque fois une mise à distance singulière de l’érudition livresque et de son pendant - la bibliothèque fantasmatique du savoir total, qui se joue dans ces personnages soigneusement logés dans de véritables temples du Livre. Ainsi l’attitude scrupuleusement dévote de Thérèse face aux Livres va de pair avec son mépris souverain pour leur valeur symbolique (seule leur valeur marchande trouvera grâce à ses yeux et métamorphosera l’inculte en dévoratrice) ; l’inextricable fouillis du parler de Salvatore signale l’illusion d’une langue, qui les contenant toutes, n’en contiendrait aucune tandis que le Disciple écoeuré voue au Diable « Les logies, les graphies, les nomies. Au diable ce fatras ! », à ce même diable qui n’en veut pas, n’ayant aucun espoir de savoir à en tirer… [6]

Cendre latine et poussière grecque : le Temple du Temps

Il n’est pas anodin que Thérèse ait été embauchée pour une tâche digne d’un Sisyphe de bibliothèque : « Chaque jour vous devez ôter la poussière d’une pièce du haut en bas. Au bout de quatre jours vous avez fini. Le cinquième vous recommencez dans la première » [7] … Le détour par le Faust goethéen est ici précieux ; voici quelques morceaux de la scène du Cabinet de travail :

Mais toujours ce maudit cachot
Ce trou de mur, ce recoin d’ombres
Où la belle clarté d’en haut
Vient mourir dans ces vitraux sombres !
Ce tas de volumes poudreux,
Vermoulus […] !
Poussière également, sur ces hautes murailles,
Ces casiers obscurs surchargés d’instruments,
Ces livres, comme si depuis déjà longtemps
Les mites n’avaient pas rongé ces antiquailles
Et quand je les lirais ces volumes poudreux
Que saurais-je en fermant le dernier sur ma table :
(Que l’homme de tout temps a vécu misérable) [8]

Tout ensemble cathédrale et cachot, le cabinet de travail est ce lieu rongé par la poudre du Temps où la lumière du jour (celle du siècle) peine à pénétrer, ténèbres qui ne font qu’accroître la difficulté du Lire pour celui qui s’y essaie. Déployés par Umberto Eco, ces mêmes fils nouent de façon comique le premier acte du Nom de la Rose. Le moine bibliothécaire Malachie déclare avec une emphase piquée de phantasmatique que « La bibliothèque plonge ses racines dans la profondeur des temps » [9] tandis que les lunettes de Guillaume l’enquêteur lui seront dérobées au cœur même de l’édifice où il s’est immiscé malgré l’interdit. Et de même chez Sartre :

J’ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres. Dans le bureau de mon grand-père, il y en avait partout ; défense était faite de les épousseter, sauf une fois l’an, avant la rentrée d’octobre. Je ne savais pas encore lire, que, déjà, je les révérais, ces pierres levées ; droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs … [10]

« Ainsi s’exhausse, de siècle en siècle, l’édifice monumental de l’ILLISIBLE…»

Plus encore que l’usure du papier ou la rareté du ménage dans ces hauts lieux du travail intellectuel, cette poudre insistante qui encrasse tous ces textes nous dit peut-être quelque chose de cet immense nuage de poussière causé par le Chantier Babel. Tout autant qu’un récit mythique sur la confusion (bavel) politique que le brouhaha plurilingue est à même de susciter, Babel raconte comment la bâtisse – cette Tour par laquelle ces hommes se feront un nom – fruit d’un même effort, est un chantier permanent, métaphore de l’œuvre à faire. Zumthor [11] a en effet raison de renverser la lecture théologique simpliste de Babel comme récit négatif d’une tragédie, d’une punition par Dieu de l’orgueil démesuré des hommes de l’Alliance, pour mettre en avant cette nouvelle architecture de l’inachèvement positif, arrachée à ce premier revers. Translatée dans l’univers de la bibliothèque, la Tour de Babel est éminemment faustienne, le Disciple de « Mon Faust » en donnera la formule :

Tous ces tomes en pénitence, le dos définitivement tournés à la vie […]. Et combien de ces bouquins-là furent-ils passionnément conçus, avec la folle ambition de faire oublier tous les autres !... Ainsi s’exhausse, de siècle en siècle, l’édifice monumental de l’ILLISIBLE…

Comme autant de pierres de Babel, chaque nouvelle « bible » mentionnée dans ces livres, sacrée comme profane, vient à son tour doubler les murs de l’enceinte-bibliothèque dans un processus d’accroissement qui vérifie l’analyse de Tiphaine Samoyault : l’illimitation de la bibliothèque comme propriété du contemporain.

Synonyme d’illisibilité, cette illimitation donne corps à la figure d’un aveugle, que l’on aurait plongé au cœur de la Bibliothèque. C’est tout autant la figure de l’aveugle Homère (du grec homeros ?) que celle d’Erastothène d’Alexandrie, qui est convoquée par Canetti comme par Borges. Mais, de l’aède et du bibliothécaire, seul l’aède, passé maître ès ars memoriae, saura produire la figure de l’auctor, et l’œuvre qui s’y lie, quand le second sera interrompu dans ses œuvres par la cecité. Se lit ici une nouvelle scénographie en progrès sur celle de la Bibliothèque babélienne : celle qui invente son geste d’écriture de l’intérieur même de la Bibliothèque de l’Illisible.

(De la nécessité d’) historiciser la Bibliothèque

Afin d’effectuer une ressaisie macro-structurale de notre parcours dans les échafaudages de la Babel sombre, nous allons procéder à un changement d’échelle. Avec cette mise en perspective, il s’agit à présent de souligner l’interaction des notions d’espace et de temps que l’acception usuelle de Bibliothèque en tant que Weltliteratur ou topos trans- voire an-historique peut avoir tendance à masquer. Car si Babel signale bien l’illimitation de la Bibliothèque comme meuble ou locus, elle recèle également dans sa transversalité une temporalité, indiquant le rapport intime qu’elle entretient avec la notion complexe de mémoire, vers laquelle nous nous orientons si nous voulons observer cette première scénographie avec davantage de recul. Dans des œuvres telles que La Jetée et Sans Soleil, le cinéaste Chris Marker attire précisément l’attention sur ce problème de cohabitation des espaces et des temps [12] , problème que la littérature contemporaine a particulièrement à résoudre. En témoigne la multiplication des projets de bibliothèques nationales et universelles depuis le XIXème siècle [13] . La diachronie des œuvres citées au renfort de la Bibliothèque du savoir total (de Goethe à Canetti et Valéry) sous-tend de fait une certaine historicité de cet imaginaire, que signale le succès rencontré par Borges avec La Bibliothèque de Babel.

