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Poésie et ironie, XIXe-XXIe siècles
Date de publication : 13/11/2025
Date de l'échéance : 15/06/2025
Lieu de l'événement : Université Paris Nanterre
POÉSIE ET IRONIE
XIXe- XXIe siècles
jeudi 13 et vendredi 14 novembre 2025
Université Paris Nanterre
Colloque organisé par Silvia Giudice (Université Paris Nanterre, Collège de France) et Florence Schnebelen (Université Polytechnique Hauts-de-France)
L’ironie est impalpable et par définition quasiment indéfinissable, parce qu’elle se fonde sur une adéquation jamais nette au réel, sur une compréhension complice et sur l’attaque d’un système de croyances. C’est pourquoi elle a besoin d’instruments comme l’intertextualité et le style indirect libre, capables de brouiller l’identité et l’origine de la parole en s’en désolidarisant et en multipliant les citations et les échos d’autrui. Comment construire alors le mécanisme ironique en poésie ? Et, tout particulièrement dans la poésie moderne et postmoderne, qui s’éloigne de la poésie de circonstance, satirique et ludique, de l’Ancien Régime ? Comment penser le rapport a priori contre-intuitif entre poésie et ironie ?
Intrinsèquement et essentiellement ambiguë, l’ironie est complexe tant à déceler qu’à théoriser. La littérature, la philosophie et la linguistique témoignent toutes, dans leur effort réflexif, du caractère polymorphe et fécond, mais aussi troublant, de la notion. Si la tradition philosophique met surtout l’accent sur l’ironie comme attitude morale et gnoséologique, les définitions rhétoriques et classiques mettent en avant les notions de contraire ou de contradictoire, en faisant de l’antiphrase sa figure structurante par excellence.
Cependant, l’ironie est difficilement réductible à un mécanisme conversationnel ou antiphrastique, d’autant moins lorsqu’elle sous-tend un texte littéraire ou une œuvre entière. Son analyse se fait plus complexe parce que, bien qu’elle joue de la permutation, de l’inversion, ou du mimétisme, l’ironie dépasse largement ses instruments discursifs et stylistiques, au point que Philippe Hamon suggère que tout texte écrit ironique pourrait être la mention d’un texte antérieur (Hamon, p. 19-25). Vingt ans plus tard, Alain Vaillant précise que si, au fond, « la tactique de l’écrivain ironique reste analogue à celle d’un Socrate », son ironie « n’est pas décelable autrement que par le sentiment diffus d’incongruité que suscitent, disséminées dans le tissu textuel lui-même, les singularités de l’écriture. Par ses incongruités, l’écrivain ironiste doit donner l’impression d’enfreindre le principe, non plus seulement du tiers exclu, mais, ce qui est encore pire, de non contradiction » (Vaillant 2016, p. 162-163). En littérature, le mécanisme est fondé sur l'incongruité et sur le contraste, mais les différentes positions du jeu ironique doivent toutes être remplies dans le texte lui-même, dont le seul adversaire, bien plus difficile à repérer qu’une argumentation explicite ou un interlocuteur, « est l’idéologie ambiante, la doxa dans laquelle il baigne et qui forme l’immense hors-texte de ses propres textes » (ibid.). Il faut que le lecteur ait gardé assez de familiarité avec l’époque de l’écrivain pour partager sa doxa, pour être un des happy few capables de comprendre, ou du moins pour ne pas se sentir exclu.
Procédé de la distance et de l’adhésion, l’ironie crée ainsi à la fois de la connivence et de la séparation, alors que la poésie repose en partie sur une adhésion de principe à l’acte d’énonciation. Or, si la poésie n’a pas souvent été le genre littéraire de prédilection des farceurs, un lien étroit a pu s'établir selon les périodes et les contextes entre forme chantée et versifiée et formes du rire. Bien après les Grands rhétoriqueurs et la satire en vers, la fascination du romantisme allemand pour le Witz établit un nouveau lien entre la poésie et ce type d’ironie perçue comme nouvelle, s’éloignant du discours pour se faire mode de pensée ontologique et inexorablement moderne (Behler 1990). Les théorisations critiques de l’ironie romantique ne sont pas unanimes, et l’évolution à l’époque moderne et postmoderne de la notion d’ironie et de son lien avec la poésie sont d’autant plus intéressantes à étudier.
