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Propos croisés dans les tragédies des frères ennemis (Italie, France, Espagne, 1560-1640)

ARTICLE

La tragédie de la première modernité est le lieu privilégié de l’évocation de la guerre, par le dialogue des personnages. La critique a relevé l’importance du sujet guerrier en tragédie [1] , et montré les liens entre l’expérience de la guerre et sa mise en récit et en scène [2] . Je voudrais ici contribuer à ces réflexions par l’analyse du croisement des regards et des propos dans les tragédies où les deux camps du conflit sont représentés. Les tragédies qui reprennent le sujet antique de la Thébaïde [3] , ou qui dramatisent le conflit entre les Horaces et les Curiaces  [4] mettent en scène un espace fictif de rencontre et d’échange, où les représentants des deux camps peuvent se parler et s’expliquer. L’expérience de la violence est ainsi configurée en un dialogue où les deux adversaires se retrouvent face à face. Cette confrontation fictive soumet aux spectateurs deux héros de la même qualité, de sorte que la guerre n’est pas représentée de manière manichéenne, mais prends en compte le point de vue des deux camps. Le spectateur est alors invité à prendre parti, ou du moins à élaborer un point de vue sur la guerre qui dépasse la logique partisane et prend en charge le discours de l’autre. Après avoir considéré l’efficacité dramatique du croisement des regards sur scène, je chercherai à comprendre quelles visions de la guerre et de sa possible résolution apparaissent dans les tragédies des frères ennemis.

Croiser les regards : une stratégie efficace

La représentation des frères ennemis est un sujet de choix pour la tragédie moderne, car parfaitement conforme aux indications de la Poétique d’Aristote qui devient, à la fin du xviie siècle, le texte de référence pour la pratique tragique. « Le surgissement de violence au sein des alliances », « le meurtre projeté ou accompli du frère contre le frère » d’après Aristote, sont un sujet efficace, car à même de susciter la crainte et la pitié du spectateur [5] . C’est donc à la fois pour reprendre un sujet ancien et pour se conformer aux normes poétiques que des auteurs comme dell’Anguillara ou Racine choisissent de porter à la scène le conflit entre Étéocle et Polynice pour la domination de Thèbes.

Dans la pièce de Jean Robelin, en revanche, le choix du sujet est également dicté par le souci d’évoquer des événements de l’histoire récente. Dans sa Thébaïde, Robelin évoque l’opposition entre le duc de Lorraine (Charles III, qui est aussi son protecteur) et Henri III. Cette opposition latente dès 1580 suscite en 1584 – c’est-à-dire lors de la publication de la pièce – la constitution de la Ligue. Le parti catholique s’organise dans l’espoir de favoriser l’ascèse d’un roi catholique et, en Lorraine, le candidat potentiel est justement Charles III. La dédicace de Robelin se ressent de ce contexte politique : Charles est dit « de la race des rois » et foisonnant des « vertus dignes d’un souverain  [6] ». Le conflit entre les frères, dans la pièce, sert à évoquer l’affrontement imminent entre la Ligue et le roi de France (Henri III et ensuite Henri IV).

Dans les autres adaptations, le sujet des frères ennemis sert moins l’actualité politique qu’une stratégie d’efficacité pathétique. Dans la tragédie de dell’Anguillara, l’affrontement entre Étéocle et Polynice est source de suspens et d’ironie tragique. Dell’Anguillara met en scène le serment que font les deux frères après la mort d’Œdipe : ils jurent de s’alterner au gouvernement de Thèbes, et sont prêts à mourir par la main de l’autre s’ils manquent à leur engagement [7] . En évoquant leur propre mort, les héros annoncent la fin de la pièce et creusent un écart entre leur amitié actuelle et leur hostilité future. Le déroulement de la pièce viendra combler cette distance et confirmer les propos des deux frères qui se sont engagés sans connaître le sens véritable de leur serment. De même, le fait de mettre en scène deux frères égaux et également digne de confiance, rend leur misère hautement pathétique. Le spectateur peut s’identifier à l’un et à l’autre des frères, ce qui rend leur ruine digne de pitié – donc efficace. C’est ainsi que, dans la pièce de Racine, le jeu d’Antigone (qui dans la tradition moderne de la tragédie incarne la piété [8] ) sert à canaliser les passions du public et à manifester son adhésion à la peine des deux héros. Antigone dit que « cette guerre » est source pour elle de « tourments » de « douleur », car elle voit « des deux côtés ses plus tendres amis  [9] ».

Toutefois, le souci d’efficacité ne paraît pas premier dans les mises en scène du conflit entre les fils d’Œdipe. L’affrontement entre les deux frères n’est que rarement représenté, car les auteurs préfèrent commenter le conflit plutôt que l’exhiber, comme c’est souvent le cas dans les premières tragédies modernes. Les rares tragédies qui croisent les regards opposés sur la guerre cherchent ainsi à relativiser les prises de position des deux camps. Racine, dans sa Thébaïde, met en scène le dialogue entre Étéocle et Polynice. Les deux héros justifient leurs positions symétriques par le même argument : la guerre. Polynice affirme que le trône est à lui, car la guerre qu’il fait à son frère signifie bien que le trône d’Étéocle est usurpé [10] . Étéocle réplique que le trône est à lui : c’est son frère qui a crée le désordre, et qui donc ne mérite pas de régner sur Thèbes [11] . Racine, en soulignant la tension entre les frères, montre bien comment les arguments qui justifient la guerre à leurs yeux sont réversibles. Jocaste, pour les dissuader, réfute le point de vue de chacun de ses fils. Elle dit à Polynice que s’il est en droit de rechercher la justice, il a tort de la poursuivre par la guerre. Si le but de Polynice est juste, les moyens qu’il se donne mettent en cause la justesse de son entreprise [12] . Inversement, elle dit à Polynice que s’il a raison de vouloir préserver la paix, le meurtre de son propre frère est un prix trop élevé à payer, qui lui fait préférer la guerre à la paix [13] . En reprenant à son compte les arguments de ses fils, Jocaste en manifeste les faiblesses. Elle dénonce le caractère en apparence absolu de valeurs comme la justice et la paix, pour montrer qu’ils ne servent qu’à justifier une cruauté dépourvue de toute valeur humaine.

