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Appel à communications : Frontières et insularité dans la Caraïbe, 29-30 mai 2020, Sorbonne Université
Date de l'échéance : 15/02/2020
Lieu de l'événement : Faculté des Lettres de Sorbonne Université
Nom de l'organisateur : Marco Doudin et Marion Labourey
Email de l'organisateur : colloque.caracol.2020@gmail.com
Site web de référence : https://caracol.hypotheses.org/
Appel à communications
Frontières et insularité dans la Caraïbe : quels espaces pour les littératures caribéennes ?
Colloque annuel de l’association Caracol
Sorbonne Université, 29 et 30 mai 2020
Le colloque annuel de l’association Caracol – Observatoire des littératures caribéennes, qui réunit depuis 2018 les jeunes chercheurs et chercheuses qui s’intéressent aux littératures de la Caraïbe, portera en 2020 sur les notions de frontière et d’insularité dans la Caraïbe.
La notion de frontière occupe une place centrale dans les œuvres littéraires et artistiques de la Caraïbe. Incontournable pour des raisons historiques, elle a perdu de sa rigidité au cours du XXe siècle : en envisageant dans leurs œuvres la frontière tantôt comme une limite à transgresser ou à dépasser, tantôt comme un espace interstitiel, les artistes en ont fait un lieu fécond pour caractériser la zone caribéenne. La Caraïbe est une région au dessin complexe, tracé de manière heurtée durant les siècles qui se sont écoulés depuis la conquête européenne. Ce qui forme son cœur est l’ensemble archipélique, allant de Cuba à Trinidad, pris entre la mer des Caraïbes et l’océan Atlantique. Cependant, on lui donne depuis longtemps des contours élargis, impliquant un écartèlement entre une part insulaire et une part continentale, qui peut être limitée aux pays qui bordent la mer des Caraïbes, ou qui se trouve parfois étendue à la zone terrestre allant de Cancún à Miami, dans la perspective d’une « grande Caraïbe ». Cette difficulté de définition de la Caraïbe en tant qu’espace géographique trouve son pendant dans les réflexions sur la Caraïbe en tant qu’espace culturel.
C’est ainsi que depuis le milieu du XXe siècle, la Caraïbe a souvent été définie sous le signe du paradoxe : qu’on évoque « une mer qui diffracte » comme Édouard Glissant, une « île qui se répète » comme Antonio Benítez Rojo, ou une « unité sous-marine » comme Edward Kamau Brathwaite, l’insularité qui caractérise cette région entre en tension avec une unité abstraite qui vient dépasser différentes frontières, concrètes ou symboliques, qui la morcellent en autant de fragments disparates.
Les écrivains et artistes se saisissent régulièrement de cette ambivalence, et font de la notion de frontière un enjeu de représentation et de définition de la Caraïbe : caractéristique intrinsèque du territoire caribéen et marque indélébile de la période coloniale, la frontière fait également l’objet de reconfigurations permanentes, et devient un lieu essentiel au débat sur une éventuelle identité de la zone caribéenne. L’imaginaire permet d’abord une réappropriation de l’espace concret, par une exploration souvent poétisée des différentes zones naturelles et une mise en valeur des oppositions entre les zones rurales ou sauvages et les zones d’exploitation coloniale ou les zones urbaines. Ces explorations, de nature écocritique et géocritique, contribuent à dessiner des espaces sociaux en tension : les limites concrètes deviennent alors régulièrement le lieu d’une problématisation à l’intersection d’enjeux politiques, économiques et sociaux.
Les frontières géographiques sont également considérées par les artistes comme des signes de ruptures historiques : les phénomènes diasporiques forcés de la période coloniale ont donné à l’océan Atlantique sa dimension de frontière séparant les peuples de la Caraïbe de leurs origines africaines, et ont impliqué un morcellement mémoriel qui s’est poursuivi lors des phénomènes diasporiques ultérieurs. L’artiste caribéen peut alors être envisagé, à la manière de Derek Walcott, comme celui qui donne une unité à des mémoires fragmentaires issues de cultures diverses, surmontant les frontières historiques qui séparent les sociétés antillaises d’origines perdues pour envisager une histoire commune.
