Agrégation

Savoirs et fictions romanesques au XIXe siècle : des histoires de greffes

ARTICLE

À l’orée des Affinités électives, Édouard ente « sur de jeunes pieds des greffes qu’il venait de recevoir » (p. 23) [1] . Le vieux jardinier qu’Odile aime à écouter lorsqu’Édouard a quitté le château, déplore d’ailleurs la préférence des jeunes générations pour les greffes et leur dédain des vieilles « espèces précieuses » (p. 157). L’image de la greffe illustre là, de manière métaphorique au moins, la discontinuité dans l’Histoire, la rupture brutale avec un un passé « précieux ». Et sa réussite incertaine pourrait traduire les inquiétudes d’un écrivain face aux bouleversements politiques qui ont marqué en Europe le tournant des XVIIIe et XIXe siècles. La greffe a à voir avec l’invention de formes inédites et avec la possibilité d’inscrire ces formes dans une continuité.

Comme Édouard, Bouvard et Pécuchet se livrent très vite dans le roman de Flaubert à l’entretien de leurs terres et de leur jardin. Bouvard entreprend, après les premiers échecs agricoles, de s’occuper de la ferme alors que Pécuchet se livre aux plaisirs des « marcottages » et essaie « plusieurs sortes de greffes, greffes en flûte, en couronne, en écusson, greffe herbacée, greffe anglaise » (p. 85). Quelle que soit la charmante technique utilisée, le résultat sera le même : « les boutures ne reprirent pas ; les greffes se décollèrent ; la sève des marcottes s’arrêta […] » (p. 85). Le résultat n’est pas toujours à la hauteur des attentes.

La maîtrise des techniques de la greffe ne garantit pas en effet le résultat de l’opération. Les chapitres XCVI à XCVIII de Mardi chantent les louanges des talents de chirurgien de Samoa. L’Upuloin s’y livre sans succès à la greffe d’une coupelle de noix de coco sur le crâne d’un plongeur blessé et raconte qu’il parvint un jour à greffer un cerveau de cochon sur la tête d’un guerrier qui, après l’opération merveilleuse, se révéla veule et lâche. Le récit de Samoa est dûment présenté au chapitre XCVIII comme un récit enchâssé et son étrangeté, par rapport au récit principal, accentuée par l’introduction d’un chapitre digressif, intitulé « Foi et connaissance », où le narrateur cherche à distinguer l’invraisemblable et l’incroyable du mensonger ; au chapitre XCVIII, l’argument est repris pour être appliqué aux voyageurs qui, contrairement à ce que pensent les sédentaires, ne mentent pas. Le récit redoublé de la greffe a des incidences sur le récit-cadre, sur le « conte » ou sur le roman, et incite le lecteur à ne pas investir les constantes génériques ou formelles d’une valeur de vérité. Les chapitres XCVI à XCVIII indiquent au lecteur que cette greffe pourrait avoir pour conséquence le renouvellement de la forme et de la visée de la fiction romanesque.

L’analogie entre le greffon et les savoirs est séduisante. La récurrence de l’image dans les trois romans serait alors peut-être le signe que les trois œuvres ne se contentent pas d’illustrer, tout au long d’un siècle qui pourrait se définir par l’écroulement du système des Belles-Lettres et par la spécialisation croissante de disciplines savantes autonomes, les diverses modalités de l’insertion du savoir dans la fiction romanesque ; ces romans semblent s’interroger sur la nature même de ces savoirs, participer sans doute de leur définition et réfléchir aux conditions de possibilité de l’insertion du savoir dans le roman ainsi qu’aux conséquences d’une telle entreprise sur la définition de la nature et de la visée de la fiction romanesque. Ainsi les grandes perspectives d’une réflexion sur les savoirs dans la fiction et sur la fiction du savoir peuvent, à partir des trois œuvres du corpus, être formulées en ces termes :

- Peut-on intégrer dans le tissu romanesque des savoirs ?

- Les savoirs fictifs exposés par les narrateurs ou incarnés par les personnages, sont-ils autre chose que du savoir ? Cette appropriation passe-t-elle par une critique des savoirs par rapport auxquels se définirait un domaine de connaissance propre à la fiction ?

- La fiction peut-elle être instrument du savoir ? Ou encore, faut-il feindre pour connaître ?

Mais l’étude du contexte culturel dans lequel naissent ces œuvres montre assez bien qu’il s’agit moins de plaquer ces problématiques sur les textes retenus que d’observer la manière dont les romans posent eux-mêmes ces questions, en exhibent les présupposés, et proposent des réponses romanesques.

Le tournant des XVIIIe et XIXe siècles en Europe est le moment où apparaissent les acceptions contemporaines (et exclusives) des mots de science et de littérature. Les trois œuvres romanesques étudiées participent de cette évolution et illustrent en même temps des étapes de la constitution de savoirs en tant que tels, de la constitution de la littérature en tant que telle et des indices de la récurrence des interrogations sur les rapports entre sciences (ou savoirs) et littératures. Dans Romanticism and the Sciences, Andrew Cuningham et Nicholas Jardine tentent de réévaluer la place de la période dite romantique (de 1780 à 1840) dans l’histoire de l’évolution des sciences. Ils ébauchent les contours des deux révolutions scientifiques : la première est définie, au début du XVIIe siècle par la création des nouvelles mathématiques et le développement, incarné notamment par la théorie de Newton, d’une philosophie de la Nature expérimentale ; la seconde, au tournant du siècle des Lumières et de celui du Positivisme, est celle où se forme la fédération des disciplines savantes que nous appelons aujourd’hui « science » [2] .

En 1605, Francis Bacon fait publier The Two Bookes of Francis Bacon of the Proficience and Advancement of Learning Divine and Humane, où il définit les composantes du savoir humain en fonction des facultés de l’homme : « Les parties du savoir humain correspondent respectivement aux trois parties de l’entendement de l’homme, qui est le siège du savoir : l’histoire correspond à sa mémoire, la poésie à l’imagination et la philosophie à sa raison » [3] . Ces deux longues lettres adressées au roi avaient notamment pour objectif de recommander une gestion étatique des sciences existantes ou non encore constituées afin de favoriser leurs progrès et leur enseignement. Lorsque Melville, dans Mardi, en 1841, dote son narrateur-personnage de trois compagnons historien, philosophe et poète, il s’inscrit sans nul doute dans la tripartition baconienne en favorisant, derrière les dialogues des personnages, les dialogues entre les facultés de l’âme. Il ne s’agit pas ici de suggérer l’anachronisme des « savoirs » empruntés par Melville, mais de souligner qu’en mêlant dans le récit les discours de la mémoire, de l’imagination et de la raison, Melville reprend à ses fondements la question de la définition des disciplines savantes et des savoirs en revenant à la théorie des facultés. Contemporain de la seconde révolution scientifique, l’auteur américain emprunte à la première ses présupposés pour mieux penser peut-être, à deux siècles de distance, la répartition des savoirs contemporains.

Autour des années 1800, où se situe au moins le roman de Goethe, les frontières entre les disciplines en cours de spécialisation et de définition ne sont pas encore définies. L’approche critique et analytique de la Nature souvent incarnée par Newton, pour les poètes romantiques, serait la cause de la rupture entre le Moi et une Nature « autopsiée » : la séparation des facultés humaines et, notamment, de l’Imagination et de la Raison, entraînerait la perte de l’unité originelle de l’Homme et de la Nature à l’Âge d’or et l’incapacité corrélative de l’homme à comprendre la Nature. Seuls l’art et la Poésie seraient à même de rétablir cette unité perdue en recherchant le langage de la Nature. Ainsi l’art deviendrait la seule appréhension savante possible de la Nature. Coleridge, Schiller ou Richter défendent ainsi la possibilité de modes poétiques de recherche sur la nature, Fichte et Schelling voient dans les discours de la physique et de la chimie des modes de créations artistiques. Goethe, bien qu’il ait pratiqué les « sciences » spécialisées, s’oppose à la théorie de la couleur de Newton et les Wahlverwandtschaften pourraient à première vue sembler réaliser l’union de l’homme et de la Nature en illustrant une loi chimique par des comportements humains et constituer du même coup un plaidoyer contre la spécialisation des disciplines et la séparation des sciences et de la littérature qui en est le corrélat.

Goethe en 1809, Melville en 1848 et Flaubert en 1880 ont donc en commun de composer des romans qui accueillent des discours du savoir, dans un contexte où le savoir se définit par rapport à plusieurs interprétations des « sciences », à une époque où les disciplines scientifiques se constituent contre la littérature et par rapport à elle. Étudier donc Die Wahlverwandtschaften, Mardi et Bouvard et Pécuchet à l’aune des « savoirs dans la fiction » et de la « fiction du savoir » revient donc non seulement à observer, si faire se peut, l’insertion des « savoirs » et des « sciences » dans le tissu romanesque mais également à analyser la manière dont la fiction romanesque élabore des définitions possibles du ou des savoirs, dont elle contribue à la délimitation de certaines disciplines savantes en en désignant les méthodes et les limites et encore à guetter, dans ces laboratoires romanesques du savoir, l’émergence d’un savoir propre à la fiction romanesque. En posant la question de l’étrangeté possible des discours du savoir et de la fiction, en tenant de résoudre cette étrangeté par une redéfinition réciproque de la fiction et des savoirs, comment ces trois œuvres parviennent-elles à défendre la spécificité d’une vérité romanesque ?

Les savoirs dans la fiction : de la traduction à la transformation

Dans son Journal d’Italie, dès 1796, Goethe sacrifiait à l’idée d’un écart creusé entre l’histoire naturelle et les arts en soulignant la nécessité d’unir science et littérature et en déplorant qu’on ait oublié que la science s’était développée à partir de la poésie [4] . Charlotte, quant à elle, appelle de ses vœux la venue d’un « artiste assembleur » (« Einungskünstler ») qui pourrait réunir ce que les chimistes « séparateurs » (« Scheidekünstler ») ont distingué, semblant déplorer ainsi la séparation croissante des savoirs et la perte de l’unité de l’homme et de la Nature (p. 62). Flaubert prophétise dans une lettre datée du 6 avril 1853 que « la littérature prendra de plus en plus les allures de la science » [5] . L’un et l’autre écrivains constatent donc l’écart supposé séparer la science de la littérature et semblent désireux de le combler.

