Actes & Volumes collectifs

Dialogue 2 : Événements de traduction

ARTICLE

 

Introduction
Myriam Suchet

Les études de traduction s’imposent depuis plusieurs décennies dans l’ensemble des sciences humaines et sociales, depuis l’Inde jusqu’au Québec – et plus frileusement en France [1] . D’après Emily Apter, elles constituent un nouveau paradigme dans le contexte actuel de crise économique, qui est aussi une crise des Humanités [2] . La formidable expansion de la « traductologie » s’explique sans doute en partie par le vide que laisse toute une terminologie rendue désuète par les formes les plus récentes de la globalisation [3] . Mais la Littérature Comparée se trouve dans une situation particulière face au nouveau tournant traductif, qui semble s’opposer à ce qui fonde le principe même de la discipline : le comparatisme. Tout se passe en effet comme si la traduction opérait entre des entités incommensurables et, comble du paradoxe, au sein d’une seule et même langue [4] . Au lieu de s’intégrer dans une démarche comparatiste où elle a sa place [5] , la traduction est donc utilisée pour ne pas comparer [6] . Mais cette traduction rétive à la comparaison n’a de traduction que le nom. Homi Bhabha, par exemple, affirme explicitement utiliser la traduction « non au sens linguistique strict qui est le sien dans une expression comme "livre traduit en français depuis l’anglais", mais comme motif ou trope » [7] . Cet emploi métaphorique ne poserait pas problème s’il ne réduisait pas trop souvent la traduction à l’image d’un pont qui ne peut que garantir les tracés de frontières, puisqu’il présuppose l’existence de berges aussi stables que radicalement distinctes [8] . L’idée largement répandue selon laquelle la traduction « favorise la compréhension entre les peuples et la coopération entre les nations », conformément à la « Recommandation sur la protection juridique des traducteurs » décrétée par l’UNESCO à Nairobi en 1976, risque donc de masquer qu’elle est aussi susceptible d’ériger des frontières. [9]

À quelle condition peut-on penser la traduction sans reconduire l’illusion de la traduction-comme-pont ? François Ost, qui en appelle à une « révolution copernicienne » dans nos manières d’envisager la traduction, se trouve contraint de constater qu’en « raison de la force d’inertie du modèle communicationnel dominant, de son enracinement dans les fantasmes babéliens, et de son lien avec les puissants intérêts économiques et politiques (langage unique de la publicité et de la propagande), la promotion du multilinguisme et de la traduction revêt bien souvent un tour polémique, comme cela s’observe toujours dans le cadre des luttes entre paradigmes rivaux ». [10]

Les articles réunis dans cette section travaillent à basculer la question de la traduction dans une perspective comparatiste et pour lui restituer une véritable force de subversion. Pour ce faire, nous avons choisi de l’aborder en tant qu’événement [11] . Trois aspects nous semblent pouvoir être révélés par cette approche. Tout d’abord un aspect poétique, parce que l’irruption de l’événement rompt avec la chronologie de l’histoire littéraire et attire l’attention sur le grain du texte. Un aspect politique ensuite, parce que l’événement fait rupture dans la logique du même et révèle les hétérogénéités constitutives masquées sous les identités d’apparence homogènes. Un aspect éthique enfin, parce qu’aborder la traduction en tant qu’événement, c’est lui restituer son caractère d’énonciation et, ce faisant, prêter attention à l’instance qui en est responsable et dont l’ethos se construit au travers des traces laissées dans le texte traduit.

L’événement traductif, intempestif par définition, permet d’approcher la traduction en mode ou en « régime hétérolingue » [12] , à l’opposé de l’illusion communicationnelle qui présuppose à la fois un public homogène et un code transparent. Le dialogue proposé ici fait entendre trois voix dont les caractéristiques n’ont pas été lissées : c’est aux lecteurs que revient la tâche de traduire leurs différences en complémentarité… Pour commencer, Anna Avaraki propose une mise en parallèle des deux expressions de « littérature mondiale » et de « traduction culturelle », qui pose les enjeux théoriques et institutionnels du rapport entre comparatisme et traductologie. Spivak, Bassnett, Trivedi ou encore Damrosch sont convoqués pour interroger les rapports de force tapis derrière l’imaginaire de la Weltliteratur et insister sur la valeur littéraire des textes. À sa suite, Cécile Serrurier évoque la fonction du traducteur dans le contexte mexicain, marqué par un conflit idéologique et littéraire récurrent entre nationalisme et cosmopolitisme. Sa démonstration prend appui sur la figure de la Malinche, personnage historico-mythique d’interprète-traitresse, et se penche sur ses « enfants » (O. Paz), en particulier sur le poète moderniste Manuel Gutiérrez Nájera et plus brièvement sur Gloria Anzaldua, auteure phare de la littérature chicana. Pour finir en une sorte de coda non-conclusive, Myriam Suchet prendra appui sur trois textes qui ont fait et font encore événement dans la littérature et l’actualité québécoises (Speak white de Michèle Lalonde, Speak what de Marco Micone et Speak red de Catherine Côté-Ostiguy) pour synthétiser quelques principes susceptibles de guider une analyse comparatiste et différentielle des traductions.

 

 

 

La littérature mondiale et l’espace transculturel identitaire dans le concept de la traduction culturelle, une introduction
Intervention d’Anna Avaraki

Dans les débats des spécialistes et dans l’organisation des cursus universitaires, on s’aperçoit que chaque discipline accorde une importance et une valeur différentes à l’usage de la traduction comme outil de transmission et de circulation d’un langage et d’un imaginaire culturels. La traduction est devenue, dans les deux dernières décennies, l’objet d’une interrogation majeure dans la recherche de disciplines voisines concurrentes (Littérature comparée, Postcolonial Studies, Cultural Studies), au point que ce débat des frontières disciplinaires, en limitant toute considération du sujet à des problèmes de politique éducative et institutionnelle, a même empêché les spécialistes des Translation Studies d’établir une véritable théorie culturelle de la traduction [13] . Nous verrons ici comment les études de la traduction et le comparatisme ont des objets de recherche communs et peuvent faire usage des concepts théoriques et des méthodologies des deux disciplines, en nous référant au spécialiste de la littérature mondiale et comparatiste américain David Damrosch, professeur à l’université de Harvard, et au spécialiste de la théorie de la traduction postcoloniale d’origine indienne Harish Trivedi, professeur à l’université de Delhi. Ils nous permettront, dans les parallèles qui peuvent être établis entre le rôle culturel de la traduction dans la littérature mondiale et la problématique de la création d’un nouvel espace identitaire transculturel introduite par le concept de « traduction culturelle » (cultural translation), d’examiner les mécanismes de construction de l’identité culturelle de l’écrivain postcolonial ou mondial.

Dans le domaine de la Littérature comparée, beaucoup ont déjà insisté sur l’importance de la traduction qui assure la circulation des savoirs et des littératures. Comme le souligne Haun Saussy, éditeur du rapport de 2004 de l’ACLA sur l’état de la discipline de la Littérature comparée, la littérature mondiale et la traduction sont des modes de compréhension de notre approche du monde et des cultures : leur rôle est productif, poétique et culturel. Ainsi, en juxtaposant langues, cultures et traditions nationales, la littérature mondiale est plus qu’un corpus représentatif des littératures du monde entier [14] . En effet, dans notre époque historique, l’enjeu actuel est moins celui d’un savoir universel et d’une érudition, comme le supposait pour longtemps l’idéal de la Weltliteratur dans le modèle de Goethe et du romantisme allemand, que la possibilité d’échapper au risque d’homogénéité culturelle qui menace de pénétrer les littératures occidentales. Si l’on pense de nouveau aujourd’hui à cette fameuse constatation faite en 1952 par Auerbach, « ce qui est sûr, c’est que notre partie philologique est la terre ; ce ne peut plus être la nation » [15] , on s’aperçoit, comme le remarque à juste titre Christophe Pradeau, que « l’unification de la planète, si elle rend possible, dans un premier temps, l’invention d’une notion humaniste comme celle de Weltliteratur, constitue, à terme, une menace mortelle pour un tel idéal ». [16]

La traduction reste la seule pratique qui permette au comparatiste de souligner les différences culturelles que les langues nationales expriment dans leur diversité. Telle a été la position de Georges Steiner dans les années 1960, qui a soutenu un modèle de Littérature comparée centré sur les éventualités et les défaites de la traduction depuis ce qu’il nomme la multiplicité des langages après Babel. Or ces deux dernières décennies la traduction s’est imposée plutôt comme une éthique et une politique de lecture, postulat qui dépasse évidemment le sujet de la traductibilité fidèle des oeuvres [17] . Dans son fameux ouvrage Death of a Discipline, la comparatiste, traductrice et spécialiste des études postcoloniales Gayatri Chakravorty Spivak insiste sur le nouveau rôle du comparatisme, qui devrait selon elle prendre appui sur la lecture comparée des textes (original et traduction) [18] . La réflexion sur cette « politique de la traduction » (« politics of translation »), comme elle la nomme, s’inscrit en rapport avec le comparatisme dans le cadre de son étude des traductions en anglais d’oeuvres postcoloniales qui trahissent des rapports de force entre l’excolonisé et le colonisateur [19] . Dans son article « Post-colonial writing and literary translation », Maria Tymoczko établit un parallèle entre l’écriture postcoloniale, qui transmet une culture (dans le langage et l’imaginaire des textes) et la traduction littéraire qui assure elle aussi la transmission des cultures avec les commentaires para-textuels (introductions, notes, critiques, vocabulaire, etc.).

