appel
Appel pour le 30/4 : « L’amateurisme dans l’Europe du XVIIIe siècle : pratiques et représentations », octobre 2014
Journée d’études
Université Sorbonne Nouvelle
- Paris 3
EA 174
- Formes et idées de la Renaissance aux Lumières
3/4 octobre 2014
Le XVIIIe siècle a souvent été décrit comme l’âge d’or de l’amateur. De cette consécration, le signe le plus visible est la création en France du titre d’« amateur honoraire » à l’Académie royale de peinture et de sculpture, dont la personne du comte de Caylus fut l’un des plus brillants représentants. Dans son abstraction, le terme renvoie moins à une fonction déterminée qu’à un goût pour l’art, lequel recouvre concrètement une configuration d’aptitudes ou de rôles (du collectionneur, du mécène, de l’esthète, du savant, du praticien) : parce qu’il combine ces différents usages du goût, le modèle académique constitue un type idéal et accompli de l’amateur, au point qu’on a pu identifier le déclin de ce modèle à la disparition de cette figure au siècle suivant.
Dépassant ce cadre d’analyse centré sur les beaux-arts et le cas français, on se fondera ici sur une compréhension extensive du terme, qui s’étendra aux domaines artistiques autres que les arts plastiques (théâtre, architecture, musique, arts des jardins, etc.) voire au champ esthétique en général (incluant à ce titre le paysage) et l’on abordera cet objet d’étude dans une perspective comparatiste, ouverte sur les particularités lexicales et sémantiques qui caractérisent sa conceptualisation dans les différentes langues et cultures européennes.
On s’interrogera sur les antagonismes et les évolutions qui travaillent la définition de l’amateur, au sein d’un champ de forces où s’affrontent des intérêts divergents. Pour être d’institution récente, la figure de l’amateur académique n’en reste pas moins partiellement tributaire des structures et des valeurs propres à cette sociabilité aristocratique au sein de laquelle s’est constituée une tradition du loisir cultivé et qui définit, depuis le XVIIe siècle, le cadre de la pratique de l’amateur des belles-lettres. Or la campagne que les « gens de lettres », Diderot en tête, vont mener contre Caylus et ses confrères à partir du milieu du XVIIIe siècle, contribue à élargir l’horizon de communication dans lequel se déploie l’activité de l’amateur. Dénonçant la restriction du domaine de juridiction en matière esthétique aux relations entre particuliers à l’intérieur de cercles d’initiés, les critiques d’art revendiquent leur rôle « dans la formation d’un espace public et civique du goût » (Charlotte Guichard, Les amateurs d’art à Paris au XVIIIe siècle, 2008). Ils promeuvent une nouvelle vision de l’amateurisme sous l’espèce du critique d’art, qui prétend former le goût général en s’exprimant en tant que personne particulière, sans être un professionnel ni un praticien.
Face à la pluralité de significations selon l’aire culturelle, la discipline ou encore la « scène » de l’activité artistique (qu’elle soit mondaine, académique ou publique), on s’interrogera sur l’existence d’une représentation unifiée de l’« amateur » au XVIIIe siècle. On partira de l’hypothèse selon laquelle l’opposition entre les notions de « société(s) » et de « public » peut éclairer les tensions ou les transformations à l’œuvre dans le discours sur la pratique amateure. A côté de la critique des Salons et des souscriptions, quelles sont les manifestations de la reconfiguration qui s’opère au sein de la notion d’amateurisme au moment où le champ artistique commence à se structurer autour d’un marché et d’une opinion publique ? Comment s’effectue le passage d’une responsabilité institutionnelle vers une responsabilité publique de l’amateur ?
L’espace d’échanges au sein duquel se définit l’activité de l’amateur permettra de mieux comprendre comment se redessine la ligne de partage entre le professionnel et le non professionnel. Les salons littéraires et les cercles mondains offrent à la pratique artistique un cadre de divulgation et une destination qui s’oppose à la logique de la « publication », par laquelle l’auteur, livrant son œuvre à un public anonyme, s’expose à une appréciation supposée impartiale : réunissant des habitués, ils excluent la possibilité d’un jugement esthétique pur et désintéressé. On se demandera dans quelle mesure cette différence participe à la constitution des domaines qui sont respectivement du ressort de l’homme de métier et de l’amateur.
