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Depuis son essor dans l’Europe post-révolutionnaire, la fiction du complot ou fiction complotiste s’est diversifiée selon deux grandes trajectoires : d’une part, en variant ses formes parallèlement au développement des narrations sérielles, des romans-feuilletons aux séries télévisées ; d’autre part, en suscitant des romans de plus en plus variés, selon une dynamique qui dépasse amplement le domaine de la para-littérature. Cet article exploratoire examine dans leurs grandes lignes, du XIXe au XXIe siècle, ces deux trajectoires complémentaires, à partir de l’espace atlantique. Il envisage ainsi la fiction du complot en lien avec un imaginaire de la paranoïa de plus en plus transgénérique et mondialisé.
In Europe, after the French revolution and until today, conspiracy fiction developed along two main trends: first, it is represented in serial narratives (incl. television series), but it concerns also a growing number of novels that do not necessarily belong to popular fiction. This exploratory paper examines these two complementary trends, from the 19th to the 21st century, between Europe and America. It points out that conspiracy fiction belongs to a global and transgeneric paranoid imagination.
ARTICLE
Depuis plus de deux siècles, la fiction du complot ou fiction complotiste séduit des lecteurs toujours plus nombreux. Cet essor récent d’une forme narrative ancienne [1] est indissociable de migrations tant territoriales que génériques. Dans une acception générale, celle-ci correspond à la mise en récit d’un complot n’ayant pas de modèle complet dans le réel. Ce complot est à associer à un dessein secret concerté entre plusieurs individus, ayant pour cible un personnage public, une institution, voire toute une société ou une population, et s’inscrivant dans une volonté de domination. Si les fictions complotistes existent depuis longtemps, elles convoquent depuis le début du XIXe siècle un thème spécifique, qui rend leur rapport au réel de plus en plus émietté : le complot à ambition internationale ou le « méga-complot », pour reprendre une expression que l’on trouve dans la critique récente [2] .
Au plan structurel, topique et narratif, la fiction du complot a pour spécificité de combiner à des degrés divers une polarisation axiologique, qui se rapproche parfois de celle du roman à thèse [3] , et un « style paranoïaque ». L’expression provient des travaux de l’historien états-unien Richard Hofstadter : il l’emploie en 1965 dans un essai intitulé « The Paranoid Style in American Politics [4] », qui couvre une période de la vie politique états-unienne allant de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au maccarthysme. Selon Hofstadter, la dénonciation d’un groupe de persécuteurs insidieux, dirigé non contre une personne en particulier – à l’inverse de la paranoïa comprise comme une pathologie clinique – mais contre tout un État, une nation ou une culture, est l’un des éléments constitutifs de la rhétorique caractéristique des discours complotistes en politique. Dans les fictions du complot, les images du réseau, du labyrinthe, du secret et diverses dynamiques narratives de dévoilement comptent, nous semble-t-il, parmi les manifestations récurrentes de ce « style ».
D’un point de vue historique, les phases de prolifération des discours méga-complotistes [5] correspondent généralement à des périodes de crises politiques. Un consensus se dessine dans la critique quant à l’émergence de discours du méga-complot dans l’Europe post-révolutionnaire [6] . Ceux-ci ressurgissent ensuite massivement à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle [7] . L’intervalle allant de la Révolution russe à la fin de la Deuxième Guerre mondiale constitue une autre période de prolifération des discours méga-complotistes, tout comme la période de la Guerre froide [8] . Enfin, si le 11 septembre 2001 a entraîné une nouvelle vague complotiste fondée sur le dogme du terrorisme fabriqué, encouragée par l’essor d’internet [9] , celle-ci est également une phase de réactivation de la plupart des grands discours complotistes qui l’ont précédée.
Si les chercheurs semblent unanimes au sujet de ces différentes phases de prolifération, ils ont aussi en commun de négliger la fiction. Souvent ancrées dans le champ des études culturelles, les études les plus systématiques abordant en partie les récits fictionnels se contentent d’évoquer, entre autres, l’œuvre d’un Alexandre Dumas, la série X-Files et les best-sellers de Dan Brown, sans étudier ce qui caractérise ces fictions au plan formel, et sans tenter de comprendre ce qui les rassemble – sans même parler de mener une réflexion sur leurs évolutions. Face à cette lacune, il s’agit de réfléchir à ce qui lie formellement ces objets « populaires » et des œuvres considérées comme plus exigeantes, en prenant acte de leurs mutations respectives et parfois conjointes. À notre sens, le vaste ensemble des fictions méga-complotistes pourrait être associé à un registre spécifique qui, échappant de plus en plus aux classifications et aux hiérarchies esthétiques courantes, signale actuellement un imaginaire de la paranoïa en voie de mondialisation.
Afin de questionner la pertinence de cette hypothèse (qui s’inscrit ici dans le cadre d’un article exploratoire), nous nous focaliserons d’abord sur le « creuset » que constitue le XIXe siècle européen, pour préciser les traits constitutifs des fictions du méga-complot, puis nous nous concentrerons sur la seconde partie du XXe siècle et le début du XXIe siècle, afin de présenter les deux grandes dynamiques dans lesquelles s’inscrivent les mutations des fictions complotistes depuis les années 1960. Si des fictions du complot ont été publiées entre les deux périodes, c’est surtout une étude des fictions récentes qui permet de faire émerger d’importantes migrations génériques et territoriales par rapport au premier « âge d’or » des fictions du méga-complot.