David Damrosch, dans son ouvrage What is World Literature ?, redéfinit la littérature mondiale à partir de la Weltliteratur de Goethe, pour en faire un mode de circulation et de lecture des littératures anciennes et des oeuvres contemporaines. D’après cette définition, la condition indispensable pour que des oeuvres littéraires puissent appartenir au corpus de la littérature mondiale est leur réception et leur lecture dans l’original ou dans une traduction en dehors de leurs frontières nationales et historiques [20] . Damrosch insiste sur cette circulation nouvelle des littératures nationales dans des contextes culturels aussi différents que multiples. Parmi les caractéristiques principales de cette littérature se trouvent la conception post-nationale de l’oeuvre, son caractère international dans les processus de sa circulation et de sa réception au sein des différents contextes linguistiques et culturels et l’existence d’écrivains aspirant à être reconnus comme des écrivains mondiaux (à titre d’exemple indicatif Damrosch cite les noms de Kipling et de Rushdie [21] ). Selon cette définition : « World literature is writing that gains in translation » [22] [La littérature mondiale est l’écriture qui gagne en traduction]. Ce qui importe à notre propos, dans cette perception de Damrosch dont nous n’avons par ailleurs présenté qu’une idée générale [23] , c’est la mise en valeur du rôle incontestable de la traduction dans la transmission de la littérature du monde et dans le monde.

Ces considérations nous ramènent à l’origine du « tournant culturel » des Translation Studies et du débat entre disciplines concurrentes. Littérature comparée et Translation Studies sont le plus souvent associées et pour cause : les études de traduction, avant de constituer un département universitaire indépendant, ont fait partie des départements de la Littérature comparée et de la Linguistique. Susan Bassnett, dont l’ouvrage Translation Studies en 1980 a signalé la création de cette nouvelle discipline [24] , prononce en 1993 l’arrêt de mort du comparatisme, au motif que ses objectifs d’étude et ses méthodologies font désormais partie du domaine des Postcolonial et des Translation Studies. Ainsi, au début des années 1990, en plein développement des études de traduction dans les universités anglophones, Susan Bassnett et André Lefevere ont soutenu la nécessité d’un « tournant culturel », connu comme « The Cultural Turn in Translation Studies », qui est aussi le titre d’un fameux chapitre de leur ouvrage collectif intitulé Translation, History and Culture [25] . Comme l’explique Harish Trivedi dans son article « Translating culture vs. Cultural Translation », la traduction d’un texte littéraire a été reconnue comme un acte plus complexe d’interaction entre deux cultures ; l’unité de la traduction n’est plus celle d’un paragraphe ou d’un texte qu’il faut traduire mais celle de toute une langue et de toute une culture. [26]

Toutefois, au lieu d’un véritable « tournant culturel » au sein des Translation Studies ou d’une jonction avec les Cultural Studies, comme l’ont souhaité Bassnett et Lefevere [27] , Trivedi regrette l’apparition, notamment dans le domaine des études postcoloniales et dans le discours théorique postmoderne, d’un nouveau terme ambigu et assez vague, celui de « traduction culturelle » (cultural translation) qui repose sur un usage métaphorique de la traduction. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce terme nouveau ne signifie pas « traduction de la culture » : « For, if there is one thing that Cultural Translation is not, it is the translation of culture » [28] [Car, s’il y a une chose que la « traduction culturelle » n’est pas, c’est la traduction de la culture]. On trouve de multiples définitions de la notion, mais celle que fait Homi K. Bhabha dans The Location of Culture, à partir de la lecture des Satanic Verses de Salman Rushdie, est sans doute la plus influente dans le champ de la littérature postcoloniale. Rushdie avait fait une remarque sur son statut et celui des autres écrivains postcoloniaux en faisant usage d’un sens étymologique en anglais du verbe « to translate » qui signifie transporter au sens physique du terme d’un pays à un autre et symboliquement d’une culture à une autre: « we are translated men » [29] . Il est notoire que cet écrivain, considéré comme le plus éminent dans la littérature postcoloniale anglophone, n’a pas besoin de traducteur, car il écrit en anglais. Or, expliquent Bassnett et Trivedi dans leur introduction à l’ouvrage collectif Post-colonial Translation, Rushdie a déjà « traduit » lui-même en transposant des mots et des phrases en hindi dans ce que les auteurs nomment « un bilinguisme magique » qui, d’une manière paradoxale, lui permet d’être considéré comme un écrivain postcolonial « authentique » [30] . L’interprétation que fait Bhabha de la condition culturelle de l’écrivain postcolonial s’appuie en partie sur la transposition de la langue poétique du Coran dans le genre romanesque. Bhabha explique ainsi pourquoi ce roman de Rushdie a été considéré comme un acte de transfert culturel (« a transgressive acte of cultural translation ») :

It is not that the ‘content’ of the Koran is directly disputed; rather, by revealing other enunciatory positions and possibilities within the framework of Koranic reading, Rushdie performs the subversion of its authenticity through the act of cultural translation –he relocates the Koran’s ‘intentionality’ by repeating and reinscribing it in the locale of the novel of postwar cultural migrations and diasporas. [31]

[Ce n’est pas que le « contenu » du Coran soit directement contesté ; c’est plutôt qu’en dévoilant d’autres positions et d’autres possibilités énonciatives dans le cadre de la lecture coranique, Rushdie accomplit la subversion de son authenticité par un acte de traduction culturelle – il replace l’« intentionnalité » du Coran en la répétant et en la réinscrivant dans le lieu du roman des migrations et des diasporas culturelles d’après-guerre.] [32]

Cette compréhension du concept de « traduction culturelle » est très intéressante du point de vue du comparatiste européen qui est le nôtre et de la pratique de l’intertextualité que nous connaissons chez les écrivains modernes, européens et occidentaux. L’écriture des Satanic Verses a été reçue comme l’affirmation d’un acte identitaire culturel dans le contexte postcolonial où elle s’est produite. Autrement dit, un procédé littéraire se transforme en une déclaration d’appartenance culturelle et de construction d’une identité transnationale et transculturelle. Pour Bhabha, son action, représentée en termes de polarités binaires géopolitiques (« Islamic fundamentalists vs. Western literary modernists » [33] [islamistes fondamentalistes vs modernistes littéraires occidentaux]), dépasse le cadre littéraire et culturel auquel elle appartient pour devenir l’expression d’un conflit de cultures et de communautés. Dans un autre texte où il commente la réception du roman rushdien, Bhabha se réfère à la « traduction culturelle » comme à un acte de responsabilité dont nous devons affronter les conséquences, celles de la fin de la croyance aux continuités des traditions. L’hybridité n’est donc pas une expérience anodine, dans la mesure où il n’y a pas une invention magique, multiculturelle d’anciennes traditions nationales : c’est un processus difficile, résultant d’une négociation qui caractérise le fondement et l’essence de l’expérience de la « traduction culturelle ». [34]

