appel
« Genre(s) et frontière(s) » Séminaire des doctorant·es du CERC 2024-2025 (Sorbonne Nouvelle)
Date de l'échéance : 30/09/2024
Lieu de l'événement : Université Sorbonne Nouvelle, Paris
Nom de l'organisateur : Ashvini Chandrakumar, Julie Oliveira Da Silva, Carola Paolucci, Maëlle Savina, Elizaveta Shevchenko, Lin Yang (CERC)
Email de l'organisateur : doctorant.e.s.cerc@gmail.com
Site web de référence : http://www.univ-paris3.fr/seminaires-de-doctorant-e-s-de-l-ed-120-521884.kjsp?RH=1234864739387
Appel à communications « Genre(s) et frontière(s) »
Séminaire des doctorant·es du CERC 2024-2025 (Sorbonne Nouvelle)
La frontière est l’une des questions cruciales de la littérature comparée. L’étude des œuvres littéraires issues de contextes culturels et linguistiques différents mène à définir et à interroger les points de contact, les limites, les ruptures entre auteurs, genres ou topoï littéraires. La communauté scientifique manifeste un regain d’intérêt pour la notion de frontière1, qu’elle soit géographique, linguistique, culturelle, religieuse ou sexuelle.
Genre(s) et frontière(s) sont deux notions intimement liées. La frontière peut signifier une rupture, une confrontation, mais aussi un passage d’un espace à l’autre. Elle trace une délimitation, plus ou moins poreuse, tout comme le genre. Que l’on prenne le genre comme une notion biologique, littéraire, culturelle ou philosophique, celle-ci peut nous apparaître comme un terme au sein duquel se nouent des enjeux de catégorisation, d’identification ou d’altérité.
Depuis La Poétique d’Aristote jusqu’aux approches structuralistes héritées de Gérard Genette, les tentatives de délimitation des genres littéraires sont nombreuses. En témoignent les difficultés à définir l’autofiction qui tiennent notamment à l’effort réitéré de tracer une séparation nette entre l’autobiographie et le récit fictionnel. La chercheuse Euridice Figueiredo, dans son ouvrage Mulheres ao Espelho : autobiografia, ficção, autoficção (2013), rapproche la littérature brésilienne et les littératures francophones où elle analyse l'écriture de soi et la sexualité féminine dans les textes d’Annie Ernaux, de Gabrielle Roy, d’Eliane Potiguara ou encore de Conceição Evaristo. Dans cette même perspective, la recherche qui entoure le shishōsetsu japonais invite à repenser les catégories occidentales d’analyse de l’autobiographie et de la fiction. Il s’agit d’« une forme d’“écrit de soi”, où l’auteur, le narrateur et le héros se confondent en une seule identité » (Hoareau, 2022). L’ouverture des frontières géographiques, historiques et littéraires opère donc un décentrement nécessaire pour repenser des formes et des catégories génériques souvent européocentrées. Les épopées indiennes font « voler en éclats la conception artistotélicienne du genre épique » (Le Blanc, 2017), notamment le Mahâbhârata, un long poème appartenant aux itihâsa2 qui signifient littéralement « il en fut ainsi ». Cette ouverture permet également d’étudier la reprise et la réinvention d’un genre au-delà des frontières, comme dans le cas du roman indien. Le premier roman de la littérature tamoule Piratāpa mutaliyār carittiram (Histoire de Pratapa Mudaliyar), publié en 1879 par Samuel Vendanayagam Pillai, s’inspire du roman européen et reprend l’écriture en prose. Cette œuvre engendre un véritable bouleversement au sein d’une littérature qui était presque exclusivement écrite sous la forme versifiée3. L’étude des littératures du monde, notamment extra-européennes, remet en cause et redéfinit les contours de ces limites, à travers la question de la traduction et de la nomination des genres de manière décentrée. Maéva Boris aborde l’enjeu de l’étiquetage du Kim-Vân-Kiêu4 appartenant au genre vietnamien de « truyên », nommé à la fois « roman », « roman en vers », « poème » ou encore « poème national » (Boris, 2024). Déconstruire les barrières permet donc de rapprocher des œuvres littéraires et artistiques apparemment distantes et de réfléchir aux invariants, aux spécificités et aux réinventions génériques.
Ainsi, la frontière entre les genres peut perdre de sa pertinence et être remise en question. Le succès auprès du public et l’intérêt croissant de la recherche pour les « mauvais genres »5 interrogent une autre forme de démarcation. La revendication de la reconnaissance de genres longtemps déconsidérés peut attester d’une volonté de légitimation, ou du moins d’intérêt scientifique. Ce phénomène n’est pas proprement contemporain : le roman-feuilleton a gagné ses lettres de noblesse, malgré de nombreuses années de discrédit. Par exemple, Les Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, publié dans le journal Le Siècle de mars à juillet 1844, a connu un véritable succès populaire et a obtenu une reconnaissance institutionnelle aujourd’hui.
