appel

Les manifestes littéraires et artistiques d’Afrique francophone : formes et enjeux
: 30/04/2020
: revue French Studies in Southern Africa (Études françaises en Afrique australe)
: Markus ARNOLD
: markus.arnold@uct.ac.za
: University of Cape Town, Upper Campus
University Avenue 6, Beattie Building, Room 207,
Cape Town, South Africa

Appel à contributions


pour revue French Studies in Southern Africa (Études françaises en Afrique australe)


Les manifestes littéraires et artistiques d’Afrique francophone : formes et enjeux


Numéro spécial coordonné par Laude Ngadi Maïssa, Markus Arnold, Bernard De Meyer, Emmanuel Mbégane Ndour


 

Depuis la formule devenue célèbre de Claude Abastado, « le manifeste, donc, c’est protée »[1], il est admis que le manifeste est un genre multiforme. Outre la forme canonique qui permet de facilement l’identifier par la mention « manifeste » dans le titre, l’hétérogénéité de ce genre argumentatif provient de sa proximité avec d’autres genres discursifs. Les critiques littéraires identifient alors comme « quasi-manifeste »[2] l’ensemble des seuils (préface, postface, prologue, conférence, entretien, etc.) qui servent à prendre des positions à propos des choix génériques, poétiques et esthétiques. Ils y insèrent comme manifeste « après coup » (Abastado) les œuvres métafictionnelles[3] qui se « distinguent par l’intégration des traits caractéristiques du manifeste, [évoquent] l’esprit d’avant-garde lié à ce genre, et avec lui, l’idée de la capacité qu’a la littérature d’agir sur la société »[4]. Ils y intègrent en outre l’essai[5], le pamphlet[6], l’anthologie[7], etc. Mais le manifeste se caractérise aussi par une dimension performative à travers laquelle l’auteur – entendu ici au sens générique – mène une action de légitimation de son œuvre ou d’un collectif. L’hétérogénéité du manifeste et sa dimension performative ont pour dénominateur commun de mettre en lumière des idées fondatrices. Le genre consiste alors en la production d’un discours qui sert à contester des traditions et des normes afin de revendiquer des pratiques nouvelles et des codes originaux présentés comme distinctifs/représentatifs d’une modernité et davantage en phase avec le contemporain.

Pour mieux asseoir leurs prises des positions novatrices, les auteurs contestent la doxa esthétique et idéologique tout en situant leurs programmes dans un contexte socio-historique et géographique particulier. Aussi, la publication d’un manifeste répond nécessairement à des dynamiques[8] par lesquelles chaque discours manifestaire entend apporter un changement par rapport à une période, une idée, un auteur, un groupe, etc. L’objectif principal est celui de trouver, par des procédés argumentatifs (et plus généralement rhétoriques), l’adhésion d’un public dans son champ de production.

En tant que genres hétéroclites et en tant qu’actes, les manifestes représentent donc un objet d’étude particulier pour saisir l’évolution historique des littératures et dans la construction des champs ou des institutions littéraires[9]. Les rares études consacrées audit genre dans cet espace géographique concernent essentiellement les textes publiés à Paris, laissant ainsi dans l’oubli toutes les autres œuvres produites sur le continent. Ainsi, les manifestes du mouvement de la Négritude, qui correspondent à l’âge d’or du militantisme littéraire et artistique de l’Afrique et de sa diaspora, demeurent le repère par lequel on juge encore cette littérature. Les trois quarts des articles rassemblés dans le n° 29 de la revue Études littéraires africaines[10] concernent les « mouvements nègres » en France et aux États-Unis. S’y ajoute une lecture du Manifeste d’une nouvelle littérature africaine : pour une écriture préemptive (2004) de Patrice Nganang, de « Pour une littérature-monde en français » (2007) et de La Nouvelle chose française (2008) écrit par Nimrod. La publication d’un manifeste de l’écrivain et critique littéraire camerounais Lionel Manga, écrit à la demande de la coordinatrice du numéro, laisse présupposer l’absence d’un corpus abondant et divers.

