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Présentation de Fureur et mystère de René Char (Laure Michel)
Présentation de Fureur et mystère de René Char
Laure Michel
Université Paris-Sorbonne
Fureur et mystère, publié chez Gallimard le 14 septembre 1948, rassemble dix années décriture . Malgré les différences de formes poétiques, de situations et denjeux dans chacune des sections du recueil, lensemble est marqué par une forte cohérence, celle que dessine lengagement dun sujet dans lhistoire jusquà son repositionnement après-guerre. Fureur et mystère décrit la transformation dun « je », qui va saffirmer responsable devant ses contemporains, reconnaîtra la fragilité de lécriture poétique, tout en posant à la fois la nécessité de celle-ci pour laction et son indépendance à légard des circonstances. Dans limmédiat après-guerre, la déception de Char, la persistance du mal combattu pendant les années de Résistance mettent fin, dans le poème, à laccord dun destin individuel et dun destin collectif. Le rassemblement en un seul volume des textes écrits entre 1938 et 1948 crée lunité dun parcours qui va de laffirmation de cet accord à sa rupture.
Situation de Char en 1938
Char sest éloigné du surréalisme depuis 1935, après avoir publié en 1934 son grand recueil surréaliste Le Marteau sans maître. Il reproche à Breton sa perte dambition révolutionnaire, ses compromis, qui institutionnalisent le mouvement et le conduisent « infailliblement à la maison de Retraite des Belles-Lettres et de la violence réunies ». Lesthétique de Char va évoluer sensiblement à partir de cette date mais les références au surréalisme resteront nombreuses .
Entre 1936 et 1938, Char écrit les poèmes qui composent Placard pour un chemin des écoliers (1937) et Dehors la nuit est gouvernée (1938). Dans le premier recueil, le texte douverture, la « Dédicace » aux enfants dEspagne, marquée par lactualité de la guerre dEspagne, peut nous intéresser plus particulièrement. Cette « Dédicace » est écrite en mars 1937, peu après les premiers bombardements de la capitale espagnole, un mois avant Guernica. Char y confronte les souvenirs dune enfance heureuse aux massacres des enfants dEspagne : « Lorsque javais votre âge, le marché aux fruits et aux fleurs, lécole buissonnière ne se tenaient pas encore sous laverse des bombes ( ) ». Ce texte, dabord confié à la revue Cahiers GLM, en est retiré à la demande de Char pour être donné, avec une illustration de Valentine Hugo, à une brochure vendue au profit des enfants dEspagne au pavillon espagnol de lExposition internationale de Paris, ouverte le 25 mai 1937, où Picasso expose sa toile Guernica .
Cette « Dédicace » est le premier texte poétique de Char qui se saisisse de la question de lengagement du poème. Jusque là, en accord avec les positions de Breton, lengagement de la personne du poète se trouvait dissocié de lécriture poétique. Avec la « Dédicace » sintroduit dans le poème une temporalité historique, lappel à une justice de lhistoire et laffirmation de la responsabilité de lécriture devant lévénement, ainsi quune adresse à un destinataire collectif témoin de la dénonciation. Quil soit possible dutiliser cette « Dédicace » dans un contexte militant, lors de lExposition internationale de 1937, montre bien la valence politique de ce texte.
Les poèmes de Placard pour un chemin des écoliers toutefois demeurent, eux, non référentiels et dégagés des circonstances, mais ils nous intéressent à un autre titre. Leur forme versifiée, utilisant parfois loctosyllabe et lassonance, est tout à fait inhabituelle dans lécriture de cette période. Char lui-même les qualifiait de « genre ultra-facile » dans sa correspondance avec Éluard. Peut-être doivent-ils leur relative simplicité à la proximité de Char avec ce dernier, qui vient de faire paraître LÉvidence poétique (1937) et adopte une écriture plus simple et plus fluide. Les poèmes de Placard pour un chemin des écoliers trahissent aussi, par leur forme de chanson, par le lien entre un lieu, méditerranéen, et des êtres aux voix et aux vies marginales , la lecture que Char fait de Federico García Lorca, en compagnie dÉluard qui traduit alors avec Louis Parrot lOde à Salvador Dali (GLM en 1938). Comme en témoigne une lettre inédite à Louis Parrot citée par Jean-Claude Mathieu , dans laquelle Char senquiert des traductions du Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias, le poète a lu un recueil publié sous le titre Chansons gitanes en 1935, dans la collection des « Cahiers de Barbarie », qui contiennent plusieurs poèmes du Romancero gitan.
Seuls demeurent
Fureur et mystère est composé de plusieurs sections qui pour la plupart ont dabord été publiées comme recueils indépendants. Cest le cas de Seuls demeurent qui paraît en 1945. Seuls demeurent est lui-même composé de trois moments :
« LAvant-monde », qui regroupe des poèmes, quasiment tous en prose, écrits entre 1938 et 1943, de lavant-guerre au milieu de la guerre.
« Le Visage nuptial », qui est un ensemble de cinq poèmes damour en vers datant de lété 1938 et du début de la guerre.
« Partage formel », qui consiste en une série daphorismes écrits en 1941 et 1942 portant sur lacte poétique et le rôle du poète.
Pendant cette période, la vie de Char est marquée par le début de la guerre. Sa mobilisation en Alsace, de septembre 1939 à juin 1940, met fin à quelques mois dintense bonheur amoureux avec Greta Knutson, dont les poèmes du « Visage nuptial » gardent la mémoire. Les événements historiques eux mêmes ne sont pas absents du recueil, qui en nomme certains et leur donne une place significative. La déclaration de guerre est présente dans « LAvant-monde », où elle fait césure. Le treizième poème, « Le Loriot », est en effet daté du « 3 septembre 1939 » : « Le loriot entra dans la capitale de laube./ Lépée de son chant ferma le lit triste./ Tout à jamais prit fin. »
À la fin de lannée 1940, la maison de Char est perquisitionnée, lui-même devient lobjet dune surveillance policière étroite. Il sinstalle pour cette raison en 1941 à Céreste, village des Basses-Alpes qui deviendra le quartier général du maquis quil va diriger. À la fin de lannée 1941, certains poèmes laissent paraître des traces de la décision de sengager dans la résistance. « LAbsent », par exemple : « Nous dormirons dans lespérance, nous dormirons en son absence, puisque la raison ne soupçonne pas que ce quelle nomme, à la légère, absence, occupe le fourneau dans lunité ». Le plus explicite est le poème « Chant du refus. Début du partisan » qui inscrit dans son titre lentrée en résistance.
À la fin de lannée 1942, Char devient chef du secteur Durance-Sud de lArmée Secrète. Il est rattaché au réseau « Action ». Il continue en 1942 et début 1943 décrire des poèmes qui seront intégrés à Seuls demeurent. Ce sont des poèmes marqués par les circonstances, parfois explicitement : « Vivre avec de tels hommes » (juillet 42), « Carte du 8 novembre » (novembre 42), la date du 8 novembre évoquant le débarquement allié en Afrique du nord, « Plissement » (décembre 42) . Au printemps 43, laction sintensifie, lécriture de Char se fait plus rare. De cette époque datent les poèmes « Hommage et famine » et « Louis Curel de la Sorgue ». Ce sont les derniers écrits pour Seuls demeurent. De lété 43 à lété 44, laction du maquis ne laissera pas de place pour les poèmes. Seule persistera la forme du carnet de notes, prises au jour le jour, dont Char tirera certains extraits après guerre qui formeront Feuillets dHypnos.
La publication de Seuls demeurent a dabord été envisagée par Char en avril 1941, comme le révèle une lettre à Gilbert Lely . Puis cette perspective sestompe à partir du moment où sorganise le maquis. Char écrit ainsi, à la fin de 1941, dans le premier billet à Francis Curel : « Je ne désire pas publier dans une revue les poèmes que je tenvoie. Le recueil doù ils sont extraits et auxquels en dépit de ladversité je travaille, pourrait avoir pour titre Seuls demeurent. Mais je te répète quils resteront longtemps inédits, aussi longtemps quil ne se sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement linnommable situation dans laquelle nous sommes plongés. » Seuls demeurent est malgré tout envoyé à léditeur en juillet 1943. Selon les informations dAntoine Coron , Char reçoit un avis très favorable de Jean Paulhan mais, lorsque le poète envoie à Gallimard son contrat dédition, il exprime le souhait que son recueil ne paraisse « quune fois la situation de notre pays définitivement éclaircie ».
« LAvant-monde » est organisé de manière à suivre globalement un ordre chronologique historique, indépendant de lordre chronologique exact décriture : entrée en guerre (« Le Loriot »), décision de résistance (« Chant du refus ») jusquà « La Liberté », titre du dernier poème, qui a été ajouté pour la publication du recueil en 1945, ainsi que le montre le manuscrit, daté de 1944, bien après la rédaction de lensemble.
Cette section accomplit, comme le faisait la « Dédicace » à son échelle, linscription de lévénement historique dans un devenir personnel. « LAvant-monde », en effet, donne à voir le passage dun temps personnel, dans la première section du recueil jusquau poème « Le Loriot », à un temps collectif, pris en charge par le « je » qui énonce son engagement. Cette section du recueil voit ainsi la transformation dun sujet qui saffirme responsable devant lhistoire et se lie par une perspective daction. Notons que cest un engagement qui ne va pas de soi. Lhistoire, dont le récit pendant la période surréaliste donnait prise à un désir sadien de destruction universelle, reste profondément suspecte aux yeux de Char : elle est « Le Bouge de lhistorien », selon le titre dun poème central de « LAvant-monde ». Cet engagement coûte et implique un rapport déconomie mesurée à laction : « Notre effort réapprend des sueurs proportionnelles » (Partage formel, XXIV).