Les adaptations de la Thébaïde montrent comment la représentation des deux points de vue digne de foi est efficace, car suscite suspens et pathétique, et qu’elle implique aussi une réflexion sur la légitimité de la guerre : dans la Thébaïde de Racine, les propos croisés de Étéocle et Polynice montrent que la guerre n’est pas source de légitimation politique et qu’elle n’est pas justifiée par le but qu’elle poursuit. En représentant les deux camps, les tragédies des frères ennemis proposent ainsi un regard sur la guerre qui fragilise les motivations apparentes du conflit.

Croiser les regards : relativiser les motivations du conflit

Comme dans les dramatisations de la Thébaïde, les regards se croisent dans les tragédies qui mettent en scène le conflit entre les Horaces et les Curiaces. Dans le récit de Tite Live, le regard des deux camps se croise à trois moments : lorsque le roi Tulle discute avec le roi Mettius du choix des champions pour mettre fin à la guerre, lors de l’affrontement entre les Horaces et les Curiaces, et lorsque Horace vainqueur revient à Rome, surprend sa sœur Horatia en deuil pour la mort de Curiace et la tue. Les tragédies reprennent une ou plusieurs de ces confrontations [14] . Si L’Horace de Laudun et El honrado hermano de Lope de Vega mettent en scène l’affrontement entre les deux fratries, la scène du combat ne présente en aucun cas un échange verbal entre les personnages. La lutte n’est pas le lieu du dialogue, qui se noue en revanche en amont et en aval de l’affrontement pour commenter l’affrontement et chercher à en dégager un sens qui explique la responsabilité des champions.

Dans l’Horace de Laudun le dialogue entre les deux fratries n’est pas mis en scène directement : le conflit militaire est présent dans les déclarations des trois Horaces à leur père. Les champions affirment vouloir livrer une « mortelle guerre », d’être « plus cruels », et de faire couler le sang [15] . Cet élan belliqueux est critiqué par le père Horace qui incarne la figure du sage : le vieillard dénonce leur « cruauté ». L’aveuglement des Horaces est aussi manifesté par les propos de Tysiphone, une des furies, qui fait le prologue de la pièce et explique par son influence la soif de sang des Horaces [16] . Le conflit se manifeste lorsque Horace, après avoir vaincu les Curiaces, surprend sa sœur en pleur pour la perte de son amant et la tue au fond de la scène. Laudun met en valeur le deuil de la sœur et disqualifie l’acte d’Horace comme « sanglant » et « inhumain [17]  ». La critique de la guerre et de la violence se poursuit au niveau politique. Le roi Tulle, dans la tirade qui ouvre la pièce, explique à son conseiller que c’est en raison de son « orgueil », de sa « force » de son désir de « marcher en vainqueur » qu’il fait la guerre aux Albains  [18] . L’échange entre les personnages implique une définition de la guerre comme acte excessivement cruel et inhumain. La violence des Horaces est condamnée par ces voix qui incarnent la sagesse (le père Horace) et la piété (Horacia). La critique de la guerre est aussi portée par la configuration tragique. Le roi Tulle est dépeint en tyran : dans la tirade qui ouvre la pièce il se dit comme un « lion » plein d’« orgueil »  qui opprime les Albains comme des « hébrieux  [19] ». Laudun en trace le portrait d’après les codes de la tragédie biblique, en reprenant les traits de Nabuchodonosor dans les Juives de Garnier [20] .

Le regard sur la guerre change radicalement dans l’Orazia de l’Arétin. Sa tragédie ne représente pas le conflit politique et ne met pas en scène la rencontre entre les Horaces et les Curiaces. Arétin centre sa tragédie sur l’opposition entre Horace et sa sœur, appelée ici Celia, et aboutit à une tout autre conception de la guerre. Le geste d’Horace est digne de louange. Sa lutte contre Curiace est décrite avec admiration par le messager : Orazio est « sans orgueil » il n’est pas « heureux » de tuer Curiace qu’il reconnaît comme son parent [21] . Il ne le tue pas par haine, mais par amour de la patrie, et lui demande de pardonner son crime. Horace est ici un héros tempérant qui domine ses passions et agit par piété. La guerre est considérée comme le lieu d’une ascèse. C’est un événement providentiel, non choisi, qui s’impose au héros, pour qu’il y trouve une purification de ses passions et l’exaltation de sa piété. Le point de vue de Celia est symétrique. Alors qu’Horace exalte la guerre comme le lieu de l’abnégation et du contrôle des passions, Célia ne domine pas ses émotions et refuse toute ascèse héroïque. Elle s’emporte contre Horace telle une « furie », telle une femme « folle », « assoiffée d’amour marital [22]  ». Si Horace se trompe en tuant sa sœur, la faute de Célia est plus grande. Elle s’est laissée emporter par la passion et n’a pas su trouver, dans la guerre, le lieu d’une ascèse et d’une purification. Dans la version de l’Arétin, les propos croisés de Orazio et de Celia servent à mettre en valeur la vertu guerrière d’Horace qui se bat pour poursuivre une forme d’ascèse héroïque. La guerre est jugée positivement, comme lieu du dépassement de soi, et c’est la réaction de Célia qui est critiquée. Aretino affirme fonder son interprétation de la pièce sur les luttes qui opposent l’Eglise romaine (incarnée par les Horace) et la réforme luthérienne : la bataille des Horaces est légitime et leur victoire nécessaire. C’est du moins ce qu’il paraît explicitement dans une lettre qu’il adresse à Pier Luigi Farnese (fils de Paul III) [23] et que l’on peut déduire du prologue de la pièce prononcé par la Fama [24] .