Certes la science n’est pas le savoir et Stéphanie Dord-Crouslé distingue soigneusement l’une et l’autre dans son étude de Bouvard et Pécuchet. Si la Science est un système d’explication exhaustive du monde, alors il convient de distinguer de la « Science » les sciences et les savoirs à l’œuvre dans le dernier roman de Flaubert : « Mais les sciences telles qu’elles se pratiquent, théorisent leurs apports et se transmettent de génération en génération, sont parasitées par des paramètres négatifs qui les éloignent irrémédiablement de la Science. Elles ne commencent pas par observer. Surtout, elles ont la présomption de vouloir expliquer des choses qui les dépassent. Elles tombent alors dans la catégorie des savoirs. Or, Bouvard et Pécuchet traite des savoirs ainsi définis, et non de la Science qui demeure à l’état d’idéal » [6] . On peut toutefois faire aussi l’hypothèse que l’insertion de la science (en tant que savoir spécialisé reposant sur un corpus, un langage et un protocole propres) dans le roman est exemplaire des obstacles rencontrés par les écrivains au moment d’intégrer le savoir dans la fiction. Dans une lettre de 1872, Flaubert ainsi se réjouit de ce que « L’abominable chapitre des sciences est terminé : anatomie, physiologie, médecine pratique (y compris le système Raspail), hygiène et géologie » [7] .

La spécialisation des disciplines savantes passe par l’élaboration d’un vocabulaire spécialisé qui devient obscur aux yeux des non-initiés. L’idée d’une nécessaire traduction du vocabulaire savant devient, au long du XIXe siècle, un véritable cliché des préfaces des ouvrages de vulgarisation savante [8] . Dans chacune des œuvres du programme surgit le constat de l’obscurité du vocabulaire savant. Dans les Affinités électives, il est le fait d’Édouard et du capitaine au moment où ils expliquent à Charlotte la loi des affinités électives : « J’avoue, dit Édouard, que ce bizarre vocabulaire technique a de quoi paraître fatigant et même ridicule à celui qui n’est pas familiarisé avec lui par un aspect sensible, par des notions » (p. 65). Le capitaine propose alors de passer par les symboles algébriques qui, à leur tour, nécessiteront une traduction : « Tu es A, ma Charlotte et je suis ton B » (p. 65). Dans Mardi, un chapitre reçoit le titre de « Xiphius Platypterus » et il faut attendre la moitié du chapitre pour que le narrateur qui a déjà entretenu le lecteur du poisson pilote et de l’espadon, se décide enfin à justifier l’emploi de ce binôme linnéen : « Le poisson dont il s’agit ici est une créature très différente de l’espadon de l’Atlantique Nord […]. On le nomme espadon indien pour le distinguer de son homologue ci-dessus mentionné ; mais les marins du Pacifique le connaissent sous le nom de Bill, tandis que – les amateurs de science et de vocables difficiles seront ravis de l’apprendre – les savants naturalistes l’ont gratifié de l’extravagante dénomination de Xiphius Platypterus » (p. 96). L’extravagance du nom dit assez son inutilité. Il faut aller peut-être plus loin : le nom, connu d’un petit nombre seulement de spécialistes, ne désigne rien pour le commun des mortels. Il est un nom sans référent.

La nomenclature aride de la géologie rebute également Bouvard et Pécuchet : « Ce n’était pas une mince besogne avant de coller les étiquettes, que de savoir les noms des roches ; la variété des couleurs et du grenu leur faisait confondre l’argile avec la marne, le granit et le gneiss, le quartz et le calcaire.

Et puis la nomenclature les irritait. Pourquoi dévonien, cambrien, jurassique, comme si les terres désignées par ces mots n’étaient pas ailleurs qu’en Devonshire, près de Cambridge, et dans le Jura ? Impossible de s’y reconnaître ! ce qui est système pour l’un est pour l’autre un étage, pour un troisième une simple assise » (p. 149).

Le vocabulaire savant (celui des sciences comme celui de la philosophie) procède à la fois de l’invention de nouveaux vocables et de l’emprunt au vocabulaire commun de termes qui vont être redéfinis en fonction de leur référent et de la visée de la discipline qui s’en empare. Mais l’expérience que font Bouvard et Pécuchet de l’usage commun de termes de la Logique et de la Métaphysique aboutit à un constat désespéré : « le fameux cogito m’embête. On prend les idées de choses pour les choses elles-mêmes. On explique ce qu’on entend fort peu, au moyen de mots qu’on n’entend pas du tout ! Substance, étendue, force, matière et âme, autant d’abstractions, d’imaginations » (p. 316). Il faudrait, pour que le vocabulaire savant puisse être compris par tous, traduire à nouveau dans les termes communs à tous des mots qui ont été empruntés au vocabulaire commun, dégagés de leurs sens et réinvestis de sens particuliers ; mais on risque alors de trahir l’idée exprimée.

L’explication de la loi des affinités électives, au chapitre IV du roman de Goethe, naît a priori d’un malentendu sur les sens commun et savant du terme employé : Charlotte, en entendant le terme d’affinités, aurait songé aux affinités entre les êtres humains et avait été distraite un instant de la lecture. Elle justifie ensuite sa demande d’explication du sens dans lequel le mot est employé dans l’ouvrage savant par le constat que « rien ne rend plus ridicule en société que d’employer à faux un mot étranger, un terme technique », insistant dès lors sur l’étrangeté du vocabulaire savant, en particulier lorsqu’il est emprunté au langage commun (p. 58). Pendant le long dialogue qui clôt le chapitre, Charlotte ne cesse de traduire l’explication chimique en termes d’affinités humaines ; elle élargit alors le domaine d’application de la loi chimique au comportement des hommes et des sociétés et conclut une première fois le dialogue en réaffirmant l’identité entre le vocabulaire savant et le vocabulaire moral ou, du moins, en rétablissant les affinités dans leur acception première.

La conclusion apportée par Charlotte au dialogue est assez paradoxale. Après avoir loué le jeu des analogies, l’apprentie chimiste déduit de tout le dialogue que « l’homme est à bien des degrés au-dessus de ces éléments » et que « s’il s’est montré ici assez généreux de ces beaux mots de choix et d’affinités électives, il fera bien de rentrer en lui-même, et de réfléchir, à cette occasion, à la valeur de ces expressions » (p. 63-64). Le personnage désigne le détour par l’explication savante comme l’occasion de mieux réfléchir à l’acception « humaine » et « commune » du terme. Dans le même temps, son propos met en évidence les limites de l’analogie qu’elle a sans cesse tracée entre l’homme et les éléments chimiques. La « traduction » du vocabulaire savant se donne en même temps que ses propres limites et le vocabulaire savant apparaît in fine comme une variante permettant de faire retour à un sens et à un savoir premiers – celui dont l’objet est l’Homme. Il y a traduction et, dans le même temps, transformation d’un savoir naissant en un autre savoir, présenté ici par la protagoniste comme plus essentiel que le discours scientifique et apte à le concurrencer le discours.

Goethe justifiait le choix de son titre dans une lettre datée de juillet 1809 en montrant à la fois combien la notion chimique pouvait sembler étrangère à la poésie et combien elle lui offrait cependant un objet privilégié : « Die sittlichen Symbole in den Naturwissenschaften (zum Beispiel das der « Wahlverwandschaft », vom groβen Bergman erfunden und gebraucht) sind geistreicher und lassen sich eher mit Poesie ; ja mit Sozietät verbinden, als alle übrigen, die ja auch, selbst die mathematischen, nur anthropomorphisch sind, nur daβ jene dem Gemüt, diese die Verstande angehören » ( « Les symboles moraux dans les sciences de la Nature (comme par exemple celui des affinités électives, découvert et utilisé par le grand Bergman) sont spirituels et se laissent associer à la poésie et à la société mieux que tous les autres qui, même mathématiques, sont aussi anthropomorphiques mais appartiennent au domaine de l’entendement, là où les premiers appartiennent à celui des sentiments ») [9] . La fiction pourrait ainsi se réapproprier le discours savant de la chimie et transformer ce savoir en lui inventant un nouveau domaine d’application, en en faisant le point de départ d’un nouveau savoir.

René Taton, dans son Histoire des sciences, retrace fort bien les errances de la notion d’affinités dans les différents domaines savants avant que les chimistes Bergman (cité par Goethe) et Priestley (cité curieusement par Melville dès le second chapitre de Mardi) ne la définissent et ne l’illustrent par des tables d’affinités [10] . Il rappelle que la notion fut d’abord employée par les alchimistes en guise de synonyme des « sympathies », puis par les « physiciens » (par Newton) et les mathématiciens avant d’apparaître comme un terme savant réservé propre à la chimie naissante.

L’article que Guyton de Moreau consacre à l’« affinité » dans l’Encyclopédie méthodique, en 1786, s’ouvre par le constat d’une grande plurivocité du terme, heureusement résolue par ses contemporains, selon l’auteur : « On nomme ainsi en Chymie la force avec laquelle des corps de nature différente tendent à s’unir. Ce terme qui, dans le sens propre & originel, n’indique qu’une liaison voisine de la parenté, qui, dans le discours figuré, ne s’applique guère qu’à des rapports moraux ou métaphysiques, est aujourd’hui l’expression d’une action purement physique. L’usage en a passé dans toutes les langues vivantes […] . L’illustre Bergman a préféré l’expression d’attraction élective, comme indiquant, sans figure, le principe de la combinaison des corps, comme étant par cela même une dénomination plus conforme à la sévérité qui convient à la Langue d’une science exacte » [11] . Les propos de Guyton de Moreau montrent la nécessité, selon le savant, de distinguer le vocabulaire savant du vocabulaire commun auquel le premier emprunte un certain nombre de ses dénominations et de distinguer, à l’intérieur du domaine savant, des termes qui ne relèvent pas du même mode d’analyse ou d’étude de la Nature. Certes les Affinités électives sont publiées plus de dix ans après l’article de l’Encyclopédie méthodique, mais lorsque Claude-Louis Berthollet publie en 1803 son Essai de statique chimique, l’idée d’un langage chimique modélisé n’est pas encore admise de tous ses confrères savants.