Le recueil décrit cet engagement, mais les poèmes eux-mêmes ne sont pas engagés : ils nessaient pas dinciter à laction une collectivité qui en serait le destinataire. Bien plus, en même temps que le recueil figure lengagement du sujet, le poète comme figure sociale tend à disparaître de la vie institutionnelle pendant la guerre. On a donc une présence accrue de la voix dans les textes, mais la voix sociale sefface au profit de la lutte. Le poète est « celui qui complètera par le refus de soi le sens de son message » (Partage formel, LI).
À cet ensemble succèdent les poèmes amoureux du « Visage nuptial » qui tournent autour de la figure de Greta Knutson. Placer « Le Visage nuptial », écrit avant la guerre en 1938, après « LAvant-monde », a du sens. Cest une manière déquilibrer le recueil, entre engagement et détachement et de lui donner lhorizon dune victoire sur « lanti-vie nazie ». Au poème final de « LAvant-monde », « La Liberté » succède ainsi, comme en écho ou comme pour en amplifier la figure, un long hymne à lamour.
« Partage formel », enfin, clôt cet ensemble par cinquante-cinq aphorismes, qualifiés par Char de « propositions subsidiaires » selon le manuscrit du recueil : ce sont originellement des « ajouts » à un recueil daphorismes antérieur, Moulin premier, écrit en 1936 pour se démarquer du surréalisme. Lhorizon a changé, mais demeure lidée que le poème doit saccompagner de réflexions, de « propositions » qui sont, selon une autre image mentionnée dans le manuscrit, autant d« étais » venant soutenir, étayer, lécriture. Les propositions de « Partage formel » tournent autour de la question du poète et du poème. Elles sont une affirmation dindépendance de la poésie au cur du conflit. Un espace décriture se dégage pour la désigner en un temps où elle est menacée, où sa nécessité même est ébranlée.
Feuillets dHypnos
Ce recueil est au départ un carnet de notes variées, une sorte de journal tenu à Céreste entre 1943 et 1944 lorsque laction au maquis sintensifie. Char est à partir de septembre 1943 chef départemental de la Section Atterrissages-Parachutages (SAP) pour les Basses-Alpes, sous le pseudonyme de capitaine Alexandre. Il est sous le commandement de Camille Rayon, chef de la R2 (Région 2 regroupant Provence, Gard et Hautes-Alpes) des Forces Françaises Combattantes, lequel apparaît dans les feuillets sous le nom de « Archiduc ». La tâche de la SAP consistait à réceptionner le matériel parachuté par la RAF sur des terrains spéciaux quil fallait repérer et préparer pour des atterrissages clandestins, comme par exemple l« homodépôt Durance 12 » du feuillet 87. Des messages de la BBC annonçaient les opérations, par exemple « La Bibliothèque est en feu », qui sera le titre dun recueil ultérieur de Char.
Ce carnet est retravaillé entre fin août 1944 et août 1945 et sera publié chez Gallimard en avril 1946. Il prend la forme dune série de 237 textes courts, fragments ou aphorismes, qui globalement suivent lordre des événements qui touchent le maquis. Certains sont consacrés au récit dépisodes marquants (feuillet 128 : fouille de Céreste par les SS ; feuillet 138 : mort de Roger Bernard). Dautres font le portrait des compagnons de Résistance. Ce sont aussi des réflexions, plus ou moins détachées des circonstances, sur laction, mais aussi sur ces contre-pouvoirs que représentent la nature et lamour.
Feuillets dHypnos nest pas un recueil engagé. Il est composé et publié après coup, en 1946, quand la guerre est terminée. Char a différé la publication des ses textes pendant le conflit. La poésie est insuffisante, « dérisoirement insuffisant(e) », écrit-il à Francis Curel. Les circonstances de la guerre, le nazisme, loppression, requièrent autre chose. Char a une conscience nette des limites de la poésie, de son impuissance, de son caractère très exactement secondaire. Ce nest même pas quil refuse de mettre la poésie au service du combat politique pour préserver lindépendance de celle-ci, cest tout simplement que la poésie ne peut pas grand-chose. Pour autant, il ne renonce pas à écrire pendant la guerre. Comment interpréter ce geste ? Si Char dénie toute efficacité sociale et politique au poème en temps de guerre, la poésie nen est pas moins, à ses yeux, indispensable, pour laction elle-même. Elle a à ce titre plusieurs fonctions.
La poésie retrouve dabord très concrètement dans les énoncés brefs de Feuillets dHypnos une ancienne fonction héritée de laphorisme hippocratique, qui consiste à analyser de manière circonstancielle et empirique la crise du corps social et de la psyché collective de ses contemporains. Char se représente souvent lui-même comme poète médecin, par exemple dans le « Bandeau » de Fureur et mystère : « Il ajoute de la noblesse à son cas lorsquil est hésitant dans son diagnostic et le traitement des maux de lhomme de son temps [ ] ».
Plus radicalement, le feuillet doit chercher à « nomme[r] les choses impossibles à décrire », il doit « dépouille[r] » les apparences de leurs « sortilèges » (« Note sur le maquis ») pour rendre possible laction contre ce que le mal nazi a dexcessif, dinconcevable .
Lécriture de Feuillets dHypnos a ensuite une fonction au regard du temps de laction. Elle répond à la faillite du temps collectif. Nombreux sont les feuillets qui décrivent lemballement dun temps condamné à se répéter, dun temps sans mesure, dé-mesuré (« Minuit au glas pourri, quune, deux, trois, quatre heures ne parviennent pas à bâillonner », feuillet 25), qui décrivent aussi une confusion des ordres temporels (« on donnait jadis un nom aux diverses tranches de la durée : ceci était un jour, cela un mois », feuillet 90). Face à cela, lécriture vient poser, comme contrepoids, la possibilité dun temps pour agir . Elle déploie en particulier, la perspective dun après. Parce que le temps présent est vécu comme crise, parce que la mesure et lorganisation du temps elles-mêmes sombrent dans une confusion affolée, laction et son corollaire, la mise en uvre de moyens en vue dun projet, doit poser un avenir proche, projeté en avant de soi. Lavenir dont il est question dans Feuillets dHypnos est un « lendemain » pensé dans les termes du « but à atteindre » (feuillet 1). Laffirmation de cet après fonde en outre la possibilité dun agir collectif, par la suggestion dune suite de générations dans les mains desquelles laction retombera : « Laction qui a un sens pour les vivants na de valeurs que pour les morts, dachèvement que dans les consciences qui en héritent et la questionnent » (feuillet 187).
Notons toutefois que, au sein de cette écriture en vue de laction, place est faite aussi à des feuillets qui disent la recherche de ce qui, échappant aux circonstances, permettra douvrir une brèche dans lenchaînement des moyens et des fins. Cest ce quénonce le feuillet 59 : « Si lhomme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut dêtre regardé. » Lécriture des Feuillets dHypnos semploie aussi à dégager laction de son but immédiat et à dégager le combattant dune relation déterministe à lévénement. Alors que limpératif du combat impose une évaluation rigoureuse et limitée de la situation, une conception de ce qui arrive en termes de causes et de conséquences, certains feuillets prennent soin de réserver, de tenir en retrait de laction, « une enclave dinattendus et de métamorphoses dont il faut défendre laccès et assurer le maintien » (feuillet 155).
Le Poème pulvérisé et la publication de Fureur et mystère
Le Poème pulvérisé, grand recueil de limmédiat après-guerre, publié en 1947, est encadré dans Fureur et mystère par deux courtes sections, qui nont jamais été publiées indépendamment, « Les Loyaux Adversaires » et « La Fontaine narrative ». « Les Loyaux Adversaires » est un titre initialement donné à une section de Seuls demeurent puis abandonné. Il regroupe des poèmes brefs, presque tous en vers, écrits pour la plupart au début de la guerre lorsque Char est mobilisé en Alsace. Ce sont des poèmes circonstanciels, dune écriture plus facile, qui les rapproche du recueil des Matinaux publié en 1948, avec lequel ils partagent les personnages des « vagabonds » et le ton de la chanson enfantine. Placés après Feuillets dHypnos, ces poèmes signalent le retour dune relation plus légère à lécriture. Cest ce que font de leur côté également les neuf poèmes de la dernière section « La Fontaine narrative ». La libération dune parole qui a retrouvé la possibilité du souffle et de la fluidité se noue très nettement dans cette dernière section à la parole amoureuse et à la figure dune femme aimée, Yvonne Zervos.
Le Poème pulvérisé se présente, lui, comme un ensemble de poèmes majoritairement en prose, publié non pas chez Gallimard mais dans la collection « LÂge dor » de la revue Fontaine, revue active dans la Résistance, dirigée à Alger par Max-Pol Fouchet. Sur lun des exemplaires, Char ajoute à chaque poème un commentaire quil nomme « arrière-histoire » et qui sera publié en 1953 par Jean Hugues . La guerre est encore présente dans ce recueil où domine limage de la « catastrophe » pour la désigner, mais on y lit aussi la recherche dune issue au désastre et dune relance du mouvement en avant, à partir du constat, propre à la période de laprès-guerre, dune impossible action dans lhistoire.