La version de Lope de Vega, publiée en 1623, manifeste encore un autre point de vue sur la guerre. Dans cette comedia sont représentés à la fois la rencontre entre Oracio et Curiacio, le conflit entre Oracio et sa sœur, et les négociations politiques du roi Tulle et du roi Mettius de Albe. Le conflit entre Oracio et Curiacio est fondé sur l’arrogance du premier qui désire s’approprier les terres des voisins Albains. Curiacio propose en revanche un autre regard sur la guerre : quand il apprend que Oracio est le frère de sa bien aimée, il cède généreusement à Oracio la terre qu’on lui demande [25] . Cette attitude de compromis et d’apaisement est valorisée dans la pièce par le personnage positif de Horacia [26] , tuée brutalement en scène, et par les propos du roi Mettius. Le roi donne une description réaliste de la guerre : elle est le fait de la proximité des deux voisins, qui ne cessent de piller et de voler les « champs, le labourage de la terre et le gain » des autres [27] . La guerre est dangereuse : elle affaiblit les deux camps qui pourraient plus profitablement être alliés. Comme dans la tragédie de Laudun, le regard négatif sur la guerre prime. Le conflit est critiqué comme expression d’arrogance et de force. Mais cette critique de la guerre se fait par l’introduction d’un fil amoureux (qui unit Curiacio et Horatia, Horacio et Flavia) et aussi par la référence explicite, dans la dédicace de la pièce, non pas au texte de Live, mais à la Cité de Dieu [28] . Dans ce texte, Augustin critique la Rome ancienne, condamne ouvertement la soif de sang des Horaces et défend le sentiment d’Horatia. Il affirme en effet : « Il me semble que les affections de cette seule femme furent plus humaines que celles de tout le peuple romain » [« Humanior huius unius feminae quam universi populi Romani mihi fuisse videtur affectus  [29] »].

L’Horace de Corneille, enfin, présente un point de vue assez ambigu sur la guerre. Si, dans les autres tragédies, le croisement des regards portait à discréditer un point de vue pour en valoriser un autre, dans l’Horace de Corneille l’échange entre les personnages est le lieu d’une confrontation qui permet l’exposition de deux thèses. La critique [30] a longuement analysé l’échange entre Horace et Curiace à l’acte II. Curiace y expose une image de la guerre comme source de contradiction, dans un dilemme entre affection privée et devoir public que Curiace ne parvient pas à résoudre [31] . En revanche, Horace semble avoir résolu la contradiction : la guerre pour lui est le lieu d’un règlement et d’un recommencement. Il faut en accepter le sort, et seulement l’acceptation et l’oubli de ce moment de violence permettent la reconstruction, après coup, d’un monde juste [32] . C’est en ces termes qu’Horace s’adresse à Camille, sa sœur : que la victoire échoie à Horace ou à Curiace, pour survivre, il faut être capable d’accepter l’issue du combat et vivre de conséquence [33] . C’est parce que Camille n’accepte pas cette logique qu’elle est tuée par Horace. La mort de Camille ne fait donc qu’exacerber le conflit entre deux camps et deux conceptions de la guerre : d’un côté, la guerre comme source de contradiction et de souffrance, de l’autre, la guerre comme lieu douloureux d’un recommencement possible. Si la victoire d’Horace invite le spectateur à pencher pour deuxième thèse, son fratricide cruel nous pousse à adopter le point de vue de Curiace. Le procès d’Horace, qui a lieu au dernier acte, explore ces visions différentes de la violence guerrière, mais déplace la question de la guerre à celle du jugement. Le dénouement ambigu ne tranche pas explicitement pour l’une ou pour l’autre des thèses, comme c’était en revanche le cas dans les autres pièces, et montre le pouvoir euristique de la représentation du conflit, qui appelle le spectateur à prendre parti, à participer au combat ou du moins au débat sur la légitimité de la guerre.

Dans les adaptations du conflit entre Horaces et Curiaces les propos des deux camps se croisent et mettent face à face diverses conceptions de la guerre par des stratégies empruntées à la rhétorique – comme le recours à des personnages porteurs d’une positivité éthique – au genre – comme la mise en valeur de l’héroïsme dans le cadre de la tragédie – ou encore par des stratégies propres à la parole dramatique, comme le recours au dilemme. Si l’Arétin défend la guerre comme possibilité d’ascèse héroïque, Laudun et Lope en critiquent la violence. Corneille en revanche, au lieu de défendre une thèse, expose deux positions contradictoires et appelle le spectateur à prendre position pour au contre la vision d’Horace. Les quatre tragédies mettent en scène une suite d’actes violents qui exprime la logique guerrière, mais qui fonde également la structure de la tragédie : la mort successive des deux Horaces, des trois Curiaces et le meurtre de la sœur d’Horace proposent une progression hautement pathétique, qu’il est pourtant difficile d’enrayer.

Croiser les regards pour considérer une résolution possible du conflit

Les tragédies qui mettent en scène le conflit entre Horaces et Curiaces se dénouement, comme le récit de Tite Live, par la représentation du procès d’Horace. En tuant sa sœur, qui pleurait la mort de Curiace, Horace a commis un fratricide. Le roi de Rome doit donc juger de ce crime, dans le contexte altéré de la guerre : il peut rester dans la légalité et punir le fratricide, ou bien sortir de la légalité, et effacer le crime par le pardon ou l’exception due aux vertus militaires de l’accusé.