Mais où en sommes nous aujourd’hui de l’iconographie de la Babel sombre ? Car à partir du moment où la multiplicité des techniques d’archivage, la rivalité des moteurs de recherche et celle des projets de numérisation infinie [14] accélèrent le processus, nous basculons dans de nouvelles fantasmagories de la Bibliothèque, devenue d’un cran plus virtuelle. Il nous faut alors repenser les liens entre littérature et mémoire. Rappelons ici leur évolution depuis les ars memoriae jusqu’au dispositif contemporain du rhizome : la figure de la Bibliothèque y apparaît, parmi d’autres, comme une proposition conceptuelle historiquement située. Parce qu’il y a bouleversement dans les conditions de transmission des savoirs (progrès de la technologie et de la neurobiologie), s’opère à présent un nécessaire changement dans les production et conception de la littérature comme Bibliothèque. Marc Chénetier le résume en ces termes, dans une vision mcluhanienne des rapports entre mémoire littéraire et médias : « la logique spatiale du palais intérieur fait place, peu à peu, à celle d’une banque de données insaturable où chacun peut puiser pour ses propres agencements ». [15]

Telle est l’hypothèse émise par Jacques Roubaud dans L’Invention du fils de Leoprepes, essai poétique dans lequel il retrace les trois grands âges de la mémoire. Relisant Filipo Gesualdo à la lumière de L’Art de la mémoire (Frances Yates), Roubaud juge qu’à la suite de la tradition de spatialisation systématique du monde en visions (ars memoriae) destinée à écrire la mémoire, s’est imposé un second type de mémoire caractérisé par l’invention de l’écriture alphabétique et de l’imprimerie. A l’image de notre Babel sombre, la littérature, totalement saturée. C’est bien cette exaltation pathologique de la mémoire qu’incarnent certains héros des nouvelles de Borges (Funes ou la mémoire, l’Homère de L’Immortel) ainsi que le voyageur de science-fiction dans Sans Soleil, venu d’un temps futur où l’on aurait fini par « perdre l’oubli » [16] . En devenant hypermnésique, la Bibliothèque totale risquerait même de rendre caduque la notion d’intertexte.

Intermezzo – Après le « syndrome de Funes », de nouvelles perspectives

À partir de la seconde moitié du XXème siècle, la figure de la Babel sombre est soumise à un démembrement supplémentaire, lié selon Roubaud à la « décomposition accélérée et la désorganisation de la mémoire interne et individuelle » [17] par les mémoires artificielles. Ce déplacement de la littérature de l’espace traditionnel de la Bibliothèque vers celui du réseau est aussi signalé par Foucault à propos de l’œuvre de Robbe-Grillet :

[La littérature] avait son lieu hautement temporel dans l’espace à la fois réel et fantastique de la Bibliothèque ; là chaque livre était fait pour reprendre tous les autres, les consumer, les réduire au silence et finalement venir s’installer à côté d’eux […]. Peut-être pourrait-on dire qu’aujourd’hui […], la littérature qui n’existait déjà plus comme rhétorique, disparaît comme bibliothèque. Elle se constitue en réseau, – et en réseau où ne peuvent plus jouer la vérité de la parole ni la série de l’histoire, où le seul a priori, c’est le langage. [18]

Au sein de la civilisation du « tout-image » que Roubaud assimile aux « sociétés de contrôle », la poésie se donnerait alors comme un « effecteur privilégié de la mémoire» [19] . D’autres comme Marc Chénetier ou les membres de l’ALAMO, reformulant les hypothèses d’Italo Calvino dans La Machine Littérature, concluent plutôt à l’appareillage littéraire par des programmes de génération automatique. Face à la situation actuelle de saturation et de crise de la Babel sombre, il est également possible de repartir de l’intuition de Roubaud afin d’étudier par quelles stratégies exclusivement poétiques certains textes contemporains continuent de (se) poser la question de la mémoire à l’âge électronique, sans pour autant se plier à une concrète « cybernétisation ». Il s’agit alors de passer de la Bibliothèque à l’archive, au sens singulier que Foucault donne à ce terme :

« Entre la langue qui définit le système de construction des phrases possibles, et le corpus qui recueille passivement les paroles énoncées, l’archive définit un niveau particulier : celui d’une pratique qui fait surgir une multiplicité d’énoncés comme autant d’événements réguliers, comme autant de choses offertes au traitement et à la manipulation. Elle n’a pas la lourdeur de la tradition ; et elle ne constitue pas la bibliothèque sans temps ni lieu de toutes les bibliothèques. » [20]

En amont du rhizome et de l’archive, c’est à ce moment précis de faillite de la Bibliothèque totale et mélancolique que nous enchaînerons sur le deuxième Acte de notre scénographie : la Babel sombre, en tant qu’elle est aussi à consumer, dévoile armature et rouages à la lumière du feu, entendu comme puissant geste de réécriture.

Mettre le feu à la Bibliothèque

Premier contrepoint possible au fatal accroissement de la bibliothèque, notre deuxième scénographie est aussi radicale que spectaculaire. Attribuant la « cendre » à la latinité, Baudelaire dessine en filigrane ce geste inouï de l’incendiaire Néron qui outre le phantasme de la Bibliothèque jusqu’à sa plus extrême destruction : celle qu’elle alimente de ses propres bûches de papiers…

Consumer la bibliothèque
Imminent incendie

On se souvient peut-être de « la grande et gracieuse enquête que firent le curé et le barbier dans la Bibliothèque de notre ingénieux hidalgo », au tout début du Quichotte où l’on découvre les deux comparses introduits en secret dans la forge de ses vains songes… [21] Noir dessein que le leur : ils dissertent abondamment et entrent dans d’âpres négociations quant aux livres qu’il convient de « mettre au supplice du feu ». Presque toute la littérature d’alors a voix au chapitre et la nièce effrayée délivre une parole fort à propos lorsqu’elle propose de dresser une nouvelle tour de Babel inflammable afin de réduire en poudre les « livres auteurs du dommage » : « Il vaut mieux les jeter par la fenêtre dans la cour, en faire une pile et y mettre le feu ».  Même imminence du grand incendie dans la fiction de Canetti, dans un dispositif inversé au Quichotte, puisque cette fois c’est la bonne illettrée qui se fait la farouche gardienne du temple, questionnée par son tyrannique inquisiteur :

- Je pars demain en voyage. (…) Pour quelque mois.
- Alors je pourrai épousseter à fond pour une fois. Est-ce qu’une heure, c’est suffisant, par hasard ?
- Que feriez-vous si un incendie éclatait ? »
Elle eut peur et laissa tomber les papiers. Elle garda le livre à la main.
« Seigneur ! Je sauverais les livres ! » 

Succédant au rêve boursouflé et prophétique de Peter Kien qui nous apprend « le secret » de l’Auto-da-fé à venir (selon le titre de ce chapitre), cette scène où Thérèse est mise à l’épreuve pose un premier nœud dramatique : la sûreté de sa main autorisera son service dans la bibliothèque, et donc son intrusion qui se manifestera par un désherbage obéissant à des fins économiques du meublé. Elevant ce rêve au rang de vision – « le devenir du monde » pris de folie, Tiphaine Samoyault souligne dans Excès du Roman l’amalgame opéré entre sacrifice humain et auto-da-fé livresque, qui était déjà à l’œuvre dans le Quichotte (les livres sont « des condamnés » dans la bouche du curé), ainsi que la dimension spectaculaire du feu, qui articule l’onirisme de la littérature à la brutalité de l’histoire.