Nous voudrions terminer ce bref parallèle avec une référence à deux exemples représentatifs des directions actuelles de la littérature mondiale et des Translation Studies. Il s’agit de cursus organisés par des instances universitaires, l’un portant sur la littérature mondiale et l’autre sur la pratique de la « cultural translation ». En 2010, sur une initiative américaine derrière laquelle on retrouve aussi David Damrosch, est créé l’Institute for World Literature, hébergé sur le site internet de l’université de Harvard. Depuis 2011, il est possible de soumettre un dossier de participation au programme intensif d’été, qui prend la forme de séminaires, sessions plénières, ateliers, en versant une cotisation qui peut être assez décourageante. L’approche réflexive de la littérature mondiale a lieu chaque année dans une université différente qui prête ses locaux (à Beijing en 2011, à Istanbul en 2012, à Harvard ou Cambridge en 2013 et à Lisbonne en 2014 [35] ). Le séminaire de 2012 de Damrosch, « Grounds for Comparaison », a porté sur le type et la légitimé des comparaisons entre écrivains provenant de toutes les périodes historiques, indépendamment des genres littéraires et des cultures nationales et prenait appui sur la réflexion de spécialistes comparatistes, tels que Casanova, Moretti, Apter, pour considérer la question du mondial en littérature [36] . Une autre initiative, unique et pionnière, selon le site de l’université qui en vante les mérites, est l’organisation d’un « Master in Cultural Translation » par l’American University of Paris. Dans le cadre éducatif de ce Master, la « traduction culturelle » devient un domaine de recherche reliant toutes les disciplines des sciences humaines dans l’objectif de mettre en valeur et de rendre compte d’expériences internationales, transnationales, supranationales et globales. Les études et théories de la traduction, ainsi que les études postcoloniales et culturelles, sont les principales disciplines qui pensent ces nouveaux rapports géopolitiques, sociaux et culturels des nations et des hommes. Mais la réalité mondiale de toute l’humanité est aussi comprise et étudiée par le biais de la Littérature comparée et du postmodernisme [37] . En effet, ce cursus universitaire assuré en majorité par des comparatistes, considère la question de la « traduction culturelle » comme un événement historique, politique et culturel des sociétés plurilingues et cosmopolites et en fait l’objet d’une approche interdisciplinaire. Or, dans ce programme, comme d’ailleurs dans la majorité des usages de la « traduction culturelle », la notion de traduction semble avoir perdu toute dimension linguistique et esthétique.

La littérature mondiale, notamment dans la critique anglophone, dépend de ce qu’on pourrait désigner comme une « politique du mondial » en référence à la « politique de traduction » de Spivak. C’est pourquoi la Littérature Comparée et les Translation Studies ont aussi besoin d’une autre perspective dans leurs recherches, plus centrée sur les structures littéraires que sur les relations géopolitiques et socioculturelles. C’est le sens du projet de La République mondiale des lettres [38] de Pascale Casanova qui entend :

montrer que l’espace littéraire se construit contre la politique, qu’il se constitue pendant quatre siècles dans une lutte des écrivains pour inventer et imposer la loi spécifique de la littérature, c'est-à-dire l’autonomie […] Cela dit, ce processus d’autonomisation progressive suppose en même temps, d’une part la dépendance originelle de la littérature à l’égard des instances nationales, et d’autre part, le fait que tous les espaces […] ne sont pas tous indépendants au même degré des instances et des « devoirs » nationaux. [39]

À travers les parallèles qui peuvent être établis entre le rôle primordial de la traduction pour la littérature mondiale et un certain usage identitaire de la « traduction culturelle », nous avons voulu mettre en évidence la création d’un nouvel espace interdisciplinaire, où l’on n’en aurait pas fini avec la spécificité littéraire.

 

 

 

Figures de la traduction au Mexique : les enfants de la Malinche
Intervention de Cécile Serrurier

Le développement des Translation studies a permis de remettre au centre des réflexions la figure du traducteur. Cette figure revêt une importance particulière au Mexique, où elle s’inscrit au coeur de la tension entre nationalisme et cosmopolitisme. Après avoir rappelé quelques éléments historiques expliquant la structure singulière du champ littéraire mexicain, je m’intéresserai de plus près au personnage de la Malinche et plus précisément à la filiation entre cette figure ambiguë d’interprète et des écrivains comme le poète moderniste Manuel Gutiérrez Nájera ou Gloria Anzaldúa, auteure chicana, qu’on peut considérer comme des « enfants de la Malinche » selon l’expression d’Octavio Paz. [40]

Penser la tâche du traducteur aujourd’hui, c’est aussi analyser son statut de sujet traduisant, ou encore souligner son rôle dans le contexte polémique des cultures en construction. Diverses approches nous offrent de nouveaux outils théoriques pour mener une telle réflexion et permettent de laisser momentanément de côté la métaphore de la traduction-comme-pont (et par conséquent du traducteur comme passeur), pour valoriser d’autres espaces et d’autres pratiques : le tiers-espace ou l’hybridation en sont les exemples les plus connus [41] . Dans cette perspective, le traducteur apparaît bien comme celui qui instaure du trouble à l’intérieur du rêve ethnocentrique que se formule chaque nation :

Toute culture résiste à la traduction, même si elle a besoin essentiellement de celle-ci. La visée même de la traduction – ouvrir au niveau de l’écrit un certain rapport à l’Autre, féconder le Propre par la médiation de l’Etranger – heurte de front la structure ethnocentrique de toute culture, ou cette espèce de narcissisme qui fait que toute société voudrait être un Tout pur et non mélangé. Dans la traduction, il y a quelque chose de la violence du métissage. [42]

Je choisis ici le cas du Mexique pour illustrer cette tension – ouverture et résistance à l’ouverture –, que la pratique de la traduction éclaire tout particulièrement. Le champ littéraire mexicain s’est en effet structuré en partie par l’opposition récurrente entre nationalisme et cosmopolitisme. Les origines d’un tel conflit sont reliées à la situation historique et géopolitique de ce pays : une fois l’indépendance politique obtenue officiellement en 1821, le Mexique souhaite acquérir une forme d’autonomie culturelle, ce qui signifie entre autres créer une littérature nationale qui serait proprement mexicaine. Cette littérature, à définir et inventer, prétend consommer la rupture avec la Mère-patrie espagnole et ses productions esthétiques, et ne saurait être une extension-imitation de la littérature péninsulaire : c’est le moment de ce qu’Ignacio Ramírez appelle en 1865 la desespañolización, la déshispanisation [43] . L’émancipation politique se doublant d’un désir d’émancipation culturelle, toute trace d’influences étrangères apparaît alors, pour une critique nationaliste, comme le signe d’une soumission et d’un retour inacceptable à la servitude. La littérature mexicaine ainsi rêvée fait partie d’un projet culturel et politique qui permettrait de forger une nation sans réelle cohésion jusqu’alors et de renforcer une patrie mise à mal par l’épisode colonial, mais aussi par les interventions américaine et française du XIXe siècle. Or la littérature du tournant du XXe siècle mexicain se caractérise par l’importance accordée au modèle français : Musset, Hugo, Gautier, Baudelaire, Verlaine, d’autres encore, sont lus, traduits, imités. L’histoire du modernisme latino-américain insiste sur cette appropriation de modèles poétiques français. Pour les défenseurs d’une culture nationale qui se rêve comme un « Tout pur », pour reprendre l’expression d’Antoine Berman citée précédemment, cette ouverture vers l’autre peut être interprétée comme un geste coupable. Le poète revendiquant une admiration pour des modèles étrangers apparaît comme un mauvais Mexicain, « extranjerizante », déconnecté de la réalité immédiate de son pays, et le traducteur important mots, moeurs et modèles littéraires devient une nouvelle figure de traître : traditore non de l’oeuvre, mais bien de la patrie. [44]

Or cette forme d’admiration pour l’étranger possède un antécédent célèbre dans l’histoire et l’imaginaire mexicain en la personne de la Malinche. Indienne offerte à Cortès lors de son arrivée au Mexique en 1519, elle manifeste un don exceptionnel pour les langues, devient rapidement son interprète officielle, puis son amante. Dans les chroniques espagnoles et chez les auteurs criollos de la période coloniale, elle apparaît comme une figure positive, agent civilisateur et évangélisateur, protectrice également des étrangers. Le nationalisme du XIXe siècle va en revanche relire l’histoire de la Conquête en cherchant des héros et anti-héros qui puissent illustrer la geste patriotique mexicaine à écrire : la Malinche devient alors l’archétype de la traîtresse. En traduisant pour Cortès la réalité du nouveau monde, en l’avertissant d’éventuels dangers, en lui donnant un fils, symboliquement le premier enfant métisse, elle devient une figure repoussoir que la littérature et le théâtre se chargent de représenter. Cette vision de la Malinche comme femme ayant trahi son propre peuple en prêtant son aide au conquistador est sans doute, malgré les multiples relectures qui en ont été faites, celle qui domine encore aujourd’hui : le terme « malinchisme » développé dans les années quarante désigne toujours l’attitude de celui qui ne cesse d’accorder sa préférence aux cultures étrangères.

