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Rimbaud sur d'autres "horizons": Maeterlinck et Claudel, dramaturges "voyants"
Le Rimbaud « voyant » envisageait la venue des « horribles travailleurs » qui lui succèderaient, sur « les horizons » où lui-même n’était pas certain d’arriver « à l’inconnu ». Maeterlinck et Claudel méritent d’être considérés comme les plus merveilleux de ces travailleurs, notamment dans leurs œuvres théâtrales, hantées par les écrits poétiques de leur incontournable modèle. Ces œuvres dramatisent en effet les énigmes de la parole de Rimbaud, que résument « la grâce croisée de violence » ou bien, dans une autre illumination, le rapport des « pierres précieuses » et de « Barbe-Bleue » : autant d’expressions du mystère de l’Harmonie, qui a partie liée avec la violence humaine. Cet ouvrage propose un portrait inédit de Rimbaud, taillé dans les pierres précieuses dont Maeterlinck a rempli le château de Barbe-Bleue.
Les réminiscences de Rimbaud dans les œuvres de ces poètes dramaturges, prennent un sens particulier dans leur théâtre. Les échos des poèmes de Rimbaud et de sa Saison en enfer se dispersent en effet dans les répliques de l’action scénique. Les tensions qui agitent l’esprit de Rimbaud et qu’il n’a pu résoudre dans son « alchimie du verbe », se traduisent dans le rapport des personnages ou actants de ces pièces. Il ne semble pas que ce phénomène ait été conscient chez Maeterlinck et Claudel, qui ont pourtant avoué leur dépendance à l’égard de Rimbaud. Si conscience il y a, elle concerne chez Maeterlinck le mystère de « l’Univers », qui inspire ses choix de dramaturge. Avant même qu’il n’écrive lui-même des essais sur les causes premières, en s’intéressant notamment à la kabbale, son théâtre a été le moyen de ce questionnement qui oscille, comme celui de Claudel, entre l’idée d’une vérité ou Unité suprême, et la violence humaine ; — les conceptions se rapportant à cette Unité ne seraient que le remède à cette violence ?
Chez Rimbaud, au début de sa courte carrière, la recherche du « Nombre et de l’Harmonie », et les tortures fictives qu’il revendique comme le moyen de parvenir à son but, témoignent de préoccupations analogues. Le renoncement de Rimbaud à la poésie est lié à un indéniable désenchantement spirituel. Le Rimbaud que recréent les deux dramaturges est celui dont les aspirations métaphysiques sont ignorées par les commentateurs d’aujourd’hui. Ces problèmes ne sont pas survolés, mais questionnés dans cet ouvrage à travers les citations des œuvres des deux dramaturges, où résonne la parole de Rimbaud. Les princesses enfermées de Maeterlinck, sont confrontées à l’opacité de murailles où se matérialisent les limites qui séparent le Rimbaud « voyant » de son « inconnu ». Et dans le tout premier drame de Claudel, le déchirement relationnel des personnages donne un relief spectaculaire à celui que Rimbaud poétise dans ses poèmes les plus cryptiques.