Agrégation

Bibliographie générale complémentaire

ARTICLE

Les références renvoient au Tiers Livre (TL), éd. de Jean Céard, LGF, à Don Quichotte (DQ) I et II, trad. de Céar Oudin et François de Rosset revues par Jean Cassou, Gallimard, folio n° 1900-1901, à Tristram Shandy (TS) dans la traduction de Charles Mauron, GF n° 371.

Roman ou non ?

Pour Rabelais, la question est posée en particulier par Jean-Yves POUILLOUX dans son Rabelais. – Rire est le propre de l’homme, Gallimard, Découvertes, 1993, rééd. 2003, p. 58 (« Les deux premiers livres étaient des romans. Celui-ci – il s’agit du Tiers Livre – se rattacher aux ‘propos de table’, discussions à bâtons rompus pendant ou après un repas, dans la liberté d’une conversation sans contraintes entre amis réunis autour d’un banquet »), et il a recours à la notion de carnavalesque empruntée à Mikhail BAKHTINE. Pour Cervantès, la question est complexe et les positions critiques variées depuis Albert THIBAUDET, qui le considérait comme « le roman des romans » (cité par Harry LEVIN dans l’important chapitre sur « The Quichotic Principle : Cervantes and Other Novelists », dans son livre Grounds for Comparison, Cambridge Pass., Harvard University Press, 1972, p.228) jusqu’à Gérard GENETTE, qui reprend sans y adhérer totalement le terme d’ « anti-roman » inventé au XVIIe siècle par Charles Sorel  (Palimpsestes. La littérature au second degré, éd. du Seuil, 1982, Points essais n° 257,  p. 206 sqq.). Marthe Robert, qui parle de « roman donquichottesque » (L’Ancien et le Nouveau.- de Don Quichotte à Franz Kafka, Bernard Grasset, 1963, rééd. Les Cahiers rouges) , est de ces critiques qui ont recherché dans DQ  1 et 2 le « premier roman moderne » (voir Romans des origines et origines du roman, Gallimard, tel, et la question n°20 dans les Naissances du roman de Daniel-Henri Pageaux, ouvrage mentionné plus bas). A moins que ce ne soit… Tristram Shandy , dont Henri Fluchère ( dans l’ouvrage cité plus loin, p.225) préfère dire qu’il « est un cas si étrange qu’on hésite à le classer dans la catégorie des romans ». Mais qu’est-ce qu’un roman, ce « genre-Protée », comme l’a écrit Gide dans Les Faux-Monnayeurs ? La question reste ouverte…  

 

Rabelais, Cervantès, Sterne

Le point de départ se trouve dans Tristram Shandy, Livre (ou Volume) III, chapitre 19, GF, p. 185. Ou plutôt une triade (Lucien, Rabelais, Cervantès) en appelle une autre, à venir (pour nous) et déjà présente dans le livre au moment même où il s’écrit (Rabelais, Cervantès et Sterne lui-même). Deux précautions s’imposent : Lucien (en particulier l’auteur de l’Histoire véritable) doit rester présent en amont ; Sterne délègue la plume à Tristram Shandy, comme Rabelais à « M.Alcofribas, abstracteur de quinte essence », dans Pantagruel (1534) ou à « l’Abstracteur de quinte essence » dans Gargantua (1535, on sait le problème posé par ces dates, qui restent approximatives), - mais, pour Le Tiers Livre, « l’Autheur » se donne bien le nom de « Rabelais, docteur en médecine » ; ou encore comme Cervantès se place en situation de « second auteur », d’abord derrière divers auteurs, ou de vagues archives, ensuite à partir du chapitre 9 de la Première Partie derrière Cid Hamet Ben Engeli, « historiador » arabe, jusque dans les deux dernières pages (DQ II, chap.74, p.600-601), où parle la plume de Cid Hamet lui-même. A noter que la délégation constante, dans TS, est au personnage, alors qu’un Don Quichotte qui serait confié à don Quichotte lui-même n’est qu’esquissé (DQ I, chap.1, p. 68-69, - l’hidalgo aurait « le désir de prendre la plume » ; chap.2, p.74 : il se récite à lui-même un début dans le style mythologico-héroïque).

