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Rimbaud face à Li Yu: la rencontre des fables
Certains poèmes de Rimbaud passent non sans raison pour être un sommet, pour ne pas dire le sommet de la littérature occidentale ; partagés qu’ils sont entre des aspirations métaphysiques et le déni des vertus de l’art, déni dont la modernité n’a pas fini de se vérifier aujourd’hui. Or, cette expérience poétique est préfigurée, à l’avantage de la métaphysique, dans un ensemble de fragments poétiques chinois rassemblés au XVIIe siècle, et traduits pour la première fois (et en français) en 2022. L’auteur ou les auteurs de ces Rimes du vieux pêcheur maîtrisent les secrets de ce que Rimbaud nommera l’ « alchimie du verbe ». Et avec des motifs à valeur symbolique, que retrouve l’instinct poétique de Rimbaud. La fascination de ce dernier pour le Nombre et l’Harmonie, se rapproche du rôle inspirateur des principes-clefs de la pensée chinoise (les « Trois-Un ») dans ces poèmes du Vieux pêcheur. La présence thématique de la Chine dans certains poèmes de Rimbaud, révèle une conscience intuitive, chez notre poète, de ces analogies.
La complexité de ce rapprochement est redoublée par l’attribution de ces Rimes du Vieux pêcheur à Li Yu, célèbre dramaturge du XVIIe siècle, surtout connu en Occident pour son roman sulfureux La Chair comme tapis de prière. Un Scarron chinois si l’on veut, dont la verve iconoclaste peut encore se comparer à celle de Rimbaud dans certaines de ses œuvres. Rimbaud a encore en commun avec Li Yu son mépris amusé de la mimesis artistique, banalement vouée à la peinture du monde observable…
L’analyse des Rimes du vieux pêcheur, dans lesquels se voient poétisés les principes de la pensée chinoise, rend bien suspecte leur attribution au romancier Li Yu, qui s'amuse avec férocité de ces principes. La question est alors les raisons de l’intérêt de cet auteur chinois pour ces fragments poétiques auxquels il aurait apporté quelque ordre. Le génie iconoclaste de Li Yu (dans des œuvres en prose étudiées par M. Arouimi) n’allant pas sans la nostalgie de principes universels, qui s’accuse plus douloureusement dans les poèmes les plus cryptiques de Rimbaud.