Les hommes de lettres qui se tournent vers l’Europe, en traduisant ou assimilant d’autres références, vont ainsi subir le même type de reproches que la Malinche. Le discours et la situation de ces poètes-traducteurs ne m’intéressent pas en tant que modalités d’émancipation ou d’aliénation (traduire, est-ce une émancipation par réappropriation de l’autre, ou une aliénation renouvelée par l’ascendant accordé au texte et à la langue autre ? [45] ) ; ces poètes-traducteurs m’intéressent, avant tout, dans la mesure où ils me semblent agir en tant que révélateur des divisions animant les débats de cette époque. Le geste même de traduire manifeste une relation à l’autre qui pose problème au moment où la seule préoccupation officielle est intérieure, exclusivement tournée vers une réalité mexicaine à construire et diffuser. Je proposerai donc une description de ce conflit permanent entre nationalisme culturel et cosmopolitisme où la traduction joue un rôle particulier, avant d’évoquer la figure de Manuel Gutiérrez Nájera – théoricien et praticien de ce cosmopolitisme – en relation avec celle de la Malinche.

Nationalisme et cosmopolitisme : la persistance d’un conflit idéologique et littéraire

La période qui suit l’indépendance politique est une période où se formule nettement le désir de construire une culture nationale. Il s’agit donc de définir ce que serait la littérature mexicaine puis de réaliser ce corpus qui va constituer le canon mexicain. Des sociétés de lettres telles que l’Academia de Letrán, fondée en 1836, sont des lieux où se pense un tel projet. Guillermo Prieto, écrivain de la première génération romantique ayant participé à sa création, précise en 1853 dans ses mémoires que l’un des apports les plus importants de cette académie a été son effort pour « mexicaniser la littérature en l’émancipant des autres littératures et en lui donnant un caractère spécifique » [46] . Que signifient pour ces théoriciens « mexicaniser » la littérature ? C’est assigner tout d’abord à cette dernière une fonction et des thématiques précises. Il faut puiser les thèmes au sein de l’histoire ou des légendes mexicaines ; les paysages à décrire et à chanter doivent être mexicains, renvoyer à la nature américaine. L’un des genres privilégié pour cette littérature nationale sera le roman, qui facilite l’identification et l’édification du peuple auquel il s’adresse selon Ignacio Altamirano - l’un des pères fondateurs de cette littérature nationale. A l’intérieur du genre romanesque, on privilégie le roman historique, qui peut chercher sa matière du côté de la conquête, du moment colonial, voire des récentes interventions armées. La révolte face au Vieux continent passe par une rhétorique prophétique qui souligne et appelle l’avènement de cette nouvelle littérature :

Quant au roman national, le roman mexicain, avec la couleur américaine qui lui est propre, sera beau, intéressant, merveilleux. Tant que nous nous limiterons à imiter le roman français, dont la forme ne peut être adaptée à nos traditions et à notre façon d’être, nous ne ferons que de pâles et mesquines imitations, de la même manière que nous n’avons produit que de faibles chants en imitant les troubadours espagnols et français. La poésie et le roman mexicains doivent être vierges, vigoureux, originaux, comme le sont notre sol, nos montagnes, notre végétation. [47]

Cette définition de la littérature nationale qui refuse absolument l’idée d’imitation pour privilégier la recherche du propre voit se développer à ses côtés une critique littéraire nationaliste qui ne va juger les oeuvres qu’à l’aune de ce critère : y a-t-il enrichissement du canon mexicain ? Si la réponse est négative, c’est qu’il y a refus de participer au projet national. Ce qui était un programme culturel, politique et social (car il s’agit également d’instruire, de travailler au progrès, de porter l’élan démocratique, de le diffuser) se convertit pour cette critique nationaliste en guide esthétique exclusif.

La posture cosmopolite opposée se définit de manière moins systématique, nous semble-t-il ; du moins, elle est souvent amenée à le faire en réaction à des critiques nationalistes, pour éclairer les principes esthétiques qui sont les siens. Lorsqu’il y a accusation d’« extranjerismo » (décliné en « europeísmo » ou « afrancesamiento »), les auteurs attaqués sont amenés à formuler leurs propres poétiques en réponse. Le premier numéro de la Revista Azul, fondée en 1894 par Manuel Gutiérrez Nájera, présente cependant dès son premier numéro cette déclaration de principe, marquée par une posture de méfiance envers ceux qui limitent l’inspiration de l’écrivain, et qui ne savent converser aimablement avec les invités venus d’ailleurs :

Notre programme consiste à n’en avoir aucun […] Aujourd’hui comme aujourd’hui, demain autrement, et toujours différemment. […] Mais dans cette maison n’entreront ni envieux, ni grossiers personnages, ni personne qui ne soit capable de converser pour recevoir nos aimables invités ; je monte la garde au pied de l’escalier. [48]

Ces oppositions n’ont cessé de parcourir le champ intellectuel mexicain, en choisissant comme terrain de lutte privilégié les revues créées par ou autour des écrivains concernés. Selon les contextes historiques (porfirisme, post-révolutionnaire, guerre froide, etc.) cette polémique a pu se charger de connotations variées ; elle a pu revêtir des appellations différentes (« nacionalismo », « tradicionalismo », « cosmopolitismo », « universalismo »), mais à chaque fois semble resurgir, du côté de la critique nationaliste, le fantôme de cette littérature qui serait mexicanomexicaine. Ce qui est en jeu est donc, d’une part, l’autonomisation du champ littéraire, qui ne doit plus être subordonné à un projet politique et idéologique : le credo parnassien de l’art pour l’art sert d’assise théorique à une telle vision de la littérature dès la fin du XIXe siècle. D’autre part, c’est toute une conception de la culture qui se met en place : de ce qu’elle est (est-elle un bien préexistant ? la mexicanité est-elle à révéler dans les oeuvres, ou à construire par celles-ci ? [49] ), de sa position à l’égard des cultures qui l’entourent. Les cosmopolites privilégient naturellement le dialogue des traditions sans y voir une marque d’asservissement. C’est ce que Manuel Gutiérrez Nájera appelle dès 1894 « le croisement » [50] de littérature, concept biologique qui est une version positive de ce qu’Altamirano dénommait littérature « hermaphrodite » pour désigner l’indifférenciation d’une production littéraire issue d’une double influence française et espagnole [51] . Dans un texte publié en 1894, Gutiérrez Nájera affirme qu’une littérature ne peut se développer si elle refuse le contact avec d’autres littératures, et il prend comme exemple le cas espagnol dont la poésie lyrique serait en décadence, en raison de « l’aversion [de l’Espagne] pour tout ce qui est étranger » [52] . Le principe est énoncé de la manière suivante : « que chaque race conserve son caractère substantiel ; mais qu’elle ne s’isole ni ne rejette les autres, sous peine de s’épuiser et de mourir » [53] . Par deux fois, Gutiérrez Nájera évoque l’importance des traductions comme moyen de faire dialoguer les cultures, et cette activité est toujours indexée du côté de l’activité bénéfique pour la création : « Dans la Péninsule, on traduit et on imite beaucoup plus que l’on ne produit ou que l’on ne rénove ; loin d’être pernicieux, cela est bien au contraire extrêmement favorable au développement des sciences et des arts » [54] ; « la renaissance du roman en Espagne a coïncidé et devait coïncider avec une époque où l’on publiait des traductions en abondance » [55] . Où l’on voit que nationalistes et cosmopolites s’opposent également sur ce qui constitue l’activité de l’homme de lettres : si du côté nationaliste la tâche est politique et réduite dans la mesure où il s’agit uniquement de constituer le canon mexicain, les « cosmopolites » ont une conception plus vaste de l’activité littéraire et sont aussi souvent des traducteurs. Cela ne signifie pas pour autant un désintérêt pour la littérature en construction, comme l’affirme la critique nationaliste. Gutiérrez Nájera choisit par exemple de différencier la « literatura propia » de la « literatura nacional ». Le Mexique a besoin selon lui d’une littérature qui lui soit propre, non d’une littérature nationale : cette dernière est destinée à exalter les sentiments patriotiques, alors que la littérature « propre » sera constituée par la somme des oeuvres réalisées par des individualités puissantes et talentueuses, mais non asservies à une thématique particulière [56] . Avant de m’arrêter un peu plus particulièrement sur cet écrivain, j’évoquerai très rapidement quelques exemples de cette querelle récurrente pour montrer que cette question est loin d’être enterrée au cours du XXe siècle et que bien souvent la traduction y a joué un rôle important.