Or, il suffit de consulter les bases de données en ligne dédiées aux littératures africaines (Mukanda, Littaf) et particulièrement aux manifestes littéraires et artistiques (Basemanart) pour se rendre compte de la richesse du corpus. Par ailleurs, quelques productions scientifiques mettent en évidence l’émergence d’autres groupes ou tendances littéraires comme La Fleuvitude, le Cercle Affo Akkom, La Nolica, etc. Ces travaux montrent par ailleurs que les textes marginalisés ou étouffés par des « scandales »[11] durant la période phare de la Négritude et récemment réhabilités peuvent, dans la mesure de la réinvention littéraire contemporaine, faire œuvre de manifestes. Ils témoignent dans cette perspective d’un changement de paradigme dans la conception de l’histoire littéraire de la région, du passage du régime de la collectivité à la « singularité en régime médiatique »[12]. Certains auteurs et critiques littéraires produisent en outre des manifestes qui s’apparentent à des essais théoriques dans lesquels leurs propres œuvres sont présentées comme des modèles d’innovation[13]. Mais d’autres manifestes et postures programmatiques se situent dans le cadre de « l’art qui manifeste »[14] : au sein de telles postures, les réflexions esthétiques sur la musique, la bande dessinée, le cinéma, la danse, la peinture apparaissent généralement indissociables des savoirs ou des engagements anthropologiques, sociologiques, politiques mobilisés.

Le présent volume souhaite recueillir des articles dont la principale problématique est de réfléchir à l’évolution des formes et des enjeux liés à la production manifestaire et programmatique des auteurs locaux et diasporiques originaires d’Afrique francophone. Dans le contexte général de la crise des idéologies et du manifeste annoncée par Claude Abastado, nous voudrons mettre en lumière les transformations structurelles du genre ainsi que celles des groupes littéraires et artistiques qui l’utilisent et le (re)pensent.

À partir des études de cas pris dans les domaines de la littérature et des arts, les contributions, adoptant des perspectives rhétorique, discursive, esthétique, sociologique, étudieront comment les auteurs mettent en avant, dans leurs manifestes ou textes programmatiques, diverses problématiques artistiques, culturelles, linguistiques, historiques, sociales ; mais les analyses pourront aussi s’intéresser à la diffusion et réception de ces productions.

  • Par l’approche rhétorique, il pourra s’agir de catégoriser le type de manifeste et de contribuer aux discussions à propos des nouvelles formes du genre qui vont bien au-delà de la mention « manifeste » dans le titre ou sur la couverture.

  • Les lectures thématique et discursive voudront montrer les divers enjeux – identitaires, politiques, sociaux, idéologiques – des œuvres ou groupes ainsi qu’à discuter des conditions d’émergence des manifestes et des stratégies ou postures d’auteurs. Les réflexions pourront porter sur les connivences ou les différences des discours relatifs à la nation, à l’étranger, à l’histoire littéraire ou artistique interrégionale ou transnationale.

  • Concernant la perspective esthétique, il sera question d’examiner la situation d’énonciation des textes, le mode réflexif des langages mis en œuvre et les coordonnées poétiques qui président à la démarcation ou au dissensus introduits par les manifestes. De même, les inscriptions politiques constituantes du genre ainsi que le projet préemptif porté par un style et une vision singulière des auteurs concernés feront l’objet d’une attention toute particulière.

  • En convoquant la perspective sociologique, on s’intéressera aux rapports qu’établissent et entretiennent ces œuvres avec les institutions littéraires et artistiques locales, régionales ou « métropolitaines » (Paris, Bruxelles, Montréal…) en étudiant par exemple les modes d’édition, de publication, de circulation et de réception de ces œuvres dans le contexte de la mondialisation.


***


Les propositions de contribution, environ 300 mots en français, ainsi qu’une note biobibliographique de 150 mots maximum, sont à soumettre à l’adresse manifeste.afr@gmail.com d’ici le 30 avril 2020.