La frontière joue un rôle dans les genres littéraires ainsi que dans l'œuvre : certain·es auteur·es construisent des personnages qui brouillent les pistes et la délimitation entre les genres ou les sexualités. En effet, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, ce brouillage des genres a suscité l’intérêt de nombreux écrivains et écrivaines. Que ce soit San Giovanni dans Une femme m’apparut, Orlando dans le roman éponyme, Camille dans L'Énéide, Lady Oscar dans Berusaiyu no Bara (La Rose de Versailles) ou bien Amba6 dans le Mahâbhârata, ces personnages réinterprètent le masculin et le féminin par le biais du mythe de l’androgyne7, par un épisode de travestissement, voire de réincarnation.
Ainsi, le séminaire des doctorant·es du Centre d’études et de recherches comparatistes (CERC, ED 120, Sorbonne Nouvelle), pour l’année 2024/2025, porte sur « Genre(s) et frontière(s) », dans leurs différentes acceptions et polysémies. Il s’agit de se demander en quoi penser au-delà des frontières géographiques, historiques et culturelles permet d’élaborer une réflexion décentrée sur le(s) genre(s) en littérature. Le séminaire propose de mettre en évidence la porosité naturelle qui existe entre les formes littéraires à partir des notions de frontière et genre. L’ouverture géographique et culturelle est fondamentale afin d’interroger les relations entre les deux termes. La comparaison avec d’autres formes d’arts et médias est également bienvenue.
Axes de recherche possibles mais non-exhaustifs :
- Genres et frontières littéraires, historiques et culturelles (par exemple : limites entre bon et mauvais genre)
- Spécificités et réinventions génériques au-delà des frontières
- Frontières et gender studies (par exemple : personnage entre les genres)
- Genres et transmédialité (par exemple : étude comparée littérature et cinéma ; littérature et bande dessinée…)
- Genre(s) et transgression(s) : canon, légitimation et tradition
- Genre et frontières dans une perspective d’histoire connectée
Modalités de soumission
Le séminaire « Genre(s) et frontière(s) » est organisé par les doctorant·es du Centre d’études et de recherches comparatistes (CERC) de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, membres de l’Ecole Doctorale 120 « Littérature française et comparée » avec le soutien de la revue de littérature générale et comparée -TRANS (https://journals.openedition.org/trans/). Toutes les séances auront lieu en présentiel avec une retransmission à distance et seront ouvertes au public.
Les propositions de communication de doctorant·es ou de jeunes docteurs, en français ou en anglais, doivent comporter un titre, un résumé de 250 à 300 mots maximum ainsi qu'une courte notice bio-bibliographique de 150 à 200 mots maximum. Il est possible d’indiquer jusqu'à cinq mots-clés. Elles doivent être envoyées avant le 30 septembre 2024 à l’adresse suivante : doctorant.e.s.cerc@gmail.com. Le document doit être intitulé de la façon suivante : NOM_TITRE.docx (ex : SENGHOR_La-frontière-littéraire.docx). Les réponses aux propositions seront envoyées courant du mois d’octobre 2024.
Les communications feront l’objet d’une publication dans la revue électronique de littérature générale et comparée TRANS-, labélisée Presses de la Sorbonne Nouvelle (PSN).
Comité d’organisation
Ashvini Chandrakumar
Julie Oliveira Da Silva
Carola Paolucci
Maëlle Savina
Elizaveta Shevchenko
Lin Yang
Bibliographie indicative
Mauvais goût, mauvais genre ? Actes du séminaire interdisciplinaire, ENS Ulm , Paris, La Taupe médite, 2017.
Baroni, Raphaël, & Macé, Murielle (dir.), Le savoir des genres. coll. « La Licorne » n°79, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.
Boris, Maéva, « On ne peut pas lire une bibliothèque tous les matins : problèmes de mise en corpus dans les études littéraires », Fabula / Les colloques, Transformations des corpus, Le Corpus : corps à corps (M. Manara & M. Kondrat, Dir.). Consulté à l’adresse : https://www.fabula.org/colloques/document12129.php.
Compagnon, A, La Notion de genre, https://www.fabula.org/compagnon/genre.php.
Détrie, Murielle, & Postel, Philippe (dir.), La Chine dans les études comparatistes : nouvelles approches et repositionnements, Lucie Éditions, coll. « Poétiques comparatistes », Paris : SFLGC 2021.
Di Méo, Nicolas, « Les frontières dans la littérature : barrières poreuses et éléments de structuration de l’espace », Les Cahiers européens des sciences sociales, 5, 2013, pp. 67-84, hal-03009493f, https://u-bordeaux-montaigne.hal.science/hal-03009493.
Duprat, Anne, & Lavocat, Françoise, Fiction et cultures. coll. « Poétiques comparatistes », Paris : SFLGC, 2010.
Étiemble, René, Essais de littérature (vraiment) générale, Paris, Gallimard, 1975.
__________, Ouverture sur un comparatisme planétaire, Paris, Christian Bourgeois, 1988.
Fagnou, Amélie, & Raphélis (de), Rémi (dir.), Le mauvais goût : marginalités, ambiguïtés, paradoxes (XIXe-XXIe siècles), Actes de la Journée d’études doctorales du CHCSC, 2019.
