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« Restes de légendaire dans les récits de filiation contemporains »
Date de l'échéance : 01/12/2022
Lieu de l'événement : Paris
Nom de l'organisateur : Aurélie Barjonet ; Doris Eibl
Email de l'organisateur : resteslegendaire@gmail.com
« Restes de légendaire dans les récits de filiation contemporains »
Dossier proposé par
Aurélie Barjonet (Université de Versailles St-Quentin-en-Yvelines) et Doris Eibl (Université d’Innsbruck)
à paraître dans :
Revue des sciences humaines
« Ce qui reste, les poètes le donnent. »
Friedrich Hölderlin[1]
En 1996, Dominique Viart parle pour la première fois de « récit de filiation » pour désigner ces textes littéraires non fictionnels rédigés sur des ascendants plus ou moins éloignés, qui se multiplient à partir des années 1980[2] et « déplacent l’investigation de l’intériorité vers celle de l’antériorité[3] ». Quand le passé est particulièrement lacunaire, le récit se fait enquête « archéologique[4] », le narrateur-descendant rivalisant avec l’historien par sa collecte d’archives et son « éthique de la restitution[5] ». Parfois, il se déplace même comme un ethnologue sur le terrain[6]. En France surtout, la forme-enquête est préférée à des formes traditionnelles, comme la saga familiale des époques réaliste-naturaliste et moderne, sagas qui étaient un prétexte pour écrire un roman historique. De fait, l’enquête se pense même contre la saga et le roman historique puisqu’elle part du présent pour retrouver le passé, qui n’est pas donné, mais à conquérir. Le narrateur n’a de cesse d’insister sur la fragilité de l’écriture de l’Histoire. Le récit sous forme d’enquête se donne ainsi comme plus innovant, plus littéraire, et offre la possibilité de parler de soi tout en commentant sa recherche. Il permet aussi de rapprocher la littérature des autres sciences humaines, de rappeler qu’elle peut être un outil de connaissance[7].
En dépit de la volonté affichée de faire toute la lumière sur les légendes familiales, les enquêtes littéraires écrites récemment par des descendants de victimes ou d’acteurs d’événements historiques ne renoncent pas totalement à l’idéalisation des ancêtres, et plus largement à l’embellissement de leurs origines et donc à la sentimentalité (si vilipendée par Theodor Adorno après Auschwitz)[8]. Peu de chercheurs l’ont relevé, mais c’est par exemple le cas de Nelly Wolf qui montre qu’en dépit du travail de savoir affiché, le conte et le légendaire sont réintroduits par le fait que le narrateur-enquêteur devient un héros faisant face à des obstacles, des adjuvants, découvrant des trésors[9]. Outre l’analogie structurelle au conte, le légendaire peut être présent sous la forme de foi dans un destin, le recours à la pensée magique, un attachement à un certain folklore, certaines allusions thématiques (grotte, château, noblesse…), à la mythologie (genèse, mythe d’Orphée, d’Enée, femme de Lot…), ou encore prendre la forme d’incursions dans le surnaturel, au fil des hypothèses énoncées.
Cette survie de l’idéalisation, au sein des enquêtes généalogiques contemporaines, a certainement plusieurs causes : incapacité à se transporter réellement dans le passé, besoin irrépressible de « roman familial[10] », mécanisme de défense[11], fantasmes rétrotopiques[12], notamment de communauté ou de ressemblance[13], ou encore volonté de trouver une issue positive, consolatrice voire réparatrice à un travail de savoir sur sa famille. C’est sur ces causes que notre dossier voudrait s’interroger. Plus largement, il vise à détecter et à analyser cette présence souvent inconsciente dans une vaste littérature d’investigation non-fictionnelle écrite en français par des descendants. Nous ne pensons pas exclusivement à des descendants de victimes de la Shoah, quoique cet événement reste matriciel dans l’écriture littéraire contemporaine de l’Histoire.