Remarquant que le livre est achevé en 1931, c’est-à-dire avant les premiers auto-da-fé nazis, elle suggère que l’incendie des livres est moins le témoignage historique et anecdotique d’un fait divers qu’une métaphore vive du lecteur d’alors : surplombant le devenir littéraire de la bibliothèque européenne, « le rêveur se retrouve dans la position de Néron, contemplant Rome en flammes, de loin ». [22] Si Valéry réitère cette scénographie dans « Mon Faust » écrit aux abords de la Seconde Guerre mondiale, il ouvre cependant une nouvelle voie. Dans l’acte de la Bibliothèque, quand le Disciple dépité déplore l’illisibilité  de la somme (« Immense est ce charnier spirituel… tous ces livres à vaincre… tous ces morts à tuer… »), Méphistophélès lui propose d’en prendre acte, c’est-à-dire de relever le défi de la réécriture. Accentuant l’« oraison funèbre » en une longue dissertation sur la ruine des chefs d’œuvre - « Bah… Ce sont des vaincus, tous ces vêtus de veau. Ils nourrissent le vers. Ils attendent le feu. », Méphistophélès saisit l’occasion offerte par le disciple qui (re)découvre les premiers vers du Faust goethéen :

Le disciple : Faust a déclamé des mots fameux que tout le monde sait par cœur ? (Il déclame)
J’ai donc, Hélas, Philosophie,
Médecine, Jurisprudence,
Et par malheur, Théologie,
Approfondies, avec ardent effort ?...
Méphistophélès : Mais il ne tient qu’à vous que ce soit ici-même.
Le disciple : Vous connaissez la suite ?
Méphistophélès : La suite ?... Ha ha… Mais la suite… Ce pourrait bien être… vous et moi ?… [23]

Désherbage, fragmentation, brûlis : la mise en  jachères littéraires

Brûlot d’où naissent les palimpsestes, le feu littéraire qui s’empare de ces bibliothèques du savoir total procède de façon analogue au nécessaire désherbage de la bibliothèque comme meuble : l’aberration borgésienne de la Bibliothèque réside ainsi dans ce qu’elle est à la fois « totale » et amenuisée par les «  Purificateurs », d’où le pullulement de « fac-similés presque parfaits » comme contradiction de leur « fureur hygiénique, ascétique ». Exhibé au chapitre VI du Quichotte, ce désherbage mène parfois jusqu’au dénuement le plus complet  du livre, pris en charge par le curé : « Puisque nous commençons par la Diane de Montemayor, je suis d’avis qu’on ne la brûle point, mais qu’on en ôte tout ce qui traite de la sage Felicia et de l’Onde enchantée, et presque tous les grands vers ». Le glissement de la métaphore incendiaire à celle germinale se réalise d’ailleurs quelques lignes plus loin, dans un chiasme amusant fondé sur la synonymie chère aux anthologistes des morceaux choisis : trésor (thesaurus) et fleur (anthos). Ainsi le Berger de Philida sera le trésor de la littérature à « garder comme une relique » selon l’injonction du curé, tandis que le Trésor des poésies variées devra être « sarclé, échardonné et débarrassé de quelques bassesses qui nuisent à ses grandeurs » comme une fleur de mauvaise nature. Le principe donné par l’étymologie du verbe lire devient le « feu » de l’écriture : Legere c’est, dans l’ordre, « cueillir, choisir, puis lire à voix haute » (Gaffiot), c’est-à-dire convertir en une nouvelle lecture ce qui a été coupé, trié.

(Ré)écrire à la lumière des flammes…
Semences de nouveaux florilèges

Métaphore du « devenir-album de la littérature » (Barthes), cette politique du brûlis montre la fragmentation des grandes œuvres en leur(s) citation(s) substantielle(s) (ainsi la Divine Comédie contenue dans la citation de la Porte de Cité Dolente : « ô vous qui entrez ici… », selon l’exemple de Barthes [24] ). Or ce morcellement des chefs-d’œuvre fait de la bibliothèque européenne un petit album fort composite, mais aussi très aisément maîtrisable. Configurant la Bibliothèque exhaustive en un florilège choisi, l’écrivain, allant au bout de la poétique germinatoire, sème alors ces « fleurs » littéraires dans un nouveau terreau. Valéry s’en amuse d’ailleurs : par l’adjectif possessif et les guillemets dans « Mon Faust », par cette remarque du Disciple face à la Bibliothèque, véritable pastiche du vertige pascalien : « La tête me tourne devant l’amas de tous ces excréments de l’esprit » [25] . Un tel geste poétique recoupe en fait la définition de l’intertextualité donnée par Tiphaine Samoyault comme la « mémoire que la littérature a d’elle-même » [26] , autrement dit comme passage au tamis de la bibliothèque. Faust, figure goethéenne de l’érudit aux grimoires, constitue ici un laboratoire particulièrement intéressant pour cette notion. Cet « amour de l’érudition ou abus d’études » qui l’anime et dont Robert Burton fait une cause majeure de Mélancolie dans son Anatomie (« digression sur la misère des hommes de lettres » [27] ) reconduit la tension entre « mémoire mélancolique » et « mémoire ludique », mise au jour par Tiphaine Samoyault. Le ressassement diagnostiqué par La Bruyère dans son célèbre « Tout est dit… » serait ainsi contrebalancé par l’affirmation du «  Je le dis comme mien », qui inscrit le jeu des plagiats dans la trajectoire des palimpsestes.

Nani et gigantes ! ou de l’imitatio intertextuelle

Faisant de l’illimitation de la bibliothèque l’une de ses préoccupations premières [28] , la littérature contemporaine est amenée à poser sous un jour inédit la question de la Renaissance : la théorie de l’Imitation et de l’Innutrition s’actualise par le concept d’intertextualité. Il est en effet significatif que ce soit Goethe, penseur de la Weltliteratur, celui-là même qui fournit la figure d’un Faust Phénix renaissant de ses cendres goethéennes. Le dispositif du Faust I doublé du Faust II fut ainsi matière à variations pour Pessoa, Boulgakov et Valéry : ils inventeront chacun un Faust III, figure inédite du Faust palimpseste (doté de sa mémoire littéraire) qui reparaît sur la scène et expose les enjeux d’une littérature neuve. Vaste table rase des chefs d’œuvres passés, leurs Faust cherchent à donner la formule de la Bibliothèque européenne par excellence. L’écrivain chilien Roberto Gac pousse cette dynamique à son comble, lorsqu’il veut sortir du genre romanesque son Faust latino-américain pour le désigner comme « intertexte ». [29]

