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Colloque Poésie russe et poésie américaine : croisements et circulations (fin du XIXe siècle à nos jours)
: 02/06/2021
: 30/04/2020
: Université Toulouse Jean Jaurès
: Claire Gheerardyn et Delphine Rumeau
: delphine.rumeau@gmail.com
 

Poésie russe et poésie américaine : croisements et circulations (fin du XIXe siècle à nos jours)

 

Université Toulouse Jean Jaurès

2, 3, 4 juin 2021

Sur le socle du monument à Walt Whitman érigé à Moscou, on lit en russe et anglais les mots suivants extraits d’une lettre du poète américain : « Vous les Russes et nous les Américains !... Si loin les uns des autres, en apparence si différents, et pourtant… sur l’essentiel, nos pays se ressemblent tant ».

L’ambition de ce colloque est de sonder ces ressemblances essentielles indiquées par Whitman, par-delà la distance géographique et culturelle. Et si, de fait, durant la plus grande partie du XXe siècle, cet écart, devenu politique et idéologique, a entravé la circulation des hommes et des textes, les poésies russes (ou soviétiques) et américaines ont continué de s’intéresser l’une à l’autre, voire d’exercer une fascination souvent réciproque. Nous nous proposons d’examiner ces liens, les manières dont ils ont pu être déformés par le contexte politique, par la censure, mais aussi comment ils ont toujours su se réinventer.

  1. Des canons


Que lisent les Américains de la poésie russe, que lisent les Russes de la poésie américaine ? Quels textes sont considérés comme des classiques ? Il est d’usage de distinguer le canon institutionnel du canon des écrivains. Or dans le contexte soviétique, cette distinction acquiert une pertinence accrue : ce qui est traduit, diffusé, enseigné, relève d’une politique d’état très organisée (Institut Gorki, Éditions de la littérature mondiale, manifestations officielles, comme l’accueil des écrivains noirs américains), tandis que certaines œuvres, parce qu’elles échappent aux prescriptions officielles, gagnent en prestige auprès de quelques écrivains (par exemple les poètes beat pour Evtouchenko et Voznessenski). Quel est donc ce canon souterrain ? Le canon de la poésie russe aux États-Unis est-il également très polarisé ? Des poètes, interdits en URSS, sont au contraire édités aux États-Unis, parés des prestiges de la dissidence, alors que certaines références soviétiques canoniques (Maïakovski) prennent une forte valeur subversive dans le contexte du maccarthysme et de la méfiance généralisée envers le communisme. Ces références relèvent-elles encore de la même culture pour les lecteurs américains ?

La question ne concerne pas seulement l’édification d’un canon des contemporains, mais porte aussi sur les textes légués par les siècles passés. On s’intéressa alors à la constitution d’anthologies poétiques et d’histoires littéraires. On notera par exemple que les histoires de la littérature russe ont souvent été écrites en anglais par des Russes émigrés (tel le fameux ouvrage de D. S. Mirski), dont on pourra chercher à mesurer les partis pris et l’influence.

Réfléchir à la constitution de ces canons pose aussi la question de la tension entre une conception nationale et une conception mondiale de ceux-ci : la littérature américaine comme la littérature russe se sont interrogées très consciemment sur leur propre rôle dans l’élaboration d’une conscience nationale, d’une identité collective, qu’elles tentent et ont tenté de définir. Le « poète national » joue un rôle particulièrement fort dans ces deux cultures. Or c’est dans la jeune Union soviétique que s’est définie une certaine idée de la littérature mondiale, qui a posé l’exigence d’un canon international. Comment national et international se conjuguent-ils alors ?

