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ARTICLE
Les études portant sur la place de l’histoire dans les romans du XXe siècle soulignent régulièrement que l’événement historique y est abordé avec réticence, son importance semblant inversement proportionnelle au nombre de pages qui lui est consacré. Ce constat vaut entre autres pour la représentation de la guerre dans les romans de John Dos Passos et Alfred Döblin : bien que ces deux écrivains aient vécu la Première Guerre mondiale, bien qu’ils y voient un événement crucial, réclamant de leur part un engagement politique qui oriente l’ensemble de leur œuvre, celle-ci fait peu de place aux combats.
En 1916, Döblin publie Les Trois Sauts de Wang-lun, roman philosophique situé en Chine ; puis, en 1919, Wadzeks Kampf mit der Dampftürbine, situé à Berlin dans un passé récent, mais centré sur la rivalité de deux industriels ; puis un roman historique consacré à la Guerre de Trente Ans (Wallenstein), une utopie futuriste (Berge Meere und Giganten), une épopée en vers située en Inde (Manas)… Dans son roman le plus connu, Berlin Alexanderplatz, à peine si Franz Biberkopf, le personnage principal, fait allusion à son passage au front [1] . Bien entendu le conflit laisse des traces, en particulier dans Wallenstein, où la Guerre de Trente Ans offre de multiples parallèles avec l’époque présente. Pour ce projet, à l’été 1916, Döblin, alors médecin à Saargemünd, a emprunté des livres à la Bibliothèque Universitaire de Strasbourg (qu’il juge insuffisante, regrettant les ressources que lui offrait Berlin [2] ). On peut parler d’une écriture ancrée dans le présent. Toutefois celui-ci y est traité de manière oblique, et le conflit mondial se fait étonnamment discret dans les romans qui l’ont suivi. Cela permet de mesurer l’exception que constitue Novembre 1918, rédigé entre 1937 et 1943 [3] : il a fallu la reprise des hostilités pour que Döblin parle de la Grande Guerre.
John Dos Passos, au contraire, l’évoque dans presque tous ses romans, réécrivant certaines scènes jusqu’à l’obsession. Sa vocation d’écrivain est née de la guerre : en 1917, au front, il travaille à un premier projet qui n’aboutit pas, mais qui ensemence les romans à venir [4] , du moins jusqu’aux années quarante (Dos Passos cessant de parler de la Grande Guerre à peu près au moment où Döblin l’aborde enfin). Cela ne l’empêche pas de la traiter allusivement. Si son premier roman, L’initiation d’un homme : 1917 (1920), développe de saisissantes représentations de la guerre avec son cortège d’horreurs visuelles et olfactives, il se consacre peu aux combats, de même que Trois soldats (1921). Dans Manhattan Transfer (1925), un titre de journal en lettres capitales (« SARAJEVO ») est presque occulté par un fait divers sensationnel, et la guerre elle-même se déroule dans l’interstice entre deux parties [5] . Les combats tiennent peu de place dans la trilogie USA [6] , où Dos Passos met au premier plan des personnages qui traversent la guerre sans la voir – dames tenant salon au nom de la Croix Rouge, hommes d’affaires et hommes politiques qui y trouvent leur profit… La guerre proprement dite se fait étonnamment discrète, et il convient de se demander pourquoi.
Dans les marges
En premier lieu, la réticence de ces deux auteurs à représenter les combats reflète certainement un souci de légitimité. Döblin, en tant que médecin, est un témoin privilégié, mais indirect, des violences de la guerre. Dos Passos, en tant qu’ambulancier, a subi, lui, parfois très violemment, l’épreuve du feu, mais n’a dû ni marcher vers une mort certaine, ni tuer. Or dans la réception fortement politisée des romans de guerre, les critiques faisaient volontiers usage de l’argument biographique, mettant en doute non pas la pertinence du propos, mais sa véracité, qualifiant Erich Maria Remarque, par exemple, de planqué, et son roman de faux témoignage (un genre d’argument que l’on retrouve, hélas, dans le discours révisionniste). Déjà alors, on s’interroge sur le droit de cité de la littérature ; implicitement ou explicitement, on permet à la fiction de compléter l’expérience biographique, mais non de s’y substituer.
De fait, Döblin dans Novembre 1918 et Dos Passos dans USA montrent de la guerre ce qu’ils ont pu en voir. Döblin commence sa trilogie dans une « petite ville » alsacienne non nommée (on y reconnaît Haguenau, où l’auteur a vécu la fin de la guerre [7] ) et représente des scènes d’hôpital, les combats n’apparaissant que dans de brèves analepses qui expliquent l’origine des blessures :
Becker lag seit einem Jahr in dem Städtchen. Er hätte längst in sein Heimatlazarett Berlin überführt werden sollen, aber er hatte gebeten, drauβen zu bleiben, « drauβen », wenigstens hier. An der Somme hatte ihn ein Granatsplitter getroffen. Man hatte ihn gelähmt nach hinten geschafft. Das Geschoβ hatte ein schreckliches Loch in das Kreuzbein gerissen, das Rückenmark war berührt.
Becker était alité dans cette petite ville depuis un an. Il aurait dû être rapatrié depuis longtemps et transporté à l’hôpital de Berlin, mais il avait demandé à rester sur le front, « sur le front », même si cela n’était qu’ici. Il avait reçu un éclat de grenade sur la Somme. On l’avait traîné vers l’arrière, paralysé. Le projectile avait creusé un trou effroyable dans son sacrum, la moelle épinière était atteinte [8] .