La démarche de Goethe est en quelque sorte analogue à celle des chimistes contemporains. Il retrouve dans ce terme son origine et sa plurivocité et décide de lui fixer un nouveau domaine d’application (celui de la fiction) comme le font aussi les chimistes. Le savoir est ici transformé mais demeure un savoir, concurrent du savoir chimique qui use des mêmes termes que lui. Si tout savoir naît de la littérature en s’arrachant à elle, la littérature peut aussi créer de nouveaux savoirs et concurrencer, par l’emploi et la redéfinition des mêmes termes, les sciences naissantes.

Le même commentaire pourrait être fait à partir du traitement de la loi chimique des affinités dans Mardi de Melville. Celle-ci apparaît en effet au chapitre XCV pour expliquer les relations qui se tissent entre le silencieux Jarl et le truculent roi Borabolla – incarnation dans le récit de Rabelais, d’Alcofrybas Nasier et des compagnons rabelaisiens : « Chose étrange, dès le début notre gros hôte avait regardé mon Viking avec la plus grande sympathie. Chose plus étrange encore, ce sentiment se trouvait payé de retour. Et pourtant ils étaient si différents, Borabolla et Jarl ! Mais il en va toujours ainsi. De même que le convexe ne s’ajuste pas au convexe mais au concave, les hommes s’accordent par leurs contraires et la forme arrondie de Borabolla s’ajustait à la surface creuse de Jarl.

Mais encore ? Borabolla était jovial et bruyant, Jarl réservé et taciturne ; Borabolla était roi, Jarl un vulgaire Skyois. Comment pouvaient-ils s’apparier ? Très simple, je le répète, parce qu’ils étaient hétérogènes, et par conséquent pleins d’affinités. Mais comme l’affinité entre le chlore et l’hydrogène, chimiquement opposés, ne se déclenche que sous l’effet de la chaleur, l’affinité entre Jarl et Borabolla se déclencha sous l’action ardente du vin qu’ils avaient bu au festin » (p. 262). La loi chimique des affinités se mêle comme dans le récit de Goethe à l’ancienne théorie de la sympathie pour redonner à l’expression d’affinité sa double acception de combinaison chimique et d’attirance et retrouver en quelque sorte l’unité perdue entre la Nature et l’Humain depuis l’appropriation par la chimie de notions morales ou métaphysiques. Comme l’écrit Gillian Beer dans Open Fields : Science in Cultural Encounter : « Interdisciplinary studies do not produce closure. Their stories emphasize not simply the circulation of intact ideas across a larger community but transformation : the transformations undergone when ideas enters other genres or different reading groups, the destabilizing of knowledge once it escape from the initial group of co-workers, its tendency to mean more and other that could have been foreseen[12] .

Sources littéraires et savantes

Les symptômes romanesques de l’insertion des savoirs dans la fiction romanesque peuvent être non seulement les déclarations de l’étrangeté du discours usité mais aussi les mentions de sources étrangères auxquelles on emprunte. Les trois auteurs se rejoignent en ce qu’ils ne se contentent pas de faire référence, de manière implicite ou non, à des corpus relevant de savoirs a priori distincts du savoir littéraire ; ils mettent en scène, à l’intérieur du texte de fiction, la manière dont on peut s’approprier un savoir et élargissent très vite leurs sources au domaine de la littérature comme s’ils réconciliaient, par l’usage des sources, les savoirs et les littératures qui prétendent se distinguer les uns des autres.

Mardi et Bouvard et Pécuchet se ressemblent par la multitude des noms d’auteurs et de savants explicitement mentionnés. Mais l’intertextualité dans Mardi a quelque chose de très spécifique : Melville, comme Flaubert, indique dans son roman le nom de nombreux savants contemporains mais il en use de telle sorte que le lecteur ne puisse mesurer ce que le roman peut devoir aux théories du savant ou de l’écrivain en question. Là où le narrateur de Bouvard et Pécuchet résume, ne serait-ce qu’au discours indirect libre, les ouvrages lus par ses deux protagonistes, Melville n’use presque jamais de citations d’œuvres « réelles ».

Certes le discours dont use le narrateur flaubertien ne permet pas immédiatement au lecteur de juger de l’exactitude avec laquelle il rend compte des livres cités à moins que ce même lecteur ne connaisse les théories savantes et ne puisse alors faire la part de ce que le résumé doit à l’auteur ou à la lecture et à l’interprétation qu’ont faites du livre les deux apprentis savants ou le narrateur. Mais Melville va plus loin, comme si le contenu de l’intertexte importait moins que la manière dont il s’inscrira dans le texte, comme si les seules connaissances que devait acquérir le lecteur étaient celle du nom de l’auteur cité et celle de ce qu’en dit le narrateur de Mardi.

La première apparition, dans le premier chapitre de Mardi, de noms d’écrivains réels, rend assez explicite ce jeu avec l’intertexte qui parcourt tout le roman : aux deux auteurs de manuels de navigation (Bowditch et Hamilton Moore) dont les ouvrages composent la bibliothèque du capitaine de navire, le narrateur affirme préférer « Burton », auteur en 1621 de The Anatomy of Melancholy et maître dans l’art de la citation ! L’ouvrage de Burton, pour Mardi, fait office de modèle poétique et introduit par son seul nom la présence dans le texte d’une érudition surabondante qui ne se distingue pas toujours du récit-cadre. Le Démocrite junior anglais est aussi le premier dans Mardi de ceux dont les noms forment la longue liste des philosophes et lettrés européens qui sont désignés dans le texte comme des « amis » ou des « compagnons » du narrateur, à l’exemple du « vieil oncle Johnson » désignant au chapitre XIII le moraliste Samuel Johnson (p. 41). Parfois même, narrateurs et personnages s’identifient à d’autres héros fictifs célèbres, tels que Faust ou Manfred ; dans la fiction n’est établie aucune frontière entre auteurs « réels » et personnages fictifs. Le roman ne fait pas signe vers un savoir extérieur : tout emprunt au discours savant ou littéraire est toujours déjà romanesque.

Le contraste est grand entre Mardi où la multiplicité des sources finit par perdre et décourager les amateurs d’intertextualité (ce qui est sans doute le but visé) et Les Affinités électives où Goethe réserve fort peu de place à la référence explicite aux noms de savants ou d’écrivains. Il n’y a dans les Affinités électives qu’une unique exception au silence maintenu sur les sources savantes. Dans les extraits du journal d’Odile de la seconde partie est mentionné le nom de Humboldt : « Seul le naturaliste est digne de respect qui sait nous dépeindre et nous représenter l’insolite, le singulier, avec son ambiance, son voisinage, toujours dans l’élément qui lui est le plus spécifique. Que j’aimerais à entendre, ne fût-ce qu’une fois, Humboldt conter ! » (p. 241). La référence est savoureuse : Alexander von Humboldt ne mérite de figurer au panthéon des naturalistes que pour ses talents de peintre et de conteur. Il est celui qui réconcilie la science et l’art littéraire et n’est un grand savant que parce qu’il est un grand écrivain. Et cette remarque d’Odile, loin de trahir la pensée du naturaliste allemand, s’applique fort bien aux préoccupations de ce dernier qui, à la fois, constate la séparation des discours savants et littéraires et qui entreprend de renouveler la poétique du discours savant afin qu’il soit digne toujours de relever de la Poésie. Goethe a sans doute à l’esprit les Tableaux de la Nature que Humboldt publia pour la première fois en 1808 et qui lui valurent la réputation de peintre.

Non seulement les romanciers commentent les emprunts qu’ils font à des discours a priori étrangers à la fiction pour montrer souvent combien cette étrangeté est fausse, mais ils composent aussi des scènes de lecture où se joue, en miroir, la capacité pour le lecteur d’acquérir au moins par les livres une quelconque connaissance.

Flaubert varie à loisir l’introduction dans le récit des lectures récurrentes de Bouvard et Pécuchet : il peut en résumer le propos de manière plus ou moins détaillée, comme dans le cas des Époques de la Nature de Buffon (p. 139) ou du Cours de philosophie à l’usage des classes de Monsieur Guesnier (p. 303) dont la structure dicte celle du dialogue qui suit ; il peut aussi énumérer rapidement les noms des auteurs consultés en les assortissant de résumés très brefs comme dans le cas des définitions du Beau (p. 219). Les résumés sont le plus souvent mis au compte du narrateur qui raconte ce que les personnages retiennent de la lecture autant que l’ouvrage lui-même ; mais le lecteur peut aussi avoir accès directement aux commentaires dialogués des personnages. À l’exposé du contenu se mêlent parfois des remarques formelles dont il est difficile de savoir s’il faut les mettre au compte des lecteurs fictifs ou du narrateur. Enfin la lecture elle-même peut être apparemment complète et continue mais elle peut se limiter aussi à des extraits si l’œuvre, à l’instar de l’Éthique de Spinoza, effraie trop les deux protagonistes. Parmi les ouvrages techniques s’introduisent des ouvrages de vulgarisation savante (dont relèvent par exemple les lettres de Joseph Bertrand, les ouvrages de Buffon et de Cuvier) dont le statut (littéraire ou savant) est par essence problématique. Mais Bouvard et Pécuchet pratiquent sur les romans de Balzac et les comédies de Molière le même type de lecture que sur les ouvrages médicaux ou historiques et les critiques formulées par eux à l’égard de la littérature documentaire ou de l’Histoire comme invention sont souvent le reflet de polémiques contemporaines. Le savoir se donne à lire en même temps que la manière dont le roman se l’approprie. Les scènes de lecture (ou les dialogues qui suivent la lecture) mettent en abyme les manières de lire ainsi que les résultats, fort peu satisfaisants, de ces lectures. Et le lecteur du roman de Flaubert est bien contraint de lire les multiples réécritures romanesques des discours ou des récits savants.