Pour l’étude de la triade n°1 et de la triade n°2 voir le livre essentiel d’Henri FLUCHERE, Laurence Sterne, de l’homme à l’œuvre. – Biographie critique et essai d’interprétation de Tristram Shandy, Gallimard, Bibliothèque des Idées, 1961 : Lucien est trop rapidement évoqué p.101, et seulement à propos d’un compte rendu qui tournait à l’éreintement en février 1761 dans The Monthly Review (je conseille d’utiliser, pour une simple approche de cet auteur grec du IIe siècle après Jésus-Christ, originaire de Samosate, le volume n°16117 du Livre de poche, LGF, 2003, LUCIEN, Histoires vraies et autres œuvres : dans l’introduction, Guy Lacaze, le traducteur, marque le passage de Lucien de Samosate à Rabelais, en particulier pour le prologue du Tiers Livre et pour l’exploration du pays de Lanternois qui, annoncée dans Le Tiers Livre (chap. 47, TL, 431) n’est accomplie que dans le Cinquième et dernier) ; à Rabelais (p. 380-382) et à Cervantès (p. 384-386) sont consacrés deux développements dans le chapitre « Thèmes livresques » de l’ouvrage de Fluchère, avec entre les deux Montaigne, - ce qui tend à constituer une nouvelle triade. A notre époque, c’est sans doute Milan Kundera qui a le plus mis en valeur cette triade, qui est celle de ses dilections et aussi de sa réflexion sur le sujet qui est le nôtre, la naissance du roman : voir dans L’Art du roman (Gallimard, 1986, folio n°2702) la séquence Rabelais, Cervantès, Sterne à l’intérieur du  « Discours de Jérusalem : le roman et l’Europe » (p. 190-195) ; dans Les Testaments trahis (Gallimard, 1993, folio n°2703) le texte liminaire « Le jour où Panurge ne fera plus rire » (Sterne est nommé p.27, une série « Rabelais, Cervantès, Diderot, Sterne » se constitue p.29) ; dans Le Rideau (Gallimard, 2005), Rabelais est rapproché de Cervantès dès le p.19, dans un développement qui, il est vrai, concerne essentiellement Fielding, mais Sterne n’est pas loin, avec Tristram Shandy (p.24-25). Si, dans ce troisième livre, les deux pages intitulées « Le verdict de Cervantès », qui avec une allusion implicite à Kafka, cherchent à associer « la naissance de l’art du roman » à « la prise de conscience du droit de l’auteur et à sa défense féroce », p.118-119, avec une allusion forte aux deux dernières pages de DQ), Sterne resurgit p. 126-127, avec divers exemples d’ « actions infinitésimales » dans TS, et la triade Rabelais-Cervantès-Sterne se reconstitue complètement dans les p. 127-130 (le pasteur Yorick dans TS et les agélastes honnis de Rabelais, le rire et l’humour dans DQ, avec comme exemple plus développé l’épisode du Chevalier au Vert-Caban et son fils-poète, don Lorenzo, dans DQ II, chap.18, p. 152 sqq ; le titre du chapitre annonce des « cosas extravagantes »).

 

La perspective historique

Le meilleur guide est le livre de Daniel-Henri PAGEAUX, Naissances du roman, Klincksieck, coll.Etudes K.E.n°4, 1995, une nouvelle édition est à paraître en 2006.

Pour la question du « roman grec », voir :

Alain BILLAULT, La création romanesque dans la littérature grecque de l’époque impériale, PUF écriture, 1991.
Laurence PLAZENET, L’Ebahissement et la délectation. - Réception comparée et poétiques du roman grec en France et en Angleterre aux XVIe et XVIIe siècles, Honoré Champion, 1997.
Georges MOLINIE, Du roman grec au roman baroque, Presses de l’Université de Toulouse Le Mirail, 1982 (voir aussi de Georges Molinié, son édition bilingue du roman de Chariton, Chairéas et Callirhoé, Les Belles Lettres, CUF, 1979).

Pour la question des « naissances » latines :
  1. à propos de la question virgilienne (présente et dans Le Tiers Livre avec les « sorts Homeriques et Virgilianes » du chapitre 10, avec, dans les chapitres 16 à 18, la Sibylle de Panzoust avatar de la Sibylle du Livre VI de l’Enéide, et dans Don Quichotte, avec les adieux à Troie, ou plutôt à Barcelone (DQ II, chap.46, p. 546) ou la parodie de descensus Averno dans l’épisode de la caverne de Montésinos (DQ  II, chap. 22-23 ; mais c’est l’ « Ovide espagnol » qui est convoqué dans le chap.24, p. 209, pour les métamorphoses de Guadiana et des lagunes de Ruydéra), voir Francine MORA-LEBRUN, L’ ‘Enéide’ médiévale. - La naissance du roman, PUF, Perspectives littéraires, 1994.
  2. à propos de la question du « roman » latin (en particulier le Satiricon de Pétrone, et le sermo Milesius d’Apulée condamné par le chanoine de rencontre dans DQ I, chap.47, p. 568) voir D.H.Pageaux, Naissances du roman, p. 21-23.
  3. à propos de l’épisode des outres transpercées, reprises d’Apulée, Les Métamorphoses ou l’Âne d’or, voir D.H.Pageaux, Naissances du roman, p. 23, et P. Brunel, Don Quichotte et le roman malgré lui (Klincksieck, 2006, nouvelle éd. revue et augmentée à paraître à la rentrée, chapitre 22, « Le roman outré et dégonflé »).

