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Colloque international : “Le réalisme magique et ses définitions : mode majeur ou mode mineur ?”
: 15/06/2023
: Université de Bourgogne (Dijon)
: Vanessa Besand et Pauline Franchini
: vanessa.besand@u-bourgogne.fr
: Université de Bourgogne
Bâtiment Droit-Lettres
Bureau 450
2 boulevard Gabriel
21000 DIJON
: https://lmm.hypotheses.org


Colloque international organisé par Vanessa Besand et Pauline Franchini

"Le réalisme magique et ses définitions : mode majeur ou mode mineur ?"

Date : Jeudi 23 et vendredi 24 novembre 2023





Lieu : Université de Bourgogne (Amphithéâtre de la MSH, Dijon)


Laboratoires : Centre Pluridisciplinaire Textes et Cultures (CPTC) / Institut d’histoire des représentations et des idées dans les modernités (ihrim)





Deadline : 15 juin 2023





Argumentaire





On connaît le succès retentissant du réalisme magique dans le paysage littéraire mondial depuis plusieurs décennies maintenant. Pourtant, cette expression apparue dans les années 1920 en Allemagne dans le milieu de l’art pour qualifier la peinture européenne post-expressionniste, avant d’être accolée à un certain type de fictions narratives, continue de poser des problèmes définitionnels importants. Qu’est, au fond, le réalisme magique ? Un mode ? Un genre ? Un registre ? Un style même (Scheel, 2010, p. 220) ? Certain.e.s critiques parlent de « courant », dans le sens où il permettrait de rassembler des œuvres issues de périodes et d’horizons géographiques très différents. Par ailleurs, comment distinguer le réalisme magique d’autres littératures de l’imaginaire, telles que la fantasy par exemple ? S’il existe des définitions précises de la fantasy (Besson, 2007), il n’en demeure pas moins que le réalisme magique a parfois du mal à s’en distinguer et à se définir de manière autonome. Le débat célèbre autour des dénominations de « réalisme magique » et de « réalisme merveilleux » est lui-même venu complexifier les définitions plutôt que les clarifier, et aujourd’hui encore, les tentatives pour séparer les deux notions et les identifier de manière précise et autonome restent nombreuses.





Au-delà de ce flou terminologique qui montre les difficultés du réalisme magique à se définir lui-même, mais aussi vis-vis d’expressions concurrentes ou vis-à-vis d’autres formes littéraires de l’imaginaire, la critique semble se diviser en deux grands champs : celui où primerait une analyse poétique et/ou narratologique des œuvres, en dépit de leurs contextes géographiques et socio-historiques, et celui où la dimension politique et postcoloniale prendrait le dessus. Dans cette seconde optique, on notera que dès les années quatre-vingt, la critique, notamment anglo-saxonne, s’est moins intéressée au réalisme magique pour en décrire les traits formels que pour montrer comment il fonctionne comme stratégie narrative du discours postcolonial. On sait que la part surnaturelle et résolument non-réaliste présente au cœur de la fiction réaliste magique est assez rapidement apparue comme un moyen de remettre en question les pouvoirs dominants, souvent à travers la voix et le point de vue des minorités. La coexistence de deux codes au sein même de la diégèse (réalisme et surnaturel), analysée de manière fouillée dans une perspective narratologique (Chanady, 1985), a aussi conduit à la mise en doute des vérités établies et notamment des affirmations du discours politique ou identitaire dominant. Par ailleurs, Gilles Deleuze et Félix Guattari confèrent aux usages « mineurs » de la langue un pouvoir émancipateur : serait « mineure » toute transgression, toute appropriation subversive et minoritaire des grands genres et des langues majeures faisant tendre la norme vers un devenir-mineur (Deleuze et Guattari, 1975). Dans la mesure où les littératures postcoloniales ont volontiers recours au réalisme magique ou merveilleux dans une « volonté postcoloniale de réappropriation du territoire imaginaire » et dans celle « d’échapper aux stéréotypes imposés par le colonisateur » (Durix, 1998, p. 14), l’écriture magico-réaliste relèverait d’une poétique mineure, au sens deleuzien du terme.