Ces deux positions sont défendues par les personnages des pièces selon des logiques différentes, que l’on retrouve aussi dans le récit de Tite Live et qu’il est utile de considérer avant d’analyser les choix de chaque auteur. Sur le plan de la légalité, la punition est un acte juste qui rétribue par la mort celui qui a donné la mort, alors que la logique de l’exception est injuste, car elle contredit les lois de l’État. Sur le plan familial, si le crime est puni, le père, qui a déjà perdu deux fils et une fille, perd aussi son troisième fils. Sur le plan militaire, si l’on tue Horace pour le punir, Rome perd son avantage militaire sur Albe, et en quelque sorte venge aussi le dernier des Curiace. La mort d’Horace fait perdre l’avantage à Rome et poursuit la chaîne des vengeances. En revanche, si on ne tue pas Horace, Rome conserve son avantage et la chaîne des violences est interrompue, mais la violence risque d’être ainsi autorisée : le geste meurtrier et impulsif d’Horace, qui s’octroie le droit de punir sa sœur, est en quelque sorte légitimé. Sur le plan politique, la mort d’Horace affaiblit le pouvoir, qui tue son champion, et suscite le mécontentement du peuple qui voit en Horace un héros de la patrie. Mais si l’on sauve Horace, l’État est également affaibli : certes, il a gagné un grand serviteur, mais ce grand serviteur peut aussi menacer l’autorité de l’État, tout comme il a été sauvé par le non respect des lois. Enfin, sur le plan des attentes poétiques, la punition est conforme à la logique de vengeance et organise la pièce, alors que l’exception porte une dernière péripétie, qui renverse le malheur attendu d’Horace.

Le procès d’Horace induit donc une réflexion complexe sur les conséquences de la guerre qui est menée différemment dans chaque version. Dans l’Orazia de l’Arétin, Publio, le père d’Horace, affirme qu’il faut excuser son fils : il a certes cédé à la passion, mais à cause de sa jeunesse [34] . Le peuple demande en revanche qu’Horace soit puni : il n’a pas fait preuve de tempérance, il pense que sa victoire lui permette de braver les lois et porter dans la cité la violence guerrière. Il doit être puni pour que la guerre se termine et la légalité soit restaurée [35] . La pièce se dénoue alors par un compromis : Horace ne sera ni puni, ni excusé. Il devra supporter une peine symbolique, par laquelle il manifeste sa soumission à l’État et son respect du deuil de sa sœur. Horace toutefois refuse : il préfère mourir plutôt que devoir mettre en cause son honneur. C’est alors qu’une voix du ciel vient confirmer le verdict du peuple : Horace doit porter un joug symbolique pour que les valeurs de l’État et du peuple de Rome soient réaffirmées et que le régime de violence suscité par la guerre soit enfin aboli [36] . Cette fin est relativement proche de l’issue du texte de Tite Live [37] . La punition symbolique d’Horace restaure les valeurs et les lois de Rome après l’exception de la guerre, en purifiant les passions de violence et d’intempérance que la guerre a soulevé.

Dans El Honrado Hermano de Lope de Vega, le roi Tulle fait arrêter Horace : les lois de Rome le condamnent à mourir [38] . Oracio accepte de mourir : il serait déshonorant pour lui de se soustraire au jugement du roi, ou de devoir plaider pour défendre un acte qu’il considère honorable [39] . Son père pourtant demande qu’on lui fasse grâce : il a déjà perdu quatre de ses fils, il ne veut pas en sacrifier un cinquième [40] . Pour dénouer l’intrigue, Lope choisit alors de résoudre le fil amoureux : Flavia, la fiancée d’Oracio, entre en scène, défend son amant, et invite Oracio à se défendre et à rester en vie [41] . Oracio réagit avec émotion et ces émotions poussent le peuple à absoudre Horace [42] . Le roi Tulle excepte Horace des lois, non en raison de sa valeur et de son honneur, mais de la piété que son cas suscite [43] . Dans la version de Lope, donc, la peine d’Horace est révoquée. Horace est sauf, parce qu’il a abandonné l’arrogance et la violence dont l’accusaient Curiacio et sa sœur en manifestant sa sensibilité et son humanité  [44] – c’est-à-dire les valeurs que défendait Augustin, en citant cet exemple, dans sa Cité de Dieu. La guerre se termine ainsi dès que la mécanique de la violence s’arrête par le retour du sentiment et de l’humanité qui sont manifestés dans la pièce de Lope par un topos lyrique : l’amour qui triomphe des armes.

Dans la version de Laudun, le procès d’Horace est très court. Le roi l’absout immédiatement en invoquant le principe d’exception [45] . Il faut excuser les crimes des grands de l’État, même en dépit des lois, parce que ce sont eux qui garantissent le pouvoir du roi. Le choix du roi est contesté par la dame de compagnie de la sœur d’Horace. S’il est possible de transgresser les lois pour protéger le plus fort sans respect pour le plus pauvre, alors quiconque peut dans l’État commettre des barbaries sans craindre de punition [46] . Absoudre Horace revient pour elle à tolérer la violence, et de fait l’absolution d’Horace suscite, dans la pièce, un retour de la violence. Comme Horace avait tué sa sœur, faible et accablée, ainsi le roi Tulle ne respecte pas l’accord établi avec le roi des Albains Mettius, mais il l’accuse injustement de trahison et le condamne à mort [47] . Le roi sort donc de la légalité pour continuer à exercer la violence de la guerre. La pièce se termine pourtant quand Dieu vient foudroyer le roi Tulle et ainsi condamner son action [48] (conformément au récit de la mort du roi dans Tite Live [49] ). L’intervention de Dieu dénonce ainsi l’action du roi. Le principe d’exception est dangereux : il n’arrête pas la guerre, il légitime la force et bafoue les lois de l’État.