Dans cette première apparition de Becker, l’un des principaux personnages, on voit tout ce qui sépare ce roman de récits de guerre : la phrase « sur le front » (« drauβen ») est immédiatement répétée entre guillemets pour marquer son inadéquation ; selon un procédé récurrent dans la trilogie, le récit expédie en une phrase les combats du personnage pour en venir au plus vite à sa longue et douloureuse guérison (ou agonie, le cas échéant).
Les passages où Dos Passos aborde la guerre de front, si l’on ose dire, se trouvent dans la partie centrale de la trilogie, 1919 ; ils montrent Dick Savage et d’autres ambulanciers américains en divers endroits (Champagne, puis Argonne) où l’auteur a lui-même été envoyé. Pour la première fois dans la trilogie, il représente des hommes violemment exposés au feu (ainsi qu’au gaz moutarde), une ambulance trouée par des éclats d’obus, des corps mis à mal, en un récit dense et fort, mais occupant en tout et pour tout deux paragraphes de cette volumineuse trilogie. Et même alors, les personnages restent, notamment aux yeux des ambulanciers français qu’ils viennent relayer [9] , des privilégiés. Ils accèdent certes à une connaissance intime de la boucherie et du désespoir, mais en tant que simples spectateurs :
Dick used to sit on his cot looking out through the door at the jiggling mud-spattered faces of the young French soldiers going up for the attack, drunk and desperate and yelling à bas la guerre, mort aux vaches, à bas la guerre. Once Steve came in suddenly, his face pale above the dripping poncho, his eyes snapping, and said in a low voice, « Now I know what the tumbrils were like in the Terror, that’s what they are, tumbrils ».
Dick restait assis sur son lit de camp à regarder à travers la porte les visages cahotés, éclaboussés de boue des jeunes soldats français partant à l’attaque, ivres et désespérés et hurlant à bas la guerre, mort aux vaches, à bas la guerre. Un jour Steve entra brusquement, le visage pâle au-dessus du poncho trempé, les yeux jetant des éclairs, et dit à voix basse : « Maintenant je sais à quoi ressemblaient les charrettes de condamnés durant la Terreur, voilà ce que c’est, des charrettes de condamnés [10] . »
La guerre fait d’autres apparitions, notamment dans les récits consacrés au matelot Joe Williams, et certains des segments intitulés « L’œil de la caméra » qui émaillent le roman (un ensemble fortement inspiré de la vie de Dos Passos) évoquent aussi des bombardements, mais depuis la perspective de personnages particulièrement coupés de la réalité :
à quatorze heures précisément the Boche diurnally shelled that bridge with their wellknown precision as to time and place à quatorze heures précisément Dick Norton with his monocle in his eye lined up his section at a little distance from the bridge to turn it over to the American Red Cross
The Red Cross majors looked pudgy and white under their new uniforms […] in their shined tight leather puttees so this was overseas
so this was the front well well
Dick Norton adjusted his monocle and began to talk about how as gentlemen volunteers he had signed us up and as gentlemen volunteers he bade us farewell Wham the first arrivé the smell of almonds […] Wham Wham Wham like the Fourth of July the shellfragments sing our ears ring […]
but where are the majors taking over command
who were to make a speech in the name of the Red Cross ? The slowest and pudgiest and whitest of the majors is still to be seen on his hands and knees with mud all over his puttees crawling into the abris and that’s the last we saw of the Red Cross majors
and the last we heard of gentlemen
or volunteers.
À quatorze heures précisément les Boches bombardaient ce pont avec leur précision bien connue en matière de temps et de lieu à quatorze heures précisément Dick Norton son monocle à l’œil aligna sa section non loin du pont pour la remettre à la Croix Rouge Américaine
Les majors de la Croix Rouge avaient l’air bouffi et blanc dans leurs uniformes neufs […] dans leurs molletières de cuir serrées astiquées alors c’était ça l’outre-mer
alors c’était ça le front bien bien
Dick Norton ajusta son monocle et commença à parler disant qu’en tant que gentlemen volontaires il nous avait engagés et en tant que gentlemen volontaires il nous disait adieu Boum le premier arrivé l’odeur d’amandes […] Boum Boum Boum comme au quatre juillet les éclats d’obus sifflent nos oreilles sonnent […]
mais où sont les majors qui prennent la relève
qui devaient tenir un discours au nom de la Croix Rouge ? Le plus lent, le plus bouffi et le plus blanc des majors, on le voit encore à quatre pattes de la boue sur ses molletières rampant dans les abris et jamais plus nous n’avons revu les majors de la Croix Rouge
et jamais plus nous n’avons entendu parler de gentlemen
ni de volontaires [11]
Le récit se consacre pourtant à ces figures, tandis que combats et combattants restent à la marge. Il en va de même chez Döblin, notamment lorsque Becker se fait le narrateur de sa propre vie, s’étendant assez longuement sur sa formation et son caractère avant d’en venir à l’expérience la plus importante de toutes :
Also von meiner Krankheit. Ich liege mit meiner Kompanie im Graben. Als es soweit ist und wir rausspringen und rennen, nach knapp zehn Metern, höre ich es in der Nähe einschlagen, und dann ist es aus. Das ist auch so ein merkwürdiger Sprung aus dem Sein ins Nichts oder in was anderes. Ich habe keine Erinnerung von einem Übergang. Plötzlich und einfach war ich nicht da. […] Jedenfalls bin ich mit einmal in einem häβlichen Raum, alt, niedrig, mit schmutzigen Fenstern, und liege im Bett. In diesem Augenblick, Maus, war ich ein völlig besinnungsloses Stück Fleisch, hieβ nicht Becker, war nicht im Krieg, sondern hatte nur Schmerz. […] Wo mein Ich sonst war, weiβ ich nicht. Ich unterschied auch nicht Arm, Kopf, Bein an mir. Es bewegte sich allerhand an mir vorbei ; ich stellte keine Fragen an sie, ich hatte nichts zu fragen, es war nichts fraglich, denn alles war nur, es war, und ich selbst war der dumpfe Schmerz.