Voici une liste non exhaustive des axes d’étude qui pourront être explorés :
1. Représentations : du concept aux figurations littéraires
Amateur, curieux, connaisseur, Liebhaber, dilettante, virtuoso : dans les différentes langues européennes, on note un déploiement taxinomique révélateur d’une volonté d’instaurer « un ordre légitime des pratiques du goût » (Guichard). La comparaison des différents lexiques permettra de mettre au jour les significations, les découpages notionnels et les échelles de valeur que chaque nation élabore en fonction des données socio-culturelles qui lui sont propres. L’enquête devra aussi faire une place à l’imaginaire d’une figure sociale, manifestée notamment à travers les portraits d’amateur que les œuvres de fiction déclinent sur le mode satirique ou utopique.
2. L’encadrement institutionnel : amateurs et professionnels
Dans le domaine des beaux-arts, il existe un discours normatif définissant la sphère de compétence, le rôle et les qualités de l’amateur ; ce cadre théorique semble faire défaut dans les autres disciplines. Dès lors, on pourra se demander comment l’écrivain, le musicien ou le jardinier amateurs se sont situés dans le champ de l’art à travers leur expérience artistique ou leur réflexion. Les études pourront porter sur la place de la pratique et de l’exercice dans les activités de l’amateur, mais aussi sur les rapports (symétriques ou inégalitaires, de collaboration ou de rivalité) entre spécialistes et non professionnels.
3. Sociologie de l’amateurisme
Au-delà d’un effort de définition du rôle et des prérogatives de l’amateur, la réflexion pourra porter sur les soubassements sociologiques de l’amateurisme. Peut-on identifier les jalons d’un cursus honorum de l’amateur éclairé, dépendant de conditions éducatives et sociales particulières et de logiques de distinction ? L’on s’interrogera notamment sur l’élargissement de la base sociologique de l’amateurisme, des élites vers un public plus large, ainsi que sur les méthodes et les outils (manuels, traités, recueils d’estampes, etc.) qui favorisent sa diffusion. Il y aurait lieu de soulever également la question d’une ségrégation sexuelle au sein de cette pratique.
4. Les lieux de l’amateurisme
L’amateurisme emprunte-t-il les mêmes voies que les activités exercées par les gens du métier ou existe-t-il des lieux qui lui soient spécifiques ? Sous le terme de « lieux », on se propose d’étudier les espaces physiques d’échange et de rencontre (ateliers, expositions, académies, demeures privées, hauts lieux du tourisme culturel, etc.), mais aussi les différentes formes d’association et de sociabilité (salons ou sociétés savantes) cultivant l’amateurisme, en prêtant attention à l’hybridation qui caractérise certains d’entre eux, dévolus tout autant aux pratiques professionnelles qu’aux pratiques amateures. Prenant le mot « lieux » dans un sens plus large, l’on pourra aussi s’intéresser aux canaux d’expression et d’échange que sont la presse ou la correspondance privée.
5. Perspectives comparatistes : les amateurs étrangers
L’étude des réseaux d’amateurs pourra s’enrichir de l’analyse, tant en synchronie qu’en diachronie, de la participation des amateurs étrangers à la vie culturelle de leur propre pays et de l’étude croisée des voyages auxquels s’adonnent les amateurs de diverses origines, sources d’échanges culturels, tant intellectuels que matériels.
Modalités
Les propositions de communication, comprenant un résumé (300 mots) et une note bio-bibliographique (50 mots), sont à envoyer simultanément aux deux organisateurs
Comité d’organisation : Justine de Reyniès (Université Paris 3
- Sorbonne Nouvelle) et Bénédicte Peslier Peralez (Université Paris 3
- Sorbonne Nouvelle).