À ce titre, l’espace atlantique est essentiel pour envisager le développement et les mutations des fictions méga-complotistes. On sait que d’une manière générale, l’espace atlantique constitue une échelle géographique pertinente pour penser la mondialisation culturelle autrement que comme un universalisme décontextualisé [10] . Les études transatlantiques permettent, plus précisément, d’étudier les échanges pluridirectionnels entre les continents bordant un océan situé au confluent de dynamiques occidentales et extra-occidentales significatives pour l’époque contemporaine [11] . En l’occurrence, cette perspective est indispensable pour mettre au jour les évolutions des fictions du complot depuis le XIXe siècle, qui ne se limitent pas à des transferts de l’Europe vers les États-Unis, même si ceux-ci sont importants.
Le creuset du XIXe siècle européen
L’émergence des fictions du méga-complot est intrinsèquement liée à celle de la modernité politique européenne, et en particulier à son versant contre-révolutionnaire, qui relie la Révolution française à l’idée d’un complot maçonnique transnational. Amenées à nourrir les fictions du complot qui proliféreront par la suite, les Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme de l’abbé jésuite Augustin Barruel (dont le premier tome est publié en 1798) sont emblématiques. La loge para-maçonnique des Illuminés ou Illuminati de Bavière, fondée par Adam Weishaupt en 1776 et dissoute en 1785, y est présentée comme responsable en sous-main de la Révolution française : elle aurait influencé les loges françaises en les incitant à comploter contre l’État. Par ailleurs, une autre dynamique que la critique considère généralement comme plus tardive nous paraît être déjà en germe à la même époque : « à [la] figure anti-moderne du complotiste se joint paradoxalement la revendication des valeurs de la modernité (dialogue, recherche de la vérité, débat démocratique [12] ) ». Dans un cas, il s’agit plutôt d’un complot « par le bas », tandis que dans l’autre, c’est davantage une « machination des élites » qui entre en jeu. À partir de cette période, la fiction du complot permettra en tout cas de conjuguer une volonté plus ou moins explicite de « réenchantement du monde », consécutive au recul des pratiques religieuses dans la sphère occidentale [13] , et un geste critique, visant essentiellement à dénoncer un état de la société jugé inacceptable.
Dès le premier XIXe siècle, certaines fictions en langues européennes se nourrissent de ces deux dynamiques, ne se limitant pas à envisager le complot dans ses dimensions négatives. Cette ambivalence se traduit dans des fictions figurant des complots tantôt néfastes, tantôt éclairés. L’œuvre romanesque de Balzac est révélatrice de la double axiologie associée au complot. L’Histoire des Treize (1833) met en scène plusieurs complots ourdis par des criminels « fidèles à la même pensée [14] », qui se déplacent au-delà des frontières françaises afin de mener à bien leurs ambitions tant personnelles que « profondément politiques [15] ». De son côté, le roman L’Envers de l’histoire contemporaine (1848), dernier volume de La Comédie humaine, est fondé sur les manigances des Frères de la Consolation, qui complotent, à partir de Paris, pour la mise en place généralisée d’une « sainte charité [16] » relevant de « la religion catholique, apostolique et romaine [17] ». Le caractère transnational des complots mis en récit est cependant plus net dans deux autres textes français de la première moitié du XIXe siècle : Le Juif errant (1844) d’Eugène Sue et Joseph Balsamo (1846) d’Alexandre Dumas, qui révèlent de manière exacerbée les pôles axiologiques entre lesquels se situe le méga-complot au moment de son déploiement dans la fiction européenne. Le premier roman met en scène un complot orchestré par de diaboliques jésuites étendant leurs griffes sur toute l’Europe pour dépouiller des innocents, tandis que le second s’attache au renversement de la cruelle monarchie française par une mystérieuse communauté internationale éclairée, mêlant francs-maçons et Illuminati. Ces romans-feuilletons permettent également de constater le lien étroit entre la fiction complotiste et le récit sériel, combinaison gagnante dès le XIXe siècle puisque les deux textes ont connu un grand succès.
Or, ce succès concerne aussi des fictions complotistes reposant sur une narration sérielle au-delà du médium textuel, ce que souligne l’importance du complot dans les séries télévisées. De fait, la notion de sérialité est essentielle pour envisager les caractéristiques formelles ainsi que l’évolution des fictions du complot depuis le premier XIXe siècle.