Et maintenant parlons de ma maladie. Je suis dans la tranchée avec ma compagnie. Le moment venu, nous sortons d’un bond et commençons à courir, au bout de dix mètres à peine, une explosion tout près et puis… plus rien. C’est vraiment un saut étrange de l’existence au néant ou à je ne sais quoi. Je n’ai aucun souvenir d’un état transitoire quelconque. Simplement, tout d’un coup je n’étais plus là. […] je me suis retrouvé dans une horrible salle, une pièce vétuste au plafond bas, aux fenêtres sales, au fond d’un lit. En cet instant, Maus, je n’étais qu’un tas de chair sans conscience, je n’étais pas Becker, je n’étais pas à la guerre, je n’étais que souffrance. […] Où mon moi pouvait-il être ? Je l’ignore. Je ne distinguais d’ailleurs pas mes bras, ma tête ou mes jambes. Toutes sortes de formes s’agitaient autour de moi ; je ne leur posais aucune question, je n’avais pas de question […] car les choses étaient, tout simplement, elles étaient, et moi je n’étais que sourde douleur [12] .
Le récit adopte ici les formes de l’expérience directe (première personne, présent de narration) pour évoquer l’attaque, mais sur deux phrases : l’horreur absolue n’est pas celle des combats, mais celle de la douleur qui a suivi (Becker du reste ne parle pas de blessure mais de « maladie »). La fonction de la guerre est d’infliger au personnage une seconde naissance, une crise métaphysique similaire à celle que connaît Franz Biberkopf (sans que la guerre y soit pour rien cette fois) au neuvième livre de Berlin Alexanderplatz. Becker plonge dans un en-deçà et au-delà de la connaissance : « je n’ai aucun souvenir, je l’ignore, je ne distinguais pas ». À plus forte raison la recherche de causalités historiques ou politiques est frappée d’inanité : « je n’avais pas de question, car les choses étaient, tout simplement elles étaient ». L’histoire est, dans ce passage, efficacement escamotée [13] .
« Peuple trahi »
Pourtant Döblin et Dos Passos conduisent bel et bien une réflexion historique sur la guerre. Si celle-ci est reléguée dans les marges, ce n’est pas en raison de l’inanité d’une telle réflexion, ni parce que la guerre relève de l’indicible, argument couramment avancé pour expliquer les stratégies obliques de différents romans du XXe siècle, mais qui ne peut être retenu du moment que ces auteurs représentent bel et bien – si brièvement que ce soit – les combats, les violences et l’horreur. Pour pertinente qu’elle soit, je ne retiendrai pas davantage la réflexion de Benjamin selon laquelle les Allemands, en perdant la guerre, auraient perdu jusqu’au droit d’en parler [14] , car la défaite ne fait pas taire Döblin. Au contraire, comme Dos Passos, il analyse inlassablement une défaite, non pas celle d’un peuple, mais celle du peuple. Leurs récits ne se consacrent pas aux tranchées mais aux violents conflits opposant syndicalistes et policiers dans USA, révolutionnaires et contre-révolutionnaires dans Novembre 1918. Pour Dos Passos, rappelons les analyses extrêmement pertinentes de Jean-Pierre Morel : l’écrivain poursuit dans USA un objectif cohérent, relater l’histoire d’un pays qui ne voulait ressembler à aucun autre, mais que corrompt l’essor du capitalisme industriel, processus que l’entrée en guerre a à la fois révélé et exponentiellement accru. Telle est la fonction des innombrables biographies dont Dos Passos parsème son œuvre : réécrire l’histoire des États-Unis sous la forme d’une lutte entre deux camps. Dans ces plages comme dans les parties fictives de la trilogie, les événements historiques sont toujours relatés depuis deux points de vue opposés. D’un côté, les cercles du pouvoir politique, industriel et financier (représentés par les présidents comme l’impérialiste Teddy Roosevelt ou l’ambigu Wilson, les financiers comme Morgan, le magnat de la presse Randolph Hearst…). De l’autre, les cercles révolutionnaires où se distinguent les fondateurs de l’IWW (Industrial Workers of the World, ou « wobblies »), Eugene Debs et Bill Haywood, mais aussi d’autres militants, d’autres figures publiques ayant payé leurs principes au prix fort. Leurs biographies constituent un martyrologue et, en même temps, une contre-histoire du pays, les martyrs défendant l’héritage des Pères Fondateurs (Dos Passos montre les wobblies lisant en public la « Déclaration d’Indépendance » pour obtenir le droit de s’exprimer) que trahissent au contraire les classes dirigeantes : utopie d’une terre libre investie par ceux qui fuient la persécution, l’Amérique devient progressivement étrangère à elle-même et renoue avec les formes d’oppression qu’elle devait définitivement éliminer.