  1. Voies de la circulation et de la transmission


Comment les textes circulent-ils ? Quels sont les chemins, officiels et clandestins, de leur diffusion ? En quoi celle-ci est-elle liée aux destins et aux déplacements des hommes eux-mêmes (voyages officiels, tel celui de Maïakovski en Amérique en 1925, ou privés, migrations, exils) ? Sans exclure les cas très connus de Nabokov ou de Brodsky, on s’attachera à éclairer des figures moins étudiées. On pourra par exemple s’intéresser aux migrations de poètes yiddishophones : avec ces émigrés juifs, c’est tout un pan d’une autre Russie qui vient nourrir la création américaine (rôle du journal Forverts). Plus largement, on pourra chercher qui a fait office d’intermédiaire pour favoriser les passages entre Russie et les États-Unis. De nombreux poètes américains descendent de l’immigration russe (Marya Zaturenska, Allen Ginsberg, Howard Nemerov, Louis Simpson) : leur œuvre porte-t-elle la trace de la poésie russe, la mémoire d’une langue russe, qu’ils ne parlent pourtant pas forcément ? Si Nabokov et Brodsky ont changé de langue, des poètes émigrés font le choix aux États-Unis d’écrire en russe et l’on pourra s’intéresser aux petites maisons d’édition qui les publient.

Par ailleurs, des institutions, des éditeurs, des revues et autres organes communistes ont joué un très grand rôle au XXe siècle pour les échanges poétiques russes et américains (la revue New Masses par exemple). On se demandera donc comment ces institutions hautement politisées exercent un contrôle sur la production poétique elle-même. Inversement, les textes peuvent circuler de manière non-officielle, voire clandestine. Par quels canaux les poètes russes interdits dans leur propre pays parviennent-ils à être publiés aux États-Unis ? Le samizdat a-t-il pu contribuer à la diffusion d’œuvres américaines censurées en Union soviétique ?

  1. Traductions et monuments


Comment traduire de la poésie américaine vers la poésie russe, comment traduire de la poésie russe vers la poésie américaine ? L’une a largement adopté le vers libre, lorsque l’autre a continué à pratiquer presque exclusivement des vers mesurés. Dès lors, les questions poétiques que pose toute traduction se trouvent exacerbées. Quels choix sont opérés par les traducteurs en termes de mètres et de rimes ? En outre, ce sont souvent des poètes eux-mêmes qui ont entrepris de faire œuvre de traduction. Les poètes soviétiques étaient souvent chargés de traductions de commande. Inversement, des poètes américains très connus du grand public (Robert Lowell, W. S. Merwin), ne maîtrisant pas nécessairement le russe, ont participé à des anthologies qui ont fait date, ou proposé des traductions au statut complexe (telle les « imitations » de Pasternak par Lowell). Comment donc se rencontrent des voix poétiques parfois très éloignées dans la traduction, peut-il exister ce qu’on pourrait appeler un « métabolisme textuel » ?

On remarque aussi que beaucoup de poètes américains ont écrit des poèmes d’hommage, des tombeaux pour des poètes russes (Lowell pour Akhmatova ou Gjertud Schnackenberg pour Mandelstam) : ce genre de poèmes repose beaucoup sur la citation ou la récriture, dont les enjeux sont assez proches de ceux de la traduction poétique. Comment la création poétique elle-même assure-t-elle la transmission des textes d’une autre culture, dans l’espace et dans le temps ?

 

Hébergement et repas seront pris en charge par les organisateurs. Les frais de déplacement seront à la charge des participants. Des frais d’inscription seront à prévoir (dont pourront être exonérés doctorants et jeunes docteurs sans financements extérieurs).

Les propositions de communication (une page, en anglais ou en français) sont à adresser avant le 30 avril 2020 à Claire Gheerardyn (claire.gheerardyn@gmail.com) et à Delphine Rumeau (delphine.rumeau@gmail.com)

 

Russian poetry and American poetry: crossings and circulations (end of 19th century to present times)

International Conference

University of Toulouse-Jean Jaurès, France, June 2nd, 3rd and 4th 2021

 

On the base of the monument to Walt Whitman in Moscow, one can read the following words, from a letter by the American poet “You Russians and we Americans!... So far apart from each other, so seemingly different, and yet in ways that are most important, our countries are so alike."

This conference aims to illuminate these essential similarities indicated by Whitman, beyond geographical and cultural distances. And while the gap, which had become political and ideological, hindered the movements of men and texts for most of the 20th century, Russian (or Soviet) and American poetries remained connected. We wish to examine how their links have been distorted by political context and censorship, but also how they have been constantly reinvented.