Sérialité(s)
La sérialité peut d’abord renvoyer à un type de narration permettant de rendre compte d’une double dynamique de continuité et de mutation de certaines fictions méga-complotistes ; jusqu’à présent, cette dynamique concerne surtout l’espace atlantique nord. De ce point de vue, la « sérialité » ou « narration sérielle » correspond à un effet de lecture engendré par une tension sans cesse renouvelée [18] . Développée par Anaïs Goudmand qui s’inspire en partie des travaux de Raphaël Baroni et Jean-Marie Schaeffer [19] , cette approche pragmatique de la sérialité invite à mettre au jour une continuité entre le roman-feuilleton du XIXe siècle et la plus récente série télévisée (tout en prenant acte, évidemment, de leurs mutations formelles). Si l’on examine les fictions du complot, un premier point commun entre les premiers romans-feuilletons et les séries télévisées contemporaines est frappant : tous deux se ressaisissent de discours complotistes typiques de leur époque. De la même manière que Joseph Balsamo de Dumas peut être envisagé comme la cristallisation d’un imaginaire du méga-complot maçonnique spécifique du début du XIXe siècle, la série The X-Files (créée en 1993 par Chris Carter), considérée comme paradigmatique par une bonne partie de la critique consacrée aux discours complotistes [20] , peut être associée à la fixation de deux représentations conspirationnistes ayant marqué les États-Unis lors de la période de la Guerre froide : d’une part, les soupçons de complots liés aux réseaux d’espionnage et aux agences de renseignement, qui seront sans cesse convoqués après l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy en 1963, événement marquant dans l’histoire des discours et fictions complotistes ; d’autre part, les conspirations fantasmées liées aux extra-terrestres, de plus en plus présentes dans la fiction depuis l’Affaire Roswell en 1947, qui a donné lieu à une grande vague d’ufologie. S'inscrivant dans la continuité de cette période, The X-Files a pour spécificité de mêler ces deux « branches » en accusant le FBI de cacher l’existence d’un complot extra-terrestre mondial. Comme chez Dumas, la production de suspense se fonde par ailleurs sur un « style paranoïaque » allant de pair avec une dynamique de dévoilement (complexifiée, en l’occurrence, par les intrigues parallèles qui fondent la série télévisée).
Mais la notion de sérialité ne permet pas uniquement de faire émerger une continuité liée aux caractéristiques topiques et narratives de certaines fictions du complot : si on la définit comme un principe de génération des fictions méga-complotistes, elle permet également d’aborder leur évolution. On peut en effet considérer que les variations, réécritures et adaptations de bon nombre de fictions du complot depuis le début du XIXe siècle répondent à un principe de sérialité expliquant leur continuité. Ces variations, réécritures et adaptations pourraient être associées à divers épisodes d’un « grand récit » complotiste existant depuis le XIXe siècle, et dont la postmodernité n’aurait absolument pas signé la fin. Le succès commercial réitéré des fictions du complot serait dès lors lié à l’attente par le public de ce « grand récit » – un grand récit qui lui parvient par épisodes successifs, et dont il n’a cessé depuis le XIXe siècle de guetter les suites. Dan Brown semble avoir parfaitement saisi ce principe puisque ses œuvres reprennent la plupart des grands thèmes et des ficelles narratives associés au méga-complot dans l’espace nord-atlantique, relançant avec chaque nouveau roman ses lecteurs et ses chiffres de vente. Faisant sans cesse revivre un « grand récit » méga-complotiste, son œuvre produit une sorte d’effet-palimpseste qui concerne également un auteur plus subtil tel qu'Umberto Eco [21] . Chez les deux auteurs, de poncives figures de comploteurs – qui déterminent la structure axiologique d’œuvres comme le Da Vinci Code (2003) mettant en scène l’Opus Dei ou Le Pendule de Foucault (1988) faisant intervenir les Templiers – se conjuguent à un « style paranoïaque [22] » reposant sur certaines images déjà présentes dans la littérature complotiste du XIXe siècle, tels que les souterrains, les grosses clefs et diverses figurations ésotériques [23] dont la découverte va de pair avec le dévoilement progressif d’un complot (Brown) ou de l’invention d’un complot fictif (Eco).
Au-delà de ce type d’œuvres-palimpsestes, dont les auteurs ont, en l’occurrence, souvent pour spécificité d’être étiquetés « populaires » (ou se revendiquent comme tels en dépit de leur penchant pour les intrigues méta-narratives, à l’instar d’Umberto Eco [24] ), une autre dynamique débordant l’espace atlantique nord permet de penser les évolutions des fictions méga-complotistes.
Ramifications
Si elle n’est pas la seule possible, l’image de la ramification aide à caractériser les circulations extra-européennes récentes des fictions du complot, qui s’avèrent de plus en plus pluri-directionnelles à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Pour le montrer, nous nous concentrerons sur trois romans de l’espace atlantique extra-européen : Sobre héroes y tumbas du romancier argentin Ernesto Sábato (1961), Bleeding Edge du romancier états-unien Thomas Pynchon (2013), et enfin Mathématiques congolaises de l’auteur congolais In Koli Jean Bofane (2008), qui sera évoqué plus brièvement. Nous avons choisi de traiter des deux premiers auteurs en raison de leur célébrité, et, surtout, du caractère emblématique de leurs fictions. De son côté, le troisième texte a l’avantage de mettre à mal les oppositions faciles entre littérature et para-littérature – ce que révèle sa réception critique, qui l’associe de manière révélatrice tantôt à un « vrai roman », tantôt à un « roman policier [25] ».
