Agrégation
ARTICLE
(Voir aussi Boris Godounov-Annexe 1-4)
Boris Godounov de Pouchkine est un texte qui fonde, à l’image du Faust de Goethe pour les allemands, la littérature russe nationale dont Pouchkine est l’inventeur, dans sa langue moderne comme dans ses grands genres. La littérature critique sur ce pilier de la culture russe est immense : plus de 300 titres dans la bibliographie de l’édition académique récente (Moskva, Novoe izdatelstvo, 2008). Ce texte, qui aborde de front les questions les plus dérangeantes des mécanismes du pouvoir semble d’une actualité permanente, et les obstacles à la mise en scène de la tragédie reviennent à travers les générations : Pouchkine lui-même n’a jamais vu son Boris Godounov sur scène, interdit aussitôt après la publication (qu’il a déjà fallu attendre 7 ans !). Mais il est également interdit en pleine période brejnévienne, en 1982 quand le metteur en scène Iurij Lubimov veut le mettre au répertoire du théâtre moscovite de la Taganka. Et, en 2011, la version filmée de Wladimir Mirzoev, avec le texte de Pouchkine mais dans la Moscou contemporaine, connaît un succès phénoménal en Russie mais déplaît fortement au pouvoir poutinien [voir la dernière référence dans la Bibliographie en ligne. Annexe 1].
Celle-ci ne présente que quelques ouvrages-clés parmi les innombrables études qui paraissent autour de ce texte avec chaque nouvelle génération. Elle contient quatre parties : d’abord, les éditions de références ; ensuite, les ouvrages sur Pouchkine, son rapport au pouvoir et sa vision de l’histoire, tels qu’ils se manifestent dans Boris Godounov. La troisième partie est consacrée à la tragédie Boris Godounov à proprement parler, avec des éclairages sur les sources historiques, les divers aspects de la poétique et les rapports intertextuels, avec une focalisation sur Shakespeare, Corneille et le drame européen contemporain du Boris Godounov. La quatrième partie est une ouverture, avec quelques textes de Pouchkine qui proposent de réfléchir sur le thème du pouvoir sous une forme plus légère, voire ludique, dans l’esprit propre à Pouchkine.
Textes de références
La traduction d’André Markowicz [éd. Babel, 2016], comme celle de Gabriel Arout (éd. Folio, 2018), est une traduction écrite pour le théâtre. Elle sacrifie tout à l’intelligibilité immédiate. Au spectacle, il n’y a pas de notes de bas de page. Donc il arrive que certains détails du texte soient oubliés.
L’éd. Folio inclut deux « scènes écartées » par Pouchkine (mais qui font partie de toutes les éditions et même des mises en scènes russes contemporaines). Leur connaissance est indispensable pour saisir la personnalité du futur Imposteur. L’Annexe contient, entre autre, une lettre importante de Pouchkine à l’éditeur de la revue Messager à Moscou (p. 203-8) qui exprime ses craintes sur les pièges dans l’interprétation.
Wladimir Troubetzkoy [éd. Flammarion, 2000] a toiletté une traduction anonyme du XIXe siècle. Le texte qu’il donne manque d’éclat, mais on peut s’y fier. L’annotation est sûre. Le texte de Pouchkine qui mêle les vers et « la misérable prose », pour le citer, est ici traduit uniquement en prose.
C’est aussi le choix que font les premiers traducteurs de Boris Godounov, Ivan Tourgueniev et Louis Viardot [Hachette, 1862, en ligne]. La traduction est très fidèle, on peut la consulter dans les cas problématiques. Mais il est déconseillé de lire les notes. (Exemple : les « Varègues », vikings de Suède ayant fondé la Rous’, deviennent des « pirates »).
L’édition académique russe de 2008 [en ligne] est un fac-similé, enrichi de nombreux commentaires, de la première édition de 1831 du vivant de l’auteur [voir Annexe 1]. L’appareil critique est un excellent support pour commenter les passages les plus paradoxaux, voire contradictoires, de l’écriture de Pouchkine qu’il reconnait lui-même, mais « ne veut pas corriger », comme il l’avoue dans Eugène Onéguine. En français, on peut consulter sur cette ambivalence l’article d’Evelyne Enderlein, «Pouchkine, le mal pensant » [Pouchkine et l’altérité, Strasbourg, 2012]. Elle présente Boris Godounov comme une série de subversions, y compris face aux sources historiques, parmi lesquelles « l’Histoire de l’état russe » de l’historien Karamzine [en ligne] chez qui Pouchkine puise l’histoire de Boris Godounov.
