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L’émancipation par la traduction ? Trajectoires féminines en Europe centrale et orientale (XIXe-XXIe siècle)
: 20/11/2023
: Paris
: Cécile Gauthier, Malgorzata Smorag-Goldberg et Agnieszka Sobolewska
: cecile.gauthier@univ-reims.fr

L’émancipation par la traduction ?


Trajectoires féminines en Europe centrale et orientale (XIXe-XXIe siècle)


Organisatrices : Cécile Gauthier, Malgorzata Smorag-Goldberg et Agnieszka Sobolewska


Date et lieu : jeudi 17 et vendredi 18 octobre 2024, Paris


Date limite d’envoi des propositions : jeudi 20 novembre 2023


Langues : français et anglais


Invisibles et invisibilisées, marginales et marginalisées, subalternes, inférieures, ancillaires, non fiables, si ce n’est infidèles… Autant de qualificatifs qui ont longtemps pu être appliqués aux femmes comme aux traductions. Prenant le contrepied de ces représentations, on se propose de réfléchir à la traduction (en tant que théorie, métier, pratique, voire acte de création) comme possible instrument d’émancipation pour les femmes en Europe centrale et orientale, du XIXesiècle à nos jours.


Au XIXe siècle, le rôle crucial joué dans l’essor des langues et des littératures nationales par la traduction lui confère une forme de légitimité, qui pourrait croiser la mission dévolue aux femmes d’éducatrices de la nation, de gardiennes de la langue, qu’elles ont le devoir de transmettre à l’échelle individuelle (familiale) et collective (nationale). Mais se voient-elles, en traduisant, cantonnées à une pratique en quelque sorte d’intérêt général, ou bassement alimentaire, et en outre (partiellement) imitative ? Ou bien cette pratique est-elle susceptible de favoriser l’émancipation ? La question pourra être envisagée selon plusieurs angles, non exclusifs les uns des autres :




  • L’émancipation économique :


L’émergence des femmes traductrices est corrélée à l’essor de l’enseignement dispensé aux jeunes filles, sur les plans qualitatif et quantitatif. Or ces connaissances acquises ont pu être mobilisées par la suite comme moyen de subsistance : parmi les carrières et métiers envisageables pour les femmes qui souhaitaient ou devaient gagner leur vie, la pratique de la traduction tenait une place non négligeable. Si, du fait de son statut subalterne (attesté notamment par la fréquente omission, dans les publications, des noms des traducteurs et traductrices), ce choix (contraint ?) pourrait ne faire que confirmer la minoration de la condition féminine, elle a pu cependant – du moins est-ce une hypothèse – servir les femmes dans leur quête d’indépendance financière (même partielle), préalable requis à leur émancipation.




  • L’émancipation intellectuelle :


Cette question implique d’observer précisément les trajectoires de traductrices (c’est-à-dire aussi bien leur pratique effective, que les éventuels commentaires et témoignages sur cette pratique), mais également, à une plus large échelle, de dégager les grandes lignes d’une histoire des traductrices : qui étaient-elles ? quelles œuvres, quels auteurs et quelles autrices traduisaient-elles ? quels genres (littéraires, sciences humaines, textes engagés, militants) ? selon quelles modalités et critères ? Signaient-elles elles-mêmes leurs textes (quand ceux-ci étaient signés) ou avaient-elles besoin d’un pseudonyme, d’une signature masculine, d’une caution intellectuelle masculine ? Enfin, en quoi cette pratique a-t-elle pu favoriser une émancipation sur le plan intellectuel ? A-t-elle entraîné l’appropriation de nouvelles idées et de nouvelles formes, encouragé des prises de conscience et de parole, des positionnements publics, généré la constitution de réseaux ? Sur ce point les mouvements pour l’émancipation féminine ont-ils pu rejoindre d’autres combats, notamment ceux liés aux revendications nationales et linguistiques ?


Une attention particulière sera accordée à la traduction des textes fondateurs pour l’émancipation des femmes en Europe centrale et orientale : quels sont ces textes ? En quelle langue ont-ils été écrits, puis lus ? Comment ont-ils circulé, et quels sont les transferts culturels à l’œuvre dans cette circulation ?


