appel
Notre époque est marquée par une entrée dans une ère qu’on qualifie d’« anthropocène », c’est-à-dire dans un contexte où "les activités humaines ont causé une rupture des équilibres naturels de la planète" (https://www.geo.fr/environnement/geologie-quest-ce-quelanthropocene-193622). Cet « âge de l’homme » est appréhendé tantôt comme catastrophe assurée, tantôt comme fantasme, tantôt comme promesse de retour à l’essentiel naturel, ou encore comme indécidabilité radicale. Dans tous les cas, la responsabilité humaine, en termes de causes comme en termes d’agir présent et futur, n’est plus contestée de façon crédible. L’enjeu n’est pas ici de savoir si le terme « anthropocène » respecte ou non les critères géologiques propres à définir une époque, mais à caractériser ce contexte dans lequel se pose la question de la recherche en éducation en 2020. En effet, de manière peut-être plus évidente que jamais, les enjeux éducatifs sont conjointement et systémiquement biologiques, cognitifs, sociaux, économiques, technologiques, politiques, bref vitaux au sens plein du terme. C’est dans ce nouveau contexte que le Congrès quadriennal de l’AFIRSE, et la célébration de ses trente ans d’existence, se tiennent, après une naissance, en 1990, instaurée sous le sceau de l’européanisation des enjeux éducatifs (Les nouvelles formes de la recherche en éducation au regard d'une Europe en devenir, Mai 1990 Actes publiés aux Editions Matrice, Paris).
DE DEUX MUTATIONS HISTORIQUES ET PARADIGMATIQUES
Le développement des Sciences de l’éducation depuis la fin du XIXème siècle s’était opéré dans le contexte du paradigme démocratique, symbolisé par le principe de l’accès de tous à l’éducation mais aussi par la reconnaissance de l’égale dignité de tous, quels que soient leurs savoirs ou leurs cultures. Il s’inscrivait aussi doublement dans la pensée des Lumières telle que Kant l’avait définie : avoir le courage de s’emparer de la possibilité de penser par soi-même, mais aussi s’inscrire dans le processus de progrès de l’espèce humaine. Or ce paradigme, lui-même multiple, est de fait bouleversé par la déclaration de Lisbonne (2000) qui fait de l’éducation la condition de la puissance et de la compétition internationale et instaure, à travers la promotion d’une certaine conception de l’ETLV (Éducation tout au long de la vie), l’obligation de formation d’un sujet entendu comme « capital humain », aux ressources expérientielles reconnues. En 2007 à partir de la Déclaration de Lisbonne co-signée par les autorités de l'union européenne, l'Agence européenne pour l'éducation des personnes ayant des besoins particuliers et le rassemblement « La voix des jeunes » organisé à cette occasion, ce mouvement de « démocratisation progressiste » s’est poursuivi avec des politiques d’inclusion volontaristes, s’efforçant à une universalité de l’accès aux savoirs et à la culture. L’idéologie du progrès, largement enracinée dans celle du projet et de l’ingénierie pendant 20 ans, se trouve relayée par la logique des compétences, effaçant de la scène scolaire et universitaire accréditée les savoirs et la culture ; l’injonction à l’innovation balaye l’exigence heuristique de problématisation et d’aventure cognitive, pour et par une homogénéisation des pratiques de recherche et de leurs résultats attendus, sous forme de « bonnes pratiques », établies sous le principe supposé consensuel de l’evidence-based. Cette nouvelle idéologie présente le mérite de se réduire aisément à des modes de contrôle quantitatifs, quand bien même sont-ils enveloppés de « label qualité », et à produire des outils de pilotage désincarnés, mais aisément traduisibles en algorithmes, donc économes en moyens humains et producteurs « objectifs » de comparaison-compétition entre les acteurs et les structures. Parvenir à effacer la nécessité que des êtres humains se parlent en voix et en chair pour que la machinerie éducative fonctionne (tout à rebours de l’idée que les êtres se transforment et transforment la machinerie qui les transforme), parvenir à effacer toute possibilité de contradiction, et pré-fabriquer les attendus de compétences pour la compétitivité de demain qu’on connaitrait déjà — bref se montrer toujours-déjà-efficace : tels sont les modèles d’éducation et de formation imposés par ce qu’il faut bien appeler le nouveau « marché scolaire et universitaire », ajusté aux besoins de compétences du marché économique. La dématérialisation-déshumanisation des relations — devenues tout doucement « interactions » par compatibilité paradigmatique —, invisibilise les corps, expulse les traditions, et contraint à un oubli de l’épaisseur du temps pour se (re)connaître et s’apprendre. Ainsi la dématérialisation du monde humain, sous