Döblin, lui aussi, entrecroise à l’histoire des personnages fictifs des plages présentant des figures historiques, non moins orientées que celles de Dos Passos (avec des portraits à charge d’Ebert, Scheidemann ou Noske), et celles qui concernent Wilson s’accompagnent aussi d’une réflexion sur les États-Unis, leurs principes fondateurs et leur évolution. Pour Döblin, si les Pères Fondateurs ont tourné le dos à une Europe corrompue et déchirée par la guerre, leurs héritiers spirituels ont la difficile tâche de restaurer une Europe tout aussi corrompue et déchirée par la guerre, par une sorte de retour à la source, comme en témoignent le début et la fin du premier segment consacré à Wilson :
Amerika näherte sich dem wirren, verkrampften und kranken Mutterland. / Es war im Jahre 1620, kurz nach Ausbruch des Europa vernichtenden und entvolkernden Dreiβigjährigen Krieges, da faβten englische Puritaner den Entschluβ, diesem Erdteil, der nur Unfreiheit und Gier kannte, den Rücken zu kehren und sich auf dem fernen Land jenseits des Wassers niederzulassen.
[…]
Die Erben der Pilgerväter hatten das ihrige dazu getan, Tyranneien in Europa zu brechen. Nun fuhr der Präsident auf dem « George Washington » ; das Schiff trug die Sohneskraft nach Europa herüber.
Es sollte mit den Verderbtheiten des alten Erdteils zu Ende sein. Matt und zerissen lag Europa da. Es nahte der Botschafter der Rechtlichkeit, des Gewissens, Vertreter des Landes, welches kein « geographisches, sondern ein moralisches Faktum » war.
L’Amérique s’approchait de la mère-patrie livrée au chaos, aux convulsions, à la maladie.
C’est en l’an 1620, peu après le début de cette guerre de Trente Ans qui devait détruire et dépeupler l’Europe, que des puritains anglais résolurent de tourner le dos à ce continent où triomphaient l’esclavage et l’avidité pour aller s’installer dans ce lointain pays, au-delà des mers.
[…]
Les héritiers des Pères pèlerins avaient fait leur possible pour briser la tyrannie en Europe. À présent le président voguait à bord du George Washington ; le navire ramenait en Europe la force de ses fils.
Il fallait en finir avec la corruption du vieux continent. L’Europe gisait épuisée, déchirée. Voici que s’approchait l’ambassadeur de la justice, de la conscience, le représentant de ce pays « qui n’était pas une donnée géographique mais morale [15] ».
Il est difficile de dire si l’auteur adhère à ces idées ou s’en distancie : l’emphase est assurément ironique, mais Döblin porte sur Wilson un regard bien plus positif que Dos Passos. Si Döblin manifeste des réserves, c’est que les idéaux proclamés par Wilson sont promis à un cuisant échec à l’issue de la deuxième partie. L’avant-dernier chapitre relate la fondation de la Société des Nations, puis l’échec électoral de Wilson en 1921 et sa mort en 1924. Mais surtout, Döblin y représente Wilson en proie au pessimisme, pressentant que l’exacerbation des nationalismes fera échec à la Ligue des Nations qu’il appelait de ses yeux. De fait, les dernières plages consacrées à Wilson sont introduites par un segment intitulé « La contre-révolution allemande », et sa mort est suivie d’un dernier chapitre intitulé « L’effroyable appel à la guerre continue. Ils ont réussi » : le personnage est littéralement cerné par les forces qu’il a tenté de combattre. L’héritage spirituel des États-Unis, loin de sauver l’Europe, est lui-même détruit par le conflit.
Dans le moment même où les États-Unis, happés par la guerre, tombent au niveau du Vieux Continent, l’utopie gagne une autre terre. Dos Passos cite à ce propos des soldats français anonymes, « The poilus said la guerre was une saloperie and la victoire was une sale blague and asked eagerly if les américains knew anything about la révolution en Russie [16] ». Pour l’auteur aussi, la victoire d’une nation et l’écrasement d’une autre ne représentent en rien une issue au conflit, l’issue ne pouvant être qu’internationale ; mais par ailleurs, le français envahit le discours pour signaler son statut de discours rapporté, non attribuable à l’auteur, qui marque ostensiblement son scepticisme. De même, Döblin considère l’internationalisme à la fois comme la seule issue au conflit et comme un but au mieux lointain. Si sa trilogie débute en Alsace, ce n’est pas simplement parce que Döblin s’y trouvait à la fin de la guerre, mais parce que la région pose le problème de manière particulièrement aiguë. Alors que les Alliés s’avancent vers l’est, et que les troupes et civils allemands sont contraints de se retirer devant eux, Döblin décrit un groupe de soldats qui vont en sens inverse :
Mit lohendem Schornstein, über schmetternden Schienen raste, an keiner Station haltend, von Wilhelmshaven her über Osnabrück, Münster, Düsseldorf, Köln ein Sonderzug. Er trug zweihundertzwanzig Matrosen der Hochseeflotte, zugehörig der Avantgarde der Revolution, Elsässer, jetzt alle schlafend auf Bänken, auf den Gängen. Sie wollten das Elsaβ vor den Franzosen retten.