Mais cette bipartition dans l’analyse du réalisme magique a aussi eu tendance à mener à une autre distinction entre réalisme magique « épistémologique » et « ontologique » (Echevarrίa, 1974, p. 36-37, puis Faris, 1995, p. 165). Dans son ouvrage sur le réalisme magique, Jean Weisgerber définit ainsi le réalisme magique européen comme intellectuel, car lié avant tout à la pensée et ayant pour objectif de rebâtir un univers, alors que le réalisme magique latino-américain lui apparaît comme mythique et folklorique dans la mesure où il explore la mémoire des peuples (1987, p. 218). Cette distinction rejoue à sa manière l’opposition entre un réalisme magique plus poétique et esthétique, qui descendrait directement de la tradition picturale définie par Franz Roh, et un réalisme magique ancré dans la matérialité d’un territoire bien précis et lié à un regard spécifique porté sur le monde qui serait lui-même magique – ce qui rappelle le concept de « foi » développé dès 1949 par Alejo Carpentier dans la préface de son roman El reino de este mundo (2015 [1948], p. 8) –, et qui conduit à limiter la pratique du réalisme magique à certaines régions du monde, en l’occurrence celles où subsistent des croyances fortes et des rites qui les éloignent de la rationalité occidentale. Or, ne serait-il pas possible de sortir de cette approche clivante qui a, de manière plus ou moins explicite, fini par opposer le Nord et le Sud et le plus souvent, l’Europe dite rationaliste et l’Amérique « magique en soi » (Carpentier, 2015 [1948]), même si, à la suite de l’Amérique latine, beaucoup d’autres régions du monde ont investi un réalisme magique à tendance postcoloniale ? Des pistes ont déjà été explorées, notamment celle proposée par Wendy B. Faris dans son ouvrage de 2004. Elle stipule que, même si la situation politique et sociale décrite dans les textes ne relève pas du postcolonial au sens strict, le point commun entre toutes les fictions magico-réalistes demeure le sentiment d’une culture perdue, dominée, à réhabiliter face à l’imposition d’une culture dominante (2004, p. 134).