Le Poème pulvérisé est en effet emblématique du repositionnement de Char après guerre. De nombreux textes de la même époque, parus dans la presse, et pour certains repris ensuite dans Recherche de la base et du sommet, témoignent chez Char dune crise de la confiance en lhistoire et dune distance prise à légard des contemporains. Il faut lire à ce propos le quatrième Billet à Francis Curel (1948), la fin de « La Liberté passe en trombe » et la note ajoutée en 1948, « Dominique Corti » (1946), et certains entretiens, en particulier lentretien avec Pierre Berger de juin 1952 . Le principal objet de la crise est le constat que « le mal » combattu pendant la guerre ne disparaît pas : « Ce qui suscita notre révolte, notre horreur, se trouve à nouveau là, réparti, intact et subordonné, prêt à lattaque, à la mort » (« Heureuse la magie »).
Dans ce contexte, Le Poème pulvérisé se situe clairement après limpératif daction dans lhistoire. Prenant du recul avec les événements, le poète change lempan de son regard et fait de la guerre, sur fond de références alchimiques et cabalistiques, un désastre à léchelle de la Création. La guerre est une césure décisive après laquelle le poète assume la tâche de reconstruire lespoir mais en dehors de toute référence au temps de lhistoire. Car lhistoire comme conception du temps collectif apparaît dans ces années daprès-guerre aux yeux de Char comme une source doppression : son propos, explicitement anti-communiste, dénonce une idéologie qui repousse à un avenir lointain la promesse dun bonheur dont elle fait un instrument de domination.
Pour autant, Char ne renonce pas à penser, à imaginer, à lintention de ses contemporains, dautres formes du devenir, qui leur donnent les moyens de poursuivre le mouvement en avant. Contre lattente dun avenir défini, Char défend ce quil appelle lespoir de limprévisible, lespoir que quelque chose dinattendu surgira, qui renversera loppression. Par là il donne toute sa place à un rapport au temps qui apparaissait par intermittence dans Feuillets dHypnos. Feuillets dHypnos en effet semployait à maintenir, au cur même du temps historique et de ses exigences pratiques, une relation à « lespoir du grand lointain informulé (le vivant inespéré) » (feuillet 174). Ce « grand lointain » nest pas un utopique avenir harmonieux que viserait laction dans lHistoire ; il est hors-Histoire. Il est interruption du temps calendaire, brèche dans la linéarité du temps historique, du temps déterminé et mesuré par laction collective : « enfonce-toi dans linconnu qui creuse. Oblige-toi à tournoyer » (feuillet 212). Ce rapport à un temps autre devient dominant dans les années daprès-guerre, à partir du moment où Char a renoncé à lidée dagir dans lHistoire. Temps de « linespéré » ou encore de « limpossible », il est pendant la période du maquis le signe dune liberté, que le poème nomme et à lhorizon de laquelle travaille le poète.
Mais surtout, Char donne à limage de la « pulvérisation », telle quelle se lit dans le titre du recueil Le Poème pulvérisé, une vertu tout à fait singulière. La pulvérisation soppose à une conception linéaire du temps, collectif aussi bien quindividuel, qui place la mort ou ce qui revient au même pour Char la cité idéale à son terme. Contre ce temps destructeur, le poète oppose la dissémination de la poussière, la pulvérisation, qui est chez lui une spatialisation de la finitude. Cette dispersion dans lespace ouvre la possibilité de penser un renouveau qui ne nie pas la mort mais sappuie sur elle. Sopposant à loptimisme des idéologies de lhistoire, Char défend la nécessité dintégrer le négatif, le désastre, à la relance du mouvement en avant, dintégrer « la teinte du caillot » dans « la rougeur de laurore » (« Rougeur des matinaux », I).
Le poème na plus la même fonction que pendant la guerre : il nest plus un étai de laction du résistant. Sans se détourner pour autant du souci de son époque, il se situe à côté, dans une relation de dénonciation et de vigilance, mettant fin par là à la période ouverte par la « Dédicace » de Placard pour un chemin des écoliers où le temps dun je sétait temporairement associé à celui dun nous pour agir dans lhistoire.
Textes complémentaires
« Dédicace », Placard pour un chemin des écoliers, G.L.M., 1937 (repris dans uvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 89)
« Enfants dEspagne, ROUGES, oh combien, à embuer pour toujours léclat de lacier qui vous déchiquette ; À Vous.
Lorsque javais votre âge, le marché aux fruits et aux fleurs, lécole buissonnière ne se tenaient pas encore sous laverse des bombes. Les bourreaux, les candides et les fanatiques se tuaient bien, sestropiaient bien quelque part entre eux à des frontières de leur choix, mais leur marée meurtrière était une marée quun détour permettait déviter : elle épargnait notre prairie, notre grenier, nos huttes. Cest dire que les valeurs morales et sentimentales chères aux familles monocordes nexcédaient pas le croissant de nos galoches. Il fallait avant toutes choses assurer lexistence de nos difficiles personnes, entretenir les rouages de larc-en-ciel, administrer les parcelles de nos biens si mouvants. Tel objet informe, à la rue, outlaw négligeable, sur nos conseils tenait en échec le Touring Club de France !
Les temps sont changés. De la chair pantelante denfants sentasse dans les tombereaux fétides commis jusquici aux opérations déquarrissage et de voirie. La fosse commune a été rajeunie. Elle est vaste comme un dortoir, profonde comme un puits. Incomparables bouchers ! Honte ! Honte ! Honte !
Enfants dEspagne, jai formé ce PLACARD alors que les yeux matinals de certains dentre vous navaient encore rien appris des usages de la mort qui se coulait en eux. Pardon de vous le dédier. Avec ma dernière réserve despoir.
Mars 1937 »
Billets à Francis Curel I, Recherche de la base et du sommet, Gallimard, 1955 (repris dans uvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 632-633)
« Je ne désire pas publier dans une revue les poèmes que je tenvoie. Le recueil doù ils sont extraits, et auquel en dépit de ladversité je travaille, pourrait avoir pour titre Seuls demeurent. Mais je te répète quils resteront longtemps inédits, aussi longtemps quil ne se sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement linnommable situation dans laquelle nous sommes plongés. Mes raisons me sont dictées en partie par lassez incroyable et détestable exhibitionnisme dont font preuve depuis le mois de juin 1940 trop dintellectuels parmi ceux dont le nom jadis était précédé ou suivi dun prestige bienfaisant, dune assurance de solidité quand viendrait lépreuve quil nétait pas difficile de prévoir On peut être un agité, un déprimé ou moralement un instable, et tenir à son honneur ! Faut-il les énumérer ? Ce serait trop pénible.
Après le désastre, je nai pas eu le cur de rentrer à Paris. À peine si je puis mappliquer ici, dans un lointain que jai choisi, mais que je trouve encore trop à proximité des allées et venues des visages résignés à eux-mêmes et aux choses. Certes, il faut écrire des poèmes, tracer avec de lencre silencieuse la fureur et les sanglots de notre humeur mortelle, mais tout ne doit pas se borner là. Ce serait dérisoirement insuffisant.
Je te recommande la prudence, la distance. Méfie-toi des fourmis satisfaites. Prends garde à ceux qui saffirment rassurés parce quils pactisent. Ce nest pas toujours facile dêtre intelligent et muet, contenu et révolté. Tu le sais mieux que personne. Regarde, en attendant, tourner les dernières roues sur la Sorgue. Mesure la longueur chantante de leur mousse. Calcule la résistance délabrée de leurs planches. Confie-toi à voix basse aux eaux sauvages que nous aimons. Ainsi tu seras préparé à la brutalité, notre brutalité qui va commencer à safficher hardiment. Est-ce la porte de notre fin obscure, demandais-tu ? Non. Nous sommes dans linconcevable, mais avec des repères éblouissants.
1941. »
Note sur le maquis, Recherche de la base et du sommet, Gallimard, 1955 (repris dans uvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 644-645)
« Montrer le côté hasardeux de lentreprise, mais avec un art comme à dessein rétrospectif, dans sa nouveauté tirée de nos poitrines, dans sa vérité ou la sincère approximation de celle-ci. Ce sont les « fautes » de lennemi, sa consigne dhumilier avant dexterminer, qui surtout nous favorisèrent. Sans le travail forcé en Allemagne, les persécutions, la contamination et les crimes, un petit nombre de jeunes gens seulement aurait pris le maquis et les armes. La France de 1940 ne croyait pas, chez elle, ni à la cruauté ni à lasservissement ; cette France livrée au râteau fantastique de Hitler par la pauvreté desprit des uns, la trahison très préparée des autres, la toute-puissante nocivité enfin dintérêts adversaires. De plus, lénigme des années 1939-1940 pesait sur son insouciance de la veille comme une chape de plomb.