Boris Godounov et l’Histoire
Ivan le Terrible (mort en 1584), a eu trois fils. Il a tué le premier dans un accès de colère. Le second, Fiodor, a fait semblant de régner de 1584 à 1598, le pouvoir étant exercé, en réalité, par son beau-frère Boris Godounov. Le troisième, Dimitri, est mort en 1591, à l’âge de neuf ans, probablement assassiné. Il est le dernier descendant de Rurik en ligne directe. Sa mort marque une grave rupture de continuité, qu’illustre aussi l’image du Temps des troubles. Après le Temps des Troubles, la continuité reprend.
La lignée de Rurik est évoquée dans la pièce : Rürik [éd. Babel, p.11] (justifiée, la graphie n’est pas courante ; on se passe généralement du tréma) ; Monomaque, p.110 ; Dimitri Donskoï évoqué p.14, par la mention de la bataille de Koulikovo (note 1). La ville où siège le prince a changé (Kiev, Vladimir, Moscou), mais l’histoire de la dynastie, certes compliquée par le système des apanages, fait apparaître une continuité. La mort de Dimitri a rompu cette continuité.
Sur un autre plan, on observe une rupture relative : l’invasion des Tatars (1240). Les Tatars exigent un tribut, les princes russes doivent obtenir d’eux leur investiture. Les Russes reprennent leur liberté avec Dimitri Donskoï (bataille de Koulikovo, 1380), en attendant qu’Ivan le Terrible s’empare de Kazan, capitale des Tatars (1552). Traiter Boris de « Tatare » (p.10) est une grave insulte.
À la mort de Fiodor, Boris lui succède. Il a été régulièrement élu par le Zemski Sobor, « le Grand Conseil » (Markowicz ; Troubetzkoy traduit : « le Grand Concile »), le même organe que celui qui élira Michel Romanov.
Des quatre souverains au programme, il est celui qui mérite le moins la qualification d’usurpateur.
Il a, par ailleurs, beaucoup moins de sang sur les mains que ses rivaux : Richard III (voyez la vision finale, tableau de chasse), Auguste ou Arturo Ui.
Le petit prince Dimitri, fils d’Ivan le Terrible, n’était pas mort. Il se fait connaître en Pologne et part à la conquête de son trône. Son succès est connu dans toute l’Europe, où personne ne croit à l’imposture. Jacques Margeret (voir p. 85), mercenaire français qui l’a servi après l’avoir combattu, ne met pas sa légitimité en doute dans le livre où il raconte son aventure russe. Lope de Vega compose d’après lui son Grand Duc de Moscou.
Pouchkine adopte la version officielle, celle qu’a consacrée l’historien Nicolas Karamzine. Sous le règne de Boris Godounov, on a déclaré que le soi-disant Dimitri était en réalité un certain Grégoire Otrépiev, moine en rupture de ban. Une fois Boris mort, on lui impute officiellement le crime commandité : l’assassinat du vrai Dimitri.
Pouchkine apporte pourtant quelques accents significatifs : Boris, un bon gouverneur et une forte personnalité chez Karamzine, devient sous la plume du poète un homme écrasé par la conscience de son crime qui marque tout son règne, rend finalement impossible sa vie et grève l’avenir du pays. A l’inverse, Grégoire, aventurier et hérétique, ayant provoqué le déclenchement de la guerre fratricide, le viol de Xénia et le massacre de la famille de Boris, devient dans la tragédie un homme « intelligent, habile, drôle » et gagne les sympathies de tout le monde [Babel, p. 46].