Les articles définitifs (d’une longueur de 6000 mots) seront à remettre avant le 30 octobre 2020 pour la double évaluation par le comité de la revue et le comité de lecture constitué de spécialistes des différents corpus. Les consignes aux auteurs sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.co.za/content/journal/french.

 

Comité scientifique

Ute Fendler (Universität Bayreuth)

Xavier Garnier (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)

Susanne Gehrmann (Humboldt-Universität zu Berlin)

Pierre Halen (Université de Lorraine)

Christine Le Quellec Cottier (Université de Lausanne)

Sylvère Mbondobari (Université Omar Bongo)

Florence Paravy (Paris 10 - Nanterre)

Claire Riffard (CNRS-France)

 

[1] Abastado, Claude. “Introduction à l’analyse des manifestes”. Littérature 39 (1980) : 5.

[2] Cf. Tomicka, Malgorzata. Programmes et manifestes littéraires en France au xixe siècle. Wroclaw : Université de Wroclaw, 1990. Diaz, José-Luis. “Préface et manifestes du xixe siècle : la réflexion critique comme ‘agir communicationnel’”. Revue des Sciences Humaines 295.3 (2009) : 9-16. Luneau, Marie-Pier & Saint-Amand, Denis, Eds. La Préface : formes et enjeux d’un discours d’escorte. Paris : Grasset, 2016.

[3] Wauch, Patricia. Metafiction. The theory and practice of self-conscious fiction. London & New-York : Routledge, 1984.

[4] Tjell, Mette. “Le manifeste sous l’emprise de la fiction : Le Caoutchouc décidément et Le Post-exotisme en dix leçons, leçon onze”. Études littéraires 3.44 (2013) : 96.

[5] Cf. Lenglet, Irène. Les Théories de l’essai dans la seconde moitié du XXe siècle : domaine anglophone, francophone, germanophone. Synthèses et enjeux. Thèse de doctorat, Université de Rennes 2, dir. Jacques Dugast (déc. 1995) : 65.

[6] Cf. Angenot, Marc. La Parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes. Paris : Payot, 1982 ; Dumasy, Lise & Massol, Chantal, Eds. Pamphlet, utopie, manifeste (XIXe-XXe siècle). Paris : L’Harmattan, 2001.

[7] Fraisse, Emmanuel. Les Anthologies en France. Paris : PUF, 1997.

[8] Cf. Groupe MDRN (« Modern »). “Pour une nouvelle approche de la dynamique littéraire (Pense-bête)”. Fabula-LhT 11 (déc. 2013). < http://www.fabula.org/lht/11/modern.html >.

[9] Bourdieu, Pierre. Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire. Paris : Seuil, 1998.

[10] Delas, Daniel, Ed. Études Littéraires Africaines 29, « Manifestes et magistères » (2010). Cf. aussi Obszynski, Michał, Manifestes et programmes littéraires aux Caraïbes francophones : en/jeux idéologiques et poétiques. Amsterdam & New-York : Brill & Rodopi, 2016.

[11] Anyinefa, Koffi. “Scandales”. Cahiers d’études africaines 191 (2008). < https://journals.openedition.org/etudesafricaines/11912 >. Djiffack, André. “Du manifeste à la consécration : que de complots !”, ALA Bulletin : A Publication of the African Literature Association 24 (1998) : 14-24. Mongo-Mboussa, Boniface. “Yambo Ouologuem et la littérature mondiale : plagiat, réécriture, collage, dérision et manifeste littéraire”. Africultures 54.1 (2003) : 23-27.

[12] Heinich, Nathalie. De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique. Paris : Gallimard, 2012.

[13] E.g. Mongo Pabe. La NOLICA : la nouvelle littérature camerounaise : du maquis à la cité. Yaoundé : Presses Universitaires de Yaoundé, 2005.

[14] Larue, Anne, Ed. L'Art qui manifeste (revue Itinéraires et contacts de cultures). Paris : L’Harmattan, 2008. Cf. aussi le numéro “Le manifeste à travers les arts : devenirs d’un genre indiscipliné”. Itinéraires 2018.1.