Dans la rapide succession des espoirs et des déceptions, des soudains en-avant suivis de déprimantes tromperies qui ont jalonné ces quarante dernières années, on peut discerner à bon droit la marque dune fatalité maligne, la même dont on entrevoit périodiquement lintervention au cours des tranches excessives de lHistoire, comme si elle avait pour mission dinterdire tout changement autre que superficiel de la condition profonde des hommes. Mais je dois chasser cette appréhension. Lannée qui accourt a devant elle le champ libre
Contrairement à lopinion avancée, le courage du désespoir fait peu dadeptes. Une poignée dhommes solitaires, jusquen 1942, tenta dengager de près le combat. Le merveilleux est que cette cohorte disparate composée denfants trop choyés et mal aguerris, dindividualistes à tout crins, douvriers par tradition soulevés, de croyants généreux, de garçons ayant lexil du sol natal en horreur, de paysans au patriotisme fort obscur, dimaginatifs instables, daventuriers précoces voisinant avec les vieux chevaux de retour de la Légion étrangère, les leurrés de la guerre dEspagne ; ce conglomérat fut sur le point de devenir entre les mains dhommes intelligents et clairvoyants un extraordinaire verger comme la France nen avait connu que quatre ou cinq fois sur son sol. Mais quelque chose, qui était hostile ou simplement étranger à cette espérance, survint alors et la rejeta dans le néant. Par crainte dun mal dont les pouvoirs devaient justement saccroître du temps mort laissé par cet abandon !
Pour élargir, jusquà la lumière qui sera toujours fugitive , la lueur sous laquelle nous nous agitons, entreprenons, souffrons et subsistons, il faut laborder sans préjugés, allégées darchétypes qui subitement sans quon en soit averti, cessent davoir cours. Pour obtenir un résultat valable de quelque action que ce soit, il est nécessaire de la dépouiller de ses inquiètes apparences, des sortilèges et des légendes que limagination lui accorde déjà avant de lavoir menée, de concert avec lesprit et les circonstances, à bonne fin ; de distinguer la vraie de la fausse ouverture par laquelle on va filer vers le futur. Lobserver nue et la proue face au temps. Lévidence, qui nest pas sensation mais regard que nous croisons au passage, soffre souvent à nous, à demi dissimulée. Nous désignerons la beauté partout où elle aura une chance de survivre à lespèce dinterim quelle paraît assurer au milieu de nos soucis. Faire longuement rêver ceux qui ordinairement nont pas de songes, et plonger dans lactualité ceux dans lesprit desquels prévalent les jeux perdus du sommeil.
1944. »
Éléments de bibliographie
Éditions :
- René Char, Fureur et mystère, Paris, Gallimard [1948], « Poésie », 1967
- René Char, uvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », [1983] 1995
- Dans latelier du poète, Marie-Claude Char éd., Paris, Gallimard, « Quarto », 1996
Autres ouvrages de René Char :
- Recherche de la base et du sommet, Paris, Gallimard [1955, 1965], « Poésie », 1971
- Les Matinaux, Paris, Gallimard [1950], « Poésie » (suivi de La Parole en archipel), 1969
- Le Soleil des eaux, Paris, Gallimard, 1949, repris dans Trois coups sous les arbres, Gallimard, 1967
- Claire. Théâtre de verdure, Paris, Gallimard, 1949, repris dans Trois coups sous les arbres, Gallimard, 1967
Biographies :
- Greilsamer, Laurent, LÉclair au front. La vie de René Char, Paris, Fayard, 2004
- Leclair, Danièle, René Char. Là où brûle la poésie, Croissy-Beaubourg, Éditions Aden, 2007
Dictionnaire :
- Dictionnaire René Char, D. Leclair et P. Née éd., Paris, Classiques Garnier, 2015
Ouvrages :
- Belin, Olivier, René Char et le surréalisme, Paris, Classiques Garnier, 2011
- Marty, Éric, René Char, Paris, Seuil, [« Les Contemporains », 1991] « Points Poésie », 2007
- Mathieu, Jean-Claude, La Poésie de René Char ou le sel de la splendeur, t. II « Poésie et Résistance », Paris, José Corti, 1985.
- Maulpoix, Jean-Michel, Fureur et mystère de René Char, Paris, Gallimard, « Foliothèque », 1996
- Michel, Laure, René Char. Le Poème et lHistoire. 1930-1950, Paris, Honoré Champion, « Littérature de notre siècle », 2007
- Morin, Eugénie, René Char : éthique et utopie, Paris, Classiques Garnier, 2012
- Mounin, Georges, La Communication poétique, précédé de Avez-vous lu Char ?, Gallimard, [1947] 1969
- Née, Patrick, René Char. Une Poétique du Retour, Hermann, 2007
- Ville, Isabelle, René Char : une poétique de résistance. Être et faire dans Feuillets dHypnos, Presses de lUniversité Paris-Sorbonne, « Travaux de stylistique et de linguistique françaises : bibliothèque des styles », 2006
Ouvrages collectifs :
- Autour de René Char, Fureur et mystère, Les Matinaux (Actes de la journée René Char du 10 mars 1990), Didier Alexandre éd., Paris, Presses de lÉcole normale supérieure, 1991
- Trois poètes face à la crise de lhistoire : André Breton, Saint-John Perse, René Char (Actes du colloque de lUniversité Montpellier III, 22-23 mars 1996), J.-C. Blachère, P. Plouvier, R. Ventresque éd., Paris, LHarmattan, 1997
- René Char 10 ans après (Actes du colloque de lUniversité Montpellier III), Paule Plouvier éd., Paris, LHarmattan, 2000
- Série « René Char », D. Leclair, P. Née dir., Paris-Caen, Lettres modernes Minard, « La Revue des Lettres modernes », trois numéros entre 2005 et 2009
- René Char en son siècle (Actes du colloque organisé à la BnF, 13-15 juin 2007), D. Alexandre, M. Murat, M. Collot, M. Murat, P. Née éd., Paris, Classiques Garnier, 2009
Catalogues dexposition :
- René Char. Faire du chemin avec, catalogue de lexposition de Palais des Papes, Avignon, juillet-septembre 1990, M.-C. Char éd., Flammarion, 1990
-René Char, catalogue de lexposition de la Bibliothèque nationale de France, Antoine Coron éd., Paris, BnF/ Gallimard, 2007
Sélection darticles et de chapitres douvrages :
- Alexandre, Didier, « Asymétries du colt et de la lyre », Trois poètes face à la crise de lhistoire, J.C. Blachère éd., P. Plouvier, R. Ventresque éd., Paris, LHarmattan, 1997, p. 185-207
- Blanchot, Maurice, « René Char et la pensée du neutre », « Parole de fragment », dans LEntretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 90-114
Du Bouchet, André, « Fureur et mystère », Les Temps modernes, avril 1949, n° 42, p. 745-748
- Dupouy, Christine, « Poésie et politique chez René Char », Trois poètes face à la crise de lhistoire : André Breton, Saint-John Perse, René Char, J.-C. Blachère éd., P. Plouvier, R. Ventresque éd., Paris, LHarmattan, 1997, p. 139-154
- Jarrety, Michel, « Char : une éthique de la rupture », dans La Morale dans lécriture. Camus, Char, Cioran, Paris, PUF, 1999, p. 64-113
Marchal, Bertrand, « Le tableau pulvérisé : le prisonnier, la lampe, lange. René Char et Georges de La Tour », LInformation littéraire, 1989, n°5, p. 14-19
- Marchal, Bertrand, « Les Yeux ouverts, les yeux fermés : René Char dans les ténèbres hitlériennes », dans Figuring things Char, Ponge and poetry in the twentieth century, Minahen Charles D. éd., Lexington, Kentucky, French Forum Publishers, 1994, p. 129-139
- Marty, Éric, « Feuillet dHypnos », Autour de René Char, Fureur et mystère, Les Matinaux, Didier Alexandre éd., Paris, Presses de lÉcole normale supérieure, 1991, p. 61-69
- Marty, Éric, « Feuillet dHypnos. Extase, histoire, engagement », René Char en son siècle, D. Alexandre, M. Murat, M. Collot, M. Murat, P. Née dir., Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 287-297
- Mathieu, Jean-Claude, « Linnommable de lhistoire : lhypnose et linondation, métaphores du nazisme chez Char », Métaphores. Revue du centre détude de la métaphore, n°8, « Théorie et pratique de la métaphore », Faculté des lettres et sciences humaines de Nice, décembre 1983, p. 137-145
- Maulpoix, Jean-Michel, « Résistance de René Char », René Char en son siècle, D. Alexandre, M. Murat, M. Collot, M. Murat, P. Née dir., Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 299-308
- Met, Philippe, « Esthétique et pragmatique du carnet : autour des Feuillets dHypnos », René Char en son siècle, D. Alexandre, M. Murat, M. Collot, M. Murat, P. Née dir., Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 167-180
- Michel, Laure, « Politique du poème chez René Char », Poésie et politique au XXe siècle (Actes du colloque de Cerisy, 12-19 juillet 2010), H. Béhar, P. Taminiaux éd., Hermann, 2011, p. 51-68
- Michel, Laure, « Sortir de lHistoire se peut », René Char en son siècle, D. Alexandre, M. Murat, M. Collot, M. Murat, P. Née dir., Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 309-320
- Née, Patrick, « René Char dans larène idéologique de son temps : les utopies sanglantes du XXe siècle », Trois poètes face à la crise de lhistoire : André Breton, Saint-John Perse, René Char, J.-C. Blachère éd., P. Plouvier, R. Ventresque éd., Paris, LHarmattan, 1997, p. 155-184
- Richard, Jean-Pierre, « René Char », dans Onze études sur la poésie moderne, Éditions du Seuil, « Points Essais », 1981, p. 81-127
Laure Michel
Université Paris-Sorbonne
Fureur et mystère, publié chez Gallimard le 14 septembre 1948, rassemble dix années décriture . Malgré les différences de formes poétiques, de situations et denjeux dans chacune des sections du recueil, lensemble est marqué par une forte cohérence, celle que dessine lengagement dun sujet dans lhistoire jusquà son repositionnement après-guerre. Fureur et mystère décrit la transformation dun « je », qui va saffirmer responsable devant ses contemporains, reconnaîtra la fragilité de lécriture poétique, tout en posant à la fois la nécessité de celle-ci pour laction et son indépendance à légard des circonstances. Dans limmédiat après-guerre, la déception de Char, la persistance du mal combattu pendant les années de Résistance mettent fin, dans le poème, à laccord dun destin individuel et dun destin collectif. Le rassemblement en un seul volume des textes écrits entre 1938 et 1948 crée lunité dun parcours qui va de laffirmation de cet accord à sa rupture.