La version de l’Horace de Corneille propose une alternative ambiguë aux versions que nous venons d’analyser. Le procès est très détaillé et permet de passer en revue les divers arguments. Valère, l’amant de Camille, qu’Horace a tuée, défend la légalité et demande la punition d’Horace [50] . Ce dernier se soumet : il est prêt à mourir [51] . Sabine, son épouse, prend sa défense : elle a déjà perdu trois frères (les Curiaces) deux beaux-frères (les Horaces) et une belle-sœur (Camille) et ne voudrait pas perdre aussi son mari [52] . Le vieil Horace rappelle au roi la vaillance d’Horace et les services qu’il a rendus à Rome. Le roi Tulle absout alors Horace par le principe d’exception. Il faut que le roi pardonne à ses grands serviteurs : c’est le seul moyen de maintenir la couronne, et donc de maintenir la paix [53] . Le roi excuse Horace au nom de son exception et ce choix n’est pas pourvoyeur de guerre (comme chez Laudun), mais garant de la paix : les grands garantissent le royaume contre la guerre.

Dans les éditions de la pièce, jusqu’en 1657, cette conclusion est appuyée par les propos de Julie, la suivante de Camille, qui confirme le verdict du roi par la voix de Dieu : le songe de Camille avait annoncé la mort de la jeune fille, et aussi prévu que l’issue du procès garantirait la paix de Rome et le repos de Camille, unie paisiblement à Curiace (dans la mort) [54] . Il est pourtant intéressant de relever que cette fin est supprimée par Corneille à partir de 1657. Corneille y substitue une issue moins apaisée, qui termine la pièce par les propos du roi : en excusant Horace, Tulle ne fait que répéter le geste fondateur de la ville, le meurtre de Remus par Romulus. Le roi appelle le peuple à oublier que sa légitimité est fondée sur un crime et que le principe d’exception ne fait que souligner l’importance de la force, au détriment des lois [55] . Cette tirade était présente dès 1641, mais les propos de Julie en tempéraient les effets. Elle prend plus d’importance par la suite. Peut-être parce que Corneille, après la mort du Cardinal, ne se sent plus en devoir de défendre sa politique et que les débuts de la Fronde manifestent les dangers d’une politique qui encouragerait les Grands de l’État. La fin de Corneille est donc une fin ambiguë : excuser Horace, c’est le choix du moindre mal, mais ce choix reste dangereux – au lieu de porter la paix par l’exercice de la force, il risque de compromettre la légalité et débiliter à terme le pouvoir du roi.

Le croisement des points de vue, dans le procès d’Horace, manifeste les difficultés qui entravent la restauration de la paix : si le principe d’exception arrête temporairement la violence par l’exhibition de la force, il risque d’appeler un retour de la violence, car il fragilise le pouvoir du roi. De l’autre, le maintient de la légalité, dans le cas d’Horace, risque de prolonger la suite des vengeances et rendre donc impossible la fin de la guerre.

 

La confrontation de différents points de vue sur la guerre qui paraît dans les versions modernes de la Thébaïde et dans les dramatisations de la lutte entre Horaces et Curiaces sert le pathos. Les affrontements au sein des alliances sont hautement pathétiques, car ils engagent le spectateur à prendre parti pour l’un ou l’autre des camps, alors que les qualités morales et guerrières des forces en conflit paraissent équivalentes. En dédoublant le regard sur la guerre, donc, les tragédies des frères ennemis portent à relativiser les arguments de chaque camp : les justifications qu’Étéocle et Polynice donnent à leur combat fratricide sont finalement les mêmes, et l’argumentaire de Jocaste suffit pour en dénoncer les failles. Aucun des deux frères ne combat pour la bonne cause, mais leur lutte est donnée dans la tragédie comme nécessaire. De plus, la confrontation des regards manifeste comment la logique guerrière risque de contaminer la paix et de porter de nouveaux clivages dans un même camp. C’est ce qu’on observe dans les pièces consacrées aux Horaces. Le combat des champions ne suffit pas à terminer la guerre, mais déplace et démultiplie les lieux du combat, en contaminant le cœur privé de la famille (par la mort de Camille) et l’autorité du roi de Rome. La guerre n’est pas seulement le lieu où les regards se croisent, mais aussi la source d’un égarement du regard qui rend difficile d’établir une conduite juste (comme dans le cas d’Horace) ou de définir de manière univoque le camp des justes. Les tragédies manifestent ainsi comment la guerre s’accompagne d’une instabilité du regard et d’une pluralité de points de vue qui ne semblent pas pouvoir se concilier en une idéologie univoque et partageable par tous les camps et, indirectement aussi, par tout le public.

 

Notes

  • [1]

    Elliott Forsyth, La Tragédie française de Jodelle à Corneille (1553-1640) le thème de la vengeance, Paris, Nizet, 1962 ; Gordon Braden, Renaissance Tragedy and the Senecan Tradition : Anger’s Privilege, New-Haven, Yale UP, 1985 ; James, Redmond, éd., Violence in Drama, vol. 13 de la série Themes in Drama, Cambridge, Cambridge UP, 1991 ; James Robert Allard et Mathew R. Martin, éd., Staging Pain, 1580-1800: Violence and Trauma in British Theatre, Farnham, Ashgate, 2009.

  • [2]

    Théâtre de la cruauté et récits sanglants (fin XVIe – début XVIIe siècles), dir. Christian Biet, Paris, Laffont, 2006 ; François, Lecercle, Laurence Marie et Zoé Schweitzer, dir., Réécritures du crime : l’acte sanglant sur la scène (XVIe-XVIIIe s.), Littératures classiques, 67, 2009 ; Charlotte Bouteille-Meister et Kjerstin Aukrust, dir. Corps sanglants, souffrants et macabres – La représentation de la violence faite aux corps en Europe, XVIe-XVIIe siècles, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2010.

  • [3]

    Il s’agit notamment de pièces comme l’Edippo de Giovanni Andrea dell’Anguillara, Venise, 1565 ; la Thébaïde de Jean Robelin, Pont à Mousson, 1584 ; La Thébaïde ou les frères ennemis de Jean Racine, Paris, 1664. Ces pièces tirent leur sujet de la Thébaïde de Stace et plus largement des pièces antiques qui représentent la guerre de Thèbe (Œdipe à Colone de Sophocle, des Phoenicienne d’Euripide, les Phoeniciennes de Sénèque).