Par ailleurs, une autre question d’importance sous-tend aujourd’hui les définitions même du réalisme magique. Ce dernier ne serait-il pas paradoxalement devenu l’un des marqueurs de la littérature dite élitiste ? Alors même qu’il se présentait, dans une optique postcoloniale, comme une stratégie au service des minorités ethniques ou raciales, il peut de nos jours apparaître comme un courant mainstream dans le paysage littéraire mondial, pratiqué par des auteurs et des autrices qui rencontrent une très forte audience internationale (Noriega-Sánchez, 2002, p. 190). Des écrivain.e.s semblent d’ailleurs avoir pris leurs distances avec l’étiquette même de « réalisme magique », alors que leurs éditeurs ont tendance à l’utiliser de plus en plus à des fins commerciales, tant elle semble être un véritable argument marketing, ce que Charles W. Scheel nommait pour sa part un « label » (2010, p. 220). Étant donné la très forte aspiration des œuvres à la littérarité (Ouyang, 2005, p. 19), leur volonté d’être considérées comme incontournables sur le plan du discours politique et leur apport dans la compréhension d’une époque et d’une société, on pourrait même se demander si le réalisme magique n’est pas devenu un moyen, voire une garantie, de sortir de la marginalité littéraire et artistique, par opposition, justement, à d’autres littératures de l’imaginaire qui restent davantage cantonnées au champ de la culture populaire, comme la fantasy ou la science-fiction, et continuent de faire débat dans les milieux académiques. Ce glissement d’une marginalité politique et sociale des œuvres à une centralité littéraire nous intéresse d’autant plus qu’il rejoint les préoccupations centrales de l’axe de recherche « Littératures, arts mineurs, arts Majeurs » (LmM) du Centre Pluridisciplinaire Textes et Cultures (CPTC), qui se propose d’explorer la place des littératures dans un champ artistique large et de confronter culture de masse, culture populaire, et culture des élites, afin de mettre en regard des œuvres venues de tous les horizons et de pratiquer un comparatisme articulé aux questions politiques, sociales et anthropologiques. Qu’en est-il donc de ce rapport entretenu par le réalisme magique avec le mineur, non pas seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan littéraire ? Sur ce point, le cas de la littérature de jeunesse est particulièrement intéressant. Si l’enfance est souvent pensée comme le domaine par excellence du merveilleux, les romans pour la jeunesse, marqués par une certaine hybridité générique, sont rarement envisagés à travers la catégorie poétique du réalisme magique ou merveilleux, dans le paratexte éditorial comme dans la critique universitaire. Tout se passe comme si le réalisme magique était une catégorie pertinente seulement dans l’analyse de la littérature pour adultes, dans la mesure où les œuvres destinées à l’enfance présupposent déjà un lien avec les littératures de l’imaginaire – et parallèlement, les « genres de l’imaginaire », comme la fantasy, la science-fiction ou les contes de fées, présupposent un lectorat plus jeune ou populaire. C’est d’autant plus avéré que les fictions pour la jeunesse qui traitent de sujets historiques tels que la colonisation ou l’esclavage privilégient un cadre rigoureusement réaliste à visée documentaire et didactique. Le recours au fantastique a ainsi pu être perçu comme inapproprié dans Alma de Timothée de Fombelle, roman historique sur l’esclavage (cf Anne-Marie Mercier, http://www.lietje.fr/2020/08/22/41215/). Pourtant, le réalisme magique et les pouvoirs surnaturels des personnages sont tout à fait admis et même interprétés comme des éléments de subversion postcoloniale dans des récits d’esclaves fictifs pour adultes comme Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem de Maryse Condé ou Beloved de Toni Morrison. Une telle différence de traitement porte à s’interroger : que dit-elle de nos hiérarchisations littéraires et de nos modes de classifications génériques ?





À partir de ces quelques éléments de réflexion, ce colloque propose de s’interroger sur les définitions même du réalisme magique, sur le lien qu’il entretient avec les champs politique et poétique et corrélativement, sur son rapport au couple conceptuel majeur-mineur en littérature. Voici quelques pistes, non exhaustives, que nous vous invitons à explorer :





            1. Comment définir le réalisme magique sans retomber dans la dichotomie entre Europe rationaliste et territoires magiques (Amérique, Caraïbe, Afrique, etc) ? Ne pourrait-on pas penser le courant sous un angle qui ne rejouerait pas la partition politique entre le Nord et le Sud ?





            2. Le réalisme magique est-il toujours le parangon de la littérature postcoloniale ? Ne peut-on le penser à partir d’autres catégories théoriques contemporaines (le postmoderne par exemple) ?





            3. Comment distinguer le réalisme magique d’autres genres également associés aux littératures de l’imaginaire ?





            4. Le réalisme magique permet-il toujours, sur le plan littéraire, de maintenir la distinction entre high et low culture ? Ne recrée-t-il pas au contraire aujourd’hui une hiérarchie entre littérature élitiste et littérature populaire, à la fois entre lui et d’autres genres, et en son sein même ?





Les propositions de communications, de 500 mots maximum, sont à envoyer, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, à Vanessa Besand (vanessa.besand@u-bourgogne.fr) et à Pauline Franchini (pauline.franchini@univ-lyon3.fr) jusqu’au 15 juin 2023.





Tous les corpus pourront être convoqués, même s’il ne s’agira pas de se contenter des œuvres issues de la veine postcoloniale, et les approches comparatistes, plutôt que monographiques, seront privilégiées.