La réflexion sur le dépassement des frontières historiques est l’un des aspects d’une réflexion culturelle plus vaste, en constante évolution depuis le milieu du XXe siècle. Les artistes soulignent régulièrement que la Caraïbe est née « dans la colonisation » (P. Chamoiseau), et travaillent à reconfigurer les frontières multiples dessinées depuis l’époque moderne pour en faire des lieux où s’élabore une possible identité caribéenne, ouverte et plurielle. À partir de l’observation du métissage linguistique qui s’est progressivement créé depuis les conquêtes pour donner lieu aux langues créoles, mouvantes et variées, ils envisagent une culture caribéenne « frontalière », caractérisée par son hybridité : « l’antillanité », pensée d’une identité caribéenne rhizomatique développée par Édouard Glissant à partir des années 1960, a trouvé un prolongement dans la notion de « créolité » (J. Bernabé, P. Chamoiseau et R. Confiant) dans les années 1980. Cette dernière, largement discutée, a depuis progressivement laissé place à des pensées de la créolisation, essayant de conjurer toute tentation essentialiste, et prenant plus largement en compte de nouvelles problématiques frontalières, telles que les problématiques d’hybridité littéraire, ou les problématiques de genre ou intersectionnelles.
Ainsi caractérisée à partir de reconfigurations diverses de la notion de frontière, la Caraïbe, en tant que lieu de créolisation, a été envisagée comme le socle à partir duquel s’élabore une pensée globale : l’espace caribéen s’ouvre en effet à l’espace mondialisé défini comme Tout-Monde par Édouard Glissant ; il est le lieu d’élaboration de la « Relation » (É. Glissant) ou de la « diversalité » (P. Chamoiseau), proposées comme des notions opérantes pour appréhender le monde globalisé, et développées sous forme de poétiques dans les œuvres littéraires.
Notre réflexion sur les littératures caribéennes à l’aune de la notion de frontière prendra donc naturellement une dimension comparatiste : nous accueillons les communications portant sur des œuvres de toutes les langues de la zone caribéenne, ainsi que les communications explorant les frontières entre la littérature et les autres arts, dans une perspective intermédiale. Les notions de frontière et d’insularité seront envisagées dans toute la richesse qu’offrent leurs différentes définitions. On pourra notamment aborder les problématiques suivantes, sans s’y restreindre :
1/ La cartographie des espaces caribéens : frontières naturelles, sociales, politiques. La Caraïbe se caractérise par la diversité de ses espaces, qui lui confèrent une dimension de mosaïque. On pourra s’interroger sur la manière dont les artistes explorent les limites entre les différents espaces naturels (entre mornes et plaines, entre mer et mangrove), ou envisagent la polarisation des espaces sociaux (entre l’Habitation et les zones de marronnage, entre la ville et la zone rurale).
2/ Les passages des frontières. Les sociétés caribéennes sont structurées par différents types de mouvements migratoires : exode rural, migrations intra-caribéennes, ou phénomènes diasporiques plus larges de l’époque coloniale ou contemporaine. Si certaines œuvres se concentrent sur le moment déterminant du passage de la frontière ou problématisent les espaces frontaliers, d’autres envisagent les figures d’exilé.e.s ou de migrant.e.s comme se trouvant elles-mêmes dans un entre-deux impliquant une articulation spécifique des notions d’Ici et d’Ailleurs, ainsi que des phénomènes d’hybridité culturelle.
3/ Les frontières temporelles et historiques. Dans leurs réflexions sur l’histoire de la Caraïbe, les artistes mettent l’accent sur des phénomènes de rupture ou d’aliénation, et la notion de frontière peut être féconde dans l’examen du rapport qu’ils entretiennent avec le passé, que celui-ci soit à récupérer ou qu’il soit perdu à jamais. La figuration de l’espace peut fournir des clés d’interprétation du traumatisme historique de l’esclavage : l’espace liminal qu’est la cale du bateau négrier, l’espace du lien et de l’entre-deux qu’est l’Atlantique, ou l’espace-temps infranchissable qui sépare les descendants d’esclaves d’une Afrique réelle ou imaginaire.
4/ Les frontières linguistiques et littéraires. On peut interroger la façon dont les écrivains naviguent de part et d’autre de la frontière entre l’écrit et l’oral, entre les langues créoles et les langues institutionnelles. L’aspect profondément intertextuel de l’écriture dans la Caraïbe invite à envisager les frontières qui séparent les textes et les genres, ainsi que la littérature et les autres arts, notamment la musique et les arts visuels. Les frontières théoriques redoublent les frontières géographiques quand on aborde la littérature caribéenne sous l’angle de la réception et de la sociologie de la littérature, et lorsqu’on aborde les rapports complexes des écrivains caribéens avec les pratiques littéraires institutionnelles des « centres » culturels nord-américains et européens, ainsi qu’avec les traditions littéraires canoniques de ces centres. La notion de frontière permet ainsi d’interroger ou de renouveler des questions courantes dans les études postcoloniales, mettant en lumière les enjeux de pouvoir et de résistance qui innervent la pratique littéraire.
