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Pour une cartographie européenne des revues littéraires (1909-1939) : réseaux, échanges, carrefours

Du 2 au 4 juin 2009 s’est tenue à Angers une université d’été de la Société française de littérature générale et comparée (SFLGC) . Couplées à un colloque international organisé par le CERIEC (Centre d’Études et de Recherche sur Imaginaire, Écritures et Cultures, université d’Angers) et le 3.LAM (Université du Maine), ces journées ont réuni une vingtaine d’enseignants-chercheurs et de doctorants de toute l’Europe pour réfléchir aux formes qu’ont pu prendre les relations entre diverses revues littéraires européennes entre 1909 et 1939. Venus d’Allemagne, Belgique, France, Hongrie, Italie, Luxembourg et Pologne, les participants ont mis en commun leurs réflexions et l’état de leurs travaux sur des périodiques dans une perspective historique, esthétique et théorique. La manifestation, inscrite dans le champ d’études comparatistes en plein développement que constitue l’analyse des revues littéraires, faisait ainsi écho aux réflexions occasionnées par les commémorations autour du centenaire de La Nouvelle Revue française en cette année 2009 .
À l’origine du projet, il y avait le désir d’interroger et de préciser les modalités et les enjeux des échanges avérés entre revues littéraires, dans l’Europe du premier XXème siècle. S’agissait-il de circulation de textes, d’idées, de modèles esthétiques et/ou idéologiques ? d’échanges de collaborateurs ? ou encore de diffusion de modèles typographiques et de programmes intellectuels, littéraires ou artistiques, voire de type d’organisation revuiste ?
Pour y répondre, l’idée du réseau a été proposée en raison de sa ductilité, de sa souplesse, et parce qu’elle permettait d’appréhender ces relations dans leur dynamique propre, sans les figer dans un espace clos . En d’autres termes, il s’est agi d’analyser les réseaux constitués par les revues à la fois comme un phénomène humain (relations interpersonnelles, échanges effectifs) mais aussi comme un mode de structuration que, faute de mieux, on qualifiera de mentale (pour renvoyer à un imaginaire du réseau ). Il devient alors possible de prendre en compte aussi bien les relations effectives que les relations désirées, rêvées, celles qui s’expriment dans une dynamique de conquête ou d’affirmation d’une légitimité nationale et internationale.
Plusieurs questionnements ont ainsi mobilisé les participants :
- d’ordre historique et sociologique : il s’agit de mettre en évidence les liens que tissent les échanges de collaborateurs, les reprises d’articles. Cette étude fait leur part aux relations d’amitié entre les hommes qui constituent bien souvent le terreau de la vie revuiste. Mais plus largement, elle ouvre aux relations intellectuelles/ littéraires/ artistiques entre les revues à travers l’examen des échanges interculturels, où se manifestent les déséquilibres, les hégémonies, partenariats ou rivalités, entre deux ou plusieurs champs littéraires. L’objectif était de contribuer à dessiner une carte de l’Europe intellectuelle sur laquelle on pourrait lire les passages, d’un titre à un autre, les mouvements de collaborateurs, autour d’hommes-carrefours, les collaborations fécondes, mais aussi les échecs ou les frustrations : telle ou telle revue a pu désirer en vain faire partie d’un plus vaste concert international, ne pas être connue ou reconnue hors des frontières nationales.
- d’ordre poétique : en mettant en évidence le rôle des revues dans la circulation des textes et, en particulier, des textes étrangers, par l’intermédiaire des traductions ou par des recensions. On a pu vérifier ainsi l’intérêt de pratiquer des études de réception comparée, c’est-à-dire de mener l’étude comparée de la réception d’une œuvre, d’un auteur ou d’une littérature dans deux ou plusieurs pays ou domaines linguistiques différents . Cette perspective croisée s’avère particulièrement féconde dans le cas des revues littéraires et l’analyse des réseaux permet de la problématiser efficacement. Il ne s’agit plus alors de comparer uniquement la réception d’une œuvre (par exemple) dans son pays d’origine puis à l’étranger, mais d’examiner la constitution de réseaux internationaux reliant les différents périodiques, favorisant ou contrecarrant la lecture de cette œuvre. Une autre dimension de cette interrogation poétique a conduit à pouvoir lire une revue comme un réseau, en ce qu’elle révèle de dynamique collective, de rencontres ou d’affrontement.
- d’ordre théorique : un des objectifs de la rencontre consistait également à proposer de nouveaux outils pour l’analyse des revues. C’est à travers l’utilisation de la notion de réseau appliquée aux revues littéraires que la démarche a été menée – en dépit du fait que le terme a soulevé et soulève encore des interrogations, voire des rejets. Cette notion a souvent été entendue dans un sens faible, comme ensemble articulé de relations interpersonnelles. Les études de cas ont toutefois mis en évidence la pertinence de penser une ou des revues dans la perspective dynamique à laquelle invite une analyse en termes réticulaires.
Les travaux menés durant l’université d’été d’Angers sont loin d’avoir épuisé, on s’en doute, l’ensemble des questions que soulève une étude des revues littéraires à partir des relations qu’elles entretiennent les unes avec les autres, que celles-ci s’appuient sur une lecture réticulaire ou sur l’exploration, des constellations qu’elles forment et des carrefours que leur rencontre occasionne. Ce sont des échos, des rencontres ou des refus, des rejets qui ont fait la matière des débats, plus qu’une approche strictement sociologique de ce matériau mouvant et complexe. Il reste que la variété géographique et esthétique des exemples proposés contribue à dresser une carte, même incomplète, des échanges entre les périodiques en Europe dans la période particulièrement fertile qu’ont constituée les quatre premières décennies du XXème siècle.
Anne-Rachel Hermetet
(Université d’Angers, CERIEC)