Université Sorbonne Nouvelle
- Paris 3
EA 174
- Formes et idées de la Renaissance aux Lumières
3/4 octobre 2014
Le XVIIIe siècle a souvent été décrit comme l’âge d’or de l’amateur. De cette consécration, le signe le plus visible est la création en France du titre d’« amateur honoraire » à l’Académie royale de peinture et de sculpture, dont la personne du comte de Caylus fut l’un des plus brillants représentants. Dans son abstraction, le terme renvoie moins à une fonction déterminée qu’à un goût pour l’art, lequel recouvre concrètement une configuration d’aptitudes ou de rôles (du collectionneur, du mécène, de l’esthète, du savant, du praticien) : parce qu’il combine ces différents usages du goût, le modèle académique constitue un type idéal et accompli de l’amateur, au point qu’on a pu identifier le déclin de ce modèle à la disparition de cette figure au siècle suivant.
Dépassant ce cadre d’analyse centré sur les beaux-arts et le cas français, on se fondera ici sur une compréhension extensive du terme, qui s’étendra aux domaines artistiques autres que les arts plastiques (théâtre, architecture, musique, arts des jardins, etc.) voire au champ esthétique en général (incluant à ce titre le paysage) et l’on abordera cet objet d’étude dans une perspective comparatiste, ouverte sur les particularités lexicales et sémantiques qui caractérisent sa conceptualisation dans les différentes langues et cultures européennes.
On s’interrogera sur les antagonismes et les évolutions qui travaillent la définition de l’amateur, au sein d’un champ de forces où s’affrontent des intérêts divergents. Pour être d’institution récente, la figure de l’amateur académique n’en reste pas moins partiellement tributaire des structures et des valeurs propres à cette sociabilité aristocratique au sein de laquelle s’est constituée une tradition du loisir cultivé et qui définit, depuis le XVIIe siècle, le cadre de la pratique de l’amateur des belles-lettres. Or la campagne que les « gens de lettres », Diderot en tête, vont mener contre Caylus et ses confrères à partir du milieu du XVIIIe siècle, contribue à élargir l’horizon de communication dans lequel se déploie l’activité de l’amateur. Dénonçant la restriction du domaine de juridiction en matière esthétique aux relations entre particuliers à l’intérieur de cercles d’initiés, les critiques d’art revendiquent leur rôle « dans la formation d’un espace public et civique du goût » (Charlotte Guichard, Les amateurs d’art à Paris au XVIIIe siècle, 2008). Ils promeuvent une nouvelle vision de l’amateurisme sous l’espèce du critique d’art, qui prétend former le goût général en s’exprimant en tant que personne particulière, sans être un professionnel ni un praticien.
Face à la pluralité de significations selon l’aire culturelle, la discipline ou encore la « scène » de l’activité artistique (qu’elle soit mondaine, académique ou publique), on s’interrogera sur l’existence d’une représentation unifiée de l’« amateur » au XVIIIe siècle. On partira de l’hypothèse selon laquelle l’opposition entre les notions de « société(s) » et de « public » peut éclairer les tensions ou les transformations à l’œuvre dans le discours sur la pratique amateure. A côté de la critique des Salons et des souscriptions, quelles sont les manifestations de la reconfiguration qui s’opère au sein de la notion d’amateurisme au moment où le champ artistique commence à se structurer autour d’un marché et d’une opinion publique ? Comment s’effectue le passage d’une responsabilité institutionnelle vers une responsabilité publique de l’amateur ?
L’espace d’échanges au sein duquel se définit l’activité de l’amateur permettra de mieux comprendre comment se redessine la ligne de partage entre le professionnel et le non professionnel. Les salons littéraires et les cercles mondains offrent à la pratique artistique un cadre de divulgation et une destination qui s’oppose à la logique de la « publication », par laquelle l’auteur, livrant son œuvre à un public anonyme, s’expose à une appréciation supposée impartiale : réunissant des habitués, ils excluent la possibilité d’un jugement esthétique pur et désintéressé. On se demandera dans quelle mesure cette différence participe à la constitution des domaines qui sont respectivement du ressort de l’homme de métier et de l’amateur.