  1. The Russian American Canon


What Russian poetry do Americans read, what American poetry do Russians read? Which texts are considered classics? It is customary to distinguish the institutional canon from the writers’ canon. In the Soviet context, this distinction becomes even more relevant: what is translated, distributed and taught, is part of a highly organized cultural State policy (the Gorki Institute, the World Literature Editions, official events, such as tours organized for African American writers), while some works, precisely because they do not meet official requirements, are prestigious and inspiring (e.g. the Beat poets for Evtushenko and Voznesensky). What is this underground canon? Is the canon of Russian poetry in the United States as highly polarized? Some poets, banned in the USSR, were published in the United States, where they were acclaimed as dissenters, while some canonical Soviet references (Mayakovsky) took on a strong subversive value in the context of McCarthyism and a widespread fear of communism. Do these Soviet references still belong to a common Russian culture in the eyes of American readers?

The question is also about the historical poetic canon and we will take a special interest in poetic anthologies and literary histories. It should be noted, for example, that histories of Russian literature have often been written in English by Russian émigrés (such as D. S. Mirsky), whose biases should be examined and whose influence should be traced.

Reflecting on the elaboration of these canons also raises the question of the tension between a national conception and a global conception: both American and Russian literatures have questioned very consciously their own roles in the development of a national awareness and a collective identity, which they have tried to define. The "national poet" plays a particularly strong role in these two cultures. However, in the young Soviet Union, a new idea of World literature was defined, which determined an international canon accordingly. How do national and international perspectives interfere, if they interfere at all?

  1. Ways and means


How did texts circulate? How were they distributed, either officially or clandestinely? How is the dissemination of poetry related to the fates and movements of men themselves (official journeys, such as Mayakovsky’s tour in America in 1925, migrations, exiles)? Without excluding the well-known cases of Vladimir Nabokov or Joseph Brodsky, it would be interesting to focus on less studied figures, for example Yiddish-speaking poets who emigrated to the United States and brought with them another part of Russia. One can wonder who acted as intermediaries to facilitate crossings between Russia and the United States. Many American poets are from Russian descent (Marya Zaturenska, Allen Ginsberg, Howard Nemerov, Louis Simpson): do their works bear the trace of Russian poetry or the memory of a language that they did not necessarily speak? If Nabokov and Brodsky have (partly) switched to English, most emigrant poets in the United States chose (and still choose) to write in Russian: how are they published and distributed?

Communist organizations, publishers, magazines and other media played a very important role in Russian and American poetic exchanges (New Masses for example). One can therefore wonder how these highly politicized institutions exerted control over the poetic production. Conversely, texts circulated in an unofficial or even clandestine way. By what channels did Russian poets banned in their own country manage to be published in the United States? Did samizdat contribute to the dissemination of censored American works in the USSR?

  1. Translations and homages


How should American poetry be translated into Russian, how should Russian poetry be translated into English? Modern American poets largely write in free verse, while Russian poets have continued to practice almost exclusively metrical forms. The difficulties of any poetic translation are therefore exacerbated. What choices are made in terms of meters and rhymes? In addition, poets themselves acted as translators – in the case of Soviet poets, often because they were commissioned to do so. Some American poets, well known to the general public, and not necessarily fluent in Russian (Robert Lowell, W. S. Merwin), participated in landmark anthologies, or wrote translations whose status and authorship are complex (such as the “Imitations” of Pasternak by Lowell). Can poetic voices, as different as they can sometimes be, merge in translation, is there such a thing as "textual metabolism"?

It is also remarkable that many American poets have written tributes to Russian poets (Lowell to Akhmatova or Gjertud Schnackenberg to Mandelstam): these poems are very much based on quotation or rewriting, and their creative process is therefore not that different from poetic translation. How does poetic creation itself ensure the transmission, in space and in time, of texts from another culture?

Accommodation and meals will be provided for by the conference organization, but travel expenses will remain at the cost of the participants, as well as registration fees (yet to be determined).

Abstracts (one page + short biography) should be sent to Claire Gheerardyn (claire.gheerardyn@gmail.com) and Delphine Rumeau (delphine.rumeau@gmail.com) by April 30th 2020.
: Delphine Rumeau