En effet, de Paul Bénichou à William Marx, l’importance du XIXe siècle dans l’évolution de la poésie a été analysée et théorisée de manière approfondie : le rapport entre poète et société se remodèle rapidement, comme le rôle de la littérature, et notamment de la poésie, dans le monde et sa faculté de représentation. Les XXe et XXIe siècles héritent de ces révolutions successives et semblent en prolonger les effets et les enjeux. D’un côté, la poésie elle-même peut être perçue comme une parole oblique et réflexive, qui serait plus à même que d’autres de se mettre à distance elle-même ironiquement. De l’autre côté, cependant, la polyphonie essentielle à la posture ironique ne semble pas être compatible avec ce que l’on perçoit parfois comme l’intransitivité de la poésie. En outre, si l’ironie littéraire implique une complicité entre écrivain et lecteur, que se passe-t-il si le lien entre poésie et collectivité est fêlé ? Si elle implique une mise à distance, la poésie peut-elle permettre d’exorciser la souffrance et le traumatisme individuels et collectifs ? Peut-elle s’attaquer au sérieux, au sacré, au sentimental, au politique – en somme, aux valeurs fondamentales sur lesquelles la société se fonde, pour les bouleverser, les ignorer, ou encore les critiquer ? Et si la poésie croit encore en son pouvoir d’expression et à la centralité du moi, quelles peuvent être les formes du rapport entre lyrisme et ironie aux époques moderne et postmoderne ?
Ce sont de tels questionnements qui peuvent être soulevés, approfondis et mis à l’épreuve en réfléchissant aux liens qui se tissent entre poésie et ironie aux XIXe, XXe et XXIe siècles. Nous proposons ici quelques axes (non exhaustifs) de réflexion :
- Mise en chant, mise à distance : comment s’exprime l’ironie en poésie ? qu’est-ce que l’on met à distance ? avec qui et comment peut-on établir la complicité nécessaire ?
- Lyrisme et ironie : comment ces deux notions si polymorphes peuvent-elles s’articuler ?
- Enseigner la poésie, enseigner l’ironie : comment transmettre la prise de distance et le renversement de l’objet d’étude ? la poésie peut-elle faire sourire celles et ceux qui l’apprennent ? peut-on faire percevoir l’ironie sans l’écraser ?
- Traduire la poésie, traduire son ironie : si la traduction poétique est un art et une technique des plus complexes, que se passe-t-il lorsque s’y ajoute la modalité énonciative de l’ironie, impliquant des instruments et une cible qui semblent, par définition, intraduisibles ?
Si ces pistes en appellent d’autres, que nous souhaitons nombreuses, nous privilégierons toutefois les réflexions se concentrant sur les liens entre poésie et ironie, en laissant de côté les autres formes du rire et le verboludisme en poésie. Nous encourageons les propositions, approches théoriques ou études analytiques, portant sur des corpus internationaux, dans une dimension pleinement comparatiste, pour favoriser le dialogue entre différentes aires linguistico-culturelles, et entre différentes disciplines et différents systèmes de valeurs littéraires et sociohistoriques.
Modalités pratiques :
Les propositions de communication, d’environ 500 mots, en français ou en anglais, sont à adresser, accompagnées d’une notice bio-bibliographique d’environ 5 lignes, à : silvia.giudice@college-de-france.fr et florence.schnebelen@uphf.fr avant le 15 juin 2025.
Les réponses seront communiquées début juillet.
Les déjeuners seront pris en charge par le comité d’organisation ; les frais de transport et d’hébergement ne pourront en revanche pas être défrayés.
Quelques suggestions bibliographiques
Behler Ernst, Irony and the Discourse of Modernity, Seattle-Londres, University of Washington Press, 1990.
Genette Gérard, Figures. V, Paris, Éditions du Seuil, 2002.
Genette Gérard, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982.
Guglielmi, Ironia e negazione, Turin, Einaudi, 1974.
Humoresques, 13, 2000 : Poésie et comique, éd. Jean-François Louette, Michel Viegnes.
Hamon Philippe, L’Ironie littéraire. Essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette, 1996.
Hutcheon Linda, The Irony’s Edge. The Theory and Politics of Irony, Londres – New-York, Routledge, 1994.
Ironies entre dualité et duplicité, éd. Joëlle Gardes Tamine, Christine Marcandier, Vincent Vivès, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2007.
Jankélévitch Vladimir, L’Ironie, Paris, Félix Alcan, 1936.
Mauvais genre, la satire littéraire moderne, éd. Sophie Duval, Jean-Pierre Saïdah, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2008.
Minois Georges, Histoire du rire et de la dérision, Paris, Fayard, 2000.
Pallady Stephen, Irony in the Poetry of José de Espronceda, Lewinston, Edwin Mellen, 1990.
Perrin Laurent, L’Ironie mise en trope. Du sens des énoncés hyperboliques et ironiques, Paris, Éditions Kimé, 1996.
Le Rire moderne, éd. Alain Vaillant, Roselyne de Villeneuve, Nanterre, Presses Universitaires de Nanterre, 2013.
Schoentjes Pierre, Poétique de l’ironie, Paris, Éditions du Seuil, 2001.
Secchieri Filippo, « Con leggerezza apparente ». Etica e ironia nelle Operette morali, Modène, Mucchi, 1992.
Vaillant Alain, Baudelaire, poète comique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007.
Vaillant Alain, La Civilisation du rire, Paris, CNRS Éditions, 2016.
Source de l'information : Silvia Giudice et Florence Schnebelen