Un premier type de ramification consiste en l’intrication très nette d’un complot local, non européen, et d’un complot global. Cette intrication concerne d’abord le roman d’Ernesto Sábato, Sobre héroes y tumbas (1961), traduit en français par Jean-Jacques Villard sous le titre Alejandra en 1967, puis réédité en 1982 dans la même traduction sous le titre Héros et Tombes. Cette œuvre foisonnante s’attache au parcours chaotique, qui fait écho au passé et au présent argentins, des personnages de la famille des Vidal Olmos, de leurs proches et de leurs ancêtres. Se détachent en particulier la mystérieuse Alejandra et son père, Fernando Vidal Olmos. Ce dernier est le narrateur de la séquence la plus célèbre du roman, « Rapport sur les aveugles » [« Informe sobre Ciegos »], l’« un des textes les plus lus et commentés des lettres d’Amérique latine [26] ». C’est grâce à cette séquence que nous en apprenons un peu plus sur ce qui tourmente Fernando Vidal Olmos : l’existence d’un mystérieux « complot des aveugles » visant à rien de moins que « dominer l’univers [27] ». Le personnage l’explique dans un passage qui constitue une incarnation littéraire exemplaire d’un « style paranoïaque » :
Hay una fundamental diferencia entre los hombres que han perdido la vista por enfermedad o accidente y los ciegos de nacimiento. A esta diferencia debo el haber penetrado finalmente en sus reductos, bien que no haya entrado e los antros más secretos donde gobiernan la Secta, y por lo tanto el Mundo, los grandes y desconocidos jerarcas. Apenas si desde esa especie de suburbio alcancé a tener noticias, siempre reticentes y equívocas, sobre aquellos monstruos y sobre los medios de que se valen para dominar el universo entero. Supe así que esa hegemonía se logra y se mantiene (aparte el trivial aprovechamiento de la sensiblería corriente) mediante los anónimos, las intrigas, el contagio de pestes […]. En cuanto al dominio mediante los sueños, las pesadillas y la magia negra, no vale ni siquiera la pena demostrar que la Secta tiene para ello a su servicio todo el ejército de videntes y de brujas de barrio, de curanderos, de manos santas, de tiradores de cartas y de espiritistas : muchos de ellos, la mayoría, son meros farsantes ; pero otros tienen auténticos poderes y, lo que es curioso, suelen disimular esos poderes bajo la aparencia de cierto charlatanismo, para mejor dominar el mundo que los rodea.
Il existe une différence fondamentale entre ceux qui ont perdu la vue à la suite d’une maladie ou d’un accident et les aveugles de naissance. C’est à cette différence que je dois d’avoir enfin pénétré dans leur retraite, bien que je ne sois jamais parvenu jusqu’aux antres les plus secrets d’où les grands pontifes inconnus dirigent la secte et donc le monde. C’est tout juste si, depuis cette sorte de faubourg, j’ai pu obtenir quelques renseignements, toujours réticents et ambigus, sur ces monstres et sur les moyens auxquels ils ont recours pour dominer l’univers. J’ai ainsi appris que cette hégémonie s’obtient et se maintient, non seulement en jouant sur la sensiblerie commune, mais encore par les lettres anonymes, les intrigues, la propagation de maladies […]. Quant à la domination par les songes, les cauchemars et la magie noire, il est sans doute inutile de démontrer que la Secte a à son service, pour l’obtenir, toute l’armée des voyants, des sorcières de quartier, des rebouteux, des tireuses de cartes et des spirites ; beaucoup d’entre eux, la majorité, sont de simples farceurs, mais les autres possèdent des pouvoirs réels et, fait étrange, ont coutume de dissimuler ces pouvoirs sous certains dehors de charlatanisme, afin de mieux asservir le monde qui les entoure [28] .
Apparemment sans défense, les aveugles dépeints ici incarnent parfaitement l’image du groupe de persécuteurs insidieux constitutive de la rhétorique complotiste, ce d’autant plus qu’ils se regroupent dans des souterrains secrets et labyrinthiques, dans une sorte de monde englouti que le critique Juan Asensio a rapproché de celui que les tableaux de Monsù Desiderio aimaient à figurer [29] . Malgré le caractère délirant de ce complot universel – nous y reviendrons –, celui-ci est situé : les souterrains sont ceux de la ville de Buenos Aires, tout comme l’ensemble du roman est ancré en Argentine [30] , dont des références très précises à l’histoire politique émaillent le texte [31] . L’intrication du local et du global est particulièrement explicite au moment où Buenos Aires est décrite comme une ville-monde, dans un passage faisant alterner envolées lyriques et notations concrètes :
Seis millones de argentinos, españoles, italianos, vascos, alemanes, húngaros, rusos, polacos, yugoslavos, checos, sirios, libaneses, lituanos, griegos, ucrasianos.
Oh, Babilonia.
La ciudad gallega más grande del mundo. La ciudad italiana más grande del mundo. Etcétera. Más pizzerías que en Nápoles y Roma juntos. “Lo nacional.” ¡Dios mío! ¡Qué era lo nacional? Oh, Babilonia.