Pouchkine face au pouvoir
Ces modifications révèlent la vision du tragique chez Pouchkine et la part de l’homme dans l’Histoire : le gouvernement, s’il se fonde sur le crime, est voué à l’échec et mène à une chaîne d’imposteurs. Il lit alors avec un intérêt croissant les pages sur le règne de Boris chez Karamzine : « c’est palpitant comme la gazette d'hier !» (Lettre à Joukovsky, 17 aout 1825). Mais, au moment de la publication, il met en grade son lecteur qui voudrait voir dans la pièce une allusion aux évènements contemporains : son projet est historique et uniquement historique [éd. Folio, p. 207]. C’est précisément cette approche historique qui permet de voir dans l’histoire russe des récurrences d’un Temps des troubles et l’écriture même de Boris Godounov s’inscrit dans une série de gestes assez courageux qu’il pose face au pouvoir. Son ode à la Liberté [voir l’Annexe 2] et ses calligrammes contre Alexandre I (qui le montrent comme despote pour la Russie, gendarme pour l’Europe) coûtent au poète deux exils. C’est lors du deuxième (1824-1826) qu’il écrit son Boris Godounov.
Mais ce rapport au pouvoir, n’est lui-même pas univoque : quand le nouveau tsar Nicolas I monte sur le trône, en décembre 1825 (et que les rebelles décembristes en profitent pour réclamer une constitution), Pouchkine exprime l’espoir qu’il deviendra ce monarque noble et cultivé que la Russie attend toujours aux moments les plus sombres de son histoire. Nicolas I répond à sa lettre, lui permet de revenir à Moscou et, lors de leur rencontre personnelle, tout semble s’arranger comme dans Cinna de Corneille : le tsar lui pardonne (même si Pouchkine ne cache pas sa sympathie et sa proximité pour les conjurés, ses amis du Lycée). De plus, il lui offre sa protection et lui promet d’être son seul censeur. Cette alliance inattendue se fonde, assez paradoxalement, sur la parenté de la vision politique du poète rebelle et du monarque de toutes les Russie. Ils finissent même par s’accorder sur le fait qu’entre « l’hydre autocratique » et « l’hydre révolutionnaire », une monarchie constitutionnelle est le régime qui convient le mieux à la Russie.
Ces considérations contribuent peut-être à forger ce que le philosophe Simon Frank appelle le « conservatisme libéral » de Pouchkine en matière politique qui concilie le respect de l’état et des croyances religieuses avec la liberté de création de l’individu [Frank, 2018].
Pouchkine et Corneille
Dans cette réconciliation entre le poète, indirectement lié au complot des décembristes, et le nouveau monarque, certains chercheurs russes voient une sorte d’incarnation sur la scène politique russe de la scène de Cinna où Auguste pardonne aux conjurés [Friedlender, 1992]. D’ailleurs, Nicolas 1er fut, de fait, un excellent acteur. Sa connaissance de Corneille, semble-t-il, était parfaite [Tomachevsky, 2004]. Mais Nicolas I poursuit son jeu par la suite selon le scenario classique où le pouvoir monarchique devient inévitablement despotique, selon le mécanisme que Pouchkine éclaire dans sa tragédie (pour garder le pouvoir, il faut « recourir au mal », confie Boris mourant dans son testament à son fils). C’est Nicolas I, ce « censeur personnel » du poète, qui se veut bienveillant, qui rature Boris Godounov au crayon rouge et ordonne à l’auteur de récrire la tragédie «en roman dans l’esprit de Walter Scott » [Dunning, 2006 ; Etkind, 1987].
A cette mise en scène d’après Corneille s’ajoutent des allusions à Cinna dans Boris Godounov qui permettent de voir le fond politique et culturel de la pensée de Pouchkine. On note une ressemblance entre les monologues des deux monarques, Auguste au début de l’acte II et Boris : « depuis bientôt six ans je règne en paix » [éd. Babel, p. 32]. Tous deux, parvenus au sommet du pouvoir absolu ne trouvent ni satisfaction, ni bonheur. Mais les raisons de cette situation tragique, parfaitement résolues dans le cas d’Auguste, mènent Boris à la mort, nullement préparée par la logique de l’action : elle vient même au moment où l’Imposteur semble vaincu.