Genette, Gérard, Introduction à l’architexte, Seuil, 1979.
_________, Fiction et diction, Seuil, 1991.
Hoareau, Oriane, « Repenser le pacte autobiographique dans la littérature japonaise : le shishōsetsu », compte rendu de Fowler Edward, The Rhetoric of Confession. Shishōsetsu in Early Twentieth-Century Japansese Fiction, Berkeley, University of California Press, 1988, dans « Revue critique », EcriSoi (site Internet), 2022, URL : https://ecrisoi.univ-rouen.fr/babel/repenser-le-pacte-autobiographique-dans-la-litterature-japonaise-le-shishosetsu.
Krauss, Charlotte, & Zieger, Karl (dir.), La littérature comparée : un dialogue entre Est et Ouest, naissance et évolution des théories en Europe, coll. « Poétiques comparatistes », Paris : SFLGC, 2018.
Lavocat, Françoise, Fait et fiction. Pour une frontière, Paris : Seuil, 2016.
Le Blanc, Claudine, Histoire de la littérature de l'Inde moderne. Le roman, XIXe-XXe siècle, Ellipses, 2006.
_________, Les Livres de l'Inde. Une littérature étrangère en France au XIXe siècle, Paris : Presses de la Sorbonne nouvelle, 2017
Prince, Michael B., Mauvais Genres, New Literary History, vol. 34, no. 3, 2003, pp. 453–79, https://www.jstor.org/stable/20057793.
Schaeffer, Jean-Marie, Qu'est-ce qu'un genre littéraire ?, Paris, Seuil, 1989.
Subrahmanyam, Sanjay, Aux origines de l'histoire globale (Leçon inaugurale au Collège de France). Paris, Fayard, 2014.
_________, Faut-il universaliser l’histoire ? Entre dérives nationalistes et identitaires, Paris, CNRS Editions, 2020.
[1] Un récent colloque international et pluridisciplinaire interroge les frontières dites naturelles. AHMUF (30 novembre
2023). Les frontières « naturelles » : une notion à déconstruire. Stratégies, enjeux, perceptions, langages, imaginaires,
30-31 mai 2024, Lyon, colloque international pluridisciplinaire. AHMUF_ Association des Historiens Modernistes des
Universités de France. Consulté le 12 avril 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/awbr. De 2018 à 2020, le
séminaire de la Sorbonne Nouvelle a étudié la notion de déplacement en littérature, au-delà des frontières nationales et
des identités. « Hors Frontières : Écritures du déplacement dans une perspective mondiale », dossier coordonné par
Chloé Chaudet, Muriel Détrie, Claudine Le Blanc et Sarga Moussa, Revue Trans- N°26, 2021, https://doi.org/10.4000/trans.4259.
[2] Le terme itihâsa est composé des termes sanskrits iti qui signifie ceci, ha, ainsi et asa, fut. Le itihâsa caractérise les
poèmes qui racontent des faits historiques à travers un récit, comme le Mahâbhârata et le RâmâyaNa.
[3] Avant l’introduction de ce roman, les œuvres de la littérature tamoule étaient en vers, à quelques exceptions près tel
que le Cilappatikāram (Le Roman de l’anneau) qui contenait quelques des extraits en prose. Des jésuites italiens
avaient écrit des textes tamouls en prose mais Samuel Vendanayagam Pillai est le pionnier du genre romanesque. Voir
Asher R.E. IV, « Aspects de la littérature en prose dans le Sud de l'Inde », Bulletin de l'Ecole française
d'Extrême-Orient, Tome 59, 1972. pp. 123-188, DOI : https://doi.org/10.3406/befeo.1972.5120 et Claudine Le Blanc,
Histoire de la littérature de l'Inde moderne. Le roman, XIXe-XXe siècle, Ellipses, 2006.
[4] Kim Van Kiêu, écrit par Nguyễn Du au début du XIX
e siècle, est une oeuvre majeure de la littérature vietnamienne. Ce
texte est écrit en vers et raconte l’histoire d’une jeune femme nommée Kiều.
[5] Depuis quelques années, on voit un intérêt croissant autour des « mauvais genres ». En témoignent le podcast «
Mauvais genres » (France Culture) : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/mauvais-genres ; le cycle de
conférences à la Bibliothèque Nationale de France, Trembler, jouir, rêver : l’univers du mauvais genre (2023) :
https://www.bnf.fr/fr/agenda/trembler-jouir-rever-lunivers-du-mauvais-genre et la Journée d’Études Mauvais Genres
(Université de Bourgogne, 2024) :
https://metiers-du-livre.fr/26-01-2024-une-journee-detude-consacree-aux-mauvais-genres/.
[6] Amba, renaît sous la forme d’un homme, Shikhandi, afin de se venger de Bhishma, qui l’a enlevée le jour de son
mariage et a détruit ses espoirs d’union avec celui qu’elle aime.
[7] Renée Vivien, dans Sonnet à l’Androgyne (Évocations, 1903) et Une femme m’apparut (1904) et Virginia Woolf dans
Orlando (1928).