Six millions d’Argentins, Espagnols, Italiens, Basques, Allemands, Hongrois, Russes, Polonais, Yougoslaves, Tchèques, Syriens, Libanais, Lithuaniens, Grecs, Ukrainiens…
Ô Babylone !
La plus grande ville espagnole du monde, la plus grande ville italienne du monde ! [Etc.] Plus de pizzerias que dans Naples et Rome réunies… [“Le national.” Grands dieux ! Qu’était-ce que le national ?]
Ô Babylone [32] !
C’est aussi dans une ville cosmopolite, celle de New York, qu’est situé le dernier roman de Thomas Pynchon, Bleeding Edge, dont la traduction française de Nicolas Richard est parue en 2014 sous le titre Fonds perdus. Le caractère paradigmatique de cette fiction complotiste est autant lié au « style paranoïaque » qui la caractérise qu’aux deux grands thèmes dont elle se saisit, liés à la cinquième période de prolifération des discours complotistes : internet et le 11 septembre. Le personnage principal du roman est Maxine Tarnow, une inspectrice des fraudes indépendante qui enquête sur des transferts illégaux de capitaux par une entreprise de sécurité informatique, dont le dirigeant milliardaire a intrigué pour financer des émirs au Moyen-Orient [33] . Dans ce contexte, l’une des subtilités du roman est de ne pas relier le complot financier international dont il traite à l’effondrement des tours jumelles. L’évocation du 11 septembre 2001 permet surtout, là encore, de situer le roman en le reliant au quotidien des habitants de New York, et de montrer que leur expérience même de l’événement a été construite :
Though everybody south of 14th Street has been directly touched one way or another, for much of the city the experience has come to them mediated, mostly by television – the farther uptown, the more secondhand the moment […].
Bien que chacun, au sud de la 14e Rue, ait été d’une façon ou d’une autre directement touché, pour la plupart des New-Yorkais, l’expérience est parvenue médiatisée, par la télévision pour l’essentiel – plus on remontait uptown plus le moment avait été vécu de seconde main […] [34] .
Dans un écho au nom du chef d’entreprise comploteur, Gabriel Ice, les expériences des personnages sont sans cesse médiatisées par l’écran glacial de la télévision et de l’ordinateur. Ce processus permet de situer le roman dans le quartier de Silicon Alley, la technopole de Manhattan où il se déroule principalement.
C’est de l’autre côté de l’Atlantique que s’ancre Mathématiques congolaises d’In Koli Jean Bofane. Le roman s’attache au parcours d’un jeune homme féru de mathématiques, Célio, sorte d’écho de Zadig dans le Kinshasa des années 2000. Remarqué en raison de son intelligence (et de sa manie de tout décrire par le biais de formules mathématiques), il est embauché par le dirigeant du Bureau « Information et Plans », rattaché au gouvernement du Congo-RDC, dont le but implicite est de manipuler la population. L’intrication d’un complot local et d’un complot global est perceptible à un moment clé du récit, suite auquel Célio se met à questionner de plus en plus l’intégrité de sa mission : pour étouffer « la torture et les détentions arbitraires [35] », ordonnées par le gouvernement congolais, qu’un rapporteur français s’apprête à dénoncer lors de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, le Bureau fait passer un touriste français pour un terroriste afin de simuler une opération de déstabilisation de la France visant le Congo [36] .
Chez Sábato, Pynchon et Bofane, la présence de complots de portée transnationale témoigne ainsi d’une continuité avec les fictions complotistes du premier XIXe siècle, tandis que l’ancrage de ces complots dans des contextes locaux états-unien, argentin et congolais rend compte d’une dynamique de décentrement extra-européenne voire extra-occidentale.
Mais dans les trois romans, l’image de la ramification ne correspond pas seulement à l’étendue particulière des complots, liée à un maillage entre le local et le global. Chaque œuvre se caractérise aussi par une démultiplication inquiétante des personnages liés au complot, qui perturbe le binarisme constitutif des fictions complotistes. Le processus semble a priori le plus net chez Pynchon, où la ramification des personnages impliqués dans le complot va de pair avec celle de l’intrigue. Celle-ci devient tellement tentaculaire que l’enquêtrice n’aboutit finalement à rien de tangible. « Est-ce que Maxine va tout au fond des choses ? Non – il n’y a pas de fond à atteindre [37] », note à cet égard le critique Troy Patterson. De même que Maxine, le lecteur est (comme souvent dans les romans de Pynchon) perdu face à une trame narrative qui semble aller de digression en digression. En fait, l’axiologie négative est transférée du système des personnages à une entité certes elle-même labyrinthique, mais que le narrateur ne cesse de fustiger dans le roman : le néo-capitalisme, qui est la véritable source de l’anxiété diffuse qui parcourt tout le roman [38] . La militante de gauche March déclare ainsi que « le capitalisme tardif est un racket pyramidal à une échelle globale [39] », alors qu’Igor, un ancien membre des services de défense russe, note que le « capitalisme post-tardif [est] devenu dingo [40] ». De son côté, le New-York des années 1980 est décrit par le narrateur comme en proie au sida, au crack, « sans oublier le putain de capitalisme tardif [41] ». La ramification des personnages liés au complot financier dont traite le roman n’empêche donc pas un certain manichéisme.