De plus, Pouchkine change l’alexandrin en pentamètre iambique, tout comme il apprécie « le noble génie de Corneille » - expression qu’on trouve dans VIII strophe de Eugène Onéguine – au moment où le maitre du classicisme français prend des libertés par rapport à la règle des unités [voir la lettre de Pouchkine à Raïevski, éd. Babel, p. 118]. Il va jusqu’à parler de « la tragédie romantique de Corneille » en révélant ainsi son propre modèle dramatique.
Les fondements de la nouvelle esthétique [voir une série d’ouvrages dans les rubriques « Boris Godounov et le drame européen » et «Sur la poétique du drame romantique russe »] Pouchkine les trouve, comme ses contemporains européens, chez Shakespeare.
Pouchkine et Shakespeare
Pouchkine a toujours revendiqué l’exemple shakespearien, contre les règles de la tragédie à la française. L’action de sa pièce s’étend sur sept ans, le lieu change plus de vingt fois.
Il faut rester prudent dans la comparaison avec le Cromwell de Hugo et sa célèbre préface. Question de date. Par ailleurs, Pouchkine n’apprécie pas Hugo. Les sources sont Schlegel, et peut-être Manzoni. Ne pas oublier que Schiller a présenté sa Pucelle d’Orléans (Die Jungfrau von Orleans) comme une « tragédie romantique » (Eine romantische Tragödie). L’expression existe donc depuis longtemps, même si elle a quelque peu changé de sens. On la rencontre dans Stendhal.
La question des trois unités n’est pas tout. Comme Shakespeare, Pouchkine écrit des scènes en prose (cf. la scène des assassins, I.IV dans Richard III, pièce de jeunesse), néglige l’unité de ton (cf. La scène du portier, dans Macbeth) et même l’unité de langue (voyez Henry V. III.4 ; V.4)
Il compose des scènes de foule (voyez Jules César).
Les ouvrages, cités dans la bibliographie dans la rubrique « Pouchkine et Shakespeare » indiquent d’autres références : Alexeev [Etudes comparatistes, 1984] note une parenté entre le testament de Boris mourant à son fils Fedor et la scène du couronnement de Richard III (acte II, sc. 7) et le monologue de Henri IV (deuxième partie, acte IV, sc. 4 et 5). Le monologue de Boris « depuis bientôt six ans je règne en paix » est ici associé à Macbeth et aux souffrances de ce dernier à cause de l’assassinat de Banquo. Boris Godounov est aussi rapproché de Richard II : un souverain tout puissant qui est pourtant renversé par un pauvre exilé qui prend sa place. Shakespeare n’apparait pas seulement en arrière-plan de son écriture, mais aussi de façon plus visuelle, comme on peut le voir dans un de ses dessins qui accompagnent une esquisse de couverture pour ses Scènes dramatiques [Annexe 3].
Cela invite à réfléchir sur les rapports avec d’autres dramaturges européens d’inspiration « shakespearienne », parmi lesquels Schiller, lui aussi auteur du drame sur le même épisode du Temps des troubles russe. Mais lui, appelant son drame « Demetrius », met l’accent sur la figure de l’Imposteur qui porte chez lui tout le poids du tragique alors que son adversaire, Boris Godounov, « a réussi son règne » et donc n’attire pas beaucoup d’attention. Les rapports entre ces deux pièces sont analysés par deux critiques anglais, Brody [The Hague, 1973] et Duninng [Word, 2005] qui donne une ouverture importante sur la poétique du drame romantique telle qu’elle se forme à l’heure de la révolution esthétique au XIX s.
L’Innocent face aux puissants
Le personnage de l’Innocent, « iurodivyj » Nikolka, intervient au milieu de l’action, quand tout le monde attend le tsar, et pose un problème d’interprétation par sa parole énigmatique et par sa place dans l’histoire [voir la Préface Jean-Louis Backès, éd. Folio]. Confrère des bouffons de Shakespeare ou des fous « romantiques » chez Hugo ou Schiller dans sa fonction de révéler la vérité au souverain sous la forme de la folie (le terme "iourodivy" fait référence au "fol en Christ"), il est chargé dans la culture russe de transmettre un message spirituel. Les ouvrages d’Elisabeth Behr-Sigel [Bellefontaine, 1982] et de Michel Evdokimov [Desclée, 2007] peuvent donner des éléments pour situer ce saint paradoxal dans le contexte historique du Temps des troubles et dans la tradition spirituelle de la littérature russe. La porte-parole de la voix divine, Nikolka l’Innocent permet d’ouvrir, comme le personnage de Pimène, une autre perspective, meta-historique et métaphysique sur les évènements en cours, comme le souligne à son tour Moussorgski qui dans son opéra se focalise, précisément, sur la figure de Nikolka.