Situation de Char en 1938
Char sest éloigné du surréalisme depuis 1935, après avoir publié en 1934 son grand recueil surréaliste Le Marteau sans maître. Il reproche à Breton sa perte dambition révolutionnaire, ses compromis, qui institutionnalisent le mouvement et le conduisent « infailliblement à la maison de Retraite des Belles-Lettres et de la violence réunies ». Lesthétique de Char va évoluer sensiblement à partir de cette date mais les références au surréalisme resteront nombreuses .
Entre 1936 et 1938, Char écrit les poèmes qui composent Placard pour un chemin des écoliers (1937) et Dehors la nuit est gouvernée (1938). Dans le premier recueil, le texte douverture, la « Dédicace » aux enfants dEspagne, marquée par lactualité de la guerre dEspagne, peut nous intéresser plus particulièrement. Cette « Dédicace » est écrite en mars 1937, peu après les premiers bombardements de la capitale espagnole, un mois avant Guernica. Char y confronte les souvenirs dune enfance heureuse aux massacres des enfants dEspagne : « Lorsque javais votre âge, le marché aux fruits et aux fleurs, lécole buissonnière ne se tenaient pas encore sous laverse des bombes ( ) ». Ce texte, dabord confié à la revue Cahiers GLM, en est retiré à la demande de Char pour être donné, avec une illustration de Valentine Hugo, à une brochure vendue au profit des enfants dEspagne au pavillon espagnol de lExposition internationale de Paris, ouverte le 25 mai 1937, où Picasso expose sa toile Guernica .
Cette « Dédicace » est le premier texte poétique de Char qui se saisisse de la question de lengagement du poème. Jusque là, en accord avec les positions de Breton, lengagement de la personne du poète se trouvait dissocié de lécriture poétique. Avec la « Dédicace » sintroduit dans le poème une temporalité historique, lappel à une justice de lhistoire et laffirmation de la responsabilité de lécriture devant lévénement, ainsi quune adresse à un destinataire collectif témoin de la dénonciation. Quil soit possible dutiliser cette « Dédicace » dans un contexte militant, lors de lExposition internationale de 1937, montre bien la valence politique de ce texte.
Les poèmes de Placard pour un chemin des écoliers toutefois demeurent, eux, non référentiels et dégagés des circonstances, mais ils nous intéressent à un autre titre. Leur forme versifiée, utilisant parfois loctosyllabe et lassonance, est tout à fait inhabituelle dans lécriture de cette période. Char lui-même les qualifiait de « genre ultra-facile » dans sa correspondance avec Éluard. Peut-être doivent-ils leur relative simplicité à la proximité de Char avec ce dernier, qui vient de faire paraître LÉvidence poétique (1937) et adopte une écriture plus simple et plus fluide. Les poèmes de Placard pour un chemin des écoliers trahissent aussi, par leur forme de chanson, par le lien entre un lieu, méditerranéen, et des êtres aux voix et aux vies marginales , la lecture que Char fait de Federico García Lorca, en compagnie dÉluard qui traduit alors avec Louis Parrot lOde à Salvador Dali (GLM en 1938). Comme en témoigne une lettre inédite à Louis Parrot citée par Jean-Claude Mathieu , dans laquelle Char senquiert des traductions du Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias, le poète a lu un recueil publié sous le titre Chansons gitanes en 1935, dans la collection des « Cahiers de Barbarie », qui contiennent plusieurs poèmes du Romancero gitan.
Seuls demeurent
Fureur et mystère est composé de plusieurs sections qui pour la plupart ont dabord été publiées comme recueils indépendants. Cest le cas de Seuls demeurent qui paraît en 1945. Seuls demeurent est lui-même composé de trois moments :
« LAvant-monde », qui regroupe des poèmes, quasiment tous en prose, écrits entre 1938 et 1943, de lavant-guerre au milieu de la guerre.
« Le Visage nuptial », qui est un ensemble de cinq poèmes damour en vers datant de lété 1938 et du début de la guerre.
« Partage formel », qui consiste en une série daphorismes écrits en 1941 et 1942 portant sur lacte poétique et le rôle du poète.
Pendant cette période, la vie de Char est marquée par le début de la guerre. Sa mobilisation en Alsace, de septembre 1939 à juin 1940, met fin à quelques mois dintense bonheur amoureux avec Greta Knutson, dont les poèmes du « Visage nuptial » gardent la mémoire. Les événements historiques eux mêmes ne sont pas absents du recueil, qui en nomme certains et leur donne une place significative. La déclaration de guerre est présente dans « LAvant-monde », où elle fait césure. Le treizième poème, « Le Loriot », est en effet daté du « 3 septembre 1939 » : « Le loriot entra dans la capitale de laube./ Lépée de son chant ferma le lit triste./ Tout à jamais prit fin. »
À la fin de lannée 1940, la maison de Char est perquisitionnée, lui-même devient lobjet dune surveillance policière étroite. Il sinstalle pour cette raison en 1941 à Céreste, village des Basses-Alpes qui deviendra le quartier général du maquis quil va diriger. À la fin de lannée 1941, certains poèmes laissent paraître des traces de la décision de sengager dans la résistance. « LAbsent », par exemple : « Nous dormirons dans lespérance, nous dormirons en son absence, puisque la raison ne soupçonne pas que ce quelle nomme, à la légère, absence, occupe le fourneau dans lunité ». Le plus explicite est le poème « Chant du refus. Début du partisan » qui inscrit dans son titre lentrée en résistance.
À la fin de lannée 1942, Char devient chef du secteur Durance-Sud de lArmée Secrète. Il est rattaché au réseau « Action ». Il continue en 1942 et début 1943 décrire des poèmes qui seront intégrés à Seuls demeurent. Ce sont des poèmes marqués par les circonstances, parfois explicitement : « Vivre avec de tels hommes » (juillet 42), « Carte du 8 novembre » (novembre 42), la date du 8 novembre évoquant le débarquement allié en Afrique du nord, « Plissement » (décembre 42) . Au printemps 43, laction sintensifie, lécriture de Char se fait plus rare. De cette époque datent les poèmes « Hommage et famine » et « Louis Curel de la Sorgue ». Ce sont les derniers écrits pour Seuls demeurent. De lété 43 à lété 44, laction du maquis ne laissera pas de place pour les poèmes. Seule persistera la forme du carnet de notes, prises au jour le jour, dont Char tirera certains extraits après guerre qui formeront Feuillets dHypnos.
La publication de Seuls demeurent a dabord été envisagée par Char en avril 1941, comme le révèle une lettre à Gilbert Lely . Puis cette perspective sestompe à partir du moment où sorganise le maquis. Char écrit ainsi, à la fin de 1941, dans le premier billet à Francis Curel : « Je ne désire pas publier dans une revue les poèmes que je tenvoie. Le recueil doù ils sont extraits et auxquels en dépit de ladversité je travaille, pourrait avoir pour titre Seuls demeurent. Mais je te répète quils resteront longtemps inédits, aussi longtemps quil ne se sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement linnommable situation dans laquelle nous sommes plongés. » Seuls demeurent est malgré tout envoyé à léditeur en juillet 1943. Selon les informations dAntoine Coron , Char reçoit un avis très favorable de Jean Paulhan mais, lorsque le poète envoie à Gallimard son contrat dédition, il exprime le souhait que son recueil ne paraisse « quune fois la situation de notre pays définitivement éclaircie ».
« LAvant-monde » est organisé de manière à suivre globalement un ordre chronologique historique, indépendant de lordre chronologique exact décriture : entrée en guerre (« Le Loriot »), décision de résistance (« Chant du refus ») jusquà « La Liberté », titre du dernier poème, qui a été ajouté pour la publication du recueil en 1945, ainsi que le montre le manuscrit, daté de 1944, bien après la rédaction de lensemble.
Cette section accomplit, comme le faisait la « Dédicace » à son échelle, linscription de lévénement historique dans un devenir personnel. « LAvant-monde », en effet, donne à voir le passage dun temps personnel, dans la première section du recueil jusquau poème « Le Loriot », à un temps collectif, pris en charge par le « je » qui énonce son engagement. Cette section du recueil voit ainsi la transformation dun sujet qui saffirme responsable devant lhistoire et se lie par une perspective daction. Notons que cest un engagement qui ne va pas de soi. Lhistoire, dont le récit pendant la période surréaliste donnait prise à un désir sadien de destruction universelle, reste profondément suspecte aux yeux de Char : elle est « Le Bouge de lhistorien », selon le titre dun poème central de « LAvant-monde ». Cet engagement coûte et implique un rapport déconomie mesurée à laction : « Notre effort réapprend des sueurs proportionnelles » (Partage formel, XXIV).