son pouvoir de séduction et fascination massivement dominantes, cumule une double contradiction qui touche aux conditions mêmes de la vie et de sa transmission. Physiquement, la dématérialisation nécessite beaucoup de matériel, et engendre une dépense d’énergie tout aussi inquiétante, sinon plus, que d’anciens modes de production des savoirs. Culturellement (sur le plan psychique, économique et politique), la dématérialisation apparaît comme l’ingénierie qui pourrait rendre nos « métiers impossibles » (Freud) enfin possibles, c’est-à-dire organisables et gérables totalement et intégralement, mais au prix d’en saper les conditions de vie véritablement intersubjectives. Se dessine alors un nouvel « homme nouveau », dont on a encore du mal à voir quel citoyen s’y trouve en germe. Il est assigné à résidence de robotisation et de clics, de façon plus ou moins insidieuse, par un progrès technologique numérique couplé à des neurosciences et sciences cognitives regardées comme miraculeuses, mais encore seulement — ou parce que — positivistes, comme toute science nouvellement née. Ces mêmes forces de pulsion de mort, pour appeler de son nom cet ensemble de phénomènes, l’humanité se les applique à elle-même et les met à l’œuvre dans le désastre écologique qu’elle a elle-même engendré, au nom là encore du paradigme de la domination et de la possession (de la nature), du progrès et de sa conception comme quantité, donc toujours à augmenter et accroître. Face à cela, décarboner son mode de vie (y compris numérique), reconsidérer son rapport aux extractions-transformations-dépôts (de matière, d’énergie comme de données), passer des logiques concurrentielles à des dynamiques de solidarité, envisager l’accueil migratoire climatique et non plus seulement politique ou économique : voilà qui suppose, demande et, espérons-le, engendre de nouveaux imaginaires, pour se (re)penser en raison.
Quelques grandes questions balisent à grands traits un chemin heuristique:
Comment la recherche en éducation, dans les différentes régions de la Terre, s’empare-t-elle de ce tournant et le questionne-t-elle ?
Dans quelle mesure (prospection et résistance) les conditions théoriques, méthodologiques et épistémologiques de la recherche en éducation se renouvellent-elles dans un tel contexte ?
Quels moyens de confrontation et d'échanges disciplinaires et internationaux s’inventent ?
Quels nouveaux « objets » de recherche en éducation ce contexte génère-t-il/ comment les objets classiques s’en trouvent-ils renouvelés ?
Comment les critères de la recherche et ceux de son évaluation se trouvent-ils (ou non) transformés/ en mutation, voire bouleversés dans leur légitimité supposée acquise ?
APPEL À COMMUNICATION
Les communications ne seront pas présentées in extenso durant les ateliers, mais elles seront mises à disposition des participants à l’avance et plus spécialement des animateurs et animatrices d’ateliers. À charge pour ceux-ci ou celles-ci d’organiser des débats après des présentations rapides de textes qui auront été lus préalablement.
1- Les propositions de communication seront envoyées, accompagnées de l’intitulé de l’atelier auquel le communicant les destine de préférence (ce choix pourra être modifié en raison de l’équilibre à établir entre les ateliers). La proposition de communication devra prendre la forme d’un texte de 3500 caractères maximum accompagnée de 2 références considérées comme essentielles. (Les 2 références sont incluses dans les 3500 caractères).
2- Calendrier
Les propositions devront être envoyées impérativement avant le 14 mars 2020 (Voir le site).
L’acceptation ou le refus sera communiqué pour le 28 mars 2020.
Les communications définitives (5 à 12 pages) devront être envoyées au plus tard pour le 9 mai 2020, accompagnées de la demande, si nécessaire, de matériel informatique.
Des textes plus tardifs pourront être reçus sous la responsabilité des animateurs d’ateliers, mais ils ne pourront être diffusés et leur mise en débats sera difficile à organiser.
ATELIERS
Atelier 1 : Politiques de recherche dans l’incertitude
La période que nous vivons est présentée comme une période de transition, dans ce que cela comporte d’imprévisibilité et d’incertitude quant à ce qui en adviendra, impossible à imaginer de façon assurée. Comment les politiques de recherche, jusque à assez programmatiques, se recomposent-elles en intégrant (ou on) cette incertitude du monde ? Que peut-être une politique de recherche en éducation et en formation qui ne peut plus absolument affirmer ce que doit être le citoyen de demain, ce qu’il doit savoir ? Quelles politiques de recherche inscrivent les éclairages alternatifs (économiques, écologiques, sociaux, politiques) dans leurs programmes ?