Lecture conseillée : Romans grecs et latins, éd. de Pierre Grimal, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1958, rééd. 1986.

Pour la question du roman médiéval :

Michel STANESCO et Michel ZINK, Histoire européenne du roman médiéval. - Esquisse et perspectives, PUF écriture, 1992 (voir en particulier « Libros de caballerias », p.133-141, « Les romanzi  italiens », p.143-151, « Critiques du roman », p.175-184).

Lecture conseillée : les Romans de Chrétien de Troyes, éd. sous la direction de Michel Zink (LGF, La Pochothèque, 1994).

Sur les romances :

Virginie DUMANOIR, Le Romancero courtois. - Jeux et enjeux poétiques des vieux romances castillans (1421-1547), Presses Universitaires de Rennes, Interférences, 2003.

Lectures conseillées : l’anthologie de Mathilde Pomès, Le Romancero, Stock, 1947, et celle de José-Manuel Losada-Goya, Romancero, Editions de l’Imprimerie Nationale, La Salamandre, 2003.

Sur les libros de caballerias et les « chevaliers errants » :

Martin de RIQUER, Caballeros andantes espanoles, Madrid, Espasa-Calpe, coll. Austral, 1967.
et voir plus loin S. Roubaud-Bénichou.

Sur la difficile question des Amadis :

Le volume collectif Les Amadis en France au XVIe siècle, éditions de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, 2000. Voir la bibliographie de ce volume, et pour les sources espagnoles et pour la longue série des traductions ou adaptations françaises, et voir plus loin le livre de S. Roubaud-Bénichou et l’article très important de Marc Fumaroli.

Lectures conseillées : Le Premier Livre d’Amadis de Gaule, adaptation de Nicolas Herberay des Essarts, qui entre 1540 et 1548 traduisit les huit premiers Livres d’Amadis, ed. d’ Hugues Vaganay, nouvelle éd. d’Yves Giraud, Société des Textes Français Modernes, Nizet, 1986 (diffusé maintenant par Klincksieck), deux volumes.

Extraits d’Amadis de Gaule, dans cette même traduction dans le volume II des Sommets de la littérature espagnole, avec une préface de Jean Cassou, Lausanne, éd. Rencontre, 1961.

Un livre en marge des romans de chevalerie, et présenté au début de DQ comme « le meilleur livre du monde », Joanot MARTORELL, Tirant le Blanc, trad. du comte de Caylus, avec une préface de Mario Vargas Llosa et une postface de Marc Fumaroli, éd. de Jean-Marie Barbéra, Gallimard, Quarto, 1997.

Sur la question du picaresque :

Edmond CROS, Protée et le gueux, Didier, 1967.

Lectures conseillées : Romans picaresques espagnols, éd. de Maurice Molho, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1968.

Sur l’Arioste et les poèmes héroïques italiens :

Maxime CHEVALIER, L’Arioste en Espagne (1530-1650), Presses de l’Université de Bordeaux, 1966.

Lecture conseillée : L’ARIOSTE, Roland furieux, trad. d’André Rochon, Les Belles Lettres, quatre volumes, 1998-2002.

Sur le roman à la Renaissance :

Michèle CLEMENT et Pascal MOUNIER (dir.), Le Roman français au XVIe siècle, ou le renouveau d’un genre dans le contexte européen, Presses Universitaires de Strasbourg, 2005.

Sur le roman au XVIIe siècle :

Maurice LEVER, Le Roman français au XVIIe siècle, PUF, 1981.

Sur le roman au XVIIIe siècle :

Georges MAY, Le dilemme du roman au XVIIIe siècle, PUF, 1963.

Aurélien DIGEON, Le roman anglais au XVIIIe siècle, Henri Didier, 1940 (mais le chapitre V, consacré à Sterne, est plutôt une exécution).

Sur l’évolution d'un roman des origines au XVIIIe siècle :

Henri COULET, Le roman jusqu’à la Révolution, Armand Colin, coll. U, deux volumes, 1967.

Le plus important est sans doute la question du passage :

BOILEVE-GUERLET, Le Genre romanesque : des théories de la Renaissance italienne aux réflexions du XVIIe siècle français, Universidade de Santiago de Compostela, 1993.