Un train spécial, parti de Wilhelmshaven, et roulant à toute vapeur, passa Osnabrück, Münster, Düsseldorf, Cologne sans s’arrêter […]. Ce train transportait deux cent vingt marins de la flotte de combat représentant l’avant-garde de la révolution, des Alsaciens […]. Ils voulaient empêcher l’Alsace de tomber aux mains des Français [17] .
La traduction ne restitue ni le rythme épique du texte allemand, ni la dernière phrase surprenante : « Ils voulaient sauver l’Alsace des Français » [« Sie wollten das Elsaβ vor den Franzosen retten »]. Si les Français représentent, aux yeux des marins alsaciens, un danger, c’est qu’ils craignent de voir l’Alsace s’engager dans la voie désastreuse du nationalisme. Ils luttent pour « l’esprit de l’Internationale […] cette ère nouvelle qui verrait l’avènement d’une liberté dorée et la paix entre des peuples réconciliés » [(« Und nun waren sie da und wollten im Sinne der Internationale wirken, damit auch ihre Landsleute der neuen Zeit einer goldenen Freiheit und des völkerversöhnenden Friedens teilhaftig würden [18] »]. Les lecteurs de Döblin ne peuvent ignorer l’échec patent de cet espoir. Tout comme Wilson (tel que Döblin le représente), dont ils se méfient pourtant [19] , les marins alsaciens prêchent l’internationalisme dans le contexte de nationalismes exacerbés. Ils vont non seulement à contre-courant du mouvement général, mais à contre-courant de l’histoire. De même, Dos Passos compare ceux qui s’opposent à la guerre (les wobblies, le sénateur La Follette, le diplomate Paxton Hibben, le sociologue Thornstein Veblen…) à « six hommes bien trempés s’arc-boutant pour retenir un rouleau-compresseur fou de leurs mains nues [20] ».
Peuple introuvable
Certes, la révolution connaît chez Döblin quelques réjouissantes avancées – une bonne goûte aux aliments de ses maîtres et couche dans leur lit, une veuve réussit à neutraliser son chaperon et nouer une aventure galante, et surtout les soldats allemands sur le départ invitent la « petite ville » à une distribution générale :
Und gegen drei öffnete sich im Mittelteil des zweitens Stocks der Kaserne ein Fenster, angelweit, Soldaten ohne Mütze standen da, lachten und riefen herunter […] und warfen Arme voll Sachen heraus. Erst waren es Stiefel, die unten auf dem Trottoir mit den Nägeln nur so hinprasselten, dann rauschte und klatschte Lederzeug herab, Feldbinden, Gürtel, Riemen, Patronentaschen, Verbandtaschen für Sanitäter. […] Aus einem krachten herunter Spaten, eiserne Kochtöpfe. Das rauschte, schmetterte und prasselte ohne Pausen. Ein heulendes Menschengeschrei dabei. Manchmal wurden die Würfe durch einen warnenden Pfiff angekündigt.
Vers trois heures une fenêtre s’ouvrit au deuxième étage du bâtiment central de la caserne, des soldats sans casquette s’y présentèrent, riant et hélant la foule […] et lancèrent par la fenêtre des brassées d’affaires. Une pluie de bottes ferrées claqua sur le trottoir, suivie d’une averse d’affaires en cuir, d’écharpes, de ceintures, de cartouchières, de lanières, de trousses à médicament. […] Il pleuvait des pantalons, des vestes, des bretelles, des bandes molletières et des guêtres de cuir. […] D’une fenêtre, des bêches et des casseroles en fer-blanc s’écrasèrent par terre. Concert ininterrompu de ploufs, de flacs et de tchacs. […] De temps à autre un sifflement préventif annonçait le prochain bombardement [21] .
La distribution imite la forme extérieure de la guerre (dispersion violente de la matière accompagnée d’avertissements sifflants), mais pour mieux l’inverser : les soldats n’agissent pas seulement par générosité, insouciance ou vengeance, mais pour réaliser pragmatiquement le désarmement, le partage des richesses et la fraternisation entre les peuples, en d’autres mots « pour mettre fin à cette guerre [22] ». Ces affaires dont les soldats savent qu’elles devaient équiper « une nouvelle campagne d’hiver » doivent aller, selon eux, aux civils : « Là, elles étaient en bonnes mains. De là elles ne risquaient pas de revenir [23] ». Dans cette phrase résident à la fois l’espoir et l’erreur : les civils, qui devaient être les meilleurs garants de la paix, ne se sont pas montrés à la hauteur de cette tâche.
L’erreur de ces hommes est, apparemment, de croire à l’existence du peuple. Lorsque les marins alsaciens arrivent à Strasbourg, le maire Peirotes (pourtant lui-même socialiste) tente de leur faire comprendre qu’il n’y a rien à attendre de la population, qui s’apprête à accueillir les Français. Il se garde bien de parler de « peuple », mais utilise un terme apolitique, « die Leute [24] » (« les gens »). Les marins, au contraire, comptent sur le peuple, notamment sur les soldats français qui, disent-ils, « sont nos camarades, ce sont des ouvriers, des paysans, des petites gens qui en ont assez » [(« Die französischen Soldaten, Peirotes, sind unsere Genossen, Arbeiter, Bauern, kleine Leute, die genug haben [25] »]. Mais ils constatent, stupéfaits, que le peuple reste indifférent, pire, absent, comme le prédit le maire : « Montre-moi les masses [26] . » La scène se répète dans la troisième partie : lorsque la majorité des Spartakistes appelle à la révolution, Rosa Luxemburg douche leur enthousiasme en affirmant que le soulèvement est, pour l’instant, un épiphénomène urbain, non un bouleversement économique et social profond, et qu’il leur faut travailler « la base [27] ».