La même interprétation vaut également pour le chapitre CLXXX de Mardi qui est consacré tout entier aux commentaires dialogués des compagnons et du noble roi Abrazza sur un livre imaginaire intitulé Kostanza. L’ouvrage est dit « étrange », « extravagant » et, finalement, « désordonné, sans liens, tout en épisodes » (p. 541) ; il ressemble ainsi étrangement à Mardi lui-même. Le dialogue des lecteurs-personnages reflète l’affrontement entre divers modes d’appréciation de la qualité de l’ouvrage et l’incompréhension finale des compagnons dont certains avouent n’avoir pas lu l’ouvrage mime par avance l’incompréhension des lecteurs de Mardi ; sans doute faut-il comprendre par là qu’il peut être utile de se départir d’un certain nombre d’habitudes de lecture pour comprendre les vérités que recèle, comme tout autre savoir, la fiction romanesque.

L’usage absolument identique que Flaubert et Melville réservent aux sources savantes ou littéraires déclarées est le signe que le roman n’est pas le lieu d’où peut émaner un discours supérieur aux autres. La fiction romanesque réfléchit aux savoirs comme elle réfléchit aussi à la littérature et au roman.

Limites romanesques du savoir

Il semble évident, dans la période qui sépare la grande Encyclopédie des Cours de philosophie positive, que l’on assiste à une séparation croissante des savoirs qui se définissent les uns par rapport aux autres et semblent encore pouvoir être classés et hiérarchisés dans des textes encyclopédiques. Faire le tour des connaissances, jusqu’aux grands dictionnaires des polygraphes du XIXe semble encore possible ; mais cette entreprise apparaît comme déjà menacée par la spécificité croissante des savoirs érigés en disciplines scientifiques. Cette tension entre l’idéal encyclopédique et les obstacles qu’il rencontre parcourt chacune des œuvres et permet de décrire le rôle qu’y joue la mise en intrigue.

Si l’intrigue, dans le genre romanesque, est la mise en ordre des événements racontés, si elle établit entre les composantes romanesques une certaine logique et une certaine hiérarchie, elle pourrait être mise à profit par les romanciers pour intégrer dans le tissu romanesque les éléments étrangers et perturbateurs que peuvent constituer les discours des savoirs. Elle pourrait même rétablir une unité entre des savoirs dont la spécialisation est croissante et faire du roman le lieu d’une nouvelle unité des savoirs. Le roman emprunterait à l’encyclopédie sa structure et sa construction illustrerait un discours sur les savoirs. Inversement, le volume énorme occupé par l’exposé des divers savoirs pourrait dans nos trois récits constituer la clef d’une intrigue qui, du point de vue des événements romanesques, est souvent ténue. Or, dans les trois romans au programme, la logique savante et encyclopédique perturbe autant la logique romanesque que celle-ci ne perturbe la logique savante.

Le récit des Affinités électives repose sur une intrigue amoureuse et romanesque presque clichéique. Cette intrigue est cependant renouvelée dès le chapitre IV en trouvant une formulation algébrique absolument originale dans la loi des affinités. Il revient même à Édouard de formuler la traduction de la loi chimique des affinités en termes de relations romanesques : « Tu es A, ma Charlotte, et je suis ton B ; car je ne dépends vraiment que de toi seule et je te suis comme B suit l’A. Le C est évidemment le capitaine qui, cette fois, me soustrait quelque peu à toi. Or il est juste que, si tu ne veux pas te dissoudre dans le vague, on te trouve un D, et c’est, sans aucun doute, la gente demoiselle Odile, à la venue de laquelle tu ne dois pas t’opposer plus longtemps » (p. 65). On peut sourire de cette traduction fort erronée et y lire l’aveuglement d’Édouard ; mais on peut aussi observer la manière dont l’intrigue dément ce premier schéma romanesque et, par la volonté finale d’Odile de ne pas céder à Édouard, brouille la logique simple de la loi des doubles affinités.

Ni l’intrigue de Mardi, ni celle de Bouvard et Pécuchet ne se présentent de la sorte comme l’application romanesque d’une loi savante. Ces deux romans ont davantage en commun de nier a priori toute mise en intrigue ou, du moins, de renoncer au moindre fil narratif ébauché pour mieux permettre l’énumération de très nombreux savoirs : c’est là qu’il est alors tentant de chercher à découvrir dans ces récits les principes d’une encyclopédie romanesque. [13]

Mardi s’ouvre comme un récit de voyage baleinier ; le récit est très vite menacé par l’ennui d’une pêche si infructueuse que le navire tourne en rond. La fuite du narrateur et de son compagnon Jarl est la promesse d’un récit d’aventures tel que ceux que Melville a déjà livrés avec Typee et Omoo. Mais la rencontre de la belle Yillah change l’itinéraire des voyageurs qui pénètrent dans l’archipel de Mardi. L’intrigue amoureuse, exotique qui plus est, se noue aussi vite qu’elle se dénoue grâce à la disparition de la Belle. La quête devient alors le motif d’un récit en archipel qui se traduit, du point de vue narratif, par l’énumération des îlots abordés.

Le chapitre LXV de Mardi où se dessine le projet de faire le tour de l’archipel annonce le voyage cyclique et exhaustif qui mime le parcours dans les savoirs que peut représenter l’encyclopédie. Taji, désireux de « quitter Odo et [de] chercher à travers tout l’archipel de Mardi » (p. 178) se voit doté de quatre compagnons dont les motivations ressemblent fort au projet encyclopédique de faire le tour des connaissances : au roi et demi-dieu Média, séduit à l’idée de pousser ses explorations dans l’archipel sur lequel il règne, s’ajoutent l’historien Mohi, le poète Youmi et le philosophe Babbalanja qui « rêvaient depuis quelque temps de faire le tour de l’archipel, Babbalanja en particulier, qui avait souvent manifesté le plus vif désir de visiter toutes les îles, en quête de je ne sais quel objet auquel il faisait de mystérieuses allusions » (p. 179). Mais l’exhaustivité affichée de la quête est très rapidement menacée par l’arbitraire des choix opérés par les personnages ou par les conditions de la navigation.

Déjà au chapitre CVI, Babbalanja avait décrété en approchant de l’île de Maramma qu’« il y a peu d’apparence que celle que nous avons perdue soit ici » (p. 286). Au chapitre CXXVIII où le philosophe fait à nouveau remarquer au roi que Yillah ne saurait se trouver à Pimminé et lui demande pourquoi il faut débarquer là, le roi répond : « Tel est mon bon plaisir, Babbalanja » (p. 356), mettant en scène par sa réponse le caractère arbitraire de l’itinéraire choisi. Au chapitre CXXXVII, effrayés par la multiplicité des îles qui les entourent, le roi Média et le philosophe Babbalanja reconnaissent d’ailleurs l’impossibilité de sonder tout l’archipel : « nous devons renoncer à visiter une grande partie de l’archipel, car nous ne pouvons pas rechercher Yillah partout, noble Taji » (p. 387). À cette déclaration de non-exhaustivité s’ajoute le fait que les hasards de la navigation entraînent la visite d’îles imprévues, comme l’île des Fossiles au chapitre CXXXII, et font obstacle aux prévisions des voyageurs : les courants et le vent les condamnent ainsi à tourner autour de l’île de Kalédoni et le titre du chapitre établit alors une stricte équivalence entre le savoir et l’intrigue du voyage : « Ils tournent autour d’une île sans y débarquer et autour d’une question sans la résoudre » (p. 436). Discours et récit se valent ou, pour le dire autrement, « fiction » et « diction » coïncident parfaitement : faire le tour de Mardi est faire le tour des discours qui disent Mardi.

À l’arbitraire de l’itinéraire poursuivi par Taji et ses compagnons fait écho, dans le roman de Flaubert, le hasard des expérimentations malheureuses qui poussent Bouvard et Pécuchet à explorer de nouvelles sciences sans que jamais par la suite ils ne fassent retour aux expériences initiales. L’échec cuisant des conserves amène ainsi les protagonistes à penser qu’ils ne savent pas assez la chimie et le second chapitre s’achève, en guise de transition par une interrogation : « c’est que, peut-être, nous ne savons pas la chimie » (p. 115). En réponse à ce doute, le chapitre suivant décrit le désir de l’apprentissage de la chimie qui conduit les deux héros à interroger le médecin chez qui un recueil de planches anatomiques les oriente vers l’étude du squelette humain. Quand s’esquisse une relation logique entre les disciplines, elle est aussitôt niée par la succession des expériences racontées : ainsi Bouvard et Pécuchet consultent-ils à juste titre le médecin parce qu’ils estiment les progrès de la médecine liés au développement de la chimie organique. Mais l’ignorance du médecin, qui dit la concurrence entre des savoirs exclusifs, les détourne alors vers la médecine pratique. De conserves, il ne sera plus question.

Aucune hiérarchie n’est définitivement établie entre les différents domaines du savoir ni dans Mardi, ni dans Bouvard et Pécuchet et l’intrigue romanesque, supposée mettre en ordre et établir une continuité logique, est soit réduite à son plus simple appareil (la quête d’un objet mystérieux dans un archipel, la retraite de deux citadins), soit mine de l’intérieur toute entreprise de mise en ordre. Cela pourrait aussi bien valoir pour les Affinités électives dont la seconde partie peut être décrire comme un défilé de visites assez peu motivée.