Marc FUMAROLI, « L’héritage d’Amyot » : la critique du roman de chevalerie et les origines du roman moderne », article d’abord publié en anglais en 1984 et repris dans le récent volume Exercices de lecture. - de Rabelais à Paul Valéry, Gallimard, Bibliothèque des Idées, 2006, p.29-61.

Sylvia ROUBAUD-BENICHOU, Le roman de chevalerie en Espagne. - Entre Arthur et Don Quichotte, Honoré  Champion, 2002 (avec une annexe : la question de l’Amadis, p.237-305). 

La perspective généraliste
Sur le roman parmi les genres littéraires :

La série de notices sur le roman dans le Dictionnaire du Littéraire, dir. Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala, PUF, 2002.

Les ouvrages de Gérard GENETTE (en particulier Palimpsestes) , Jean-Marie SCHAEFFER (Qu’est-ce qu’un genre littéraire), Käte HAMBURGER (Logique des genres), etc.

Patrice SOLER, Genres, formes, tons, PUF, Premier Cycle, 2001.

Michel RAIMOND, Le Roman depuis la Révolution, Armand Colin, U, 1967 (versant moderne des deux volumes d’Henri Coulet cités plus haut) et Le Roman, Armand Colin, Cursus, 1989.

Pierre-Louis REY, Le Roman, Hachette supérieur, 1992.

Thomas PAVEL, La Pensée du roman, Gallimard, Essais ref, 2003.

Pour des définitions premières :

Lectures conseillées : Les poétiques italiennes du « roman » (Simon Fornari, Jean-Baptiste Giraldi Cinzio, Jean-Baptiste Pigna), traduction, introduction et notes par Giorgetto Giorgi, Honoré Champion, Sources classiques n°62, 2005 (voir en particulier la traduction du Discorso dei romanzi de Giraldi Cinzio, 1554). – Pierre-Daniel HUET, Traitté de l’origine des romans, Claude Barbin, 1670, éd. de Fabienne Gégou, Lettre-traité de P.-D.Huet sur l’origine des romans, Nizet, 1971. – Henry FIELDING, préface des Aventures de Joseph Andrews (The Adventures of Joseph Andrews and His Friend Mr. Abraham Adams, Written in Imitation of the Manner of Cervantes, Author of don Quixote, 1743) , trad. de l’abbé Desfontaines, éd. de Serge Soupel, GF n°558, p. 37-44, avec la distinction entre story et novel ; il est également l’auteur d’une comédie Don Quichotte en Angleterre (Don Quixote in England), voir César Vidal, Diccionario del Quijote, Barcelone, Planeta, 2005, p.278, entrée FIELDING, p. 278 et Jean Canavaggio, Don Quichotte du livre au mythe, Fayard, 2005, p. 105 sqq.

Sur le problème de la nouvelle (donc des récits intercalés) :

Didier SOUILLER, La nouvelle en Europe de Boccace à Sade, PUF, Littérature européenne, 2004.

Guiomar HAUTCOEUR PEREZ-ESPEJO, Parentés franco-espagnoles au XVIIe siècle. – Poétique de la nouvelle de Cervantès à Challe, Honoré Champion, Bibliothèque de littérature générale et comparée, 2005.

Sur l’interférence avec la pastorale :

Françoise LAVOCAT, Arcadies malheureuses, Honoré Champion, 1998.

Thomas PAVEL, L’art de l’éloignement. - Essai sur l’imagination classique, Gallimard, folio essais, 1996 (voir « Chevaliers et bergers », p. 236-243).

Sur la question du « réalisme » avant la lettre :

Mikhaïl BAKHTINE, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, traduit du russe par Andrée Robel, Gallimard, Bibliothèque des Idées, 1970 (chapitre VII « Les images de Rabelais et la réalité de son temps »).

Didier SOUILLER (dir.), Réalisme et réalité en question au XVIIe siècle, Dijon, Littérature comparée n°1, Interactions culturelles européennes, 2002. Voir en particulier l’article final de Thomas Pavel, « Comment poser la question du réalisme ? ».

Ou, à l’inverse, un monde purement verbal, un pur travail de l’écriture :

Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Gallimard, 1966, rééd. tel n° 166 (les pages 60 à 64 sont consacrées à Don Quichotte).

Italo CALVINO, « Commencer et finir » (texte d’une conférence de 1985), traduction de Jean-Paul Manganaro dans Défis aux labyrinthes, deux volumes, éd. du Seuil, 2005, p. 105-121.

Sur la perspective humaine :

Voir Danielle PERROT-CORPET, Don Quichotte, figure du XXe siècle, Klincksieck, 50 Questions, 2005.