On inclura aussi à notre réflexion le phénomène d’autotraduction et les manières dont ses pratiques contribuent à identifier, à circonscrire et à dépasser les contradictions liées à la multiappartenance et aux risques de dislocation du moi, consécutifs au plurilinguisme. L’auto-traduction est-elle l’une des modalités de l’écriture par lesquelles se manifeste la multi-appartenance des écrivaines plurilingues ? Dans quelle mesure constitue-t-elle pour les femmes un outil d’empowerment, de pouvoir d’agir, aussi bien pour promouvoir leurs propres écrits que pour contrôler leurs stratégies identitaires et politiques, en modifiant leurs textes d’une langue à l’autre, dans un continuum de réécriture, en fonction du public cible ? Ce qui nous conduira à aborder la question du statut des langues mises en regard - par exemple entre l’allemand d’un côté et le tchèque, le polonais ou l’ukrainien de l’autre - et de leur valeur sur les « marchés linguistiques », particulièrement pertinente pour l’espace austro-hongrois.




  • L’émancipation artistique


Précisément parce que le plus souvent elle n’était pas considérée comme une pratique noble, la traduction a-t-elle pu, à l’instar de certains genres populaires, constituer un terrain d’action autorisé et privilégié pour des femmes instruites et plurilingues ? A-t-elle accompagné des processus de création littéraire propre, chez des femmes encouragées à prendre la plume par leur pratique de la traduction ? Ceux-ci se sont-ils combinés à elle ? Substitués ? Le passage à l’écriture personnelle (à la création artistique) s’effectue-t-il dans la langue source ou cible de leurs pratiques de traduction ? Y a-t-il eu des évolutions, des changements de langue de création pour des raisons idéologiques, identitaires (défense de la langue qui devient constitutive de l’identité) ?


On veillera cependant à ne pas réduire la traduction à un simple marchepied pour la création, ce qui ne ferait que reconduire le discours d’ancillarité auquel elle a longtemps été assujettie. On remarque du reste que beaucoup d’écrivains ont eux aussi traduit, dans un dialogue fructueux entre traduction et création, ce qui incite à s’interroger sur de semblables phénomènes de fécondation mutuelle chez des écrivaines.


Les études de cas s’appuyant sur au moins deux trajectoires ou expériences seront les bienvenues. Vos propositions (en français ou en anglais), sous la forme d’un titre, d’un résumé d’environ 300 mots et d’une notice bio-bibliographique sont à adresser d’ici le 20 novembre 2023 à :


cecile.gauthier@univ-reims.fr


maougocha@gmail.com


am.sobolewska5@uw.edu.pl


Emancipation through translation?


Women trajectories in Central and Eastern Europe (19th-21st centuries)


 


Organizers: Cécile Gauthier, Malgorzata Smorag-Goldberg and Agnieszka Sobolewska


Date and location: Thursday, October 17 and Friday, October 18, 2024, Paris


Deadline for submissions: Thursday November 20, 2023


Languages: French and English


            Invisible and made invisible, marginal and marginalized, subaltern, inferior, ancillary, unreliable, if not disloyal... These are all terms that have long been applied to women as well as to translation. To counter these representations, we propose to reflect on translation (as a theory, a profession, a practice, even an act of creation) as a possible instrument of emancipation for women in Central and Eastern Europe, from the 19th century to the present day.


In the 19th century, translation played a crucial role in the development of national languages and literatures, giving it a form of recognition that can be compared with the mission assigned to women as educators of the nation. Indeed, as guardians of the language, women had a duty to transmit on an individual (domestic) and collective (national) scale. But is translating a kind of general-interest practice, or one that is merely alimentary and (partly) imitative? Is this practice likely to foster emancipation? The question can be considered from several standpoints, not mutually exclusive:




  • Economic emancipation:


The emergence of women translators is closely linked to the qualitative and quantitative expansion of education for young girls. However, this acquired knowledge could later be used as a means of livelihood: among the careers and professions available to women who wanted or needed to earn a living, the practice of translation held a non negligible place. While this (perhaps forced) choice may only confirm the diminished position of women due to translation’s subordinate status (evidenced by the frequent omission of the names of translators in publications), it may nevertheless - or at least this is a hypothesis - have helped women in their quest for (even partial) financial independence, a necessary prerequisite for emancipation.


Intellectual emancipation:


This question implies a precise observation of the trajectories of women translators (i.e., their actual practice, as well as any comments and testimonies on this practice), but also, on a larger scale, the outline of a history of women translators: who were they? which works, which authors did they translate? which genres (literary, human sciences, engaged, militant texts)? according to which methods and criteria? Did they sign their texts themselves (when they were signed), or did they need a pseudonym, the signature or intellectual guarantee of a man? Finally, how did this practice foster intellectual emancipation? Did it lead to the appropriation of new ideas and new forms, fostered awareness and the expression of public positions, and generated the creation of networks? Have movements for women’s emancipation been able to connect with other struggles, notably those linked to national and linguistic claims?