La forme encyclopédique ne repose pas seulement sur l’exhaustivité ; elle entreprend aussi d’établir un ordre et une hiérarchie parmi les différents savoirs. Elle n’est brandie par les romanciers que pour être dénoncée comme un leurre. Autant qu’une critique a posteriori du modèle encyclopédique, on pourrait lire également dans la tension entre exhaustivité et sélection ou entre liste et système qui parcourt au moins deux de nos romans, l’explicitation par les romanciers d’apories constitutives de l’encyclopédie elle-même. Car après tout, le XVIIIe siècle n’a pas le privilège des encyclopédies et l’année 1865 voit encore paraître le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse qui tient du dictionnaire encyclopédique. Dans sa préface, Larousse aborde la question délicate de la composition d’une encyclopédie en fonction des disciplines existant, se demande si l’encyclopédie est une forme préétablie plaquée sur un certain état du savoir ou si elle n’est pas le texte qui crée et définit, par sa composition, les disciplines savantes, puis s’interroge sur la nécessité d’achever un texte qui doit pouvoir intégrer en son sein les futurs progrès scientifiques. En ce sens alors, il faudrait moins lire les intrigues romanesques comme des défaites du modèle encyclopédique que comme des encyclopédies mettant elles-mêmes en évidence leurs propres limites.

On ne peut guère non plus se fier aux narrateurs pour décider de la préséance, pour parvenir à la Vérité, de tel ou tel savoir. La critique la plus virulente d’un savoir établi en une discipline savante est celle qui parcourt les extraits du journal d’Odile au chapitre VII de la seconde partie. Curieusement, la science visée est celle sans doute qui influença le plus la littérature du temps : l’histoire naturelle

Conçue comme la science de l’étrange peu à même de faire comprendre à l’homme le monde qui l’entoure, l’histoire naturelle est strictement condamnée par Odile. Le savoir qui est visé là pourrait être celui des cabinets de curiosités qui se préoccupaient moins de faire le tour des composantes de la Nature que de livrer la description de monstres ou de merveilles : il n’est pas l’histoire naturelle à visée exhaustive telle que la pratiquent déjà depuis un demi-siècle Buffon et Linné. En ce sens, la critique pourrait être mise au compte de Goethe et viser moins le discours et la visée de l’histoire naturelle contemporaine que les dérives d’une ancienne compréhension de la Nature. Mais le propos est également contemporain des thèses de Geoffroy Saint-Hilaire visant à démontrer, par l’étude des cas monstrueux, la présence de grandes tendances dans la Nature permettant de comprendre la répartition des espèces à partir de l’unité de plan. Odile se ferait l’écho alors des théories dites « fixistes » contre les théories « transformistes » auxquelles Goethe a accordé un intérêt tout particulier en relatant la querelle des Analogues. Il est, en d’autres termes, fort difficile de savoir si l’on doit prendre au sérieux cette critique ou s’il faut y lire une condamnation, par l’auteur, des critiques d’Odile, teintées d’un sentiment religieux fort archaïque. D’autant que le narrateur brouille les pistes en suggérant plusieurs origines possibles de ces remarques : « Cet incident doit cependant avoir donné lieu à une conversation dont nous trouvons les traces dans le journal d’Odile » (p. 240).

L’opposition non résolue entre des personnages incarnant la maîtrise d’un certain savoir est aussi ce dont use Herman Melville pour composer des dialogues entre les compagnons de l’archipel. Les chapitres LXIX, XCIII et CXV de Mardi se ressemblent étonnamment en ce que l’historien, le poète et le philosophe y racontent tour à tour des légendes critiquées à chaque fois par leurs compagnons : à l’historien s’oppose le philosophe qui lui reproche de raconter des fables, au poète s’oppose ensuite l’historien qui reproche au premier d’imaginer des faits et le philosophe verra son conte interrompu par l’historien qui lui reprochera à son tour le manque de véracité historique et le manque de vraisemblance de ses dires. Certes Histoire, Mémoire et Raison s’opposent à tour de rôle en faisant apparaître les limites des autres types de savoirs et les contradictions mettent en exergue le caractère exclusif des visées de chacun de ces types de savoirs. Mais, en faisant en sorte que les trois savants racontent une légende, l’écrivain met en évidence le fait qu’on n’accordera pas la même valeur de vérité à un même texte selon son appartenance affichée à un savoir donné.

Les contradictions irrésolues entre divers modes d’explication du monde prennent également, dans Bouvard et Pécuchet, la forme de dialogues animés, bien souvent entre les deux personnages principaux et le curé. Les théories géologiques transformistes s’opposent ainsi à la Genèse à la fin du troisième chapitre où ni les tenants de l’un, ni ceux de l’autre ne l’emportent véritablement. La discussion se clôt par une nouvelle énigme savante : celle des aurores boréales. Mais l’absence du narrateur n’est jamais aussi manifeste que lorsque nous sont exposées des contradictions internes à chaque savoir. Non seulement sont alors énumérées, bien souvent, des théories contradictoires, mais Bouvard et Pécuchet s’empressent aussi d’adopter des points de vue contraires qui leur permettent de s’affronter sans qu’aucun compromis ne mette fin à leurs dialogues. Si l’ironie du narrateur vise ici des personnages qui ne comprennent rien, elle vise aussi sans doute des savoirs qui tous prétendent à la Vérité et qui cependant se succèdent en annihilant les théories précédentes.

Cela vaut aussi bien des sciences humaines que des sciences naturelles. Ainsi, l’intérêt de Bouvard et Pécuchet pour la géologie et pour la question de l’origine du monde passe-t-il par un résumé très fidèle de la thèse fixiste et catastrophiste de Georges Cuvier (il n’y a eu qu’une seule Création du monde, mais des cataclysmes ont entraîné la re-création des mêmes espèces à différentes époques) pour aboutir au résumé, par le narrateur, d’un article de journal qui se fait l’écho des thèses transformistes et qui nie les cataclysmes défendus par Cuvier pour plaider en faveur d’une transformation progressive des espèces. À l’enthousiasme de Bouvard et Pécuchet pour le Discours sur les révolutions du globe succède un nouvel enthousiasme pour les théories transformistes sans que rien d’autre que la déception des deux apprentis-géologues ne vienne rationnellement justifier la supériorité scientifique de l’une ou l’autre de ces thèses encore contemporaines du roman : « Cuvier jusqu’à présent leur avait apparu dans l’éclat d’une auréole […] ; leur respect pour ce grand homme diminua » (p. 154).

Le personnage de Babbalanja, dans Mardi, profite aussi de l’exposé des différentes hypothèses géologiques de la création du monde pour suggérer leur caractère arbitraire. Interrompu une première fois après son exposé de la théorie dite plutonienne de l’origine volcanique des terres émergées, le philosophe propose de « prendre alors une autre théorie » (« neptunienne » celle-là) de l’origine organique de la terre (p. 370-371). L’interprétation romanesque qu’il donne des théories récentes de Charles Lyell lui vaut les félicitations du roi Média, louant la capacité du savant à recréer le monde en quelques minutes. Le philosophe se moque alors lui-même du bien-fondé de sa théorie : « Une bagatelle pour nous géologues, monseigneur. Au premier signe, nous pouvons vous servir des systèmes entiers, soleils, satellites et astéroïdes compris » (p. 371). Aucune des explications savantes ne l’emporte sur l’autre et toutes sont susceptibles de n’être que des systèmes imaginaires s’opposant les uns aux autres sans qu’aucune preuve ne vienne décider de leur Vérité.

Des conditions de possibilité de la fiction savante

En 1848, Melville annonçait dans une lettre à son éditeur John Murray la réorientation de son récit : « Mon objet en vous écrivant aujourd’hui – j’aurais dû le faire plus tôt – est de vous informer d’un changement dans mes projets. Pour dire les choses rondement : le prochain ouvrage que je publierai sera, tout à fait sérieusement, un « Roman d’Aventure Polynésienne » - Mais pourquoi cela ? La vérité, Monsieur, est que l’accusation réitérée d’être un romancier déguisé m’a incité finalement à prendre la résolution de montrer à ceux qui prennent quelque intérêt à la chose, qu’un véritable roman de moi n’est pas Taïpi ou Omoo, mais est fait d’une toute autre étoffe. […] Quant à savoir s’il est de bonne politique de sortir un roman reconnu comme tel sur les talons de deux livres de voyages qui ont été reçus dans certains quartiers avec une bonne dose d’incrédulité – Cela, Monsieur, est une question dont je me soucie peu, à vrai dire. – Mon instinct est de donner le jour au Roman, et laissez-moi vous dire que les instincts sont prophétiques et valent mieux que la sagesse acquise » [14] . Sous la plume de l’écrivain, Mardi n’est donc pas un simple roman mais le lieu de l’élaboration de l’essence même du romanesque, le « pur roman » qui surgit de nouveau dans la préface. Et les trois œuvres au programme ont en commun d’avoir été présentées par leurs auteurs comme des expérimentations romanesques visant à explorer la nature et la visée du roman.

Or il semble que l’intégration critique du savoir dans le roman soit précisément l’occasion, pour les romanciers, d’explorer les limites de la fiction romanesque. Dans ses Conversations avec Eckermann, Goethe déclarait : « La seule œuvre de grande envergure où j’ai eu conscience de travailler à la représentation d’une idée d’ensemble, ce fut peut-être mes Affinités électives. Le roman par là est devenu accessible à l’intelligence ; mais je ne veux pas dire qu’il en soit meilleur. Je suis au contraire d’avis que plus une œuvre poétique est inaccessible et insaisissable pour l’intelligence, meilleure elle est » [15] . Le récit romanesque se pose en concurrent possible d’une loi savante et tente de cerner la différence, ou au contraire, la convergence entre l’acte d’expliquer et celui de raconter. L’écrivain s’inspire de polémiques savantes propres à certains domaines constitués en disciplines, cherche dans les discours savants autant de modèles que de repoussoirs et fait d’une interrogation sur les méthodes des savoirs l’occasion d’une expérimentation sur la fiction romanesque elle-même et sur sa capacité à atteindre une quelconque vérité.