Il est dit de la Bible traduite par Lefèvre d’Etaples qu’elle fut rédigée sous la menace des auto-da-fés, et plus encore « à la clarté des bûchers ». Tel sera l’ultime renversement entre nos deux scénographies : le feu, incendiaire de la Babel sombre, se convertit en l’incandescence qui illumine l’œuvre à faire, laquelle sera une nouvelle pierre à l’Edifice… De façon exemplaire, Umberto Eco met en branle un semblable dispositif dans le « dernier feuillet » du Nom de la Rose, sous la plume du narrateur, seul témoin survivant de l’Incandescente Abbaye :

En fouillant parmi les ruines, je trouvais de temps à autre des fragments de parchemin, envolés du scriptorium et de la bibliothèque, sauvés ainsi que des trésors ensevelis dans la terre ; et je commençai à les recueillir, comme si je devais recomposer les feuillets d’un livre […]. Ce fut une maigre moisson que la mienne, mais je passai une journée entière à glaner, comme si de ces disjecta membra de la bibliothèque devait me parvenir un message […]. Des larves de livres, apparemment saines à l’extérieur, mais dévorées à l’intérieur : pourtant quelquefois un demi feuillet s’était sauvé, un incipit transparaissait, un titre […]. A la fin de ma patiente recomposition se profila dans mon esprit comme une bibliothèque mineure, signe de la majeure disparue, une bibliothèque composée de morceaux, citations, périodes incomplètes, moignons de livres.

Plus je relis cette liste, plus je me convaincs qu’elle est l’effet du hasard et ne contient aucun message. Mais ces pages incomplètes m’ont accompagné pendant toute la vie qui depuis lors m’est restée à vivre, je les ai souvent consultées comme un oracle, et j’ai presque l’impression que tout ce que j’ai écrit sur ces feuillets, que tu vas lire à présent, lecteur inconnu, n’est rien d’autre qu’un centon, un poème figuré, un immense acrostiche qui en dit et ne répète rien d’autre que ce que ces fragments m’ont suggéré, et je ne sais plus si c’est moi qui ai parlé d’eux jusqu’à présent ou si ce sont eux qui ont parlé par ma bouche. [30]

Notant le changement d’échelle opéré au cours du roman, Umberto Eco reconduit jusqu’à la question de la lisibilité et du déchiffrement des palimpestes-centons. Non paradoxe, mais hybridité entre la grande Babel et l’Alexandrie réduite en poudre, voilà le moteur qui permet d’articuler cette double scénographie, ce dont témoignait déjà l’ambivalence du titre choisi par Canetti et souligné dans Excès du Roman : Die Blendung, « au double sens d’aveuglement et d’éblouissement ».

Intermezzo – Bibliothèques à ciel ouvert : ouvrir la bibliothèque comme un livre

Petite variation sur cette scénographie de l’écriture, la Bibliothèque à ciel ouvert fait le pont avec la fantastique scénographie de la Mise à l’eau des Livres… C’était bien celle-ci, dont l’échancrure sur le monde est aussi vaste qu’un océan, qui éclosait dans le poème de Baudelaire – poursuivons sans tarder notre lecture :

Mon berceau s’adossait à la bibliothèque […]
Deux voix me parlaient. L’une, insidieuse et ferme
Disait : « La terre est un gâteau plein de douceur […] ;
Et l’autre : « Viens ! Oh ! Viens voyager dans les rêves,
Au-delà du possible, au-delà du connu ! »
Et celle-là chantait comme le vent des grèves,
Fantôme vagissant, on ne sait d’où venu,
Qui caresse l’oreille et cependant l’effraie. [31]

Dans cette scénographie mineure, Homère fait place à Ulysse, c’est-à-dire au voyageur maritime dont l’Odyssée présente un nouveau modèle de l’écriture. La métaphore de l’œuvre selon Proust, comme immense cathédrale à ciel ouvert, nous revient alors en mémoire : n’est-elle pas la proposition d’une autre Babel, celle où pénètre largement la lumière du siècle ? Le détour par la librairie de Montaigne et la lecture de l’Iliade dans les champs de blé racontée par Jean Giono (Jean Le Bleu) nous convainquent ici de son efficience. Négligeant sciemment le détail de ses ouvrages, le premier disserte sur les fenêtres de son meublé, loti en haut de la Montagne : elles donnent en plein sur les péripéties de son temps [32] . Le second comprend la guerre fratricide en transposant la grecque au spectacle des moissons où sévissent les faucheurs de blé. Baudelaire comme Sartre tissent la métaphore du voyage maritime à l’épopée des livres dans l’enfance : « J’étais la Pérouse, Magellan, Vasco de Gama …» (Les Mots).

A l’échelle du livre, cette scénographie transversale de la Bibliothèque, entre la Mise au Pilon par le feu (Bohumil Hrabal, Une si bruyante solitude) et la Mise en fuite par les bouteilles d’eau jetées à la mer (Herman Melville, Moby Dick), constitue la trame de l’Anonymiade (John Barth) et du Navire Argo (Richard Jorif). L’un esquisse l’Odyssée teintée de robinsonnade d’un aède anonyme, laissé pour compte sur une île avec comme seul bagage des outres de vins et des chèvres. L’homme inventera tout ensemble l’écriture et le palimpseste : grattant la peau des chèvres une fois leur viande consommée, il écrira son anonymiade avec le tanin du vin sous l’ivresse des Muses et la « livrera » au monde en glissant ses peaux dans les amphores hermétiquement closes confiées aux flots. L’autre esquisse la trajectoire de Frédéric Mops (du nom d’un Argonaute), personnage uchronique nourri de Rabelais, qui découvre la jeune Bibliothèque de Beaubourg au printemps 1968 et qui, après maintes recherches érudites sur Littré, finit par s’engager au côté du Prince Pelée, nouveau Nemo, à bord du Navire Argo.

(Faire) fuir la Bibliothèque

D’Homère à Ulysse, du Vieux Continent au Nouveau Monde encore à défricher, Herman Melville réfléchit à son tour l’écriture du Livre au miroir de la Bibliothèque, en déployant au travers du capitaine Achab et du délirant trajet du Pequod une scénographie extraordinairement dynamique, tendue entre les pôles de la Babel sombre et de la Bibliothèque à ciel ouvert, mais procédant avant tout du sabordage des palimpsestes hérités de la Bibliothèque européenne et entassés pêle-mêle dans le poussiéreux avant-texte de Moby Dick.