Les actes de la journée sont accessibles ici: revue des revues

 

 

Sommaire

Avant-propos (Anne-Rachel Hermetet)
Les revues littéraires en Europe (1909-1939) : réseaux, échanges, carrefours (p. 3)

I. Les réseaux en question : réflexions sur le concept

- Paul Aron : Les réseaux internationaux des revues belges de langue française (1918-1940) (p. 7)
- Evanghelia Stead : L’Europe des revues : réseaux (p. 18)

II. De l’avant-guerre à l’entre-deux-guerres

- Véronique Silva Pereira : The Savoy et la collaboration post-mortem de Paul Verlaine (p. 28)
- Elisa Grilli : Modernistes, afrancesados, iconoclastes » : la circulation des idées et des goûts sur le modèle de la « revue des revues », dans Helios et consœurs (p. 37)
- Karl Zieger : La Revue des vivants : la littérature au service de la distraction des survivants ? (p. 46)

III. L’espace moderne

- Jean-Philippe Guichon : Géographies et généalogies du Grand Jeu (p. 56)
- Eve Rabaté : Commerce, un espace littéraire européen (p. 67)
- Andrée Scharfman : De Commerce au Nouveau Commerce : une filiation revendiquée (p. 77)
- Anne-Rachel Hermetet : Les revues italiennes font-elles partie de réseaux européens ? (p. 87)
- Nathalie Froloff, 900, entre France et Italie (p. 98)
- György Tverdota : Nyugat et les anti-Nyugat. Les carrefours de la modernité en Hongrie (p. 108)
- Céline Mansanti : Réseaux des revues en Europe : l’exemple de transition, revue américaine d’exil (p. 114)
- Charlotte Estrade : Ezra Pound en 1930 ou l’eurocentrisme d’un Américain exilé : définition et bilan « de l’intérieur » des réseaux de petites revues anglo-américaines (p. 125)

IV. Des revues d’art

- Danuta Knysz et Grzegorz Paweł Bąbiak : Museion ou le dialogue artistique polono-français à l’aube de la Grande Guerre (p. 134)
- Juliette Lavie : Gebrauchsgraphik, un modèle esthétique et intellectuel pour la revue des Arts et Métiers graphiques (1927-1937) ? (p. 143)
- Pauline von Arx : 391 et ses collaborateurs : une revue à caractère international (p. 153)

Conclusion générale (Nathalie Prince) :
Le palais des glaces : les réseaux rêvés des revues (p. 166)