Il en va autrement chez Sábato et Bofane, où la démultiplication des personnages impliqués dans le complot va de pair avec un floutage de l’axiologie qui semble initialement structurer Sobre héroes y tumbas et Mathématiques congolaises. Chez Sábato, le personnage de Fernando Vidal Olmos est en effet dépeint comme torturé et néfaste pour son entourage [42] , et associé à un registre fantastique, au sens todorovien du terme, dans la séquence consacrée au complot des aveugles : à la fin de celle-ci, on ne sait pas si le complot est réel ou rêvé, « [s’]il existe ailleurs que dans l’imagination malade et dépravée du personnage persécuté par la trame infinie que la Secte a ourdie autour de lui [43] ». Chez Bofane, le personnage de Célio participe lui-même au complot étatique malgré sa droiture d’esprit : soulignant in fine que tout un chacun peut se révéler un comploteur selon les situations auxquelles il est confronté, le roman de Bofane élabore un « style paranoïaque » lié à la généralisation des personnages ambigus de comploteurs qui le peuplent, personnages dont les visées éclairées peuvent se combiner à des actions peu honorables – ou inversement [44] . Ce choix, qui concerne également Sábato, rend compte d’une mutation intéressante par rapport à l’ambivalence constitutive de la fiction du complot, qui se manifeste ici moins dans la nature du complot que dans les ramifications internes à la psyché des personnages.
*
Qu’elles concernent l’espace ou les personnages, les ramifications caractérisant les trois romans que nous venons d’aborder répondent à leur rejet de nombre d’éléments ayant trait aux idées de centre et d’universalité – rejet que d’aucuns pourront qualifier de « postmoderne » (chez Sábato et Pynchon) ou de « postcolonial » (chez Bofane). Étiqueter ces textes n’est cependant pas notre préoccupation première. Nous ne cherchons pas non plus à souligner que la structure axiologique des fictions complotistes est systématiquement floutée dans les fictions considérées comme plus littéraires : une telle affirmation serait simpliste, ce que montrent autant le manichéisme de Pynchon que la subtilité de Bofane. En revanche, il est intéressant de constater que via leur esthétique commune de la ramification, « para-littérature » et littérature cultivent finalement un même « style paranoïaque » – rejoignant pour cette raison, mutadis mutandis, les fictions à succès s’inscrivant dans la dynamique de sérialité que nous avons rapidement présentée. Ce « style » nourrit un imaginaire anxiogène qui se généralise en faisant fi des cloisonnements et des hiérarchies esthétiques habituels, et peut être associé à un registre transgénérique en voie de mondialisation. Exhiber les ressorts de cet imaginaire en se fondant sur des corpus fictionnels est peut-être l’un des moyens de lui résister lorsqu’il implique la construction de boucs-émissaires, outrepassant alors toute visée de « réenchanter le monde [45] » et/ou d’appeler à l’esprit critique.
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Notes
- [1]
Si la critique de langue française portant sur la période contemporaine préfère souvent le terme de « complot » à celui de « conspiration », davantage associé aux sociétés antiques, médiévales et d’Ancien Régime, ce n’est pas le cas dans d’autres langues romanes ni en anglais. À notre sens, les deux termes sont en tout cas à concevoir comme des synonymes.
- [2]
Voir notamment Véronique Campion-Vincent, La Société parano. Théories du complot, menaces et incertitudes, Paris, Payot & Rivages, 2005, et Pierre-André Taguieff, L’Imaginaire du complot mondial. Aspects d’un mythe moderne, Paris, Mille et une nuits, 2006.
- [3]
Voir Susan Suleiman, Le Roman à thèse ou l’Autorité fictive, Paris, Presses universitaires de France, 1983.
- [4]
Richard Hofstadter, « The Paranoid Style in American Politics » [1964], dans The Paranoid Style in American Politics and Other Essays, New York, Vintage Books, 1996.
- [5]
Nous préférerons ici l’expression de « discours complotiste » à celle de « théorie du complot ». Une théorie, au sens scientifique du terme du moins, doit être vérifiable par un protocole expérimental, ce qui n’est jamais entièrement le cas des schémas d’explication du monde fondés sur l’existence d’un complot : communément qualifiés de « théories du complot », ils sont généralement plus proches de fictions que de constructions intellectuelles correspondant à des faits avérés.
- [6]
Voir notamment Aurélie Ledoux, Frédérique Leichter-Flack et Philippe Zard (dir.) Raison publique, n°16 – « Complot et terreur », Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012 ; Emmanuel Kreis, Les Puissances de l’ombre. Juifs, jésuites, francs-maçons, réactionnaires… La théorie du complot dans les textes [2009], Paris, CNRS Éditions, 2012 ; Pierre-André Taguieff, L’Imaginaire du complot mondial, op. cit.
- [7]
Voir notamment Pierre-André Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion. Faux et usages d’un faux, 2 vol. [1992], Paris, Fayard, 2004.