Particular attention will be paid to the translation of seminal texts for women's emancipation in Central and Eastern Europe: what are these texts? In what language were they written, and then read? How did they circulate, and what cultural transfers were involved?


We will also be looking at the phenomenon of self-translation and the ways in which its practices help to identify, circumscribe and overcome the contradictions linked to multiple belonging and the risk of dislocation of the self resulting from being plurilingual. Is self-translation one of the ways in which multilingual women writers express their multi-affiliation? To what extent does it constitute a tool of empowerment for women—both to promote their own writing and to control their identity and political strategies, by modifying their texts from one language to another, in a continuum of rewriting, according to the target audience? This will lead us to address the question of the status of the languages compared, for example - between German on the one hand and Czech, Polish or Ukrainian on the other - and their value on "the linguistic markets", which is particularly relevant to the Austro-Hungarian area.


Artistic emancipation


Precisely because it was most often not considered a noble practice, could translation, like certain popular genres, constitute an authorized and privileged field of action for educated, multilingual women? Did it accompany unique processes of literary creation amongst women encouraged to take up the pen by their practice of translation? Did they combine with it? Substitute? Does the transition to personal writing—artistic creation, take place in the original or target language of their translation practices? Have there been evolutions, changes in the language of creation for ideological or identity-related reasons, such as in defense of the language that becomes constitutive of identity?


Nevertheless, we must avoid reducing translation to a mere stepping-stone for creation, which would simply reiterate the discourse of ancillarity to which it has long been subjected. It's also worth noting that many men writers have also translated, in a fruitful dialogue between translation and creation, which prompts us to wonder about similar phenomena of mutual fertilization among women writers.


Case studies based on at least two trajectories or experiences are welcome. Your proposals (in French or English), in the form of a title, a summary of around 300 words and a bio-bibliographical note, should be sent by November 20, 2023 to :


cecile.gauthier@univ-reims.fr


maougocha@gmail.com


am.sobolewska5@uw.edu.pl


Bibliographie indicative :


Recommended bibliography :


Antoine Berman, L’Épreuve de l’étranger : culture et traduction dans l’Allemagne romantique, Paris, Gallimard, 1984.


Antoine Chalvin, Marie Vrinat-Nikolov, Katre Talviste et Jean-Léon Muller (dir.), Histoire de la traduction littéraire en Europe médiane des origines à 1989, Rennes, PUR, 2019.


Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse », in Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010 (1975).


Jean Delisle et Judith Woodsworth (dir.), Les traducteurs dans l’histoire, 3e édition, version française coordonnée par Benoît Léger, Paris, Hermann, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014 (1995).


Jean Delisle (dir.), Portraits de traductrices, Arras, Artois presses université, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottwa, 2002.


Luise von Flotow (dir.), Translating Women, Ottawa, University of Ottawa Press, 2011.


Luise von Flotow & Hala Kamal (dir.), The Routledge Handbook of Translation, Feminism and Gender, Routledge, 2020.


Noémie Grunenwald, Sur les bouts de la langue. Traduire en féministe(s), La Contre Allée, Collection Contrebande, 2021.


Celia Hawkesworth (éd.), A History of Central European Women’s Writing, Basingstoke, Palgrave, London, in association with School of Slavonic and East European studies, University College, 2001.


Jasmina Lukić, Sibelan Forrester, Borbála Faragó (dir.), Times of Mobility. Transnational Literature and Gender in Translation, Budapest, Central European University Press, 2019.


Karen Offen, Les Féminismes en Europe (1700-1950). Une histoire politique, traduit de l’anglais (américain) par Geneviève Knibiehler, Rennes, PUR, 2012 (2000).


Paul Ricoeur, Sur la traduction, Paris, Bayard, 2004.


Tiphaine Samoyault, Traduction et violence, Paris, Seuil, Fiction & Cie, 2020.


Sherry Simon, Gender in Translation: Cultural Identity and the Politics of Transmission. Psychology Press, 1996, traduction française par Corinne Oster, sous le titre Le genre en traduction, Arras, Artois presses Université, 2023.


: Cécile Gauthier