En proue du roman-monstre 
Une logorrhée inaugurale

Melville nous offre en guise de prologue une encombrante Bibliothèque, tentant de compiler tous les fragments du savoir de l’époque, majoritairement européens, et idéalement destinée à faire la somme du mythe cétologique. Cette indigeste entrée en matière se compose de trois parties : elle s’ouvre tout d’abord par une étymologie qui catalogue diachroniquement les versions babéliennes du nom de la Baleine (depuis l’hébreu originaire jusqu’aux langues païennes). Vient ensuite un avertissement au lecteur relatant les origines de ce laborieux travail d’archivage, ironiquement attribué à un sous-fifre tuberculeux (supplied by a late consumptive usher to grammar school). À l’évocation ambiguë de ce triste avatar wagnérien, disciple recalé du docteur Faustus, succède enfin une logorrhéique série d’épigraphes exclusivement consacrées au Léviathan. On note immédiatement la démesure des références, tant qualitative que quantitative (quatre-vingt extraits !), ainsi que la grande hétéronomie de l’ensemble. En effet, si les citations suivent une certaine chronologie (de l’Ancien Testament jusqu’à la littérature du XIXème siècle en passant par l’Antiquité latine, Rabelais, Montaigne, Hobbes etc.), elles n’obéissent à aucun souci de hiérarchisation générique : sources bibliques, populaires (notons que la première citation est tirée de la Genèse tandis que la dernière provient d’une chanson de baleinier), savantes, littéraires, philosophiques, historiques se superposent dans un joyeux mélange qui fait immédiatement signe du côté du carnavalesque.

Le prologue du roman, comparable à l’équipage du Pequod, masse informe de fragments bigarrés, vient ainsi clairement défaire dès le départ la formation d’un Tout organique homogène et harmonieux. Cet échec de l’idéal encyclopédique qui se fait au profit de l’économie intertextuelle déréglée de la monstruosité peut être interprété d’un point de vue politique [33] mais il est avant tout à envisager d’un point de vue poétique : le Léviathan est mirabilia, signe de l’avertissement divin, prodige inouï et parchemin chiffré ; le paratexte instaurant une mise en abyme qui fait du Livre melvillien un immense script à déchiffrer au miroir du corps hiéroglyphique du monstre marin.

Cette Babel hétéroclite est de surcroît accrochée en proue ou en frontispice du récit d’Ishmaël, comme pour mettre d’emblée en garde le lecteur contre toute ambition de totalisation du savoir. S’ajoutant à la stratégie de dénégation de l’archivage par le « sous-second bibliothécaire » (sub-sub librarian) qui jette le doute sur l’ensemble des futurs passages à visée pseudo-scientifique du roman, la « débauche épigraphique » (Genette) place immédiatement Moby Dick sous le signe d’une double inadéquation du langage à régler le rapport entre le nom, la chose et sa définition et à faire advenir l’Événement léviathanesque original.

La Babel cétologique en fuite(s)

Pour souligner la singularité du geste melvillien, il importe de revenir sur la définition des principes de l’archive et de l’exergue que Jacques Derrida résume en ces termes : « consigner en rassemblant les signes […]. La consignation tend à coordonner un seul corpus, en un système ou une synchronie dans laquelle tous les éléments articulent l’unité d’une configuration idéale. » [34] L’acte de Bibliothèque melvillien se caractérise alors par sa duplicité : tout en respectant certaines lois et instituant un univers intertextuel propre à la Babel sombre, Melville fait fuir (au sens d’un liquide qui déborde) de toutes parts ce matériau archivistique. Si la capitalisation qu’évoque Derrida est présente voire exhibée, elle s’opère toutefois, au contraire de l’ellipse qu’est censée réaliser traditionnellement l’exergue, dans une inflation monstrueuse (léviathanisation) de tous les discours sur la baleine. La « Bibliothèque fantastique » de Moby Dick se donne ainsi comme une tension faramineuse, instituée par l’avant-texte et maintenue tout au long du roman, entre la chair gargantuesque livresque (blubber de la Baleine) qui déborde de partout et la loi archontique du discours encyclopédique qui tente malgré tout de nommer le monstre marin afin de l’assigner à résidence.

On retrouve disséminé et plus ou moins développé dans le tissu global du texte tout ce que la logorrhée liminaire de Moby Dick enroule et déroule à la fois, dans ce double mouvement d’inflation et de rassemblement qui met à mal la Bibliothèque comme représentation du savoir total. C’est précisément en cette mise en fuite de la Babel sombre que consiste la « violence archivale » [35] de Moby Dick et que revendique haut et fort Achab au chapitre CIX, lorsqu’il refuse de colmater la fuite d’huile dans la cale du Pequod :

Laissez-la fuir. Moi-même je fuis de partout. Oui, des fuites et des fuites. Il n’y a pas que les tonneaux qui ont des fuites ; mais ces tonneaux sont à bord d’un navire qui fuit lui-même […]. Néanmoins, je ne m’arrête pas pour boucher ma fuite, moi ; car qui peut la trouver dans une coque si lourdement chargée ; et comment espérer boucher ma fuite dans la tempête hurlante de cette vie ? [36]

La mise à l’eau des praescripta 
De l’archive à l’appareillage

Outre la mise à distance ironique de la figure du bibliothécaire souffreteux et la puissance des fuites au sein de notre « baleine de livre », il faut également revenir sur la stature ulysséenne d’Achab pour mener à bien l’analyse du mouvement de désancrage qui caractérise l’écriture de Melville. « Khan des bordages, roi de l’océan et grand seigneur des léviathans », Achab apparaît bien comme une réécriture de la figure d’Ulysse, mais telle qu’elle est spécifiquement revisitée au chant XXVI de L’Enfer, lorsqu’au cercle des conseillers perfides enveloppés de flammes, Dante et Virgile recueillent le récit du dernier voyage d’Ulysse au-delà des limites du monde connu (détroit de Gibraltar) jusqu’à l’île du Purgatoire [37] . Le désir éperdu et blasphématoire de connaissance d’Achab, en écho à « l’ardeur qu’[Ulysse eut] à devenir expert du monde », ne peut en rien être rassasié par « le ramassis de déclarations diverses sur la baleine » (the higgledy-piggledy whale statements) laborieusement amassé au début du roman-monstre et repris par Ishmaël au chapitre XXXII en vue d’esquisser « un schéma de la cétologie » :

Toutes choses visibles ne sont que des masques de carton-pâte (pasteboards masks). Mais dans chaque événement… dans l’acte vivant, le fait indubitable… quelque chose d’inconnu mais doué de raison porte, sous le masque dépourvu de raison, la forme d’un visage. Si l’homme frappe, qu’il frappe à travers ce masque ! Comment le prisonnier pourrait-il s’évader sans percer la muraille (the wall) ? La baleine blanche est cette muraille dressée devant moi […]. Et c’est ce qui échappe à ma compréhension que je hais avant tout (that incrustable thing is chiefly what I hate). [38]

Pour atteindre ce qui se cache derrière la muraille, autre représentation dysphorique de la Babel sombre sur laquelle s’ouvre Moby Dick, s’impose la nécessité de recourir à tout un appareillage [39] . Le terme est à entendre dans sa polysémie : il s’agit bien entendu de prendre le large au bord du Pequod pour entamer une nouvelle Odyssée mais également de s’équiper de prothèses, ainsi que l’incarne le despotique Achab. Douloureusement harnaché de l’ivoire qui indique son devenir animal et de la pesante « couronne de Lombardie » qui lui enserre le crâne (Iron Crown of Lombardy), Achab s’impose clairement à partir du monologue shakespearien du chapitre XXXVII comme une véritable machine de guerre inexorablement tendue vers la Baleine Blanche, version pervertie du Tiers souverain hobbsien, infernale roue dentée dans laquelle s’encastrent peu à peu tous les rouages que constituent les membres de l’équipage (My one cogged circle fits into all their various wheels and they revolve).