Une entreprise de traductions d’oeuvres étrangères est lancée en 1923, dans le contexte post-révolutionnaire, avec la création de la Secretaría de Educación Pública dont Vasconcelos est le ministre depuis 1921. La traduction intervient donc comme un complément de la lutte contre l’analphabétisme pour favoriser l’accès à la lecture et contribuer à la diffusion d’une forme de culture humaniste. Un relais éditorial est créé qui doit se charger de multiplier les livres et présenter des ouvrages classiques comme des références de la pensée moderne. La liste des traductions reflète cette dimension cosmopolite, mais aussi les intérêts de Vasconcelos et des intellectuels qui l’entourent : « une sélection des Ennéades de Plotin, des Contes choisis de Tolstoï, les Vies exemplaires (Michel-Ange, Beethoven et Tolstoï) de Romain Rolland et des OEuvres choisies de Rabindranatah Tagore » [57] . Les réactions à cette entreprise éditoriale sont violentes, et les principaux reproches condamnent une forme d’aristocratisme culturel qui n’est pas capable de cibler les premières nécessités de la nation. C’est la traduction de Plotin qui donne lieu aux controverses les plus importantes, mais comme le souligne Jaime Torres Bodet dans son autobiographie, une partie du problème était bien aussi que ces ouvrages n’étaient pas de « bons livres mexicains, traitant d’affaires mexicaines et destiné à un public mexicain » [58] . La critique nationaliste, ici, se fait le relais de la situation culturelle du pays et d’une inquiétude sans doute justifiée face au faible taux d’alphabétisation qui existe au lendemain de la Révolution. Elle semble pourtant manquer l’intérêt de ce que peut représenter une « traduction-accumulation », pour reprendre l’expression de Pascale Casanova : « lorsque par une stratégie collective, les espaces littéraires nationaux dominés cherchent à importer du capital littéraire » [59] . Cette stratégie collective se note ici peut-être plus qu’à d’autres époques, car même si une très grande majorité des écrivains mexicains sont des écrivains-traducteurs [60] , les initiatives ponctuelles et personnelles semblent cependant souvent prédominer. Cette dimension de stratégie collective se retrouve clairement dans les déclarations de Vasconcelos : « pour faire oeuvre de véritable culture au sein de notre race, il est indispensable de commencer par créer des livres, soit en les écrivant, soit en les éditant, soit en les traduisant » [61] . On retrouve ce souci de réserver une place à la traduction dans les nombreuses revues à caractère cosmopolite qui réservent souvent une section entière à la traduction d’extraits d’ouvrages étrangers, depuis la Revista Azul déjà mentionnée à la Revista Mexicana de Literatura, dirigée à ses débuts par Carlos Fuentes et Emmanuel Carballo. Le nom même de cette dernière revue est une façon de récrire la Revista de Literatura Mexicana fondée par Alatorre, afin de signaler que l’intérêt pour la « mexicanité » n’est pas nié, mais que celle-ci constitue le sujet de la réflexion, non son objet exclusif. Et c’est bien à cause d’une traduction que la revue fondée par Sergio Pitol dans sa jeunesse, Cauce, va susciter une autre querelle, que je n’évoquerai ici que très rapidement.

En 1955, cinquante ans avant de recevoir le prix Cervantes, le jeune Sergio Pitol fonde une revue, Cauce, depuis la Facultad de Filosofía y Letras de México. Le premier numéro (mars-avril) comporte un texte de l’écrivain guatémaltèque Luis Cardoza y Aragón exhortant les responsables de la revue à créer une publication de gauche, militante et mexicaine, mais allant au-delà du « nationalisme conventionnel » [62] . Le deuxième numéro de la revue, objet de disputes, sera cependant le dernier. Ce numéro contient en effet une traduction en espagnol d’un texte de Maïakovski, extrait de Ma découverte de l’Amérique (1925), dans lequel le poète russe fait une description généralisatrice, pour ne pas dire parodique, des Mexicains (lesquels, selon lui, auraient tous, entre 15 et 75 ans, un pistolet à la ceinture servant occasionnellement de tire-bouchons pour ouvrir les nombreuses bouteilles bues dans les cantinas…). Mais comme le souligne Carlos Monsivaís commentant cet épisode, le choix de Sergio Pitol se fait d’abord pour donner à lire un texte du poète révolutionnaire [63] . La condamnation d’une partie de la presse de droite (Ultimas noticias de Excélsior) ne traduit pas alors uniquement une réaction anti-communiste : il est reproché à Sergio Pitol, dont on souligne le nom de famille aux connotations « extranjerizante », de faire un acte antipatriotique en diffusant un texte diffamant les Mexicains. Cette dispute illustre les tensions qui peuvent exister entre une tendance nationaliste (pour laquelle le nationalisme passe par le souci d’une représentation positive des Mexicains) et une tendance cosmopolite, qui se soucie avant tout de la diffusion de textes étrangers qu’elle juge importants.

Il s’agit à présent de revenir momentanément sur un moment où se sont consolidées deux figures paradigmatiques de la traîtrise : la Malinche et l’homme de lettres tourné vers l’Europe.

Le paradigme de la traîtrise : l’interprète et l’« afrancesado »

Si je choisis de rapprocher la Malinche d’un poète moderniste comme Manuel Gutiérrez Nájera, c’est parce que la figure historico-mythique d’une part, et l’écrivain de l’autre, subissent le même type de condamnations de la part du nationalisme officiel et de la critique littéraire nationaliste.

Les deux représentent en effet une forme de relation à l’autre culture où la question de la langue est fondamentale. L’une, offerte à Cortès, devient sa principale interprète, l’autre se caractérise par une familiarité extrême avec la littérature française – l’un de ses pseudonymes les plus connus étant El duque Job, issu d’une pièce de théâtre de Léon Laya, le Duc Job, représentée en 1859… Pour cela, et comme dans le cas des exemples précédemment mentionnés, la Malinche et Gutiérrez Nájera ont représenté des figures repoussoir pour le nationalisme officiel. Rappelons quelques faits : la Malinche est une femme douée pour les langues, pourtant dépourvue de sa propre voix, qu’elle ne retrouve que dans les fictions lui donnant la parole [64] . C’est donc une créature de papier qui apparaît sous divers noms ; ce nom même, signe instable, signale une bi-culturalité suspecte aux nationalistes. Son nom originaire serait Malinalli, transformé en Marina lorsqu’elle se convertit au christianisme, lui-même déformé phonétiquement en Malintzin par les vaincus (le -tzin étant par ailleurs une particule réservée aux gens nobles) puis transformé de nouveau par déformation phonétique en Malinche par les espagnols.

Quant à Manuel Gutiérrez Nájera, je pense surtout ici à son rôle pour diffuser le modernisme (la Revista Azul), ses traductions de poètes français [65] , ses réécritures (son poème « de Blanco » de 1888 est souvent rapproché de la « Symphonie en blanc majeur » de Gautier), son goût pour le croisement de littérature évoqué précédemment. Un poème qui nous semble à cet égard intéressant, et que l’on ne pourra commenter exhaustivement ici, est « la Duquesa Job » (1884). Ce poème illustre non seulement le croisement de littérature mais aussi des langues, ce qui est particulièrement visible dans ce lieu stratégique qu’est la rime, permettant une manifestation ostensible et une juxtaposition sûrement amusée de différents univers, culturels et linguistiques :

 

Mi duquesita, la que me adora,

no tiene humos de gran señora:

es la griseta de Paul de Kock.

No baila Boston, y desconoce

de las carreras el alto goce

y los placeres del five o'clock.

(…)

No tiene alhajas mi duquesita,

pero es tan guapa, y es tan bonita,

y tiene un perro tan v'lan, tan pschutt;

de tal manera trasciende a Francia,

que no la igualan en elegancia

ni las clientes de Hélene Kossut.

(…)

Toco; se viste; me abre; almorzamos;

con apetito los dos tomamos

un par de huevos y un buen beefsteak,

media botella de rico vino,

y en coche, juntos, vamos camino

del pintoresco Chapultepec.

[Ma petite duchesse qui m’adore

Ne se donne pas des airs de grande dame:

C’est la grisette de Paul de Kock.

Elle ne danse pas le Boston, et ignore

Des courses hippiques le grand plaisir

Et les joies du five o’clock.

(…)

Ma petite duchesse n’a pas de bijoux,

Mais elle est si belle et si mignonne,

Et elle a un chien si v’lan, si pschutt;

Elle évoque si bien la France

Que ne l’égalent en élégance

Pas même les clientes d’Hélène Kossut.

 

Je sonne; elle s’habille; m’ouvre; nous déjeûnons;

Avec grand appétit, tous deux nous mangeons

Deux oeufs ainsi qu’un beau beefsteack

Une demie bouteille d’un excellent vin

Puis en voiture, ensemble, nous allons

Vers le pittoresque Chapultepec [66] .]