Atelier 2 : Temporalités et espaces : (dés)incarnation de la recherche en éducation-formation
Le temps de la recherche, comme celui de l’éducation, sont des temps longs, ceux du « tout au long de la vie ». L’une comme l’autre passent par la confrontation à d’autres : d’autres cultures, d’autres savoirs, d’autres disciplines…, - rencontrent où les déplacements, les voyages, bousculent les corps, les esprits et les liens entre les deux. Pour chacun de nous, ces recompositions permanentes de notre unité corps/esprit se tissent de chaque expérience de temps et d’espaces vécues. L’accélération, tant du temps du voyage que des informations échangées par le net, couplée à une forme d’abolition de l’espace dans son étendue à parcourir, pourraient bien tendre à effacer les dimensions vitales de la chair dans le processus d’humanisation. Comment les recherches en éducation s’accommodent-elles de -et résistent-elles à ces transformations ? Comment travaillent-elles les tensions entre durée et immédiateté, continuité de la Terre à habiter et évanescence du chemin en tant qu’objets de recherche ?
Atelier 3 : Éducation en santé, santé émancipatrice et santé communautaire
Si l'éducation en santé vise à permettre une appropriation individuelle à réaliser par chacun pour adapter en continu son mode vie aux circonstances de son existence, de quoi le sujet doit-il s'affranchir afin de replacer le sens qu'il donne à sa vie, le sens d'être au monde en accord avec son milieu de vie/vivant ?
Quelles dynamiques à la fois individuelles et collectives peuvent permettre de se dégager d'utopies, de représentations, de transmissions culturelles et sociales sur l'environnement en les confrontant à sa santé, à sa liberté de choix comme de pensée dans un monde en transition ?
Atelier 4 : Numérique, simulation et artifices : éducation et (dé)matérialisation
Après des années d’engouement pour les avancées offertes par les TIC dans la circulation dématérialisée de l’information et les promesses de démocratisation d’accès aux savoirs que celle-ci vante, avec la facilité de résultats proposés par les algorithmes, et maintenant la fascination pour l’IA, la reconnaissance d’une éducation critique aux outils comme aux usages s’impose. De quel environnement (air, terre, eaux, vivants aujourd’hui fragiles) s’affranchissent les espace-environnement numérique de travail (ENT) ? Quelles recherches peut-on concevoir sur ces enjeux, tant dans le champ de l’éducation que dans celui de la formation des éducateurs et de leurs formateurs ? Quels rapports avons-nous encore et instaurons-nous avec ce qu’on appelait « choses » dans les « leçons de choses » de l’école élémentaire ?
Atelier 5 : Imaginaires en éducation-formation : émotions, affects, abduction
La binarité de la rationalité numérique pourrait nous inciter, nous aussi, à nous envisager comme des machines à traiter de l’information entendue comme succession de bits, où le vrai et le faux seraient ainsi comme donnés d’avance, à retrouver par calcul, inductif ou déductif. Dans quelle mesure apprendre, produire heuristiquement de nouveaux savoirs, articulent à cette logique classique des rationalités plus floues, moins linéaires, celles qui s’appuient sur l’intuition, le sensible et l’imaginaire pour nourrir des pensées créatrices ? Comment la recherche avance-t-elle avec ces logiques ouvertes, qu’elles concernent l’apprenant, l’éducateur ou le chercheur, et les collectifs associés ? Entre la facilité algorithmique de la profusion de données et de résultats et l’imperfection des approches cliniques, quelles recherches aujourd’hui pour avancer sur les enjeux éducatifs du monde de l’anthropocène ?
Atelier 6 : Éthique et épistémologie …
Les constats établis par les travaux scientifiques (cf par exemple le rapport du GIEC) ainsi que le terme même d’anthropocène, signent cette évidence : les épistémologies positivistes et l’hybris de l’homme ont fait bon ménage pour croire à la maîtrise du monde et de nous-mêmes. Croyant piloter le monde, nous voilà pilotés par lui, d’avoir préféré le maîtriser plutôt que de s’en reconnaître, et d’en assumer les responsabilités générationnelles. Leurs limités, avérées aujourd’hui, sont-elles dépassables ? Que proposent, à cet égard, des recherches constructivistes, inscrivant les effets de contexte (et donc d’environnement) comme puissamment signifiants ? Le paradigme de l’émergence recompose-t-il encore autrement les rapports du sujet et du monde ? Quels dispositifs pédagogiques, éducatifs et de formation pourraient soutenir l’élucidation par chacun de ses actions, de ses responsabilités, de ses pensées ?
Ateliers-forums
En fonction des réponses à l’appel à communication, des présents et du déroulement du colloque.