Le « devenir Blancheur » de la Bibliothèque melvillienne

Comme le met en lumière Pierre-Yves Pétillon en introduction à son Histoire de la littérature américaine, l’ensemble du trajet de Moby Dick se stylise alors dans ce vaste mouvement prospectif entre deux polarités antithétiques, dont la qualité iconographique rappelle celle de nos scénographies : de l’obscurité de la Babel poussiéreuse du pion tuberculeux où moisissent les innombrables et insuffisantes versions du Monstre jusqu’au choc de la rencontre éblouissante avec l’Original, véritable Apocalypse dont la blancheur lactée et palpitante subsume enfin toutes les exégèses :

Achab ne pouvait découvrir aucun signe sur la mer. Mais soudain, comme il plongeait son regard dans les profondeurs, il y perçut une tache blanche vivante (a white living spot) à peine plus grosse qu’une belette, remontant des abîmes avec une merveilleuse vitesse (with wonderful celerity uprising), grandissant à mesure jusqu’au moment où, se retournant, elle révéla distinctement deux rangées de dents crochues, d’une blancheur éblouissante (were plainly revealed two long crooked rows of white, glistening teeth), flottant au-dessus d’un fond indiscernable (undiscoverable bottom). [40]

De cette aveuglante blancheur – nouvelle Blendung, intensité irréductible à la somme de ses gloses entreposées dans le vestibule du roman ainsi que de ses incarnations examinées de façon plus théorique et théologique par Ishmaël au chapitre XLII, on réalise qu’elle fonctionne avant tout comme une matrice permettant la germination de l’œuvre melvillienne dans et par le langage. Elle indique d’emblée cette monstruosité du verbe qui, excédant les simples images et symboles, travaille au cœur même du processus métaphorique. La blancheur de Moby Dick rappelle alors très précisément, outre l’énigmatique dissolution finale d’Arthur Gordon Pym, l’entreprise d’anti-description de l’indicible lumière divine par Dante (trasumanar significar per verba non si poria : « outrepasser l’humain ne se peut signifier par des mots », Paradis, chant I, v. 70-71), notamment lors de l’apparition des élus au Ciel de la lune : « tels qu’en verres transparents et limpides, ou dans des eaux claires et calmes […], les contours de nos visages nous reviennent, si légers qu’une perle sur un front blanc (perla in bianca) vient moins doucement à nos regards ». [41]

Au terme du voyage, la blancheur de l’original revêt enfin, à l’instar de la Rose céleste chez Dante, la forme de la page vierge sur laquelle s’enroule asymptotiquement le texte, appelant l’immédiate (r)écriture de l’œuvre destinée « aux gens futurs » [42] par Ishmaël, seul survivant à pouvoir témoigner après la catastrophe :

Maintenant, de petits oiseaux volaient en criant au-dessus du gouffre encore béant ; une écume blanche et morne (a sullen white surf) battit contre ses roides parois ; puis tout s’affaissa (then all collapsed) ; et le grand linceul de la mer se mit à rouler comme il roulait il y a cinq mille ans (and the great shroud of the sea rolled on as it rolled five thousand years ago). « Et moi seul j’échappai, pour venir te le dire. » [43]

Nouveau Monde versus Vieille Europe : Bibliothèque poste restante versus Bibliothèque Phénix

La confrontation de Moby Dick avec la matrice goethéenne du Faust se révèle enfin extrêmement fructueuse pour saisir de façon synthétique l’acte singulier opéré par Melville en terme de Bibliothèque, qu’il s’agisse de scénographie ou de geste scriptural. Comme on l’a vu précédemment, il s’agit bien pour Goethe et ses suiveurs de rassembler et brûler dans un même geste intertextuel toute la Bibliothèque profane afin de fondre un nouveau Grand Œuvre européen, figuré par l’éclatante renaissance du Faust Phénix.

Pour Melville, dont l’œuvre s’ancre pleinement dans le contexte de la « Renaissance Américaine » (Emerson, Whitman, Thoreau, Hawthorne) et de la marche inaugurale vers l’Ouest (la Frontier ne disparaît officiellement qu’une cinquantaine d’années plus tard), il s’agit également dans un premier temps de récapituler, sur le mode européen de la maîtrise, une préhistoire littéraire américaine encore balbutiante. Archiver une Bibliothèque-source où s’ancrerait le mythe léviathanesque, mais pour mieux la défigurer et, dans un second temps, rompre et tracer les « lignes de fuites » [44] inédites permettant l’exploration du grand in-folio encore vierge de la Wilderness. C’est ce qu’indique cet étonnant passage de l’archivage à l’appareillage : la monstrueuse compilation (Sammlung) initiale des sources ne vaut que pour autant qu’elle implose dès le départ, fuit par tous les bouts et finit par dériver au fil de l’eau, tandis que s’invente farouchement l’épopée fondatrice du Nouveau Monde.

Dans l’opposition des gestes de Goethe et Melville se précise la réflexion sur l’origine qui marque profondément la naissance de la littérature américaine moderne, liée à ce que Pétillon diagnostique comme « la hantise jamais exorcisée de l’hypothèse coloniale, de l’emprise du legs ». Pour s’arracher au quadrillage/cadastre (settlement) imposé par les archives de la Vieille Europe, ou autrement dit « percer la muraille » et les « masques de carton-pâte » de la trop sombre Babel, il faut larguer les amarres du Pequod et « partir chasser » à la recherche d’une origine située bien au-delà de ces encombrantes et indigestes gloses ; le but ultime étant alors de devenir à soi-même sa propre origine (ou « originaire » selon la définition qu’en donne Derrida : qui fait perpétuellement reculer l’origine), dans ce geste magistral d’Urvater qu’initie Achab. Voilà également pourquoi, en dépit de l’importante empreinte goethéenne de Moby Dick [45] , « Achab est à tout jamais Achab ! » et non un autre avatar du Faust Phénix. Il s’impose comme une figure inouïe à la mesure du Quichotte, de Don Juan ou de Faust, qui servira ensuite avec la Baleine blanche de creuset intertextuel à toute une génération d’héritiers situés dans le sillage du roman-Léviathan, du tyrannique Thomas Sutpen d’Absalom, Absalom ! (Faulkner) jusqu’à l’outrance encyclopédique et à l’insolite V2 de Gravity’s Rainbow (Pynchon).