L’usage des récits ou des fictions s’est depuis les années 1750 au moins largement répandu dans le discours de la discipline maîtresse qu’est l’histoire naturelle. Et la théorie de l’évolution de Darwin, dont l’Origine des espèces est traduite en français en 1862, ne fait que renouveler la valeur heuristique de l’hypothèse et de la fiction : sur le très long terme, aucune théorie de l’évolution ne peut recevoir de preuve factuelle et il faut admettre la vérité savante de la fiction.

Reste alors à distinguer la fiction « littéraire » qui n’est pas supposée dire le monde et la fiction « savante ». C’est ce à quoi se sont employés déjà la plupart des grands naturalistes du tournant des XVIIIe et XIXe siècles, à partir du moment où ils se sont intéressés à l’origine du monde naturel et à la transformation de ses composantes. C’est à ce moment que le mot même de « géologie » change de sens ; là où il désignait encore en 1770 la « théorie de la terre » entendu comme une spéculation purement théorique, il devient une science empirique, à laquelle la découverte d’ossements fossiles offre des preuves et dont la dimension explicative, comme l’écrit Nathalie Richard, « prétend s’appuyer sur la stricte induction » [16] . Buffon déjà reprochait à Linné d’user de « théories » fantaisistes et imaginaires ; mais sa propre théorie de la terre, illustrée dans les Époques de la Nature encore fort en vogue dans la première moitié du XIXe siècle, fait figure à son tour de théorie fictive sans fondement aux yeux d’un Georges Cuvier qui revendique à son tour dans son Discours sur les révolutions du Globe et dans ses Recherches sur les ossements fossiles l’usage du récit en fixant les conditions de sa véracité savante.

Le récit et la fiction (par quoi les savants désignent en général les « théories » et la « philosophie » naturelle) font l’objet, au moment où les trois romanciers composent leurs ouvrages, de tentatives de définitions de la part des savants qui tentent de mesurer la place de l’imagination dans le discours savant. Le « discours préliminaire » aux Recherches sur les ossements fossiles, publiées en 1812, est ainsi révélateur de la manière dont Georges Cuvier se présente à la fois comme l’inventeur d’une nouvelle science et comme l’inventeur d’un nouveau type d’histoire et de récit. Le géologue s’y définit comme un « antiquaire d’une nouvelle espèce » et ne dissimule pas la part de reconstruction qu’a nécessitée le récit qui suit. S’il nie avoir imaginé la moindre part de sa théorie des révolutions du globe, il présente toutefois son ouvrage de manière spectaculaire et grandiose, en fait un récit fondateur propre à receler les nouveaux mythes des espèces perdues ; l’ouvrage doit impressionner le lecteur et érige le savant en créateur d’un monde nouveau, à l’instar du romancier ou de l’écrivain [17] .

Or précisément, Bouvard et Pécuchet font partie de ces lecteurs si impressionnés par les récits spectaculaires de Cuvier qu’ils se figurent le monde en formation et que le narrateur alors retrace un récit en prose des révolutions du globe empruntant à Cuvier ses hyperboles. Là le roman prend pour modèle le récit savant auquel il emprunte ensuite des motifs pour les reformuler sur le mode tragi-comique cette fois : les tortues gigantesques et les serpents ailés du troisième tableau inspiré du Discours sur les révolutions du globe s’entremêlent à quelques pages d’intervalle pour faire de Bouvard « en démence », une « tortue avec des ailes qui aurait galopé parmi des roches » (p. 153).

Les histoires de l’origine du globe ne sauraient, parce qu’elles se déroulent sur le long terme, prétendre à représenter le monde de la Nature. Ce type de récit de création n’est pas le seul et il semble bien que la variété formelle et générique qui caractérise au moins Mardi et les Affinités électives témoigne d’une expérimentation sur l’art de raconter, littéraire ou savant. Si ces romans constituent des encyclopédies des savoirs contemporains, alors il faut admettre que figurent parmi ces savoirs la légende et la fiction.

Ces romans du savoir que sont Les Affinités électives, Mardi et Bouvard et Pécuchet passent également au crible certaines formes littéraires canoniques et leur rapport à la Vérité. La transition entre la première et la seconde parties des Affinités électives prend ainsi la forme d’un méta-texte où le narrateur se réfère à la forme de l’épopée pour justifier précisément l’absence de transition logique entre les étapes et son récit : « Dans la vie de tous les jours, il arrive souvent ce que, dans l’épopée, nous avons coutume de célébrer comme un artifice du poète : lorsque les personnages principaux s’éloignent, se cachent, s’adonnent à l’inaction, tout aussitôt un personnage de second ou de troisième plan, un personnage à peine remarqué jusque-là, remplit la scène » (p. 171). L’emprunt des rouages de l’épopée pour expliquer le déroulement d’un roman qui n’a rien d’épique est en soi curieux. Mais la mise en évidence de l’usage d’artifices procède d’une analogie entre ce qui, dans « la vie de tous les jours », apparaît comme banal et ce qui semble, sitôt qu’on en observe la trace dans un texte romanesque ou littéraire, un « artifice ». De là à suggérer que les artifices littéraires les plus grossiers (ceux que les lecteurs identifient comme les traces de l’imagination, de l’invraisemblance et du mensonge) reflètent au mieux le cours de la réalité, il n’y a pas loin.

La parodie du roman de chevalerie à laquelle se livre le narrateur de Mardi en racontant sa rencontre avec Yillah vise au même but : se poser en chevalier alors que « le sort d’une gente damoiselle était en jeu » (p. 123) ne suffit pas à atténuer les remords causés par le meurtre du grand prêtre mais permet au narrateur de jouer à être un preux chevalier et de signaler au lecteur le rôle joué par lui. Ainsi le narrateur désigne l’écart qui peut exister entre la réalité d’une aventure et le récit qu’on en donne ; il invite aussi son lecteur à se méfier des critères formels et de la valeur de vérité qu’il leur accorde. Car le plus savoureux dans l’histoire est qu’après avoir condamné l’usage par le prêtre Aléma de légendes destinées à nourrir l’esprit de sa victime de chimères, le narrateur n’hésite pas à son tour à gagner l’affection de Yillah en lui livrant de semblables fables.

Comme il fait le tour des « savoirs », le roman fait le tour des modes de représentation littéraires et poétiques du monde qui sont à la fois un savoir parmi d’autres et le domaine du savoir dont relève le roman qui réunit ici tous les savoirs. La Poésie et sa valeur de vérité sont aussi mises à l’épreuve dans les dialogues entre l’historien, le philosophe et le poète qui scandent le voyage imaginaire de Mardi. Lorsque l’historien et le poète se disputent au chapitre XCIII, Youmi rappelle à Mohi que les historiens peuvent emprunter leurs matériaux aux vieilles légendes et dénonce le travail de l’historien comme mensonger (p. 250). L’historien, qui ne cesse d’interrompre le poète pour lui reprocher l’imprécision des dates, reproche à son tour au poète de mentir en prenant à témoin Média : « Ceci vous semble-t-il une histoire croyable ? Youmi l’a inventée » (p. 253). Et le philosophe tranche in fine en affirmant que « la vérité se trouve dans les mots et non dans les choses » et que « ce qu’on nomme vulgairement des fictions contient tout autant de réalité qu’en découvre la pioche grossière de Dididi, le creuseur de tranchées » (p. 253). Ainsi l’Histoire et la Poésie sont-elles renvoyées dos-à-dos. Si les critères de la véracité historique ne conviennent pas à la fiction, les marques formelles de l’invention ne sont pas pour autant les indices du mensonge.

Cette scène trouve un étrange écho dans les commentaires que Bouvard et Pécuchet vont faire successivement des ouvrages historiques et des romans historiques. L’idée de l’impossibilité de trouver des « preuves » fiables, en Histoire, conduit à une certaine indécision entre la visée du récit historique et celle du récit romanesque : « Les autres [historiens] qui prétendent narrer seulement, ne valent pas mieux. Car on ne peut tout dire. Il faut un choix » (p. 192). La nécessité de composer une intrigue, de reconstituer une logique, est ce qui rapproche le récit historique du récit romanesque et, d’une certaine manière, Flaubert en mettant en parallèle les errances de Bouvard et Pécuchet en matière de savoir historique et de savoir romanesque contribue à brouiller les frontières formelles entre récit historique et récit romanesque [18] . L’effort de distinction, comme dans Mardi, aboutit à une plus grande indétermination.

Sous la plume de Flaubert et de Melville, le roman devient un mode d’appréhension et d’explication du monde qui peut autant que l’Histoire des hommes ou de la Terre (ni plus, ni moins) prétendre à la vérité sans nécessairement feindre de ne pas inventer. Plus exactement, les écrivains, comme les savants, posent une nouvelle fois la question des critères formels de la fiction et de leur investissement, par les lecteurs, d’une valeur de vérité. La manière dont ils semblent à la fois démontrer la ressemblance entre les récits « savants » et les récits « poétiques » et insister sur leurs différences pourrait plaider en faveur des thèses de Nelson Goodman : la fiction romanesque, le récit savant ou le récit historiques sont autant de « versions » du monde et peuvent tous prétendre à le dire et à l’expliquer [19] . On pourrait dire aussi que les discours romanesques sur l’Histoire et que le fait même, dans le roman, de faire place à l’Histoire, démontrent que la structure narrative de l’histoire est de même nature que celle de la fiction et que l’histoire, comme l’affirme Hayden White en 1974 dans « The Historical Text as Literary Artefact », est un artifice littéraire [20] .