Cette base est d’une désespérante inertie. Dans USA, Ben Compton, pour aller purger sa peine d’objecteur de conscience, doit passer à travers la foule venue admirer le défilé : non seulement son sacrifice est vain, mais il éprouve le plus grand mal à résister au rythme des marches militaires [28] . Ben, qui voudrait comme Debs « s’élever avec les hommes du rang, et non en en sortant [29] », est entraîné par eux vers le bas. Alors que la conscience politique est au service de la collectivité, la collectivité est l’ennemie de la conscience politique qu’elle noie dans des mouvements de masse irréfléchis.
Si le récit se centre sur l’arrière ou l’après, et non sur les combats, c’est que Dos Passos et Döblin écrivent dans un contexte entièrement orienté par la reprise des hostilités, et n’envisagent nullement la Première Guerre mondiale en ce qu’elle a d’unique ou d’inouï, mais comme un processus encore en cours ou, pire, entraînant sa propre répétition. Le peuple, en ne s’affirmant pas comme tel, ne cesse de se suicider. C’est pourquoi le rôle de l’écrivain est de donner voix à ces masses inertes – Döblin, en formulant le projet de Berlin Alexanderplatz, explique qu’il veut y faire place aux discours des quartiers populaires de l’est de Berlin [30] , tandis que Dos Passos veut faire entendre « the speech of the people [31] ». Parmi les biographies de personnages historiques qui émaillent USA se trouve celle d’une figure anonyme, « John Doe » (nom communément donné aux États-Unis aux cadavres qu’on échoue à identifier), pour lequel Dos Passos imagine diverses biographies possibles (« receveur de bus moissonneur saisonnier gardien de cochons boyscout […] pêcheur côtier bûcheron assistant-plombier [32] » [« busboy harveststiff hogcaller boyscout champeen cornshucker of Western Kansas bellhop at the United States Hotel at Saratoga Springs officeboy callboy fruiter telephonelineman longshoreman lumberjack plumber’s helper […] »]), qui convergent toutes vers la guerre et la mort au combat. L’auteur décrit alors les funérailles solennelles données à ce cadavre qui s’avère être celui du Soldat Inconnu, figure emblématique par laquelle Dos Passos choisit de conclure la partie centrale de la trilogie.
Ce passage s’apparente à un exercice connu des historiens, celui de la biographie fictive, que l’on peut envisager lorsque les sources manquent (ce qui est notablement le cas pour les individus dépourvus de pouvoir [33] ). Le récit est à la fois invraisemblable (puisque les différentes biographies s’excluent mutuellement) et vraisemblable (puisque toutes illustrent une facette des États-Unis). Pour reprendre la classique distinction aristotélicienne, Dos Passos ne relate pas un fait historique au sens strict, mais un fait « vrai » (possible et représentatif). Le procédé se répète dans deux autres passages stratégiquement placés en début et fin de trilogie, décrivant tous deux un jeune homme anonyme, désargenté et fiévreux, qui doit
he must catch the last subway, the streetcar, the bus, run up the gangplanks of all the steamboats, register at all the hotels, work in the cities, answer the wantads, learn the trades, take up the jobs, live in all the boardinghouses, sleep in all the beds. One bed is not enough, one job is not enough, one life is not enough
attraper le dernier métro, le tramway, le bus, courir à bord par la passerelle de tous les vapeurs, prendre une chambre à tous les hôtels, travailler dans les villes, répondre aux annonces d’emploi, apprendre les métiers, se charger des boulots, habiter toutes les pensions, dormir dans tous les lits [34]
et avant tout connaître le besoin sous toutes ses formes, pour incarner les innombrables facettes de cette entité si difficile à cerner, le peuple. Le défi pour l’écriture, en définitive, n’est pas de dire la guerre : c’est le peuple qui s’avère insaisissable et indicible. Dans le même temps, seule l’écriture est à même de le représenter, lui donner forme, et ce faisant lui offrir la possibilité de peser sur l’histoire.
Notes
- [1]
Voir Berlin Alexanderplatz, éd. Werner Stauffacher (série Ausgewählte Werke in Einzelbänden, dir. W. Muschg et A. Riley), Düsseldorf et Zürich, Patmos Verlag et Walter Verlag, 2000, p. 84 (livre II). Dans les très nombreux récits portant sur des personnages secondaires ou épisodiques, la guerre apparaît peu et toujours brièvement : au début du livre II (p. 56), quelques phrases relatent la mobilisation d’un morphinomane, son sevrage forcé, sa folie et sa démobilisation infamante ; dans la longue description des abattoirs de Berlin, une demi-phrase signale le monument aux morts (livre IV, p. 137) ; au début du livre IX (p. 304-305), un ancien aviateur dont l’appareil a été abattu durant la guerre est jugé pour assassinat. Ces personnages n’ont donc sans doute pas connu les tranchées. Franz, lui, a été à Arras, mais n’en parle qu’une fois durant une dispute – l’expérience compte toutefois pour lui, puisqu’il n’accorde pas la parole à ceux qui n’étaient pas au front.