  • [4]

    Il s’agit de pièces comme : Pietro Aretino, Orazia, Venezia, 1546 ; Pierre Laudun d’Aigaliers, Horace in Poésie, Paris, 1596 ; Lope de Vega, el Honrado Hermano (in decimooctava parte de las comedias) Madrid, 1623 ; Pierre Corneille, Horace, Paris, 1641, qui adaptent le récit de Tite Live (Ab Urbe Condita I, 24) de l’affrontement entre les trois frères Horaces et les trois Curiaces dans la guerre entre Albe et Rome.

  • [5]

    « Voyons donc parmi les événements lesquels sont effrayants et lesquels pitoyables. Les actions ainsi qualifiées doivent nécessairement être celles de personnes entre lesquelles existe une relation d’alliance, d’hostilité ou de neutralité […]. Le surgissement de violences au cœur des alliances – comme un meurtre ou un autre acte de ce genre accompli ou projeté par le frère contre le frère, par le fils contre le père, par la mère contre le fils ou le fils contre la mère – voilà ce qu’il faut rechercher », Aristote, Poétique, trad. Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, Seuil, 1980, chap. 14, p. 81.

  • [6]

    « Charles, race des Rois, tellement tu foisonnes / en toutes les vertus dignes d’un souverain, / qu’un chacun va disant être digne ta main / de cent sceptres, ton chef de cent nobles couronnes », Jean Robelin, Thébaïde, tragédie, éd. Daniela Boccassini, in La Tragédie à l’époque de Henri III, vol. 2,3 (1582-1584), « discours en forme de dialogue à la louange de Monseigneur le Duc de Lorraine » v. 45-48, p. 485.

  • [7]

    Giovanni Andrea dell’Anguillara, Edippo, tragedia, Padoue, Pasquatto, 1565, V,1, fol. 54.

  • [8]

    Il suffit de penser à la tragédie de Robert Garnier, Antigone ou la Piété, 1585.

  • [9]

    « ANTIGONE – surtout depuis le temps que dure cette guerre, / et que de gens armés vous couvrez cette terre, / Ô Dieux ! à quels tourments mon cœur s’est vu soumis, / voyant des deux côtés ses plus tendres amis ! […] Mille objets de douleur déchiraient mes entrailles, / j’en voyais et dehors et dedans nos murailles, / chaque assaut à mon cœur livrait mille combats, / et mille fois le jour je souffrais le trépas. » Jean Racine, La Thébaïde ou les frères ennemis, in Œuvres complètes, t. 1, éd. George Forestier, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1999, II,1, v. 383-398, p. 74.

  • [10]

    « POLYNICE – Quoi faut-il davantage expliquer mes pensées ? / On les peut découvrir par les choses passées, / la guerre, les combats, tant de sang répandu ; / tout cela dit assez que le Trône m’est dû. » Jean Racine, La Thébaïde ou les frères ennemis, op. cit., IV,2, v. 1103-1106, p. 98.

  • [11]

    « ÉTÉOCLE – Et ces mêmes combats, et cette même Guerre, / ce sang qui tant de fois a fait rougir la Terre, / tout cela dit assez que le Trône est à moi, / et tant que je respire il ne peut être à toi. » ibid., v. 1107-1110, p. 98.

  • [12]

    « JOCASTE (à POLYNICE) – Une extrême justice est souvent une injure. / Le Trône vous est dû, je n’en saurais douter, / mais vous le renversez en voulant y monter. /Ne vous lassez-vous point de cette affreuse guerre ? / Voulez-vous sans pitié désoler cette terre, / détruire cet Empire afin de le gagner ? » Ibid., v. 1140-1145, p. 99.

  • [13]

    « JOCASTE (à ÉTÉOCLE) – La Guerre vaut bien mieux que cette affreuse paix […] / vous-même d’un tel sang souilleriez-vous vos Armes ? / La Couronne pour vous a-t’elle tant de charmes ? / Si par un parricide il la fallait gagner, / ah ! mon fils, à ce prix voudriez-vous régner ? » Ibid., v. 86-94, p. 64.

  • [14]

    Voir Tite Live, Histoire romaine (ab urbe condita) éd. Jean Bayet et Gaston Baillet, Paris, Les Belles Lettres, 1982, I, 24-26, p. 38-42.

  • [15]

    « PUBLIUS HORACE – voulez-vous, mes enfants, les trois Albans tuer ? CNEIUS HORACE – nous ne voulons rien moins sur eux effectuer (…) PUB. HORACE – serez-vous plus cruels que tous vos devanciers ? PHOEDO HORACE – nous mouillerons nos mains dans leur sang volontiers. PUB. HORACE – vous leur causerez donc une mortelle guerre ? CNEIUS HORACE – le tort n’est pas de nous, mais de leur propre terre. PUB. HORACE – vous serez trop cruels contre vos ennemis. QUINTUS HORACE – d’user de cruauté contre iceux est permis. » Pierre Laudun d’Aigaliers, Horace, tragédie in Poésie, Paris, Le Cler, 1596, fol. 59r-v.

  • [16]

    Ibid., fol. 37r-38r.

  • [17]

    « HORATIA – trop inhumain guerrier dont la sanglante lame / a ravy dedans moy mon esprit et mon ame, / n’estois-tu pas saulé au tombeau délivrer / deux meneaux, sans le tiers dans iceluy livrer ? »  Ibid., fol. 67r.

  • [18]

    « TULLE – Ainsi comme un Lyon qui montrant sa vertu / Sur le frèle pouvoir du vaincu débatu / S’orgueillit, se fait voir, et de sa mesme proie, / Reçoit le vray guerdon que le destin envoye, / La force de mon bras, la vertu de mon cœur / Me fait sur mes voisins marcher d’un pas vainqueur. » Ibid., I,1 fol. 38r.