De même que les trois romans au programme mettent à l’épreuve, en s’inspirant de polémiques savantes contemporaines, les différents genres poétiques, de même ils explorent les composantes de la fiction romanesque en en poussant souvent la logique à bout. Là, le détour par l’histoire naturelle leur permet de proposer une articulation originale, dans le récit, entre narration et description, de faire du roman une version métaphorique du monde.

Les notions mêmes de description et de littérature descriptive ont fait l’objet, depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, de nombreuses études et définitions savantes [21] . Les Tableaux de la Nature d’Alexander von Humboldt ont été publiés en allemand en 1808, ont inspiré Goethe et Odile et seront sans cesse réédités, en France, en Angleterre et en Allemagne jusqu’à la seconde moitié du siècle. La préface de Humboldt illustre parfaitement la manière dont le savant pense une structure poétique reposant sur la description et interroge, de ce fait, la frontière possible entre la poésie et la science. Le savant décrit dans un premier temps son texte comme la succession de grands fragments : « Je voulais successivement offrir la considération en grand de la nature, la démonstration de l’action simultanée de ses forces, la peinture de ses jouissances toujours nouvelles que la présence de ses imposans tableaux procure à l’homme doué de sentimens » [22] . Le texte savant se fait donc l’équivalent des tableaux naturels, renouvelant l’esthétique du pittoresque ; mais les tableaux qu’il présente ont pour vocation d’expliquer et de démontrer les grandes lois de la Nature. L’ouvrage renonce d’autant moins à sa vocation scientifique que sa forme reflète exactement les caractéristiques des objets dont il traite. Il est aussi un texte relevant de la littérature puisque Humboldt le décrit en des termes poétiques en inventant une nouvelle unité de composition (les grandes tendances de chacune des descriptions) : la juxtaposition de tableaux permet au lecteur de saisir, derrière les variations, un même plan. L’enjeu pour Humboldt est de justifier qu’un texte puisse être descriptif (et donc discontinu) et poétique.

Curieusement, Flaubert, appelant de ses vœux dès 1853 la transposition dans le roman de modes d’exposition savante, retrouve l’idée du tableau : « La littérature prendra de plus en plus les allures de la science ; elle sera surtout exposante, ce qui ne veut pas dire didactique. Il faut faire des tableaux […] » [23] . Flaubert défend chacun la possibilité de composer un roman qui ne soit pas didactique et qui cependant illustre la subordination de la narration à la description. Sans doute pourrait-on dire la même chose de Mardi dont Philippe Jaworski a écrit dans Le Désert et l’Empire qu’il obéissait à une « exposition panoramique » [24] .

Cela expliquerait du moins le plaisir manifeste avec lequel Melville explore toutes les modalités descriptives possibles, allant du cas-limite de l’énumération des richesses de Oh-Oh à l’ecphrasis dans le chapitre XXX intitulé « Notes pour un portrait en pied de Samoa. Peinture et littérature se réunissent à nouveau dans le récit goethéen des tableaux vivants. À la vue de Bélisaire, « on se croyait vraiment dans un autre monde, si ce n’est que la présence du réel, substitué à l’apparence, produisait une sorte d’impression d’angoisse » (p. 212). Réalité picturale, réalité romanesque et représentation se mêlent au point que l’art ici vise moins à représenter la Nature ou le monde que le monde ne vise à représenter l’art. L’univers romanesque (ou fictionnel) y gagne une certaine autonomie : la représentation romanesque se développe sur une représentation picturale et le roman ne représente qu’un monde déjà peint, déjà représenté. Toute référence à un monde extérieur qu’il s’agirait d’imiter s’éloigne.

La même conclusion découle de l’analyse de l’usage qui est fait dans les romans des représentations savantes du monde que sont les cartes ou les relevés topologiques. C’est le capitaine qui, dans les Affinités électives, introduit les cartes et les levés topographiques pour satisfaire le désir d’Édouard de « faire un levé de la région, de mieux connaître celle-ci et de l’exploiter plus avantageusement » (p. 46). La composition de la carte est décrite en termes de « création nouvelle » permettant de découvrir la région et de la posséder, mieux encore que les innombrables promenades imposées par le châtelain à son ami (p. 46). La carte donne naissance à l’espace géographique qui ne peut être défini ni nommé sans elle. Elle induit cependant un mode de représentation de l’espace qui est symbolique bien davantage que mimétique.

Celui qui regarde la carte (en particulier topologique) ne voit pas le monde qui l’entoure. Devant un paysage, Bouvard et Pécuchet « n’admiraient ni la série des plans, ni la profondeur des lointains, ni les ondulations de la verdure ; mais ce qu’on ne voyait pas, le dessous, la terre ; - et toutes les collines étaient pour eux « encore une preuve du Déluge » » (p. 148-149). S’il n’est pas explicitement fait mention de carte dans ce passage d’exploration géologique de Bouvard et Pécuchet, le motif apparaît dans l’archipel de Mardi aux endroits stratégiques que sont le début et la fin du voyage. Au chapitre LVII, le narrateur consacre son récit aux divinités mardiennes et, s’étonnant du manque de curiosité des habitants de l’archipel pour son propre monde, constate que « pour le peuple de l’archipel, la carte de Mardi était la carte du monde » (p. 161). À la fin de la pérégrination, le narrateur revient sur l’ensemble du voyage (et du récit) pour s’adresser directement au lecteur en ces termes : « Ô lecteur, écoute ! J’ai voyagé sans carte. Ce n’est pas avec la boussole et la sonde que nous avons découvert les îles mardiennes » (p. 499). Mardi est bien un espace imaginaire qui n’est en rien la transposition romanesque d’un espace réel et la description de Mardi, si l’on se fie aux habitants de l’archipel, est celle du monde dans son entier. Le narrateur, par le biais de la carte, désigne son texte à la fois comme imaginaire et comme symbolique du monde « réel ».

Les romanciers, plutôt que de faire passer pour « référentiels » des énoncés « fictionnels » en réécrivant des savoirs qui prétendent dire le monde réel, montrent que ces savoirs ne sont pas plus référentiels que la fiction et que le lecteur qui, dès qu’il reconnaît leur forme, accepte leur vérité devrait peut-être accepter qu’un énoncé fictionnel puisse aussi prétendre à dire la vérité sur le monde réel. En d’autres termes, et à quelques nuances près, il se pourrait que Melville et Goethe au moins aient tenté de montrer que le récit romanesque était d’autant plus référentiel qu’il était fictionnel et s’affichait comme tel. Le défi qu’ils relèvent en quelque sorte est non pas de revenir à un état antérieur des savoirs unifiés mais de montrer que la fiction littéraire est d’autant plus savante qu’elle est fictionnelle et que l’usage de la fiction est précisément ce qui permet le mieux d’indentifier les ouvrages littéraires et les ouvrages savants (notamment naturalistes).

La célèbre première phrase du roman de Goethe annonce, sans qu’il soit question d’une quelconque influence, le non moins célèbre « Call me Ishmael » de Moby Dick : « Édouard, - c’est ainsi que nous allons nommer un riche baron, dans la force de son âge, - Édouard avait employé les plus belles heures d’un après-midi d’avril dans sa pépinière, à enter sur de jeunes pieds des greffes qu’il venait de recevoir » (p. 24) . Quant au narrateur de Mardi, il demeure anonyme jusqu’à son arrivée dans l’archipel de Mardi où il décide de se baptiser « Taji », sur les conseils de Samoa, et d’adopter alors « une apparence absolument conforme au rôle qu’[il] avai[t] résolu de jouer » (p. 151). Le narrateur anonyme, masque de l’auteur, reçoit donc une nouvelle identité, toute imaginaire, et s’affuble d’un second masque au mitan du récit.

À ces revendications, par les auteurs, de la nature fictionnelle de leurs récits s’ajoute, comme pour mieux creuser l’écart entre le récit et l’objet « réel » qu’il est supposé décrire, la place étrange qu’occupe dans leurs romans la copie. On sait que le roman inachevé de Flaubert devait comprendre encore un chapitre de copie, réunissant sous la forme d’une énumération, des extraits copiés par Bouvard et Pécuchet qui, renonçant à comprendre, se résolvaient à copier et, du même coup, à faire retour à leurs premiers métiers. Le tour des savoirs devait donc se conclure par le tour des représentations langagières du monde, comme si faire le tour du monde réel équivalait à faire le tour des discours qui le disent. Le fossé se serait ainsi définitivement creusé entre les mots et les choses, les mots ne renvoyant plus alors qu’à d’autres mots ou qu’à eux-mêmes. Les Affinités électives réservent également une place de choix à la copie, soit en mentionnant l’activité à laquelle se consacrent des personnages tels que Charlotte et Édouard ou tel qu’Odile, copiant les papiers du baron, soit en faisant place au journal d’Odile lorsque le récit s’informe en une liste de maximes dont le narrateur avoue que certaines ont pu être « copiées » : « il est vraisemblable qu’on lui avait communiqué quelque manuscrit où elle avait copié ce qui la touchait » (p. 200). Mais le récit se confond plus encore avec la copie lorsqu’il abonde en références et en sources à la manière de Mardi.

Au chapitre CXXIV, intitulé « Babbalanja cite un vieil auteur païen et fait bien remarquer à ses auditeurs que ce n’est pas lui qui parle », le personnage du philosophe lit une suite de citations tirées, comme le souligne Philippe Jaworski, de la Morale de Sénèque. Le récit romanesque se fait donc collation de citations d’un ouvrage désigné comme imaginaire, par l’attribution d’un titre qui ne vaut que dans l’espace de la fiction. Il y a là de quoi illustrer sans doute la thèse de l’intransitivité de la fiction développée par Gérard Genette, selon laquelle la fiction peut emprunter au « monde réel » des événements historiques, des personnages illustres ou des maximes sans que ces emprunts, une fois insérés dans la fiction, ne désignent autre chose qu’eux-mêmes : le Sénèque de Mardi n’est autre que le Sénèque-de-Mardi [25] .