 

Nous sommes encore loin de l’entrelacement de langues proposé par la littérature chicana qui mêle espagnol et anglais, comme dans ce paragraphe extraordinaire de Gloria Anzaldúa reprenant la thématique dramatique de l’hybridité: « Deslenguadas. Somos los del español deficiente. We are your linguistic nightmare, your linguistic aberration, your linguistic mestizaje, the subject of your burla. Because we speak with tongues of fire we are culturally crucified. Racially, culturally and linguistically somos huérfanos-we speak an orphan tongue » [67] . Cependant, cette évocation de la « duquesita » légère et chantée par le poète est ainsi l’occasion de faire rimer « beefsteak » et « Chapultepec », à l’époque même où les « extranjerizantes », colons à l’intérieur de la langue pour les nationalistes, étaient sévèrement fustigés.

C’est bien la question de la langue qui nous semble ici au coeur du paradigme de la traîtrise. En effet, si l’on reproche à la Malinche d’avoir été séduite par le conquistador, de lui avoir donné un enfant (c’est sur la dimension de relation amoureuse que vont insister certains romans du XIXe, dont l’anonyme et emblématique Jicotencal publié en 1836, qui représente la Malinche comme une femme livrée aux plaisirs de la chair), c’est bien son statut d’interprète qui semble être le plus problématique. Car c’est en traduisant pour Cortès, en le conseillant, en l’avertissant même de dangers qui l’attendent, en prenant des initiatives (selon les chroniques espagnoles) qu’elle devient réellement traîtresse au regard des nationalistes. C’est ce rôle stratégique qui fait d’elle la responsable de la chute de l’empire Aztèque, une Eve maléfique jetant son peuple hors de l’Eden préhispanique et le précipitant dans la chute de la colonisation. C’est bien sur le terrain de la langue que tout se joue : l’« afrancesamiento » reproché à Guttiérez Nájera n’est pas qu’une question d’imaginaire ou de thématique européenne implantée sur le sol américain, c’est aussi une question de langue. Les « galicismos » qui lui sont reprochés sont un signe de ce que sous-tend finalement toute une conception de la traduction comme néo-colonisation, donc antipatriotique. Tout se passe comme si la question nationale permettait donc de comprendre dans un sens nouveau le célèbre mot traduttore, traditore : la traduction apparaît alors comme une traîtrise en soi, parce que l’on accorde la préférence au texte étranger par le fait même de vouloir l’introduire sur son propre sol, parce que la langue même ne ressort pas indemne de ce contact avec la langue autre.

Cette filiation que j’instaure entre l’indienne interprète et le poète-traducteur n’est cependant qu’une des filiations autorisée par la figure de la Malinche. Les caractéristiques de celle-ci (son statut de femme indienne, son rapport aux langues) ont permis d’autres types d’identification : Margot Glantz utilise l’expression « hijas de la Malinche », « filles de la Malinche » pour évoquer spécifiquement le développement de l’écriture féminine après 1968. Mais la relecture féministe ou plutôt la réappropriation féministe du mythe de la Malinche s’est également enrichie de la relecture faite par les auteurs reliés à la problématique chicana. En effet, la question de la double culture et des deux langues se pose pour la Malinche comme pour les Mexicains qui sont partis ou nés aux Etats Unis, et qui se trouvent entre deux pays, deux langues – nulle part ou dans un tiers-espace ? C’est en exhibant le refoulement à l’oeuvre dans toute logique identitaire qu’il est possible de comprendre comment une activité comme celle de la traduction peut réveiller des fantasmes de colonisation – de l’imaginaire, de la langue, en transformant donc ses praticiens en dangereux acteurs, devenus traîtres d’une nation qui ne cesse pourtant de s’inventer au moment même où elle se déclare trahie. La situation complexe des sociétés issues des empires coloniaux mérite donc une étude approfondie des situations d’hybridation créées par la traduction, afin d’éviter toute tentation de réification angélique ou diabolique.

 

 

 

Coda non-conclusive : sept propositions méthodologiques pour une approche comparée et différentielle de la traduction.
L’événement du « Printemps érable » et les réécritures de Speak white
Intervention de Myriam Suchet

En guise de non-conclusion à cette discussion, nous allons tâcher de dégager quelques propositions méthodologiques pour fonder une approche de la traduction qui réponde aux impératifs déontologiques et éthiques de la Littérature comparée [68] . Nous faisons le pari qu’un comparatisme différentiel peut faire fonctionner la traduction de sorte à révéler des hétérogénéités et à faire jaillir des contrastes qui n’apparaîtraient pas sans le recours à la comparaison. Après avoir rappelé en introduction les risques qu’on court à employer la notion de « traduction » de manière figurée, il s’agit dans cette coda de montrer comment l’approche comparatiste permet de redonner sa valeur heuristique à un certain emploi de la traduction. Pour ce faire, nous prendrons appui sur un événement encore d’actualité au moment de rédiger ces propositions : le « Printemps érable », qui secoue le Québec depuis la grève étudiante contre la hausse des frais de scolarité en février 2012. Sans précédent dans l’histoire universitaire du Québec, cet épisode fait écho à d’autres crises (Mai 68, crise d’Oka, etc.) et réactualise de grands textes de la tradition littéraire québécoise [69] . L’une des oeuvres poétiques les plus reprises est le fameux Speak white de Michèle Lalonde, lu par la poète le 27 mai 1968 lors d’une manifestation intitulée Chants et poèmes de la Résistance puis à l’occasion de la Nuit de la poésie en 1970. Une brève analyse de ce poème-manifeste et de ses après-coups dans l’histoire littéraire nous permettra de tirer un certain nombre de principes pour envisager la traduction comme une opération de déstabilisation ou de dénaturalisation des frontières.

Peu de poèmes québécois ont une valeur de manifeste comparable au Speak White de Michèle Lalonde. Déclamé en pleine « Révolution tranquille », il fait l’effet d’une bombe, encore perceptible à l’écoute de la voix vibrante de colère de la poète [70] . Le titre du poème reprend l’injonction à « parler blanc » qui stigmatise l’infériorité des Canadiens francophones (et catholiques) dans le rapport de force qui les oppose aux Canadiens anglophones (et protestants). Les deux communautés semblent figées dans un antagonisme à la fois linguistique, culturel et économique, qui s’incarne dans le face-à-face féroce des pronoms personnels :

Il est si beau de vous entendre

parler de Paradise Lost

ou du profil gracieux et anonyme qui tremble dans les sonnets de Shakespeare

 

nous sommes un peuple inculte et bègue

mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue

parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats

speak white

et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse

que les chants rauques de nos ancêtres

et le chagrin de Nelligan

[…]

 

mais quand vous really speak white

quand vous get down to brass tacks

 

pour parler du gracious living

et parler du standard de vie

et de la Grande Société

un peu plus fort alors speak white

haussez vos voix de contremaîtres

nous sommes un peu durs d'oreille

nous vivons trop près des machines

et n'entendons que notre souffle au-dessus des outils

[…]

Le texte donne à entendre deux langues qui s’affrontent et refusent d’entrer en dialogue : le français et l’anglais, qui partagent pourtant l’espace d’une même page, ne se répondent jamais. La différence des langues est mise en scène de manière spectaculaire, comme pour suggérer que chacun des termes anglais constitue un territoire occupé dans le texte français, un kyste étranger qui attaque le tissu de « la langue ». La traduction, ici, ne peut pas avoir lieu – et son absence exhibe l’imperméabilité des espaces sociolinguistiques. Rappelons qu’à la même époque, dans la revue Liberté, le bilinguisme officiel est présenté comme un désastre pour la langue française au Québec, une manière d’entériner le monolinguisme de fait au profit des Anglophones. Mais l’aventure du texte et de la représentation des langues ne s’arrête pas là.