Voici une liste non exhaustive des axes d’étude qui pourront être explorés :
1. Représentations : du concept aux figurations littéraires
Amateur, curieux, connaisseur, Liebhaber, dilettante, virtuoso : dans les différentes langues européennes, on note un déploiement taxinomique révélateur d’une volonté d’instaurer « un ordre légitime des pratiques du goût » (Guichard). La comparaison des différents lexiques permettra de mettre au jour les significations, les découpages notionnels et les échelles de valeur que chaque nation élabore en fonction des données socio-culturelles qui lui sont propres. L’enquête devra aussi faire une place à l’imaginaire d’une figure sociale, manifestée notamment à travers les portraits d’amateur que les œuvres de fiction déclinent sur le mode satirique ou utopique.
2. L’encadrement institutionnel : amateurs et professionnels
Dans le domaine des beaux-arts, il existe un discours normatif définissant la sphère de compétence, le rôle et les qualités de l’amateur ; ce cadre théorique semble faire défaut dans les autres disciplines. Dès lors, on pourra se demander comment l’écrivain, le musicien ou le jardinier amateurs se sont situés dans le champ de l’art à travers leur expérience artistique ou leur réflexion. Les études pourront porter sur la place de la pratique et de l’exercice dans les activités de l’amateur, mais aussi sur les rapports (symétriques ou inégalitaires, de collaboration ou de rivalité) entre spécialistes et non professionnels.
3. Sociologie de l’amateurisme
Au-delà d’un effort de définition du rôle et des prérogatives de l’amateur, la réflexion pourra porter sur les soubassements sociologiques de l’amateurisme. Peut-on identifier les jalons d’un cursus honorum de l’amateur éclairé, dépendant de conditions éducatives et sociales particulières et de logiques de distinction ? L’on s’interrogera notamment sur l’élargissement de la base sociologique de l’amateurisme, des élites vers un public plus large, ainsi que sur les méthodes et les outils (manuels, traités, recueils d’estampes, etc.) qui favorisent sa diffusion. Il y aurait lieu de soulever également la question d’une ségrégation sexuelle au sein de cette pratique.
4. Les lieux de l’amateurisme
L’amateurisme emprunte-t-il les mêmes voies que les activités exercées par les gens du métier ou existe-t-il des lieux qui lui soient spécifiques ? Sous le terme de « lieux », on se propose d’étudier les espaces physiques d’échange et de rencontre (ateliers, expositions, académies, demeures privées, hauts lieux du tourisme culturel, etc.), mais aussi les différentes formes d’association et de sociabilité (salons ou sociétés savantes) cultivant l’amateurisme, en prêtant attention à l’hybridation qui caractérise certains d’entre eux, dévolus tout autant aux pratiques professionnelles qu’aux pratiques amateures. Prenant le mot « lieux » dans un sens plus large, l’on pourra aussi s’intéresser aux canaux d’expression et d’échange que sont la presse ou la correspondance privée.
5. Perspectives comparatistes : les amateurs étrangers
L’étude des réseaux d’amateurs pourra s’enrichir de l’analyse, tant en synchronie qu’en diachronie, de la participation des amateurs étrangers à la vie culturelle de leur propre pays et de l’étude croisée des voyages auxquels s’adonnent les amateurs de diverses origines, sources d’échanges culturels, tant intellectuels que matériels.
Modalités
Les propositions de communication, comprenant un résumé (300 mots) et une note bio-bibliographique (50 mots), sont à envoyer simultanément aux deux organisateurs
avant le 30 avril 2014
jdereynies@googlemail.com et benedicte.peslier@gmail.comComité d’organisation : Justine de Reyniès (Université Paris 3
- Sorbonne Nouvelle) et Bénédicte Peslier Peralez (Université Paris 3
- Sorbonne Nouvelle).