Épilogue

L’ambition de cette étude duophonique de trois imaginaires possibles de la Bibliothèque était avant tout de mettre au jour, par différents coups de sonde, une méthode, née de la collusion de deux pratiques comparatistes distinctes et encore en germination. Pour ce faire, nous avons élaboré un triple dispositif scénographique – ne visant pas l’exhaustivité illusoire de la Babel sombre mais invitant plutôt à poursuivre l’expérimentation ! – qui emprunte directement à la métaphorisation que Julia opère habituellement dans ses commentaires. Puisque la méthode « témoigne du caractère historique, et donc narratif de la pensée » (Clément), il s’agit à présent de faire un retour méthodologique sur notre parcours, notamment sur les modalités de la « fictionnalisation » ayant permis son élaboration ainsi que sur les parti-pris esthétique et critique qu’il engage.

L’axe majeur par lequel nous avons pu originellement croiser nos champs de recherche correspond à la mise en déroute de la notion de Bibliothèque. Rappelons que l’imaginaire de cette dernière se dédouble en permanence entre les pôles iconiques de Babel et d’Alexandrie : la représentation traditionnelle de la Bibliothèque totale est en effet immanquablement sous-tendue par le mythe inversé de sa propre disparition. Ce que nous nous sommes proposées de faire n’était pas tant d’illustrer cette mythologie de la destruction que d’analyser différentes stratégies scripturales qui consistent toutes à investir pleinement l’espace-temps (et pas le simple topos) de la Bibliothèque du savoir total. En d’autres termes, il nous importait de voir comment ce fascinant processus de sape procède avant tout de gestes esthétiques inscrits au sein même des textes et activant « la mémoire que la littérature a d’elle-même ». Un tel pragmatisme (inter)textualiste est intimement lié à nos démarches respectives : Julia arpentant, à partir de la palingénésie faustienne initiée par Goethe, la Bibliothèque an-historique comme un vaste « terrain de jeux » et pratiquant l’infini dialogue intertextuel dans une sorte de mise à plat géographique ; tandis que de mon côté, j’opère un déplacement et un changement d’échelle de la figure de la Bibliothèque au dispositif de l’archive, pour tenter de définir la création littéraire dans ses rapports avec la modernité, à la lumière plus synchronique de corpus contemporains. [46]

La mise en fiction dynamique des gestes scripturaux étudiés, de la construction inchoative de la Bibliothèque totale à sa mise en fuite(s) en passant par sa combustion ignée, ne nous semblant pertinente qu’à la condition d’en énoncer les nécessités internes, je soulignerai ici la dualité du titre de notre parcours : « La Bibliothèque en acte(s) ». S’il affiche d’emblée la dramaturgie qui donne ensuite forme au commentaire, il formule dans le même temps le choix de traiter la figure topique de la Bibliothèque dans toute sa performativité. Signe d’un attachement commun à la dimension productrice et jubilatoire d’une littérature « en excès », le recours aux verbes d’action indique ainsi le souci d’analyser les manières dont la Bibliothèque se bâtit, brûle et fuit en effet, tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit avant tout d’« interprétations qui transforment ce qu’elles interprètent » [47] , travaillant au corps l’immuable mythologie de la Bibliothèque. Si le suffixe de la Bibliothèque vise à la conservation et à la consignation immémoriales, c’est à sa déterritorialisation que nous avons alors œuvré : désherbage, détérioration, maintenance, fragmentation, avaries, sabordages, tels que les écrivains ainsi que leurs lecteurs peuvent les localiser dans une praxis de la Littérature.

Au miroir du performatif et en écho au poème de Baudelaire, la Bibliothèque apparaît bien comme « Meuble et Verbe tout à la fois » [48] , lieu et processus. D’où les bascules permanentes que nous avons opérées entre la Bibliothèque-mobilier et la Bibliothèque-concept. Outre l’étude des textes mis en exergue dans nos trois scénographies, qui proposent tous de penser dans et par la Bibliothèque, ces passages se sont établis par le biais de textes « pivots », à l’instar de l’article de Foucault sur la « Bibliothèque fantastique » de Flaubert [49] entre les Actes I et II ou de L’Anonymiade de Barth entre les Actes II et III. Partageant les convictions de Tiphaine Samoyault à propos du « roman en excès » [50] (un roman n’est un roman qu’à la condition qu’il soit toujours autre chose qu’un roman – roman-monstre, anti-roman, roman-fleuve, etc.), notre travail à deux voix sur les imaginaires possibles de la Bibliothèque se propose ainsi de montrer qu’une Bibliothèque ne peut véritablement en être une qu’à la condition qu’écrivains et lecteurs en fassent autre chose qu’un décorum de cabinet d’étude faustien et la pensent toujours au-delà de son simple nom de Bibliothèque.

Notes

  • [1]

    E. Canetti, Auto-Da-Fé, Gallimard, « l’Imaginaire », 1968.

  • [2]

    T. Samoyault, L’intertextualité, mémoire de la littérature, (I. M. L.), Paris, Nathan, « 128 », 2001, p. 70-72.

  • [3]

    C. Baudelaire, « La Voix », dans Les Epaves, Œuvres complètes I, éd. Claude Pichois, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 170.

  • [4]

    S. Rabau, L’intertextualité, Flammarion, « GF Corpus »,  2002, p. 13, 49-53.

  • [5]

    U. Eco, Le Nom de la Rose, Grasset et Fasquelle, « Livre de poche », 1982, p. 74.

  • [6]

    Sa méthode est tout autre : « D’ailleurs j’ai trouvé personnellement grand profit à remplacer la connaissance des bouquins par la pénétration intime de leurs auteurs. », P. Valéry, « Mon Faust », dans Œuvres, t. II, Gallimard, « Pléiade », 1960, p. 368.

  • [7]

    E. Canetti, op. cit., p. 35.

  • [8]

    Goethe, Faust I et II, trad. J. Malaplate, Flammarion, « GF », 1984, p. 36 et 44.

  • [9]

    U. Eco, op. cit., p. 86.

  • [10]

    J.-P. Sartre, Les mots, Gallimard, « Folio », 1964, p. 35-36.

  • [11]

    P. Zumthor, Babel ou l’inachèvement, Seuil, « Poétique », 2001.

  • [12]

    Sans Soleil s’ouvre sur une citation de la seconde préface à Bajazet de Racine : « L’éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps » avant de nous présenter le Japon comme le lieu idéal pour interroger la dislocation des temporalités propre au XXème siècle – le XIXème ayant selon Marker « réglé ses comptes avec l’espace ». La Jetée, reprenant le motif hitchcockien de la spirale (Vertigo) sous la forme d’une coupe de séquoia, souligne l’indissociabilité des deux éléments.

  • [13]

    Ainsi, la fondation à Moscou en 1918 d’un Institut de littérature mondiale sous la responsabilité de Gorki.

  • [14]

    Cf. J.-N. Jeanneney, Quand Google défie l’Europe. Plaidoyer pour un sursaut, Paris, Mille et Une Nuits, 2005.