  • [19]

    Ibid., fol. 38v.

  • [20]

    Voir la tirade de Nabuchodonosor dans Robert Garnier, Les Juives, acte II, in La Tragédie à l’époque d’Henri III, vol. 3 (1582-1584), Paris Florence, Olschki Puf, 2002, p. 274.

  • [21]

    Pietro Aretino, Orazia, in Teatro, t. 3, éd. Alessio Decaria et Federico della Corte, Rome, Salerno editrice, 2005, v. 251-257, p. 216.

  • [22]

    « HORACE – Va-t-en, toi, avide d’affection maritale, amoureuse trop pressée, va vers ton époux, qui t’attend au fleuve du Léthé. Va-t-en, insensée, toi qui oublie tes frères morts, ton frère vivant, de ta patrie et des autres » [« ORAZIO – Vanne, o d’affetto maritale ingorda, / col tuo pur troppo frettoloso amore, / vanne al marito, che del leteo fiume, / su la riva ti aspetta; vanne, insana, / dimenticata de i fratelli morti / di quel che vive et de la patria e d’altri »], ibid., v. 337-342, p. 218.

  • [23]

    « Je souhaite à sa Sainteté, une victoire sur les Luthériens bien plus grande que le triomphe que Rome a acquis par Horace sur Albe » [« Pronostico a sua santità una vittoria de i Luterani assai maggiore che il trionfo che a Roma riporrà Orazio de gli Albani »], Pietro Aretino, Lettere, éd. P. Procaccioli, Rome, Salerno editrice, 1997-2002, vol. IV, n° 116, p. 90.

  • [24]

    Voir Pietro Aretino, Orazia, op. cit., « la fama parla », p. 187-191.

  • [25]

    Félix Lope de Vega, El honrado hermano, tragicomedia famosa, in Decimoctava parte de las comedias de Lope de Vega Carpio, Madrid, por Juan Gonçalez, a costa de Alonso Perez, 1623, fol. 115v.

  • [26]

    Ibid., fol. 131r.

  • [27]

    Ibid., fol. 123v-124r.

  • [28]

    « Ce n’est pas une fable, mais une histoire véritable et si noble que Saint Augustin a accepté de la reporter dans le livre III de sa Cité de Dieu, dans le chapitre 14, en excusant les larmes de Horacia » [« No quise que fuese fabula, sino verdadera historia, y tan calificada, que no se desdeñó S. Agustin de escribirla, en el Lib. 3 de su Ciudad de Dios, en el cap. 14, disculpando las lagrimas de Horacia »], ibid., « dedica », fol. 106r.

  • [29]

    Augustin, De civitate dei, III,14, éd. P. G. Walsh, Cambridge, Cambridge UP, 2007, p. 46.

  • [30]

    Voir notamment la lecture hégélienne de Serge Doubrovsky (Le Héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, Paris, PUF, 1986, p. 129) et l’interprétation contextuelle de Hélène Merlin dans « Réécriture cornélienne du crime : le cas d’Horace », Littératures classiques, n° 67, 2009, p. 101-114.

  • [31]

    « CURIACE – j’ai le cœur aussi bon, mais enfin je suis homme. / Je vois que votre honneur demande tout mon sang, / que tout le mien consiste à vous percer le flanc (…) Encor qu’à mon devoir je coure sans terreur, / Mon cœur s’en effarouche, et j’en frémis d’horreur, / j’ai pitié de moi-même, et jette un œil d’envie / sur ceux dont notre guerre a consumé la vie », Pierre Corneille, Horace, tragédie, in Œuvres Complètes, t. 1, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1980, v. 468-476, p. 859.

  • [32]

    « HORACE – la solide vertu dont je fais vanité / N’admet point de faiblesse avec sa fermeté, / Et c’est mal de l’honneur entrer dans la carrière, / Que dès le premier pas regarder en arrière. / Notre malheur est grand, il est au plus haut point, / Je l’envisage entier, mais je n’en frémis point », ibid., v. 485-490, p. 860.

  • [33]

    « HORACE – vos larmes vont couler, et votre cœur se presse. / Consumez avec lui toute cette faiblesse, / Querellez Ciel et Terre, et maudissez le Sort, / Mais après le combat ne pensez plus au mort », ibid., v. 527-530, p. 861.

  • [34]

    « PUBLIUS – la jeunesse, voici ce qui excuse Horace : sa jeunesse et sa fougue naturelle » [« PUBLIO – la gioventù debbe scusare Orazio / la gioventù, furor de la natura »], Pietro Aretino, Orazia, op. cit., V,1 v. 24-26, p. 257.

  • [35]

    « PEUPLE – Il me semble que son action après sa victoire est pleine d’insolence, de flatterie et non de tempérance » [« Popolo – il veder del suo proceder dopo / a la vittoria, d’insolenza colma / giudico adulazion, non temperanza »], ibid., V,1 v. 70-73. « PEUPLE – Licteur, va chercher un joug, parce que je veux qu’Horace passe sous lui, humblement, sa tête couverte en signe de repentance » [« POPOLO – trova un gioco littore, perch’io voglio / che Orazio sotto col capo velato, / in segno di peccante e penitente / ci vada umíle »], ibid., V,1 v. 277-280, p. 264.

  • [36]

    « VOIX – Et toi, Horace, baisse la tête sous le joug, parce qu’en la baissant vers le sol, tu purge ton péché et conserve la loi. Honore le roi, vénère la patrie, console les pères, exprime le peuple, réjouit Publio et préserve ta vie » [« VOCE – E tu, Orazio, china / la testa al giogo, ché il chinarla in terra / purga il peccato, conserva la legge; / onora il re, gratifica la patria / consola i padri, il popolo sublima, / ricrea publio, e te stesso mantiene »], ibid., V,1 v. 426-431, p. 269.

