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« Le brisement de la grâce croisé de violence nouvelle » : Arthur Rimbaud, poésie et violence / Journée d’étude pour le 170e anniversaire de la naissance du poète (Strasbourg)
: 23/07/2024
: Université de Strasbourg
: Vera Kazartseva et Guillaume Curtit
: vera.kazartseva@etu.unistra.fr
« Le brisement de la grâce croisé de violence nouvelle » : Arthur Rimbaud, poésie et violence

Journée d’étude pour le 170e anniversaire de la naissance de Rimbaud


Université de Strasbourg,  le 24 octobre 2024


Dans son poème « Génie », tiré des Illuminations, Rimbaud met en lumière son paradoxe premier de poète au croisement entre la douceur et la violence. Cette ambivalence fait de Rimbaud un poète fondamentalement moderne. Sa poésie saisit les changements de son époque comme une lueur d'espoir, une veille avant l'aurore d'une ère nouvelle. Néanmoins, cette perspective optimiste se trouve contrebalancée par la réalité de la violence inhérente à la transition vers l’avenir. Le dilemme rimbaldien reste pertinent : peut-on percevoir la modernité et ses fruits de manière positive ? Ou bien le monde moderne n’invente-t-il que des « poisons », comme il l’écrit dans son poème en prose intitulé “L’Impossible” ?

Le paradoxe de la modernité et l’oscillation de sa poésie entre grâce et violence sont au centre de la conception poétique rimbaldienne. Nous retrouvons dans les différentes analyses des lecteurs de Rimbaud une démonstration de son ambiguïté de forme et de fond. La violence s’y dessine, toujours aux prises avec cette ambivalence face à un monde en pleine évolution, à la fois source de liberté et de révolte, de renaissance et de destruction, d’attrait et de dégoût profond. Tout comme Baudelaire qui a mis en relation « poésie et violence », selon le titre de l’ouvrage de Jérôme Thélot (1993), Rimbaud entremêle écriture et rage : violence en tant que force contraignante qui soumet quelqu’un ou quelque chose ; violence en tant qu’acte volontaire perpétré sur le corps ou les biens d’autrui ; mais aussi violences verbales dues à un excès de langage, ou violence en tant qu’intensité extrême d’une conviction, d’un sentiment, d’une pulsion. Ces définitions se rattachent-elles à l’approche qu’a Rimbaud de l’écriture poétique ? Peut-on parler d’une violence inhérente et essentielle de l’œuvre rimbaldienne ? Ces questions se posent lorsque l’on constate que Rimbaud est étudié par les critiques sous le paradigme de la violence : selon Barthes, le poète « explose des mots » ; l’une des revues appartenant aux études rimbaldiennes est intitulée Parade sauvage ; Pierre Brunel insiste sur le côté « éclatant » de son œuvre. Mais cette terminologie soulève aussi, en arrière-plan, le besoin de délicatesse qui émane de l’œuvre du poète : par « éclatant », le critique entend à la fois la violence de la fragmentation et la lumière qui inonde et enlace. La violence ne serait-elle pas alors un mouvement naturel et salutaire pour le poète ? Ainsi, sous quelles formes apparaît cette – ou ces – violence(s) ?

Poète « damné », la violence semble jalonner l’intégralité de son parcours et abreuver sa poésie, ses sujets et sa langue, mais aussi sa vie intime et familiale. Sans se limiter à une lecture uniquement biographique de son œuvre, il est pertinent de garder à l’esprit que la poésie de Rimbaud est une « œuvre-vie » marquée par la violence. Pourtant, là encore, cette dernière est à nuancer : Rimbaud est initialement la victime, et non l’initiateur de la brutalité du monde. La poésie est-elle donc pour lui la mise en voix de cette violence endurée, face à une modernité et une vie qui le brisent ? Ou bien serait-elle pour lui un exutoire, une manière de se « démaudire » (THELOT, 2023) ?

La douceur, la délicatesse, la grâce, la beauté sont autant de contrepoints non négligeables à la violence de l’écriture d’un jeune poète aux prises avec le monde et avec lui-même. Ce deuxième pendant de sa poésie continue d’abreuver et d’influencer un grand nombre de poètes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Pour Georg Trakl, Giuseppe Ungaretti et Dino Campana ou encore Alexandre Blok et Velimir Khlebnikov, Arthur Rimbaud devient une source d'espoir, un symbole de renouvellement et de mystère poétique. Ces poètes ont éprouvé le « besoin de Rimbaud » (BONNEFOY, 2009), lors des moments les plus angoissantes de leur époque. En examinant notre propre réalité contemporaine, marquée par sa rapidité et sa violence, il devient pertinent de se demander si nous ressentons toujours ce même besoin profond de la poésie rimbaldienne. L'étude de son œuvre soulève des questions sur la légitimité de la poésie, tout en interrogeant la possibilité d'une poétique éthique de la violence dans la cadre d’un contexte politique hautement conflictuel. Peut-on parler d’une « poéthique » (PINSON ; 2013) rimbaldienne qui met en scène les paradoxes de notre monde ? Est-ce que les idées politico-idéologiques de Rimbaud sont inscrites dans la forme même de son expression ? La présence, parfois ambigüe, parfois évidente, de la violence dans sa poésie et dans sa langue serait-elle une manifestation de son « anti-modernité » (COMPAGNON ; 1978) ?