Le recueil décrit cet engagement, mais les poèmes eux-mêmes ne sont pas engagés : ils nessaient pas dinciter à laction une collectivité qui en serait le destinataire. Bien plus, en même temps que le recueil figure lengagement du sujet, le poète comme figure sociale tend à disparaître de la vie institutionnelle pendant la guerre. On a donc une présence accrue de la voix dans les textes, mais la voix sociale sefface au profit de la lutte. Le poète est « celui qui complètera par le refus de soi le sens de son message » (Partage formel, LI).
À cet ensemble succèdent les poèmes amoureux du « Visage nuptial » qui tournent autour de la figure de Greta Knutson. Placer « Le Visage nuptial », écrit avant la guerre en 1938, après « LAvant-monde », a du sens. Cest une manière déquilibrer le recueil, entre engagement et détachement et de lui donner lhorizon dune victoire sur « lanti-vie nazie ». Au poème final de « LAvant-monde », « La Liberté » succède ainsi, comme en écho ou comme pour en amplifier la figure, un long hymne à lamour.
« Partage formel », enfin, clôt cet ensemble par cinquante-cinq aphorismes, qualifiés par Char de « propositions subsidiaires » selon le manuscrit du recueil : ce sont originellement des « ajouts » à un recueil daphorismes antérieur, Moulin premier, écrit en 1936 pour se démarquer du surréalisme. Lhorizon a changé, mais demeure lidée que le poème doit saccompagner de réflexions, de « propositions » qui sont, selon une autre image mentionnée dans le manuscrit, autant d« étais » venant soutenir, étayer, lécriture. Les propositions de « Partage formel » tournent autour de la question du poète et du poème. Elles sont une affirmation dindépendance de la poésie au cur du conflit. Un espace décriture se dégage pour la désigner en un temps où elle est menacée, où sa nécessité même est ébranlée.
Feuillets dHypnos
Ce recueil est au départ un carnet de notes variées, une sorte de journal tenu à Céreste entre 1943 et 1944 lorsque laction au maquis sintensifie. Char est à partir de septembre 1943 chef départemental de la Section Atterrissages-Parachutages (SAP) pour les Basses-Alpes, sous le pseudonyme de capitaine Alexandre. Il est sous le commandement de Camille Rayon, chef de la R2 (Région 2 regroupant Provence, Gard et Hautes-Alpes) des Forces Françaises Combattantes, lequel apparaît dans les feuillets sous le nom de « Archiduc ». La tâche de la SAP consistait à réceptionner le matériel parachuté par la RAF sur des terrains spéciaux quil fallait repérer et préparer pour des atterrissages clandestins, comme par exemple l« homodépôt Durance 12 » du feuillet 87. Des messages de la BBC annonçaient les opérations, par exemple « La Bibliothèque est en feu », qui sera le titre dun recueil ultérieur de Char.
Ce carnet est retravaillé entre fin août 1944 et août 1945 et sera publié chez Gallimard en avril 1946. Il prend la forme dune série de 237 textes courts, fragments ou aphorismes, qui globalement suivent lordre des événements qui touchent le maquis. Certains sont consacrés au récit dépisodes marquants (feuillet 128 : fouille de Céreste par les SS ; feuillet 138 : mort de Roger Bernard). Dautres font le portrait des compagnons de Résistance. Ce sont aussi des réflexions, plus ou moins détachées des circonstances, sur laction, mais aussi sur ces contre-pouvoirs que représentent la nature et lamour.
Feuillets dHypnos nest pas un recueil engagé. Il est composé et publié après coup, en 1946, quand la guerre est terminée. Char a différé la publication des ses textes pendant le conflit. La poésie est insuffisante, « dérisoirement insuffisant(e) », écrit-il à Francis Curel. Les circonstances de la guerre, le nazisme, loppression, requièrent autre chose. Char a une conscience nette des limites de la poésie, de son impuissance, de son caractère très exactement secondaire. Ce nest même pas quil refuse de mettre la poésie au service du combat politique pour préserver lindépendance de celle-ci, cest tout simplement que la poésie ne peut pas grand-chose. Pour autant, il ne renonce pas à écrire pendant la guerre. Comment interpréter ce geste ? Si Char dénie toute efficacité sociale et politique au poème en temps de guerre, la poésie nen est pas moins, à ses yeux, indispensable, pour laction elle-même. Elle a à ce titre plusieurs fonctions.
La poésie retrouve dabord très concrètement dans les énoncés brefs de Feuillets dHypnos une ancienne fonction héritée de laphorisme hippocratique, qui consiste à analyser de manière circonstancielle et empirique la crise du corps social et de la psyché collective de ses contemporains. Char se représente souvent lui-même comme poète médecin, par exemple dans le « Bandeau » de Fureur et mystère : « Il ajoute de la noblesse à son cas lorsquil est hésitant dans son diagnostic et le traitement des maux de lhomme de son temps [ ] ».
Plus radicalement, le feuillet doit chercher à « nomme[r] les choses impossibles à décrire », il doit « dépouille[r] » les apparences de leurs « sortilèges » (« Note sur le maquis ») pour rendre possible laction contre ce que le mal nazi a dexcessif, dinconcevable .
Lécriture de Feuillets dHypnos a ensuite une fonction au regard du temps de laction. Elle répond à la faillite du temps collectif. Nombreux sont les feuillets qui décrivent lemballement dun temps condamné à se répéter, dun temps sans mesure, dé-mesuré (« Minuit au glas pourri, quune, deux, trois, quatre heures ne parviennent pas à bâillonner », feuillet 25), qui décrivent aussi une confusion des ordres temporels (« on donnait jadis un nom aux diverses tranches de la durée : ceci était un jour, cela un mois », feuillet 90). Face à cela, lécriture vient poser, comme contrepoids, la possibilité dun temps pour agir . Elle déploie en particulier, la perspective dun après. Parce que le temps présent est vécu comme crise, parce que la mesure et lorganisation du temps elles-mêmes sombrent dans une confusion affolée, laction et son corollaire, la mise en uvre de moyens en vue dun projet, doit poser un avenir proche, projeté en avant de soi. Lavenir dont il est question dans Feuillets dHypnos est un « lendemain » pensé dans les termes du « but à atteindre » (feuillet 1). Laffirmation de cet après fonde en outre la possibilité dun agir collectif, par la suggestion dune suite de générations dans les mains desquelles laction retombera : « Laction qui a un sens pour les vivants na de valeurs que pour les morts, dachèvement que dans les consciences qui en héritent et la questionnent » (feuillet 187).
Notons toutefois que, au sein de cette écriture en vue de laction, place est faite aussi à des feuillets qui disent la recherche de ce qui, échappant aux circonstances, permettra douvrir une brèche dans lenchaînement des moyens et des fins. Cest ce quénonce le feuillet 59 : « Si lhomme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut dêtre regardé. » Lécriture des Feuillets dHypnos semploie aussi à dégager laction de son but immédiat et à dégager le combattant dune relation déterministe à lévénement. Alors que limpératif du combat impose une évaluation rigoureuse et limitée de la situation, une conception de ce qui arrive en termes de causes et de conséquences, certains feuillets prennent soin de réserver, de tenir en retrait de laction, « une enclave dinattendus et de métamorphoses dont il faut défendre laccès et assurer le maintien » (feuillet 155).
Le Poème pulvérisé et la publication de Fureur et mystère
Le Poème pulvérisé, grand recueil de limmédiat après-guerre, publié en 1947, est encadré dans Fureur et mystère par deux courtes sections, qui nont jamais été publiées indépendamment, « Les Loyaux Adversaires » et « La Fontaine narrative ». « Les Loyaux Adversaires » est un titre initialement donné à une section de Seuls demeurent puis abandonné. Il regroupe des poèmes brefs, presque tous en vers, écrits pour la plupart au début de la guerre lorsque Char est mobilisé en Alsace. Ce sont des poèmes circonstanciels, dune écriture plus facile, qui les rapproche du recueil des Matinaux publié en 1948, avec lequel ils partagent les personnages des « vagabonds » et le ton de la chanson enfantine. Placés après Feuillets dHypnos, ces poèmes signalent le retour dune relation plus légère à lécriture. Cest ce que font de leur côté également les neuf poèmes de la dernière section « La Fontaine narrative ». La libération dune parole qui a retrouvé la possibilité du souffle et de la fluidité se noue très nettement dans cette dernière section à la parole amoureuse et à la figure dune femme aimée, Yvonne Zervos.
Le Poème pulvérisé se présente, lui, comme un ensemble de poèmes majoritairement en prose, publié non pas chez Gallimard mais dans la collection « LÂge dor » de la revue Fontaine, revue active dans la Résistance, dirigée à Alger par Max-Pol Fouchet. Sur lun des exemplaires, Char ajoute à chaque poème un commentaire quil nomme « arrière-histoire » et qui sera publié en 1953 par Jean Hugues . La guerre est encore présente dans ce recueil où domine limage de la « catastrophe » pour la désigner, mais on y lit aussi la recherche dune issue au désastre et dune relance du mouvement en avant, à partir du constat, propre à la période de laprès-guerre, dune impossible action dans lhistoire.