- [8]
Sur la troisième et la quatrième période de cristallisation, voir Véronique Campion-Vincent, La Société parano, op. cit., ainsi que Pierre-André Taguieff, La Foire aux « Illuminés ». Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris, Mille et une nuits, 2005. Les deux ouvrages contiennent tous deux une importante bibliographie concernant les évolutions des thèmes des discours méga-complotistes.
- [9]
Voir notamment Marie Peltier, L’Ére du complotisme. La maladie d’une société fracturée, Paris, Les petits matins, 2016.
- [10]
Voir à ce sujet Jean-Marc Moura, « Entre études postcoloniales et travaux sur la mondialisation : les “Oceanic studies” », dans Françoise Aubès, Silvia Contarini, Jean-Marc Moura et al. (dir.), Interprétations postcoloniales et mondialisation. Littératures de langues allemande, anglaise, espagnole, française, italienne et portugaise, Berne, Peter Lang, 2014, p. 21-30.
- [11]
Ibid.
- [12]
Aurélie Ledoux, « Doute conspirationniste et regard critique », entretien paru dans Esprit, novembre 2015, p. 8-17, ici p. 10.
- [13]
Voir à ce sujet Max Weber, Wissenschaft als Beruf [1919], Stuttgart, Reclam, 1995, et Peter L. Berger, The Desecularization of the World: Resurgent Religion and World Politics, Grand Rapids, Eerdmans, 1999.
- [14]
Honoré de Balzac, « Préface », dans Histoire des Treize [1833], Verviers, Gérard & Cie, 1958, « préface », p. 5-12, ici p. 5.
- [15]
Ibid.
- [16]
Honoré de Balzac, L’Envers de l’histoire contemporaine [1848], dans La Comédie humaine, éd. Pierre Citron, t. 5, Paris, Seuil, 1966, p. 470.
- [17]
Ibid.
- [18]
Voir Anaïs Goudmand, « Narratologie du récit sériel. Présentation de quelques enjeux méthodologiques », dans Proteus. Cahier des théories de l’art, n°6, décembre 2013, p. 81-89.
- [19]
Voir Jean-Marie Schaeffer, L’Expérience esthétique, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2015.
- [20]
Voir en particulier Véronique Campion-Vincent, La Société parano, op cit., et Pierre-André Taguieff, L’Imaginaire du complot mondial, op. cit.
- [21]
À ce titre, l’œuvre Umberto Eco suscite l’intérêt des universitaires, comme le souligne notamment le colloque organisé par Alessandro Leiduan, « La théorie du complot dans les romans d’Umberto Eco ou le miroir du nihilisme contemporain », qui a eu lieu à l’Université de Toulon en mai 2017. Voir le site du colloque, URL : <http://sites.univ-tln.fr/theorie-complot/>, consulté le 20/01/2018.
- [22]
Un même principe de sérialité est observable au sein de l’histoire du cinéma et même au sein de l’histoire plus récente des séries : pour ne prendre qu’un seul exemple déjà abordé, X-Files (qui a aussi donné lieu à des films) peut être considéré comme la relance d’un discours méga-complotiste en vogue pendant la période de la Guerre froide.
- [23]
Si le rapport avec l’imaginaire du roman gothique est ici très net (nous remercions Nicolas Aude et Claire Gheerardyn pour leurs remarques à ce sujet), le genre du Geheimbundroman, qui se développe en Allemagne dans la seconde moitié du xviiie siècle, constitue un autre point d’ancrage « pré-révolutionnaire » de la fiction du complot, dont il nous reste à explorer la portée transnationale.
- [24]
Voir notamment Umberto Eco, Confessions d’un jeune romancier, trad. de l’anglais par François Rosso, Paris, Grasset, 2013.
- [25]
Nous renvoyons aux extraits des recensions de l’ouvrage de la rubrique « Revue de presse », dans Actes Sud [en ligne], URL : <http://www.actes-sud.fr/catalogue/aventure/mathematiques-congolaises>, consulté le 20/01/2018.
- [26]
Paulo A. Panaragua, « Ernesto Sábato, la conscience douloureuse de l’Argentine », dans Le Monde, Blog « America Latina », 01/05/2011 [en ligne], URL : <http://america-latina.blog.lemonde.fr/2011/05/01/ernesto-sabato-la-conscience-douloureuse-de-largentine/>, consulté le 20/01/2018.
- [27]
Ernesto Sábato, Sobre héroes y tumbas [1961/1991 éd. déf.], Barcelone, Seix Barral, 1993, p. 298.
- [28]
Ibid. Trad. française de Jean-Jacques Villard, Alejandra, Paris, Éditions du Seuil, 1967, p. 200.
- [29]
Juan Asensio, « Ernesto Sábato, le dernier écrivain ? », dans Études, vol. 415, n°12, 2011, p. 653-663 [en ligne], URL : <http://www.cairn.info/revue-etudes-2011-12-page-653.htm>, consulté le 20/01/2018.
- [30]
Witold Gombrowicz affirme ainsi dans son avant-propos au roman de Sábato : « J’ai passé en Argentine vingt-quatre ans de ma vie. Je ne connais aucun livre qui introduise mieux aux secrets de la sensibilité sud-américaine, à ses mythes, phobies et fascinations… » (Witold Gombrowicz, « Avant-propos », dans Ernesto Sábato, Alejandra, trad. op. cit., p. 5.)