Notre journée d’étude se propose ainsi d’analyser les formes de violence de la vie et de l’œuvre du poète, dans l’optique première de vous inviter à relire et redécouvrir Rimbaud en l’honneur de son 170e anniversaire, mais aussi pour nous rappeler à tous que sa poésie est plus que jamais actuelle dans ce monde où la violence va croissante.

Axes de questionnement : 

  • Arthur Rimbaud, un autre poète moderne « anti-moderne » ?

  • Une ambiguïté inhérente à la poésie rimbaldienne entre grâce et violence ?

  • Une vie de violence qui alimente « l'œuvre-vie » rimbaldienne ?

  • Rimbaud et sa poétique de la violence à la source d’une écriture contemporaine et internationale de la violence ?

  • Pour une éthique de la violence poétique chez Rimbaud ?


Pour la proposition de communication :

  • Date limite de soumission : 23 juillet 2024

  • Format des communications : 20 minutes de présentation + 10 minutes de questions

  • Format des propositions : 300 mots maximum + bibliographie + bio

  • Votre proposition de communication est à envoyer aux deux adresses suivantes : vera.kazartseva@etu.unistra.fr ; guillaume.curtit@etu.unistra.fr


 

Bibliographie indicative :

BARTHES (Roland) Le degré zéro de l'écriture ; suivi de nouveaux essais critiques, Paris, Éditions du Seuil, 1972.

BIVORT (Olivier), GUYAUX (André), MURAT (Michel), et al (éd.). Rimbaud poéticien : actes du colloque organisé les 28 et 29 novembre 2013 à Venise, Paris, Classiques Garnier, 2015.
-          Les Saisons de Rimbaud, Paris, Hermann, 2021.

BONNEFOY (Yves), Notre besoin de Rimbaud, Éditions du Seuil, Paris, 2009.

BORER (Alain), Arthur Rimbaud, Œuvre-Vie, édition du centenaire, Paris, Arléa, 1991.

BRUNEL (Pierre), Arthur Rimbaud ou l’éclatant désastre, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2018.

-           Éclats de la violence : pour une lecture comparatiste des "Illuminations" d'Arthur Rimbaud : édition critique commentée, Paris, J. Corti, 2004.

CHAR (René), Recherche de la base et du sommet, Paris, Poésie/Gallimard, 1971.

CHARLE (Christophe), Discordance des temps : une brève histoire de la modernité, Paris, Dunod, 2022.

COLLONGES (Julien), VICTOROFF (Tatiana) (éd.), La lyre et les Armes. Poètes en guerre : Péguy, Stadler, Ozen, etc., Paris, Classiques Garnier, 2019.

COMPAGNON (Antoine), Les cinq paradoxes de la modernité, Paris, Éditions du Seuil, 1990.

DOTOLI (Giovanni) & DIGLIO (Carolina) (éd.), Rimbaud et la modernité : actes du colloque de Naples, 6-7 décembre 2004, Paris, Sorbonne Université Presses, 2006.

DOTOLI (Giovanni), SELVAGGIO (Mario), SIVRY-JACOBEE (Éric) & VERGUIN (Jocelyne) (éd.), Rimbaud poète moderne ?,Paris, Hermann, 2017.

FREMY (Yann) “Te voilà, c’est la force.” Essai sur Une saison en enfer de Rimbaud, Paris, Classiques Garnier, 2009.

MAÏDI (Houari), « Traumatisme et séduction chez Rimbaud », L’Information psychiatrique, vol. 82, 2006.

MICHON (Pierre), Rimbaud, le fils, Paris, Gallimard, 1993.

MURAT (Michel), L'art de Rimbaud, Paris, Corti, 2013.

NANCY (Jean-Luc), « Image et violence », Le Portique, 2000, en ligne : https://journals.openedition.org/leportique/451?lang=en

PINSON (Jean-Claude), Poéthique, une autothéorie, Paris, Éditions Champ Vallon, 2013.

REBOUL (Yves), Rimbaud dans son temps, Paris, Classiques Garnier, 2009.

  1. CLAIR (Robert), “Le Moderne Absolu ? Rimbaud et La Contre-Modernité”, Nineteenth-Century French Studies, vol. 40, no. 3/4, 2012, pp. 307–26.


THELOT (Jérôme), Baudelaire. Violence et poésie, Paris, nfr / Gallimard, coll. « Bibliothèques des idées », 1993.

  • L’origine du poème et ce qu’il peut, Lille, Invenit, coll. « Miroirs de l’esthétique », 2023.

: Vera Kazartseva