Le Poème pulvérisé est en effet emblématique du repositionnement de Char après guerre. De nombreux textes de la même époque, parus dans la presse, et pour certains repris ensuite dans Recherche de la base et du sommet, témoignent chez Char dune crise de la confiance en lhistoire et dune distance prise à légard des contemporains. Il faut lire à ce propos le quatrième Billet à Francis Curel (1948), la fin de « La Liberté passe en trombe » et la note ajoutée en 1948, « Dominique Corti » (1946), et certains entretiens, en particulier lentretien avec Pierre Berger de juin 1952 . Le principal objet de la crise est le constat que « le mal » combattu pendant la guerre ne disparaît pas : « Ce qui suscita notre révolte, notre horreur, se trouve à nouveau là, réparti, intact et subordonné, prêt à lattaque, à la mort » (« Heureuse la magie »).
Dans ce contexte, Le Poème pulvérisé se situe clairement après limpératif daction dans lhistoire. Prenant du recul avec les événements, le poète change lempan de son regard et fait de la guerre, sur fond de références alchimiques et cabalistiques, un désastre à léchelle de la Création. La guerre est une césure décisive après laquelle le poète assume la tâche de reconstruire lespoir mais en dehors de toute référence au temps de lhistoire. Car lhistoire comme conception du temps collectif apparaît dans ces années daprès-guerre aux yeux de Char comme une source doppression : son propos, explicitement anti-communiste, dénonce une idéologie qui repousse à un avenir lointain la promesse dun bonheur dont elle fait un instrument de domination.
Pour autant, Char ne renonce pas à penser, à imaginer, à lintention de ses contemporains, dautres formes du devenir, qui leur donnent les moyens de poursuivre le mouvement en avant. Contre lattente dun avenir défini, Char défend ce quil appelle lespoir de limprévisible, lespoir que quelque chose dinattendu surgira, qui renversera loppression. Par là il donne toute sa place à un rapport au temps qui apparaissait par intermittence dans Feuillets dHypnos. Feuillets dHypnos en effet semployait à maintenir, au cur même du temps historique et de ses exigences pratiques, une relation à « lespoir du grand lointain informulé (le vivant inespéré) » (feuillet 174). Ce « grand lointain » nest pas un utopique avenir harmonieux que viserait laction dans lHistoire ; il est hors-Histoire. Il est interruption du temps calendaire, brèche dans la linéarité du temps historique, du temps déterminé et mesuré par laction collective : « enfonce-toi dans linconnu qui creuse. Oblige-toi à tournoyer » (feuillet 212). Ce rapport à un temps autre devient dominant dans les années daprès-guerre, à partir du moment où Char a renoncé à lidée dagir dans lHistoire. Temps de « linespéré » ou encore de « limpossible », il est pendant la période du maquis le signe dune liberté, que le poème nomme et à lhorizon de laquelle travaille le poète.
Mais surtout, Char donne à limage de la « pulvérisation », telle quelle se lit dans le titre du recueil Le Poème pulvérisé, une vertu tout à fait singulière. La pulvérisation soppose à une conception linéaire du temps, collectif aussi bien quindividuel, qui place la mort ou ce qui revient au même pour Char la cité idéale à son terme. Contre ce temps destructeur, le poète oppose la dissémination de la poussière, la pulvérisation, qui est chez lui une spatialisation de la finitude. Cette dispersion dans lespace ouvre la possibilité de penser un renouveau qui ne nie pas la mort mais sappuie sur elle. Sopposant à loptimisme des idéologies de lhistoire, Char défend la nécessité dintégrer le négatif, le désastre, à la relance du mouvement en avant, dintégrer « la teinte du caillot » dans « la rougeur de laurore » (« Rougeur des matinaux », I).
Le poème na plus la même fonction que pendant la guerre : il nest plus un étai de laction du résistant. Sans se détourner pour autant du souci de son époque, il se situe à côté, dans une relation de dénonciation et de vigilance, mettant fin par là à la période ouverte par la « Dédicace » de Placard pour un chemin des écoliers où le temps dun je sétait temporairement associé à celui dun nous pour agir dans lhistoire.
Textes complémentaires
« Dédicace », Placard pour un chemin des écoliers, G.L.M., 1937 (repris dans uvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 89)
« Enfants dEspagne, ROUGES, oh combien, à embuer pour toujours léclat de lacier qui vous déchiquette ; À Vous.
Lorsque javais votre âge, le marché aux fruits et aux fleurs, lécole buissonnière ne se tenaient pas encore sous laverse des bombes. Les bourreaux, les candides et les fanatiques se tuaient bien, sestropiaient bien quelque part entre eux à des frontières de leur choix, mais leur marée meurtrière était une marée quun détour permettait déviter : elle épargnait notre prairie, notre grenier, nos huttes. Cest dire que les valeurs morales et sentimentales chères aux familles monocordes nexcédaient pas le croissant de nos galoches. Il fallait avant toutes choses assurer lexistence de nos difficiles personnes, entretenir les rouages de larc-en-ciel, administrer les parcelles de nos biens si mouvants. Tel objet informe, à la rue, outlaw négligeable, sur nos conseils tenait en échec le Touring Club de France !
Les temps sont changés. De la chair pantelante denfants sentasse dans les tombereaux fétides commis jusquici aux opérations déquarrissage et de voirie. La fosse commune a été rajeunie. Elle est vaste comme un dortoir, profonde comme un puits. Incomparables bouchers ! Honte ! Honte ! Honte !
Enfants dEspagne, jai formé ce PLACARD alors que les yeux matinals de certains dentre vous navaient encore rien appris des usages de la mort qui se coulait en eux. Pardon de vous le dédier. Avec ma dernière réserve despoir.
Mars 1937 »
Billets à Francis Curel I, Recherche de la base et du sommet, Gallimard, 1955 (repris dans uvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 632-633)
« Je ne désire pas publier dans une revue les poèmes que je tenvoie. Le recueil doù ils sont extraits, et auquel en dépit de ladversité je travaille, pourrait avoir pour titre Seuls demeurent. Mais je te répète quils resteront longtemps inédits, aussi longtemps quil ne se sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement linnommable situation dans laquelle nous sommes plongés. Mes raisons me sont dictées en partie par lassez incroyable et détestable exhibitionnisme dont font preuve depuis le mois de juin 1940 trop dintellectuels parmi ceux dont le nom jadis était précédé ou suivi dun prestige bienfaisant, dune assurance de solidité quand viendrait lépreuve quil nétait pas difficile de prévoir On peut être un agité, un déprimé ou moralement un instable, et tenir à son honneur ! Faut-il les énumérer ? Ce serait trop pénible.
Après le désastre, je nai pas eu le cur de rentrer à Paris. À peine si je puis mappliquer ici, dans un lointain que jai choisi, mais que je trouve encore trop à proximité des allées et venues des visages résignés à eux-mêmes et aux choses. Certes, il faut écrire des poèmes, tracer avec de lencre silencieuse la fureur et les sanglots de notre humeur mortelle, mais tout ne doit pas se borner là. Ce serait dérisoirement insuffisant.
Je te recommande la prudence, la distance. Méfie-toi des fourmis satisfaites. Prends garde à ceux qui saffirment rassurés parce quils pactisent. Ce nest pas toujours facile dêtre intelligent et muet, contenu et révolté. Tu le sais mieux que personne. Regarde, en attendant, tourner les dernières roues sur la Sorgue. Mesure la longueur chantante de leur mousse. Calcule la résistance délabrée de leurs planches. Confie-toi à voix basse aux eaux sauvages que nous aimons. Ainsi tu seras préparé à la brutalité, notre brutalité qui va commencer à safficher hardiment. Est-ce la porte de notre fin obscure, demandais-tu ? Non. Nous sommes dans linconcevable, mais avec des repères éblouissants.
1941. »
Note sur le maquis, Recherche de la base et du sommet, Gallimard, 1955 (repris dans uvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 644-645)
« Montrer le côté hasardeux de lentreprise, mais avec un art comme à dessein rétrospectif, dans sa nouveauté tirée de nos poitrines, dans sa vérité ou la sincère approximation de celle-ci. Ce sont les « fautes » de lennemi, sa consigne dhumilier avant dexterminer, qui surtout nous favorisèrent. Sans le travail forcé en Allemagne, les persécutions, la contamination et les crimes, un petit nombre de jeunes gens seulement aurait pris le maquis et les armes. La France de 1940 ne croyait pas, chez elle, ni à la cruauté ni à lasservissement ; cette France livrée au râteau fantastique de Hitler par la pauvreté desprit des uns, la trahison très préparée des autres, la toute-puissante nocivité enfin dintérêts adversaires. De plus, lénigme des années 1939-1940 pesait sur son insouciance de la veille comme une chape de plomb.