- [31]
Voir notamment Ernesto Sábato, Sobre héroes y tumbas, op. cit., p. 172-173 (trad. op. cit., p. 124) ainsi que la fin du roman, qui intègre des séquences historiques consacrées au militaire et homme politique indépendantiste Juan Lavalle.
- [32]
Ernesto Sábato, Sobre héroes y tumbas, op. cit., p. 179-180. Trad. op. cit., p. 128. – Les passages entre crochets ont été oubliés par le traducteur, de même que l’italique, que nous ajoutons ici.
- [33]
Thomas Pynchon, Bleeding Edge, New York, The Penguin Press, 2013, p. 82.
- [34]
Thomas Pynchon, ibid., p. 327. Trad. française de Nicolas Richard, Fonds perdus [2014], Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2015, p. 419.
- [35]
In Koli Jean Bofane, Mathématiques congolaises [2008], Arles, Actes Sud, coll. « Babel », 2011, p. 161.
- [36]
Ibid., p. 61-187.
- [37]
Troy Patterson, « Fonds perdus de Thomas Pynchon : le grand roman étrange du 11 septembre », trad. de Bérengère Viennot, dans Slate, 28/09/2014 [en ligne], URL : <http://www.slate.fr/story/92193/pynchon-fonds-perdus>, consulté le 20/01/2018.
- [38]
Le critique littéraire Olivier Lamm le souligne également : « Papillonnant à sa surface de “pynchonnades” à la limite du pittoresque, ce huitième roman fait […] vrombir dans ses profondeurs une essence d’anxiété inédite, plus difficile à déceler, plus visqueuse que jamais, qu’aucun autre réel que le réel américain contemporain n’aurait pu enfanter. […] [L]es enjeux de ce faux roman policier, forme classique de la vérité indéfiniment repoussée derrière le seuil s’il en est, sont bien sûr moins de révéler les deux extrémités d’une Conspiration en cours que d’éveiller la protagoniste-détective aux modalités du chaos nouveau dans lequel elle entend agir. Ce chaos neuf, c’est celui du capitalisme financier hautement instable, fourmillant de conspirations, d’injustices et de pôles de malfaisances plus noires et tangibles que jamais auparavant dans l’histoire […]. » (Olivier Lamm, « Grand ratage », dans Fric Frac Club, s. d. [en ligne], URL : <http://www.fricfracclub.com/ffc/thomas-pynchon-fonds-perdus>, consulté le 20/01/2018.)
- [39]
« I meant late capitalism is a pyramid racket on a global scale, the kind of pyramid you do human sacrifices up on top of », Thomas Pynchon, Bleeding Edge, op. cit., p. 163. Trad. op. cit., p. 211.
- [40]
« Post-late capitalism run amok », ibid., p. 138-139. Trad. ibid., p. 183.
- [41]
« […] there was AIDS and crack and let’s not forget late fuckin capitalism, so only a few really found refuge of any kind… », ibid., p. 308. Trad. ibid., p. 396.
- [42]
Voir en particulier Ernesto Sábato, Sobre héroes y tumbas, op. cit., p. 477-511. (Trad. op. cit., p. 329-347.)
- [43]
Juan Asensio, « Ernesto Sábato, le dernier écrivain ? », op. cit.
- [44]
Si Célio quitte, certes, son poste au Bureau « Informations et Plans », c’est surtout parce qu’il est devenu apte à la manigance et à la manipulation qu’il décide à la fin du roman, poussé par les habitants de son quartier pauvre, d’entrer en politique. (In Koli Jean Bofane, Mathématiques congolaises, op. cit., p. 38 : « Célio ne s’inquiétait pas, il en avait vu d’autres. Même s’ils étaient peu nombreux à vraiment le savoir, personne parmi ceux qu’il avait croisés ne pouvait douter que l’individu, effectivement, contrôlait les opérations, déterminait les variables et semblait de longue date côtoyer les nombres et les phénomènes complexes. »)
- [45]
Voir Max Weber, Wissenschaft als Beruf, op. cit.
Pour citer cet article
Chloé Chaudet, Migrations des fictions du complot (XIXe-XXIe siècles). De la mondialisation d’un imaginaire de la paranoïa, SFLGC, bibliothèque comparatiste, publié le 01/07/2019, URL : https://sflgc.org/acte/chaudet-chloe-migrations-des-fictions-du-complot-xixe-xxie-siecles-de-la-mondialisation-dun-imaginaire-de-la-paranoia/, page consultée le 23 Novembre 2024.
Biographie de l'auteur
CHAUDET Chloé
Chloé Chaudet est agrégée de lettres modernes et maîtresse de conférences en littérature générale et comparée à l’Université Clermont Auvergne. Après avoir achevé un ouvrage, issu de sa thèse, consacré aux reconfigurations contemporaines de l’engagement littéraire (Écritures de l’engagement par temps de mondialisation, Classiques Garnier, 2016), elle poursuit ses recherches autour des liens entre littérature, politique et société à l’échelle internationale, en s’intéressant en particulier aux études transatlantiques.