La question qui se pose alors est de savoir comment un texte imaginaire, qui se désigne comme tel, peut « dire » le monde. La réponse à cette question récurrente dans les théories de la fiction a été donnée non seulement par Nelson Goodman mais également par Herman Melville dans Mardi. « Il est clair, [écrit Goodman], que les œuvres de fiction en littérature et leurs équivalents dans les autres arts jouent un rôle éminent dans la construction du monde ; nos mondes ne sont pas plus hérités des scientifiques, biographes et historiens que des romanciers, dramaturges et peintres. Mais comment des versions de rien peuvent-elles alors participer à la construction de mondes réels ? » [26] . L’une des réponses à cette question consiste à défendre l’idée que le roman, par rapport à la « réalité » qu’il peint, établit un rapport d’homologie plutôt que d’analogie, que la fiction peut être une métaphore du monde.

De la fiction comme métaphore du monde, il est question au chapitre CLXXX de Mardi, où Babbalanja défend devant le roi Abbrazza et ses compagnons la grandeur du monstrueux livre fictif d’un auteur fictif nommé Lombardo. Au philosophe qui signale que l’abandon des critères poétiques formels traditionnels (les unités) est ce qui permet au Kostanza de dire le monde en étant pareil à lui (l’ouvrage est « Comme Mardi lui-même » (p. 542)), le roi Média rétorque : « Maintenant, Babbalanja, assez de métaphores » (p. 542). Mais le plaidoyer le plus manifeste en faveur de l’abandon de l’exigence de vraisemblance ou d’unité prend sans nul doute la forme de l’adoption explicite de la forme littéraire de l’allégorie pour caractériser l’ensemble du récit dans l’archipel. Pour parcourir cet insulaire digne du Quart Livre, les compagnons se voient dotés de plusieurs canoës étranges, dont l’un porte à la proue « l’image d’un petit lutin grimaçant, avec un anneau dans le nez, des cauris dansant aux oreilles et un abominable rictus, comme celui de Silène tanguant sur son âne » (p. 181). Cette référence très explicite au Prologue de Gargantua place donc le récit romanesque dans la catégorie des récits allégoriques où les boîtes décorées de figures grotesques des apothicaires contiennent des drogues précieuses. Le narrateur de Mardi désigne ainsi la manière dont la fiction recèle un savoir sur le monde sans pour autant lui ressembler. Ce savoir peut être historique et politique, en particulier à partir du moment où les compagnons abordent les îles fictives de Dominora et de Vivenza ; là, les symboles sont assez clairs et l’écrivain fait le tour des événements politiques contemporains.

Certes le récit de Mardi ne se résume pas au voyage dans l’archipel ; mais il explore successivement diverses modalités du rapport de la fiction au monde et en montre à chaque fois, par le recours à un nouveau modèle, les limites. Et il rejoint ainsi, par le biais de la métaphore et de l’allégorie, la référentialité historique et politique à laquelle Flaubert renonçait in extremis par le recours à la « pure » copie ou que Flaubert dénonçait in extremis comme un leurre en mettant sur le même plan le récit des apprentissages malheureux de ses deux protagonistes et la copie.

De l’intégration apparemment difficile des savoirs contemporains dans le tissu de la fiction, les écrivains dérivent vers l’affirmation de l’analogie formelle des discours scientifiques et fictionnels, non en cherchant à imiter le discours savant, mais en montrant en quoi il relevait par essence de la fiction et autorisait donc qu’on invente un roman qui puisse revendiquer son caractère imaginaire tout en renouvelant l’esthétique et la poétique romanesques. Le tour de forces accompli par ces écrivains est d’avoir su exploiter les arguments des savants qui prétendaient exclure de leur sphère d’exercice d’autres savants en leur reprochant une pratique trop littéraire et d’avoir retourné ces arguments contre les savants ; les romanciers prenaient acte de ces critiques pour rappeler à leurs lecteurs, sur un mode qui n’est plus celui de la critique savante, ce que la science doit à la littérature, ce qu’elle a de commun avec celle dont elle prétend se séparer.

La problématique générale des « savoirs dans la fiction, fiction du savoir » s’inscrit dans les perspectives critiques de l’épistémocritique, décrites par Laurence Dahan-Gaida : « Tâche de l’épistémocritique, la déconstruction de l’opposition science/littérature demande qu’on les interroge à leurs frontières, là où elles s’articulent à l’ensemble de la culture et de la société. Elles doivent donc être situées dans leur interdépendance et dans leurs interactions avec les autres domaines culturels, ce qui présuppose non pas deux histoires séparées de la science et de la littérature, mais plutôt une histoire générale qui embrasse l’évolution des structures socio-culturelles, celle des sciences, des idéologies et des formes narratives » [27] . Et l’auteur précise qu’on ne saurait donc se limiter à l’étude de la présence d’idées scientifiques dans les textes littéraires ou à celle de l’inspiration littéraire ou philosophique de théories savantes mais que l’objet de l’épistémocritique est davantage de comprendre les rapports de détermination entre les deux domaines ou leurs modes d’articulation au social et au culturel.

Notes

  • [1]

    Les numéros de page indiqués entre parenthèses renvoient aux éditions au programme.

  • [2]

    Andrew Cuningham et Nicholas Jardine, Romanticism and the Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 1.

  • [3]

    Francis Bacon, Du Progrès et de la promotion des savoirs, trad. fr. Michèle Le Dœuff, Paris, Gallimard, 1991, p. 89.

  • [4]

    Jeremy Adler, “Goethe’s use of chemical theory in his Elective Affinities“, in A. Cuningham et N. Jardine (éd.), Romanticism and the Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 263.

  • [5]

    Stéphanie Dord-Crouslé, Bouvard et Pécuchet de Flaubert, une « encyclopédie critique en farce », Paris, Belin, coll. « Belin-Sup Lettres », 2000, p. 5.

  • [6]

    Ibid., p. 41.

  • [7]

    Ibid., p. 28.

  • [8]

    Cf. à ce propos Yves Jeanneret, Écrire la science. Formes et enjeux de la vulgarisation, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 81-146.

  • [9]

    « Goethe mit Riemer, Jena, 24 Juli 1809 », citée dans Johann Wolfgang Goethe, Sämtliche Werke, 1987, t. IX, p. 1216.

  • [10]

    René Taton, La Science moderne de 1450 à 1800, Paris, Presses universitaires de France, 1958, p. 585-596.

  • [11]

    Guyton de Moreau, « Affinité », Chimie, pharmacie et métallurgie. Encyclopédie méthodique, Paris, Panckoucke, 1786, t. I, p. 535.

  • [12]

    Gillian Beer, Open Fields : Science in Cultural Encounter, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 115.

  • [13]

    Sur les rapports entre romans et encyclopédie, voir la thèse de Hildegard Haberl, Écriture encyclopédique-écriture romanesque : représentation et critique du savoir dans le roman allemand et français de Goethe à Flaubert, thèse en ligne : http://arch.revues.org/index 3982.html.

  • [14]

    Herman Melville, D’où viens-tu, Hawthorne ?, trad. fr. Pierre Leyris, Paris, Gallimard, 1986, p. 77.

  • [15]

    Wolfgang Goethe, Conversations de Goethe avec Eckermann, traduction de J. Chuzeville [1949], nouvelle édition revue et présentée par C. Roëls, Paris, Gallimard, “Du monde entier”, 1988, p. 523.

  • [16]

    Nathalie Richard, « Grottes et voyages dans le temps. Un lieu commun renouvelé au XIXe siècle ? », in Lieux communs du voyage, Sylvain Venayre et Anne-Gaëlle Weber (éd.), Cahiers du XIXe siècle, n° 5, 2010, p. 72.

  • [17]

    Claudine Cohen, « Stratégies de la preuve dans les Recherches sur les ossements fossiles de quadrupèdes de Cuvier », in Le Muséum au premier siècle de son histoire, Claude Blanckaert et alii (dir.), Paris, Éditions du Muséum national d’histoire naturelle, 1997, p. 523-549.

  • [18]

    Cf. à ce propos Fiona McIntosh-Varjabédian, Écriture de l’Histoire et regard rétrospectif. Clio et Épiméthée, Paris, Éditions Honoré Champion, 2010.

  • [19]

    Nelson Goodman, Manières de faire des mondes, trad. fr. M.-D. Popelard, Éditions Jacqueline Chambon, 1992, p. 133.

  • [20]

    Cité par Paul Ricœur, Temps et récit, Paris, Seuil, « Points », 1983, t. I, p. 286-287.

  • [21]

    Sur l’influence des définitions savantes sur l’art de la description, voir notamment Joanna Stalnaker, The Unfinished Enlightment. Description in the Age of the Encyclopedia, Ithica and London, Cornell University Press, 2010.

  • [22]

    Alexander von Humboldt, Tableaux de la nature, trad. fr. J.-B.-B. Eyriès, Paris, Gide fils, 1828, p. xii.

  • [23]

    Stéphanie Dord-Crouslé, Bouvard et Pécuchet de Flaubert, une « encyclopédie critique en farce », op. cit., p. 5.

  • [24]

    Philippe Jaworski, Melville : le désert et l’empire, Paris, Presses de l’Ecole Normale Supérieure, 1986, p. 64.

  • [25]

    Gérard Genette, Fiction et Diction, Paris, Seuil, 1991, p. 36-37.

  • [26]

    Nelson Goodman, Manières de faire des mondes, op. cit., p. 134

  • [27]

    Laurence Dahan-Gaida, « L’épistémocritique : problèmes et perspectives », Savoirs et littérature II, 2001, p. 19-51.

Pour citer cet article

Anne-Gaëlle Weber, « Savoirs et fictions romanesques au XIXe siècle : des histoires de greffes », SFLGC, Agrégation, publié le 11 mars 2018, URL : https://sflgc.org/agregation/weber-anne-gaelle-savoirs-et-fictions-romanesques-au-xixe-siecle-des-histoires-de-greffes/, page consultée le 28 Avril 2024.