  • [15]

    M. Chénetier, « Du Palais à l’hypertexte : les avatars de Mnémosyne. Esquisse d’une réflexion sur les rapports entre conceptions de la mémoire et de la littérature », Le Temps des savoirs, Revue interdisciplinaire de l’institut universitaire de France, n° 6, Odile Jacob, janvier 2004, p. 135.

  • [16]

    « 4001, l’époque où le cerveau humain est parvenu au stade du plein emploi. Tout fonctionne à la perfection, de ce que nous autres laissons dormir, y compris la mémoire. Conséquence logique : une mémoire totale est une mémoire anesthésiée », C. Marker, « Sans Soleil par Chris Marker », Trafic, n° 6, 1983, p. 92.

  • [17]

    J. Roubaud, L’Invention du fils de Leoprepes. Poésie et mémoire, Paris, Circé, 1993, p. 152.

  • [18]

    M. Foucault, « Distance, aspect, origine », dans Tel Quel. Théorie d’ensemble, Paris, Seuil, « Points », 1980, p. 19-20.

  • [19]

    J. Roubaud, op.cit., p. 141.

  • [20]

    M. Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 170-71.

  • [21]

    Cervantès, L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Mancha, trad. L. Viardot, Garnier Flammarion, 1969. Toutes les citations sont extraites du chapitre VI, p. 79-84.

  • [22]

    T. Samoyault, Excès du roman, (E. R.), Maurice Nadeau, 1999, p. 141-146.

  • [23]

    P. Valéry, op.cit., p. 364-370.

  • [24]

    R. Barthes, La préparation du roman, Imec/Seuil, « Traces écrites », 2003, p. 255-258.

  • [25]

    P. Valéry, op. cit., p. 368.

  • [26]

    T. Samoyault, I. M. L., p. 6 et p. 50-77 pour les notions suivantes.

  • [27]

    R. Burton, Anatomie de la Mélancolie, Ire Partition, sect. 2, membre 1, subdiv. 15, Corti, 2000. Faisant dialoguer deux Goths sur les manières d’éreinter la culture grecque, Burton oppose justement à l’incendie radical de la bibliothèque une méthode plus sournoise : laisser les disciples se perdre dans la Babel sombre.

  • [28]

    Elle va de pair avec l’extrême spécialisation des sciences qui rendrait impossible la synthèse de tous les savoirs, et avec l’archivage impossible de toutes les traces humaines entravant la judicieuse remémoration de l’histoire.

  • [29]

    R. Gac, La société des hommes célestes, à paraître aux éditions Sens Public.

  • [30]

    U. Eco, op. cit., p. 534.

  • [31]

    C. Baudelaire, « Une Voix », Les Epaves, Œuvres complètes I, op.cit., p. 170.

  • [32]

    Cf. Montaigne, Essais, Livre III, chap. III « De trois commerces », transcription modernisée d’après l’édition Villey, p. 828 :  « Elle a trois vues de riche et libre prospect et seize pas de vide en diamètre. En hiver, j’y suis continuellement : car ma maison est juchée sur un tertre, comme dit son nom, et n’a point de pièce plus éventée que cette-ci ».

  • [33]

    cf. A. Derail, « Melville’s Leviathan : Moby Dick and the Body Politic », L’Imaginaire Melville, Saint Denis, PUV, 1992, p. 23-31.

  • [34]

    J. Derrida, Mal d’archive, Paris, Galilée, « Incises », 1995, p. 14.

  • [35]

    J. Derrida, ibid., p. 19.

  • [36]

    H. Melville, Moby Dick, trad. de J. Giono, Paris, Gallimard, « Folio », 1941, p. 612.

  • [37]

    La proximité des textes dantesque et melvillien se lit très clairement dans l’usage commun du motif du tourbillon et de la figure mythique d’Ixion lors des naufrages de l’Argo et du Pequod. Cf. Dante, L’Enfer, trad. J. Risset, Paris, Flammarion, « GF », 1992, chant XXVI, v. 137-142.

  • [38]

    H. Melville, Moby Dick, chap. XXXVI, trad. de H. Guex-Rolle, Paris, Flammarion, « GF », 1970, p. 199.

  • [39]

    Cf. P. Szendy, Les Prophéties du texte-Léviathan, Paris, Minuit, « Paradoxes », 2004.

  • [40]

    H. Melville, Moby Dick, chap. CXXXIII. Nous soulignons.

  • [41]

    Dante, Paradis, trad. J. Risset, Paris, Flammarion, « GF », 1992, chant III, v. 9-15.

  • [42]

    « O lumière souveraine […], rends ma langue si puissante qu’une étincelle de ta gloire puisse arriver aux gens futurs (a la futura gente) », Dante, Paradis, chant XXXIII, v. 67-72.

  • [43]

    H. Melville, op. cit., chap. CXXXV et « Épilogue ».

  • [44]

    « La ligne de fuite est une déterritorialisation […]. La littérature anglaise-américaine ne cesse de présenter ces ruptures, ces personnages qui créent leur ligne de fuite, qui créent par ligne de fuite […]. Tout y est départ, devenir, passage, saut, démon, rapport avec le Dehors. », G. Deleuze, C. Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, « Champs », 1996, p. 47-48.

  • [45]

    Voir notamment les chapitres XXXVI et CXIX qui constituent de véritables scènes de Pacte et de Nuit de Walpurgis, ainsi que les descriptions caricaturales du personnage de Fédallah, double méphistophélique d’Achab.

  • [46]

    « En l’absence de système transcendantal, il reste deux modes possibles de rapport au savoir, l’archéologie, au sens que Foucault donne au terme, en s’intéressant aux conditions de possibilité des connaissances et en les disposant dans l’espace […], et la géographie. » T. Samoyault, E.R., p. 187 : cette synthèse semble proposer une possible qualification de nos pratiques.

  • [47]

    J. Derrida, Spectres de Marx, Paris, Galilée, p. 89.

  • [48]

    S. Rabau, op. cit., p. 13.

  • [49]

    M. Foucault, « La Bibliothèque fantastique » (1967), dans Travail de Flaubert, Paris, Seuil, « Points », 1983, p.104-107.

  • [50]

    « Le roman en excès nous répète que tout ne se suspendra pas dans un silence de mort. Ce qui fait sa folie, sa vitalité, c’est l’attachement inénarrable que le lecteur peut lui porter ; c’est ce qui oblige à le penser au-delà de son nom de roman. », T. Samoyault, E. R., p. 192-193.

Biographies des auteurs

Anne BOURSE

Doctorante à l’Université de Paris-VIII. Sa thèse dirigée par T. Samoyault porte le titre : « Archive, événement, écriture : la “machine-mémoire” dans le roman français et américain des années 1950 à nos jours ».

Julia PESLIER

Doctorante à l’Université de Paris-VIII. Sa thèse dirigée par T. Samoyault porte le titre : « L’oeuvre-chantier et les variations faustiennes chez F. Pessoa et P. Valéry ou l’esthétique de l’inachèvement ».