- [2]
Voir Oliver Bernhardt, Alfred Döblin, München, Deutscher Taschenbuch Verlag, 2007, p. 51-52.
- [3]
Döblin, Novembre 1918, I. Bourgeois et soldats, II.1 Peuple trahi, II.2 Retour du front (ou plus exactement Retour des troupes du front), III. Karl et Rosa ; trad. Y. Hoffmann et M. Litaize, Paris, Quai Voltaire puis Agone, 1991-2008 ; les citations qui suivent sont toutes tirées de cette édition, suivies du texte original dans l’édition de W. Stauffacher (Ausgewählte Werke in Einzelbänden), Olten et Freiburg im Breisgau, Walter Verlag, 1991.
- [4]
« la guerre de 1914-1918 […] ne quitte jamais l’œuvre de Dos Passos avant la seconde trilogie », Jean-Pierre Morel, John Dos Passos, Paris, Belin, 1998, p. 23, voir aussi p. 43.
- [5]
Les deux principaux personnages y participent (Jimmy en tant qu’ambulancier, Ellen dans la Croix Rouge), mais le récit reprend lorsqu’ils regagnent les États-Unis. L’unique brève analepse consacrée à cette période ne donne pas à voir la guerre, mais la grossesse d’Ellen.
- [6]
USA, I. Le 42e parallèle (1930 puis 1937), II. 1919 (1932), III. La grosse galette (1936), et 1938 pour les trois volumes réunis ; traductions propres, suivies du texte original dans l’édition de Londres, Penguin, 1966.
- [7]
Voir Oliver, op. cit., p. 54, et Wilfried F. Schoeller, Döblin. Eine Biographie, München, Carl Hanser Verlag, 2011, p. 170. Döblin a quitté Saargemünd pour Haguenau le 2 août 1917 et y a séjourné (avec sa femme et ses fils) jusqu’au 14 novembre 1918, date du retour à Berlin.
- [8]
I, Bourgeois et soldats, p. 129, I, p. 100.
- [9]
« Schuyler, parti parler avec les conducteurs français qui leur passaient le relai, revint dire qu’ils étaient sacrément furieux parce que cela voulait dire qu’ils allaient devoir repartir au front. Ils demandaient pourquoi diable les Américains ne pouvaient pas rester chez eux et se mêler de leurs oignons plutôt que de venir ici prendre tous les bons boulots d’embusqué » [« Schuyler came back from talking with the French drivers who were turning [the ambulances] over with the news that they were sore as hell because it meant they had to go back into the front line. They asked why the devil the Americans couldn’t stay home and mind their own business instead of coming over here and filling up all the good embusqué jobs »], « Richard Ellsworth Savage », II, 1919, p. 490.
- [10]
Ibid., p. 491.
- [11]
« The Camera Eye (32) », traduction, II, 1919, p. 454-455.
- [12]
I, Bourgeois et soldats, p. 207-208, traduction, I, p. 160).
- [13]
Temporairement, car la renaissance spirituelle et religieuse de Becker l’amène à s’engager aux côtés des révolutionnaires assiégés dans la préfecture de police : si sa prise de conscience le suspend d’abord en dehors de l’histoire, elle l’y ramène in fine. Le rôle de la religion dans Novembre 1918 mériterait un développement plus ample. À l’époque de sa rédaction, Döblin s’est proclamé catholique, consternant Brecht et bien d’autres figures de l’émigration allemande, qui y ont sans doute vu un mouvement de retrait au plus fort des combats. Mais la religion n’exclut pas l’action politique dans la trilogie, où Döblin écrit que les principes fondateurs des États-Unis montrent le lien étroit entre valeurs religieuses et révolutionnaires, de même que la Magna Charta du XIIIe siècle, et par-delà « ce grain semé par Dieu, mille huit cents ans plus tôt en Palestine, sous le joug des Césars romains », II.2, Retour [des troupes] du front, p. 12 (même page dans l’édition allemande).
- [14]
Walter Benjamin, « Théories du fascisme allemand », tr. Pierre Rusch, in Œuvres, t. II, Paris, Gallimard, 2000, p. 198-215 (« Theorien des deutschen Faschismus. Zu der Sammelschrift Krieg und Krieger. Herausgegeben von Ernst Jünger », initialement paru in Die Gesellschaft, n° 7 (1930), t. II, p. 32-41 ; in Gesammelte Schriften, t. 3, éd. Hella Tiedemann-Bartels, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1972, p. 238-252). Voir p. 203 (« D’autres peuples pourraient dire qu’ils ont fait cette guerre de tout leur être, mais pas qu’ils l’ont perdue de tout leur être ») et p. 204-205 (« Qu’est-ce donc que cela signifie, de gagner ou de perdre une guerre ? […] la guerre reste aux mains du vainqueur, elle échappe au vaincu ; […] le vaincu en est dépossédé, il doit vivre sans elle »).
- [15]
II.2, Retour [des troupes] du front, p. 11 ; trad. II.2, p. 14 ; et II.2, p. 11, trad. p. 14-15. La phrase entre guillemets (répétée sous forme légèrement différente II.2, p. 45, dans l’édition allemande II.2, p. 41) apparaît dans de nombreux discours politiques, textes et manuels américains sans que son origine soit précisée.
- [16]
« Richard Ellsworth Savage », II, 1919, p. 491.
- [17]
I, Bourgeois et soldats, p. 195, trad. I, p. 150.