En 2001, Speak what de Marco Micone détourne le texte de Lalonde pour proposer un nouvel imaginaire des langues en présence au Québec. La reprise fait instantanément scandale. Le texte de Micone opère un renversement de perspective : il substitue le « nous » des migrant.e.s au « nous » des Québécois, qui se trouvent désormais désignés par le « vous » précédemment adressé aux Anglophones. Pire encore, il traduit effrontément des segments du texte français en anglais. La traduction a donc ici valeur de dénonciation : elle suggère que les Francophones, désormais dominants au Québec, se rendent à leur tour sourds aux autres cultures et langues du monde [71] :

Il est si beau de vous entendre parler

 

de la Romance du vin

et de l’Homme rapaillé

d’imaginer vos coureurs de bois

des poèmes dans leurs carquois

 

nous sommes cent peuples venus de loin

partager vos rêves et vos hivers

nous avions les mots

de Montale et de Neruda

le souffle de l’Oural

le rythme des haïku

[…]

 

speak what

 

comment parlez-vous

dans vos salons huppés

vous souvenez-vous du vacarme des usines

and of the voice des contremaîtres

you sound like them more and more

[…]

Marco Micone, né à Montelongo en Italie et arrivé à Montréal à l’âge de 13 ans, est multirécidiviste de tels actes subversifs de traduction. Sa pièce de théâtre Gens du silence, écrite d’abord dans « une langue entre les langues », a été « tradite » en italien par l’auteur sous le titre Non era per noi, avant de revenir au français sous la forme transformée de Silences [72] . Speak what montre qu’il existe d’autres langues derrière l’opposition massive et frontale de l’anglais et du français et que ces langues resteront inouïes tant qu’on se focalisera exclusivement sur la seule question du bilinguisme entre les « deux solitudes ». Car francophones et anglophones ne sont pas seuls au Québec, comme le soulignent les deux derniers vers du texte : « nous sommes cent peuples venus de loin // pour vous dire que vous n’êtes pas seuls ».

Le poème-manifeste de Lalonde, profondément ancré dans la mémoire littéraire québécoise et augmenté de sa version détournée par Marco Micone, vient d’être repris de nouveau. En mai 2012, les étudiants en grève contre la hausse des frais de scolarité et la marchandisation de l’Université « parlent rouge ». Speak red, dont le texte est écrit par Catherine Côté-Ostiguy, est déclamé par des dizaines de grévistes et de sympathisants dans une vidéo réalisée par Jean-David Marceau [73] . Le rouge a remplacé le blanc sans interrompre la filiation revendiquée avec les dominés du monde entier : après s’être présentés comme les Nègres blancs d’Amérique [74] , les Québécois s’identifient aux Autochtones. Le rouge de Speak red évoque en effet celui des « Peaux rouges » et de la grève historique d’Oka. Il colore encore le carré rouge porté à la boutonnière des grévistes. Remobilisé par les étudiants, le texte de Lalonde s’ouvre à une polyphonie accrue et se réembraye dans l’actualité sociale et politique la plus immédiate. La question de la langue passe au second plan derrière celle du discours : il s’agit avant tout de faire entendre sa voix [75] . L’une des caractéristiques les plus marquantes de cette vidéo est d’ailleurs la diversité des accents, qui suggère une entente par-delà les anciennes lignes de fractures linguistiques. On pourrait donc considérer qu’aucun phénomène de traduction n’intervient dans ce cas. Une autre option consiste à prendre acte de cette bascule de la question linguistique sur le plan de l’énonciation pour rappeler que traduire est une opération de ré-énonciation bien davantage qu’un transfert linguistique. L’analyse de textes littéraires « hétérolingues » [76] – que nous ne développerons pas ici – invite, selon nous, à redéfinir la traduction comme une opération de ré- énonciation par laquelle un énonciateur se substitue à une instance d’énonciation antérieure pour parler ou écrire en son nom dans une langue considérée comme différente.

Speak white et ses réécritures en Speak what puis en Speak red [77] montrent combien la traduction (et la non-traduction) sont susceptibles d’effets et d’approches variables. Traduire peut tout aussi bien tracer et sécuriser des lignes de partage établies que donner à voir le caractère construit, contingent et historique des frontières linguistiques. Le rapprochement de ces trois textes, quant à lui, permet de révéler ce fonctionnement et de faire bouger les lignes de partage non seulement d’un texte à l’autre mais aussi à l’intérieur de chacun d’entre eux. Il nous semble possible de dégager de ces brèves analyses sept principes pour esquisser une approche comparée et différentielle des textes traduits :

  1. refus de réduire les traductions (ou les ré-énonciations successives d’un texte) à des dégradations de l’« Original », en préférant considérer leur « liberté de variation discursive » [78] ,
  2. refus du présupposé qui consiste à croire que quelque chose est toujours irrémédiablement perdu en traduction [79] selon un regret hérité d’une interprétation culpabilisante de l’épisode biblique de la tour de Babel [80] ,
  3. sortie du schéma de cofiguration qui rabat l’acte de traduire sur une représentation de la traduction figurée comme un pont permettant de passer d’une langue source à une langue cible [81] ,
  4. prise en compte de la dimension historique de la constitution des langues, particulièrement lorsqu’elles sont calquées sur les frontières politiques des États-nations [82] ,
  5. prise en compte de la dimension énonciative de la traduction : on ne traduit pas des langues mais des textes et des discours [83] qui se trouvent ré-énoncés davantage que transférés dans une autre langue [84] ,
  6. prise en compte, corrélativement, de la présence et de la voix du traducteur ou de la traductrice en tant qu’instance d’énonciation présente dans le texte traduit [85] ,
  7. mise en évidence des différences et stratifications internes à chaque texte, langue et discours comme une manière d’accueillir l’étrangeté en soi, de se penser « soi-même comme un autre ». [86]

La littérature québécoise, qui met fréquemment en scène la différence des langues, est un terrain particulièrement privilégié pour exercer un comparatisme différentiel, c’est-à-dire soucieux de révéler les hétérogénéités constitutives au lieu de rabattre l’autre sur le même. Nous pensons possible d’étendre à d’autres littératures cette manière d’aborder la traduction dans un cadre comparatiste – au lieu de dissoudre le comparatisme dans une métaphore de traduction. Rapproché d’une unique traduction ou de toute une constellation de versions traduites, le texte de départ est à la fois relativisé et mis en contraste, exactement comme la rencontre avec une autre langue nous fait prendre conscience des contours de « notre langue maternelle », dans laquelle nous avons tendance à évoluer à la manière d’un poisson dans son bocal. C’est peut-être ce que la traduction apporte de fondamental à la littérature comparée : ré-opacifier suffisamment les parois du bocal de « la langue » (n’importe quelle langue) pour dissiper l’illusion qu’il s’agit d’un univers aussi naturel qu’incommensurable…

Notes

  • [1]

    En témoignent aussi deux colloques qui ont eu lieu en 2010, l’un à Paris (FMSH et EHESS) sous le titre « La traduction / la transmissibilité et la communication transculturelle dans les sciences sociales », l’autre à l’Université d’Urbana-Champaign (Illinois) : « Paradigmes en mutation : du rôle transformateur de la traduction pour les sciences humaines ».

  • [2]

    Emily Apter, « Philosophical Translation and Untranslatability », in MLA, 2010, p.50–63 : « In this time of economic downturn and the humanities’ consequent vulnerability, translation studies (and the translational paradigm) emerge as a workable rallying point ».

  • [3]

    Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, traduction de l’anglais par Françoise Bouillot, Payot, Paris, 2005, p.241.

  • [4]

    Homi Bhabha, « Location, Intervention, Incommensurability », in Emergences 1 (1), 1989, 63-88.

  • [5]

    Masson Jean-Yves, « Les recherches sur la traduction en littérature comparée », in Tomiche Anne et Zieger Karl (éd.), La recherche en littérature générale et comparée en France en 2007, bilan et perspectives, Presses Universitaires de Valenciennes, Valenciennes, 2007, p. 67-79.

  • [6]

    Tiphaine Samoyault, « Traduire pour ne pas comparer », in Acta Fabula, http://www.fabula.org/revue/document5450.php, consulté le 4 mai 2012.

  • [7]

    Homi Bhabha, « Le Tiers-espace. Entretien avec Jonathan Rutherford », traduction par Christophe Degoutin et Jérôme Vidal, in Multitudes 26, 2006, http://multitudes.samizdat.net, consulté le 10/06/12.

  • [8]

    Naoki Sakai, « La traduction comme filtre », traduction par Didier Renault, in Transeuropéennes, 25 Mars 2010, http://www.transeuropeennes.eu/fr/articles/200, consulté le 10/06/12.

  • [9]

    Comme dans le cas, tristement célèbre, de l’ancienne Yougoslavie, cf. Irina Vilkou-Poustovaïa, « De l’autre côté du miroir », in Sonia Branca-Rosoff (dir.), L’Institution des langues. Autour de Renée Balibar, Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 2001, p.71.

  • [10]

    François Ost, Traduire. Défense et illustration du multilinguisme, Fayard, Paris, 2009, p.11-12.