Dans la rapide succession des espoirs et des déceptions, des soudains en-avant suivis de déprimantes tromperies qui ont jalonné ces quarante dernières années, on peut discerner à bon droit la marque dune fatalité maligne, la même dont on entrevoit périodiquement lintervention au cours des tranches excessives de lHistoire, comme si elle avait pour mission dinterdire tout changement autre que superficiel de la condition profonde des hommes. Mais je dois chasser cette appréhension. Lannée qui accourt a devant elle le champ libre
Contrairement à lopinion avancée, le courage du désespoir fait peu dadeptes. Une poignée dhommes solitaires, jusquen 1942, tenta dengager de près le combat. Le merveilleux est que cette cohorte disparate composée denfants trop choyés et mal aguerris, dindividualistes à tout crins, douvriers par tradition soulevés, de croyants généreux, de garçons ayant lexil du sol natal en horreur, de paysans au patriotisme fort obscur, dimaginatifs instables, daventuriers précoces voisinant avec les vieux chevaux de retour de la Légion étrangère, les leurrés de la guerre dEspagne ; ce conglomérat fut sur le point de devenir entre les mains dhommes intelligents et clairvoyants un extraordinaire verger comme la France nen avait connu que quatre ou cinq fois sur son sol. Mais quelque chose, qui était hostile ou simplement étranger à cette espérance, survint alors et la rejeta dans le néant. Par crainte dun mal dont les pouvoirs devaient justement saccroître du temps mort laissé par cet abandon !
Pour élargir, jusquà la lumière qui sera toujours fugitive , la lueur sous laquelle nous nous agitons, entreprenons, souffrons et subsistons, il faut laborder sans préjugés, allégées darchétypes qui subitement sans quon en soit averti, cessent davoir cours. Pour obtenir un résultat valable de quelque action que ce soit, il est nécessaire de la dépouiller de ses inquiètes apparences, des sortilèges et des légendes que limagination lui accorde déjà avant de lavoir menée, de concert avec lesprit et les circonstances, à bonne fin ; de distinguer la vraie de la fausse ouverture par laquelle on va filer vers le futur. Lobserver nue et la proue face au temps. Lévidence, qui nest pas sensation mais regard que nous croisons au passage, soffre souvent à nous, à demi dissimulée. Nous désignerons la beauté partout où elle aura une chance de survivre à lespèce dinterim quelle paraît assurer au milieu de nos soucis. Faire longuement rêver ceux qui ordinairement nont pas de songes, et plonger dans lactualité ceux dans lesprit desquels prévalent les jeux perdus du sommeil.
1944. »
Éléments de bibliographie
Éditions :
- René Char, Fureur et mystère, Paris, Gallimard [1948], « Poésie », 1967
- René Char, uvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », [1983] 1995
- Dans latelier du poète, Marie-Claude Char éd., Paris, Gallimard, « Quarto », 1996
Autres ouvrages de René Char :
- Recherche de la base et du sommet, Paris, Gallimard [1955, 1965], « Poésie », 1971
- Les Matinaux, Paris, Gallimard [1950], « Poésie » (suivi de La Parole en archipel), 1969
- Le Soleil des eaux, Paris, Gallimard, 1949, repris dans Trois coups sous les arbres, Gallimard, 1967
- Claire. Théâtre de verdure, Paris, Gallimard, 1949, repris dans Trois coups sous les arbres, Gallimard, 1967
Biographies :
- Greilsamer, Laurent, LÉclair au front. La vie de René Char, Paris, Fayard, 2004
- Leclair, Danièle, René Char. Là où brûle la poésie, Croissy-Beaubourg, Éditions Aden, 2007
Dictionnaire :
- Dictionnaire René Char, D. Leclair et P. Née éd., Paris, Classiques Garnier, 2015
Ouvrages :
- Belin, Olivier, René Char et le surréalisme, Paris, Classiques Garnier, 2011
- Marty, Éric, René Char, Paris, Seuil, [« Les Contemporains », 1991] « Points Poésie », 2007
- Mathieu, Jean-Claude, La Poésie de René Char ou le sel de la splendeur, t. II « Poésie et Résistance », Paris, José Corti, 1985.
- Maulpoix, Jean-Michel, Fureur et mystère de René Char, Paris, Gallimard, « Foliothèque », 1996
- Michel, Laure, René Char. Le Poème et lHistoire. 1930-1950, Paris, Honoré Champion, « Littérature de notre siècle », 2007
- Morin, Eugénie, René Char : éthique et utopie, Paris, Classiques Garnier, 2012
- Mounin, Georges, La Communication poétique, précédé de Avez-vous lu Char ?, Gallimard, [1947] 1969
- Née, Patrick, René Char. Une Poétique du Retour, Hermann, 2007
- Ville, Isabelle, René Char : une poétique de résistance. Être et faire dans Feuillets dHypnos, Presses de lUniversité Paris-Sorbonne, « Travaux de stylistique et de linguistique françaises : bibliothèque des styles », 2006
Ouvrages collectifs :
- Autour de René Char, Fureur et mystère, Les Matinaux (Actes de la journée René Char du 10 mars 1990), Didier Alexandre éd., Paris, Presses de lÉcole normale supérieure, 1991
- Trois poètes face à la crise de lhistoire : André Breton, Saint-John Perse, René Char (Actes du colloque de lUniversité Montpellier III, 22-23 mars 1996), J.-C. Blachère, P. Plouvier, R. Ventresque éd., Paris, LHarmattan, 1997
- René Char 10 ans après (Actes du colloque de lUniversité Montpellier III), Paule Plouvier éd., Paris, LHarmattan, 2000
- Série « René Char », D. Leclair, P. Née dir., Paris-Caen, Lettres modernes Minard, « La Revue des Lettres modernes », trois numéros entre 2005 et 2009
- René Char en son siècle (Actes du colloque organisé à la BnF, 13-15 juin 2007), D. Alexandre, M. Murat, M. Collot, M. Murat, P. Née éd., Paris, Classiques Garnier, 2009
Catalogues dexposition :
- René Char. Faire du chemin avec, catalogue de lexposition de Palais des Papes, Avignon, juillet-septembre 1990, M.-C. Char éd., Flammarion, 1990
-René Char, catalogue de lexposition de la Bibliothèque nationale de France, Antoine Coron éd., Paris, BnF/ Gallimard, 2007
Sélection darticles et de chapitres douvrages :
- Alexandre, Didier, « Asymétries du colt et de la lyre », Trois poètes face à la crise de lhistoire, J.C. Blachère éd., P. Plouvier, R. Ventresque éd., Paris, LHarmattan, 1997, p. 185-207
- Blanchot, Maurice, « René Char et la pensée du neutre », « Parole de fragment », dans LEntretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 90-114
Du Bouchet, André, « Fureur et mystère », Les Temps modernes, avril 1949, n° 42, p. 745-748
- Dupouy, Christine, « Poésie et politique chez René Char », Trois poètes face à la crise de lhistoire : André Breton, Saint-John Perse, René Char, J.-C. Blachère éd., P. Plouvier, R. Ventresque éd., Paris, LHarmattan, 1997, p. 139-154
- Jarrety, Michel, « Char : une éthique de la rupture », dans La Morale dans lécriture. Camus, Char, Cioran, Paris, PUF, 1999, p. 64-113
Marchal, Bertrand, « Le tableau pulvérisé : le prisonnier, la lampe, lange. René Char et Georges de La Tour », LInformation littéraire, 1989, n°5, p. 14-19
- Marchal, Bertrand, « Les Yeux ouverts, les yeux fermés : René Char dans les ténèbres hitlériennes », dans Figuring things Char, Ponge and poetry in the twentieth century, Minahen Charles D. éd., Lexington, Kentucky, French Forum Publishers, 1994, p. 129-139
- Marty, Éric, « Feuillet dHypnos », Autour de René Char, Fureur et mystère, Les Matinaux, Didier Alexandre éd., Paris, Presses de lÉcole normale supérieure, 1991, p. 61-69
- Marty, Éric, « Feuillet dHypnos. Extase, histoire, engagement », René Char en son siècle, D. Alexandre, M. Murat, M. Collot, M. Murat, P. Née dir., Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 287-297
- Mathieu, Jean-Claude, « Linnommable de lhistoire : lhypnose et linondation, métaphores du nazisme chez Char », Métaphores. Revue du centre détude de la métaphore, n°8, « Théorie et pratique de la métaphore », Faculté des lettres et sciences humaines de Nice, décembre 1983, p. 137-145
- Maulpoix, Jean-Michel, « Résistance de René Char », René Char en son siècle, D. Alexandre, M. Murat, M. Collot, M. Murat, P. Née dir., Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 299-308
- Met, Philippe, « Esthétique et pragmatique du carnet : autour des Feuillets dHypnos », René Char en son siècle, D. Alexandre, M. Murat, M. Collot, M. Murat, P. Née dir., Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 167-180
- Michel, Laure, « Politique du poème chez René Char », Poésie et politique au XXe siècle (Actes du colloque de Cerisy, 12-19 juillet 2010), H. Béhar, P. Taminiaux éd., Hermann, 2011, p. 51-68
- Michel, Laure, « Sortir de lHistoire se peut », René Char en son siècle, D. Alexandre, M. Murat, M. Collot, M. Murat, P. Née dir., Paris, Classiques Garnier, 2009, p. 309-320
- Née, Patrick, « René Char dans larène idéologique de son temps : les utopies sanglantes du XXe siècle », Trois poètes face à la crise de lhistoire : André Breton, Saint-John Perse, René Char, J.-C. Blachère éd., P. Plouvier, R. Ventresque éd., Paris, LHarmattan, 1997, p. 155-184
- Richard, Jean-Pierre, « René Char », dans Onze études sur la poésie moderne, Éditions du Seuil, « Points Essais », 1981, p. 81-127