  • [37]

    Tite Live, Histoire Romaine, op. cit., I, 26, p. 43.

  • [38]

    « TULLE – Les lois, Horace féroce, t’ont condamné à mort » [« TULLO – Las leyes Oracio fiero, / de Roma, te han condenado / a morir »], Félix Lope de Vega, El honrado hermano, op. cit., fol. 131r.

  • [39]

    « HORACE Dès lors, je désire mourir, je suis prêt à ceci, tue-moi, j’attends la mort » [« Oracio – Pues morir quiero, / para esso estoy atado, / matadme, la muerte espero »], ibid., fol. 131r.

  • [40]

    « CAIUS HORACE J’avais quatre enfants, la gloire de mon grand âge, j’en ai donné un grand nombre à la patrie, puisque j’en ai sacrifié trois sur quatre. Que Rome me laisse ce dernier » [« CAIO ORACIO – cuatro hijos yo tenia / gloria de mis largos años, / ne he dado a la patria poco, / pues que le doy tres de cuatro. / Dexadme Roma este solo »], ibid., fol. 131v.

  • [41]

    Ibid., fol. 131v.

  • [42]

    « PEUPLE – que vive Horace, qu’Horace reste en vie ! Vive Horace, vive Horace ! » [« PUEBLO – Viva Oracio, Oracio viva, / viva Oracio, viva Oracio »], ibid., fol. 132r.

  • [43]

    Ibid., fol. 132r.

  • [44]

    « FLAVIE – Suis-je ton épouse ? HORACE – Oui, mon amour – et moi, suis-je ton mari ? FLAVIE – oui ! » [« FLAVIA – Soy tu mujer? ORACIO – Si mis ojos, y yo tu marido? FLAVIA – Si »], ibid., fol. 131v.

  • [45]

    « TULLE – Nous l’absolvons de rechef, sans le dire fauteur / indigne d’accointer le puissant Créateur : / nous voulons désormais que sa noble personne / se tenant pres de nous defende la couronne », Pierre de Laudun, Horace, op. cit., fol. 75v.

  • [46]

    « DAME – Las ! Puis qu’il est permis qu’un frère d’arrogance / tue sa propre sœur et en prenne vengeance (…) il sera donc permis au mary courroucé / de meurtrir son espouse ayant son corps versé, / et d’un verre cassé pour une clef perdue, / rendre sa propre chair sur la place estendue, / et se lave du sang tout soudain espandu, / qu’un meurtre paternel ne soit point défendu », ibid., fol. 76v.

  • [47]

    « TULLE – traitre, ta trahison ne sera sans vengeance, / tu mourras pour loyer d’une orde recompense, / licteur liez les mains empoignez ce meurtrier, / desanimez son corps le mettez en quartier […] METTIUS – Implacables bourreaux, implacables meurtries, / mettez vous bien mon corps en divers quartiers ? / faut-il que votre bras ou votre main bourrelé / lance dessus mon corps une plaie mortelle ? », ibid., fol. 78v.

  • [48]

    « TULLE – Je rêve en mon cerveau, que Jupin irrité / me veut mander le fléau que je n’ai mérité, / ou qu’entant envieux de la gloire sur terre, / ne détache sur moi, son éclatant tonnerre. La foudre vient et le tue » ibid., fol. 79v.

  • [49]

    Tite Live, Histoire Romaine, op. cit., I, 30-31, p. 50-52.

  • [50]

    « VALÈRE – Mais puisque d’un tel crime il s’est montré capable, / qu’il triomphe en vainqueur, et périsse en coupable, / arrêtez sa fureur et sauvez de ses mains, / si vous voulez régner, le reste des Romains », Pierre Corneille, Horace, op. cit., v. 1487-1490, p. 893.

  • [51]

    « HORACE – Sire, prononcez donc, je suis prêt à d’obéir », ibid., v. 1545, p. 895.

  • [52]

    « SABINE – Sire, écoutez Sabine, et voyez dans son âme, / les douleurs d’une sœur, et celles d’une femme, / qui toute désolée à vos sacrés genoux / qui pleure pour sa famille, et craint pour son époux », ibid., v. 1595-1598, p. 896.

  • [53]

    « TULLE – et l’art et le pouvoir d’affermir des couronnes /sont des dons que le Ciel fait à peu de personnes, / de pareils serviteurs sont les forces des Rois, / et de pareils aussi sont au-dessus les lois », ibid., v. 1751-1754, p. 900.

  • [54]

    « JULIE – Camille, ainsi le ciel t’avait bien avertie / des tragiques succès qu’il t’avait préparés (…) Albe et Rome aujourd’hui prennent une autre face ; / tes vœux sont exaucés, elles goûtent la paix ; / et tu vas être unie avec ton Curiace, / sans qu’aucun mauvais sort t’en sépare jamais. », ibid., p. 1572-1573.

  • [55]

    « TULLE – [que les lois] se taisent donc, que Rome dissimule / ce que dès sa naissance elle vit en Romule ; / elle peut bien souffrir en son libérateur / ce qu’elle a bien souffert en son premier auteur. », ibid., v. 1755-1759, p. 900.

Pour citer cet article

Enrica ZANIN, "Propos croisés dans les tragédies des frères ennemis (Italie, France, Espagne, 1560-1640)", in M. Finck, T. Victoroff, E. Zanin, P. Dethurens, G. Ducrey, Y.-M. Ergal, P. Werly (éd.), Littérature et expériences croisées de la guerre, apports comparatistes. Actes du XXXIXe Congrès de la SFLGC, URL : https://sflgc.org/acte/enrica-zanin-propos-croises-dans-les-tragedies-des-freres-ennemis-italie-france-espagne-1560-1640/, page consultée le 24 Novembre 2024.