Pouchkine et Moussorgski
Pour son opéra, le compositeur a repris plusieurs tirades du poète, et d’importants fragments de deux scènes en prose, la scène de l’auberge (éd. Babel, p. 34) et la scène de l’Innocent (p. 88). Mais on observe de grandes différences entre les deux œuvres.
On risque des confusions.
Ce n’est pas dans la tragédie que Boris, en proie à des visions, s’écrie : « va-t’en ! enfant ! »
La tragédie ne se termine pas par une nouvelle apparition de l’Innocent.
La chanson que chante Varlaam dans la scène de l’auberge n’est pas un récit épique de la prise de Kazan, comme dans l’opéra, mais une chanson légère sur un petit moine qui regrette d’avoir fait vœu de chasteté.
Le récit du miracle est fait (p. 81) par le patriarche et non par le moine Pimène, comme dans l’opéra.
Cette scène ne s’enchaîne pas sur la scène de la mort de Boris. Moussorgski suggère un lien de causalité entre le récit du miracle, qui fait du petit prince un véritable saint, et l’apoplexie qui frappe Boris mis en face de son crime : il a fait tuer un saint. Pouchkine ne se soucie pas de justifier la mort de son personnage. C’est par hasard, et de manière inattendue, que Boris meurt à ce moment-là, laissant la voie libre au soi-disant Dimitri.
Le rôle du soi-disant Dimitri est beaucoup plus développé et beaucoup plus fouillé dans la tragédie que dans l’opéra.
On finirait par se demander s’il existe dans la pièce de Pouchkine une véritable unité d’action dans le sens où l’a définie Aristote : les deux protagonistes sont opposés l’un à l’autre, et ne se rencontrent jamais.
Le pouvoir sur scène
Le peuple russe semble aussi versatile que celui de Shakespeare. Que signifie son brusque silence à la fin de la pièce ? Voir p. 114. Pouchkine a modifié le texte du manuscrit. On n’a aucune preuve qu’il y ait été contraint par la censure. Noter que la foule se tait également dans Richard III, III.7.
Face à la foule, le souverain est seul. Il n’est pas indifférent que Boris monologue, comme Auguste.
Le souverain solitaire, comme le poète [voir Annexe 4], est son seul juge. Il doit avoir sa conscience pour lui (le mot « conscience » apparaît plusieurs fois dans Richard III, notamment dans la scène des assassins et après le défilé des spectres). La tragédie de Boris est justement là : il se sait coupable d’un crime.
La pièce donne à voir six ans de règne. Boris est un bon administrateur. Quatorze ans régent, il est apprécié. En tant que tsar, il est confronté à diverses calamités publiques.
Le pouvoir use celui qui l’exerce. Le testament de Boris tient compte de cette donnée : il faut, petit à petit, resserrer les rênes.
Le motif essentiel est peut-être celui de l’imagination. Importe non pas toujours ce qui est, mais ce que les hommes se figurent être. Le soi-disant Dimitri est un personnage de légende. C’est une personne qui joue un rôle et, pour cette raison, est toujours en déséquilibre entre ce qu’il est, ce qu’il figure, ce qu’il se figure.
Le souverain doit savoir jouer de cette imagination qui anime le peuple et en explique la versatilité. C’est peut-être par la présence de ce motif, et de cette maxime, que Pouchkine se distingue de ses rivaux.
Pour citer cet article
Jean-Louis Backès et Tatiana Victoroff, « Boris Godounovde Pouchkine : présentation », SFLGC, Agrégation, publié le 5 Septembre 2018, URL : https://sflgc.org/agregation/backes-jean-louis-boris-godounov-de-pouchkine-presentation/, page consultée le 21 Décembre 2024.