- [18]
Ibid., p. 199; trad. I, p. 153.
- [19]
Voir ibid., p. 197 (I, p. 151).
- [20]
Dans la plage consacrée à La Follette : « He was one of « the little group of willful men expressing no opinion but their own » / who stood out against Woodrow Wilson’s armed ship bill that made war with Germany certain ; they called it a filibuster, but it was six men with nerve straining to hold back a crazy steamroller with their bare hands […] », « Fighting Bob », I, The 42nd Parallel, p. 305.
- [21]
I, Bourgeois et soldats, p. 102-103, trad. I, p. 77-78.
- [22]
Ibid., p. 103 (« Sie taten das Ihre, um mit diesem Krieg ein Ende zu machen », I, p. 78).
- [23]
Ibid., p. 103 (« Material, Ausrüstung für einen neuen Winterfeldzug », « Da war es gut aufgehoben. Von da würde es nie wiederkommen », I, p. 78).
- [24]
Voir « Les gens en Alsace n’ont rien contre les Français », I, Bourgeois et soldats, p. 200, et « Oui, les gens d’ici veulent les Français », p. 201 [« Die Leute im Elsaβ haben nichts gegen die Franzosen », I, p. 154, et « Die Leute wollen sie haben », p. 155].
- [25]
Ibid., p. 202, trad. I, p. 156.
- [26]
« Le socialisme ça se prépare. Ici il n’y a rien à faire. Du moins pour l’instant. Le socialisme ne naît ni de toi, ni de moi, il naît des masses. Montre-les moi », ibid., p. 201 [« Der Sozialismus muβ vorbereitet sein. Hier ist nichts zu machen. Jetzt nicht. Der Sozialismus geht nicht von dir aus oder von mir aus, sondern von den Massen. Zeig mir die Massen », I, p. 155].
- [27]
Rosa Luxemburg estime dans ce discours qu’il leur faut travailler « la campagne » (« das flache Land », littéralement « la plate campagne ») et « la base » (« unten », littéralement le dessous), III, Karl et Rosa, p. 283-284 (III, p. 256).
- [28]
« Lower Broadway était tout strié du rouge, du blanc et du bleu des drapeaux ; il y avait des foules d’employés, de sténographes et de garçons de bureau bordant les deux trottoirs à l’endroit où il déboucha du métro. […] Du bas de la ville, du côté de Battery, parvenait le son d’un orchestre militaire jouant Entretenez les feux dans nos foyers. Tout le monde avait les joues roses et l’air heureux. C’était difficile de s’empêcher de marcher au pas de la musique en ce frais matin d’été plein d’odeurs de port et de bateaux. Il fallait qu’il se répète en permanence : voilà les gens qui ont envoyé Debs en prison, voilà les gens qui ont tiré sur Joe Hill, qui ont assassiné Frank Little, voilà les gens qui nous ont passé à tabac à Everett, qui veulent que je pourrisse en prison pendant dix ans » [« Lower Broadway was all streaked red, white, and blue with flags ; there were crowds of clerks and stenographers and officeboys lining both pavements where he came up out of the subway. […] From down towards the Battery came the sound of a military band playing Keep the Home Fires Burning. Everyone looked flushed and happy. It was hard to keep from walking in step to the music in the fresh summer morning that smelt of the harbor and ships. He had to keep telling himself : those are the people who sent Debs to jail, those are the people who shot Joe Hill, who murdered Frank Little, those are the people who beat us up in Everett, who want me to rot for ten years in jail », « Ben Compton », II, 1919, p. 706-707]. La fin de Berlin Alexanderplatz, de même, exprime la plus grande méfiance envers la collectivité, surtout lorsqu’en rangs réguliers elle marche au pas de chants rythmés et allitératifs, voir op. cit., p. 454-455.
- [29]
« Didn’t Eugene V. Debs say, « I want to rise with the ranks, not from them » ? », « Charley Anderson », I, Le 42e parallèle, p. 338.
- [30]
Voir Alfred Döblin, « Zwei Seelen in einer Brust », in Schriften zu Leben und Werk, éd. Erich Kleinschmidt, Olten et Freiburg im Breisgau, Walter Verlag, 1986, p. 105.
- [31]
Voir J.-P. Morel, op. cit., p. 17-19 et 54.
- [32]
« The Body of an American », II, 1919, p. 723.
- [33]
Ginzburg cite en exemple la sorcière de Michelet et le « Jacques Bonhomme » d’Augustin Thierry ; voir Carlo Ginzburg, Le juge et l’historien, Paris, Verdier, 1997, p. 110, ou la préface qu’il a rédigée pour le Martin Guerre de Nathalie Zemon Davis.
- [34]
USA, texte liminaire, p. 5-6.
Pour citer cet article
Alison BOULANGER, "« Peuple trahi » : réflexions sur la Première Guerre mondiale chez Dos Passos (USA) et Döblin (Novembre 1918)", in M. Finck, T. Victoroff, E. Zanin, P. Dethurens, G. Ducrey, Y.-M. Ergal, P. Werly (éd.), Littérature et expériences croisées de la guerre, apports comparatistes. Actes du XXXIXe Congrès de la SFLGC, URL : https://sflgc.org/acte/alison-boulanger-peuple-trahi-reflexions-sur-la-premiere-guerre-mondiale-chez-dos-passos-usa-et-doblin-novembre-1918/, page consultée le 21 Novembre 2024.