La littérature, aussi objective et scientifique qu’elle se donne, peut-elle totalement échapper à l’héroïsation, a fortiori quand elle (ra)conte l’histoire familiale ? C’est évidemment la question ultime que nous posons.
Les propositions de communication sont à envoyer au plus tard le 1er décembre 2022 à resteslegendaire@gmail.com, incluant un titre et un résumé d’environ 150 mots en français, elles seront accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique. Le texte final sera à rendre le 31 mars 2023, pour une parution du dossier fin 2023-début 2024.
[1] Traduction de Doris Eibl, du vers « Was bleibet aber, stiften die Dichter » tiré du poème « En souvenir de » (« Andenken »).
[2] Dominique Viart, « Filiations littéraires », écritures contemporaines, n° 2, Dominique Viart et Jan Baetens (dir.), États du roman contemporain. Actes du colloque Calaceite 1996, 1999, p. 115-140.
[3] Dominique Viart, « Récits de filiation », dans : Dominique Viart et Bruno Vercier (dir.), La Littérature française au présent. Héritage, modernité, mutations, 2005, 2e éd., Bordas, 2008, p. 79-101, ici p. 79.
[4] Dominique Viart, « Nouveaux modèles de représentation de l’Histoire en littérature contemporaine », Nouvelles écritures littéraires de l’Histoire, t. 10 : Écritures contemporaines, Caen, Lettres Modernes Minard, 2010, p. 11-39.
[5] Dominique Viart, « Le récit de filiation : ‘éthique de la restitution’ contre ‘devoir de mémoire’ dans la littérature contemporaine », dans : Christian Chelebourg, David Martens, Myriam Watthée-Delmotte (dir.), Héritage, filiation, transmission : configurations littéraires (xviiie-xxe siècles), Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2011, p. 199-212.
[6] Dominique Viart, « Les littératures de terrain », Revue critique de fixxion contemporaine, nº 18, 2019, consulté le 25 aout 2022 : http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/view/fx18.20/1339).
[7] Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête. Portraits de l’écrivain contemporain en enquêteur, José Corti, 2019. Ce phénomène produit en retour une subjectivation de l’écriture historienne, voir Enzo Traverso, Passés singuliers. Le « je » dans l’écriture de l’histoire, Montréal, Lux Éditeur, 2020.
[8] Sur les autres angles morts des récits d’enquête contemporains, voir Marie-Jeanne Zenetti, « Un effet d’enquête », Atelier de théorie littéraire, Fabula, août 2019 : https://www.fabula.org/ressources/atelier/?Effet_d_enquete#_ftnref47.
[9] Nelly Wolf, « Le yiddish en traduction : une scénographie de l’enquête mémorielle », dans : Valentina Litvan et Claire Placial (dir.), Traces et ratures de la mémoire juive dans le récit contemporain, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2021, p. 221-234, p. 225-226.
[10] Sigmund Freud, « Le roman familial des névrosés » (1909), Névrose, psychose et perversion, trad. Jean Laplanche, Paris, PUF, 1973, p. 157-160 et Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris, Gallimard, 1972.
[11] C’est l’hypothèse de Svetlana Boym, pour expliquer l’épidémie de nostalgie qu’elle repère dans son livre de 2001. La nostalgie serait une réponse à la mondialisation, à l’accélération de la vie, « une aspiration à la continuité dans un monde fragmenté », mais aussi un renoncement à la pensée critique au profit de liens émotionnels ». The Future of Nostalgia, New York, Basic Books, 2001, p. xiv et p. xvi.
[12] Zygmunt Bauman, Retrotopia, 2017, traduit de l’anglais par Frédéric Joly, Paris, Premier Parallèle, 2019.
[13] À ce sujet, voir François Noudelmann, Les Airs de famille. Une philosophie des affinités, Paris, Gallimard, 2012.
Source de l'information : Aurélie Barjonet