5/ La mise en question ou la récusation des frontières. Le métissage et l’hybridité impliquent l’abolition, ou du moins la redéfinition de frontières sociales et « raciales » ; ainsi peut-on aborder la question des frontières de la communauté, qui conditionnent éventuellement un rapport complexe entre le Moi et l’Autre, et ouvrent vers des problématiques de « race » et/ou de genre. La mondialisation, et les nouveaux flux commerciaux, touristiques, ou migratoires qu’elle implique, amène également une nouvelle pensée des frontières, et de la place de la Caraïbe au sein des réseaux d’échange mondiaux - il serait intéressant d’explorer la façon dont les écrivains contemporains perçoivent et problématisent cette nouvelle configuration du monde, qui a un impact considérable sur la commercialisation de la littérature et des produits culturels.
Ce colloque sera la troisième itération annuelle du colloque de l’association Caracol - Observatoire des littératures caribéennes, qui réunit des doctorant.es et des chercheur.ses qui travaillent sur les littératures caribéennes de tous domaines linguistiques. L’association a pour but le rassemblement et le rayonnement des travaux sur les littératures caribéennes, et le rayonnement de ces littératures elles-mêmes. La participation au colloque implique d’adhérer à l’association (l’adhésion est de 30 euros pour les titulaires, et de 20 euros pour les doctorant.es et non titulaires). Plus d’informations sur l’association et ses activités sont disponibles sur caracol.hypotheses.org.
Les propositions, d’environ 400 mots, sont à envoyer à Marco Doudin et Marion Labourey à l’adresse colloque.caracol.2020@gmail.com avant le 15 février 2020, accompagnées d’une présentation biographique de quelques lignes.
La langue principale du colloque sera le français, mais les communications pourront également être en anglais et en espagnol. Nous encourageons tout particulièrement les propositions de jeunes chercheurs et chercheuses de l’espace caribéen. Une participation financière modeste aux frais des participant.es accepté.es est envisagée.
Le colloque aura lieu à Paris, à la Maison de la Recherche de Sorbonne Université, les vendredi 29 et samedi 30 mai 2020.
Organisation : Marco Doudin, Marion Labourey.
Comité scientifique : Florian Alix, Marine Cellier, Cécile Chapon, Marco Doudin, Romuald Fonkoua, Marion Labourey, Cyril Vettorato, Kerry-Jane Wallart.
Bibliographie indicative
- Agier, Michel, La condition cosmopolite. L’anthropologie à l’épreuve du piège identitaire, Paris, La Découverte, 2013.
- Anderson, Benedict, L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme [1983], trad. Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, La Découverte, 2006.
- Appadurai, Arjun, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, trad. Françoise Bouillot, Paris, Payot, 2015.
- Augé, Marc, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992.
- Benítez Rojo, Antonio, La isla que se repite, Barcelone, Editorial Casiopea, 1998.
- Bernarbé, Jean, Chamoiseau, Patrick, Confiant, Raphaël, Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989.
- Brathwaite, Kamau, History of the Voice, Londres, New Beacon Books, 1984.
- Chamoiseau, Patrick, Écrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 1997.
- Chamoiseau, Patrick, Glissant, Édouard, Quand les murs tombent. L’identité nationale hors-la-loi ?, Paris, Éditions Galaade - Institut du Tout-Monde, 2007.
- Chamoiseau, Patrick, Larcher, Silyane, « Les identités dans la totalité-monde », Cités, 2007/1 n. 29, p. 121-134.
- Dash, J. Michael, The Other America: Caribbean Literature in a New World Context, Charlottesville, University Press of Virginia, 1998.
- Foucault, Michel, « Des espaces autres. Hétérotopies. » [1967], Dits et Écrits, Paris, Gallimard, 1994.
- Fumagalli, Cristina, Caribbean Perspectives on Modernity, Charlottesville, University of Virginia Press, 2009.
- Gilroy, Paul, L’Atlantique noir. Modernité et double conscience [1993], Paris, Éditions Amsterdam, 2003.
- Glissant, Édouard, Le Discours antillais, Paris, Seuil, 1981.
- Glissant, Édouard, Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990.
- Gyssels, Kathleen, Passes et impasses dans le comparatisme postcolonial caribéen : cinq traverses, Paris, Champion, 2010.
- Harris, Wilson, The Womb of Space: the Cross-Cultural Imagination, Westport, Greenwood Press, 1983.
- Maignan-Claverie, Chantal, Le métissage dans la littérature des Antilles françaises. Le complexe d’Ariel, Paris, Karthala, 2005.
- Miano, Léonora, Habiter la frontière, Paris, L’Arche, 2012.
- Parisot, Yolaine, Ouabdelmoumen, Nadia (dir.), Genre et migrations postcoloniales, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.
- Van Haesendonck, Kristian, D’haen, Theo (dir.), Caribbeing: Comparing Caribbean Literatures and Cultures, Amsterdam, Rodopi, 2014.
- Walcott, Derek, What the Twilight Says, Londres, Faber and Faber, 1998.