Références citées et bibliographie indicative





- Vanessa Besand, « Réalisme magique et réalisme merveilleux : autour de quelques enjeux terminologiques depuis Alejo Carpentier », in revue Savoirs en lien, Université de Bourgogne, n°1, 2022 : https://preo.u-bourgogne.fr/sel/index.php?id=171&lang=fr





- Anne Besson, La Fantasy, Paris, Klincksieck, 2007.





- Maggie Ann Bowers, Magic(al) Realism, Abingdon/New York, Routledge, 2004.





- Alejo Carpentier, « Prólogo », in El reino de este mundo, Barcelone, Austral, coll. « Contemporánea Narrativa », 2015.





- Amaryll Beatrice Chanady, Magical Realism and the Fantastic, Resolved versus Unresolved Antinomy, Abingdon/New York, Routledge, 2020 [1985].





- Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Paris, Éditions de Minuit, 1975.





- Jean-Pierre Durix, Mimesis, Genres and Post-Colonial Discourse. Deconstructing magic Realism, Basingstoke/New York, Macmillan Press, 1998.





- Jean-Pierre Durix, « Le réalisme magique : genre à part entière ou “auberge latino-américaine” », in Xavier Garnier (dir.), Le réalisme merveilleux, Paris, L’Harmattan, 1998.





- Roberto González Echevarrίa, « Isla a su vuela fugitiva: Carpentier y el realismo mágico », Revista Iberoamericana,vol. XL, 1974, n°86.





- Wendy B. Faris, Ordinary Enchantments. Magical Realism and the Remystification of Narrative, Nashville, Vanderbilt University Press, 2004.





- Wendy B. Faris et Lois Parkinson Zamora (dir.), Magical Realism. Theory, History, Community, Durham (Caroline du Nord), Duke University Press, 1995.





- Angel Flores, « Magical Realism in Spanish American Fiction » (Hispania 38/2, 1955, p. 114-129.





- María Ruth Noriega-Sánchez, Challenging Realities: Magic Realism in Contemporary American Women’s Fiction, Valence (Espagne), Université de Valence, Publications du département Filologia anglesa i alemanya, coll. « Biblioteca Javier Coy d’estudis nord-americans », 2002.





- Wen-Chin Ouyang, « Introduction. Magical Realism and Beyond: Ideology of Fantasy », in  Stephen M. Hart, Wen-Chin Ouyang (dir.), A Companion to Magical Realism, Woodbridge, Tamesis Books, 2005.





- Franz Roh, Postexpressionnisme. Réalisme magique. Problèmes de la peinture européenne la plus récente, Dijon, Les Presses du réel, coll. « Œuvres en sociétés », 2013, traduit de l’allemand par Jean Reubrez.





- Hubert Roland et Eugene Arva, Magical Realism and Trauma, revue Interférences littéraires, n°14, 2014 : http://www.interferenceslitteraires.be/index.php/illi/issue/view/25  





- Hubert Roland, « La Catégorie du réalisme magique dans l’histoire littéraire du XXE siècle : impasses et perspectives », in Les nouvelles voies du comparatisme, Hubert Roland et Stéphanie Vanasten (dir.), Gent, Academia Press, 2011, p. 85-98.





- Charles W. Scheel, Réalisme magique et réalisme merveilleux. Des théories aux poétiques, Paris, L’Harmattan, 2005.





- Charles W. Scheel, « Le réalisme magique : mode narratif de la fiction ou label culturaliste ? », Actes du XXXVecongrès de la SFLGC, Études culturelles : Anthropologie culturelle et comparatisme, Volume II, Neuilly-lès-Dijon, Éditions Le Murmure, 2010.





- Christopher Warnes, Magical Realism and the Postcolonial Novel. Between Faith and Irreverence, Basingstoke/New York, Palgrave Macmillan, 2009.





- Jean Weisgerber (dir.), Le Réalisme magique. Roman, peinture, cinéma, Lausanne, Éditions L’Âge d’homme, 1987.







: Vanessa Besand