  • [11]

    C’est l’un des axes fondamentaux du CERCC, Centre d’études et de Recherches Comparées sur la Création, dirigé par Éric Dayre à l’École Normale Supérieure de Lyon, http://cercc.enslyon.fr/spip.php?rubrique40, consulté le 10/06/12.

  • [12]

    Naoki Sakai, Translation and Subjectivity, University of Minnesota, Minneapolis, 1997, p.8.

  • [13]

    Michaela Wolf, « Translation – Transculturaltion. Mesure de perspectives transculturelles d’action politique », traduit par Denis Trierweiler. Disponible sur http:// eipcp.net/transversal/0608/wolf/fr/print, (consulté le 22/5/2012), p.2.

  • [14]

    Haun Saussy, « Exquisite Cadavers Stitched from Fresh Nightmares: Of Memes, Hives, and Selfish Genes », dans Haun Saussy (sous la dir. de), Comparative Literature in an Age of Globalization, The American Comparative Literature Association Report on the State of the Discipline, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2004, p.3-42, p.14.

  • [15]

    Erich Auerbach, « Philologie de la littérature mondiale », traduction de l’allemand par Diane Meur, dans Christophe Pradeau et Tiphaine Samoyault (sous la dir.de) Où est la littérature mondiale ?, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2005, p.25-37, p.37.

  • [16]

    Christophe Pradeau, « Présentation de “Philologie de la littérature mondiale” d’Erich Auerbach », dans Christophe Pradeau et Tiphaine Samoyault (sous la dir.de) Où est la littérature mondiale ?, op.cit., p.15-23, p.17.

  • [17]

    Steve Ungar, « Writing in Tongues », dans Haun Saussy (sous la dir. de), Comparative Literature in an Age of Globalization, op.cit., p.127-138.

  • [18]

    Gayatri Chakravorty Spivak, Death of a Discipline, Columbia University Press, New York, 2003, p.13, 18, cité aussi par Steve Ungar, op.cit., p.130.

  • [19]

    Jeremy Munday, Introducing Translation Studies, Theories and applications, Routledge, London and New York, 2008 (first edition 2001), p.132.

  • [20]

    David Damrosch, What is World Literature, Princeton, Princeton University Press, « Translation/Transnation » series, 2003, p.4 et p.289.

  • [21]

    David Damrosch, « Towards a History of World Literature », dans New Literary History, N°39, 2008, p.481-495, p. 483-484 ; disponible aussi sur http://www.globalwisc.edu/worldlit/readings/damrosch-toward.pdf, [consulté le 26/5/2012].

  • [22]

    David Damrosch, What is World Literature ?, op.cit., p.288.

  • [23]

    Voir le compte rendu de Didier Coste, « Le Mondial de Littérature », op.cit.

  • [24]

    Susan Bassnett, Translation Studies, 2002 (réédition révisée de 1980), Routledge, London.

  • [25]

    Susan Bassnett et André Lefevere (sous la direction de), Translation, History and Culture, Pinterm London-New York, 1990, in Harish Trivedi, « Translating Culture vs. Cultural Translation », disponible sur http://www.uiowa.edu/~iwp/91st/91st_Archive/vd4_n1/pdfs/trivedi.pdf, p.1-8, p.3 [consulté le 21/5/2012].

  • [26]

    Ibid., p.3.

  • [27]

    Susan Bassnett, Andre Lefevere, Constructing Cultures: Essays on Literary Translation, 1998, Multilingual Matters, Clevedon. Cité par Harish Trivedi, Ibid., p.3.

  • [28]

    Harish Trivedi, op.cit., p. 4.

  • [29]

    Salman Rushdie, Imaginary Homelands : Essays and Criticism 1981-91, 1991, London, Granta Books, p.16 (cite par Trivedi, op.cit., p.4).

  • [30]

    « In his formation as a post-colonial writer, the fact of his having abandoned both his native language and his native location has played a crucial constitutive role. With him as with numerous other Third World writers, such tranlingual, translocational translation has been the necessary first step to becoming a post-colonial writer »: Susan Bassnett and Harish Trivedi, “Introduction, Of colonies, cannibals and vernaculars”, dans Susan Bassnett and Harish Trivedi (sous la dir. de) Postcolonial translation, Theory and Practice, op.cit., p.12.

  • [31]

    Homi K. Bhabha, The Location of Culture, London, and New York, 1994, Routledge, p.323-324.

  • [32]

    Homi K. Bhabha, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, traduction de l’anglais par Françoise Bouillot, Paris, Payot, 2007, p.342.

  • [33]

    Ibid., p.322.

  • [34]

    David Huddart, Homi K. Bhabha, 2006, London and New York, Routledge, p.112-113.

  • [35]

    The Institute of World Literature, disponible sur http://iwl.fas.harvard.edu, (page consultée le 24/6/2012).

  • [36]

    http://iwl.fas.harvard.edu/icb/icb.do?keyword=k70167&pageid=icb.page340512 (page consultée le 23/6/2012).

  • [37]

    The American University of Paris, disponible sur: http://www.aup.edu/graduate/mact/default.htm. (consulté le 24/5/2012).

  • [38]

    Pascale Casanova, La République mondiale des lettres, 1999, Paris, Seuil.

  • [39]

    Pascale Casanova et Tiphaine Samoyault, « Entretien sur La République Mondiale des Lettres », dans Christophe Pradeau et Tiphaine Samoyault (sous la dir.de) Où est la littérature mondiale ?, op.cit.,p.139-150, p.141.

  • [40]

    Octavio Paz intitule le chapitre 4 de son essai El laberinto de la soledad : « hijos de la Malinche », dans Octavio Paz, El laberinto de la soledad, FCE, México, 1982.

  • [41]

    Je pense aux Postcolonial Studies, Cultural Studies, à la théorie des polysystèmes, mais aussi aux approches sociologiques de la traduction comme celles qu’effectuent Pascale Casanova ou Gisèle Sapiro : Pascale Casanova, La République des lettres, Seuil, Paris, 1999, et Gisèle Sapiro (dir.), La Traduction comme vecteur des échanges culturels internationaux. Circulation des livres de littérature et de sciences sociales et évolution de la place de la France sur le marché mondial de l’édition (1980-2002), Rapport de recherche, Centre de sociologie européenne, 2007.

  • [42]

    Antoine Berman, L’Epreuve de l’étranger, Gallimard, Paris, 1995, p. 16.

  • [43]

    Ignacio Ramírez, « la desespañolización », La estrella de Occidente de Ures, 1865, dans La misión del escritor. Ensayos mexicanos del siglo XIX, Jorge Ruedas de la Serna (dir.), Universidad Nacional Autónoma de México, México, 1996, p. 189-192.

  • [44]

    Cette question se retrouve dans bien d’autres pays d’Amérique hispanique : voir par exemple l’analyse que fait Anaëlle Evrard de la situation du poète-traducteur cubain Julián del Casal, traducteur notamment de Baudelaire, cf. « Julián del Casal traductor de los Pequeños poemas en prosa de Charles Baudelaire: ¿una práctica dependiente o emancipadora ? », dans F. Lafarga et L. Pegenaute (éds.), Aspectos de la historia de la traducción en Hispanoamérica: autores, traducciones y traductores, Editorial Academia del hispanismo, Vigo, vol. 1, 2012, p. 123-131.

  • [45]

    Je préfère m’en tenir pour l’instant à suivre les conclusions qui maintiennent la complexité intacte, à l’image de celles de Marielle Macé qui, dans un compte rendu de la République des lettres de Pascale Casanova, évoque différentes stratégies de traduction (dont l’autotraduction) en ces termes : « Tous ces actes sont indissolublement aliénés et libérateurs, car le refus du centre passe fatalement, ici encore, par une reconnaissance de ce centre et un besoin d’être reconnu par lui », cf. Marielle Macé, « La critique est un sport de combat », dans Acta Fabula, 2009, URL : http://www.fabula.org/revue/document4929.php, consulté le 28 juin 2012. En dehors de la stratégie de reconnaissance qui est moins directement en jeu dans le cas présent, encore que cette dimension n’en soit pas totalement étrangère, c’est bien cette alliance d’aliénation et de libération qui nous intéresse, et que nous retrouvons également en partie dans le concept d’hybridation. La traduction fabriquant de l’hybride dans une société ayant été colonisée représente elle aussi cette dualité : « Hybridation qui apparaît alors comme un pharmakon, poison intérieur de l’autorité coloniale et remède, forme même de la résistance du corps colonisé », Marie Cuillerai, « Le Tiers-espace : une pensée de l’émancipation ? », dans Acta Fabula, Autour de l’oeuvre d’Homi K. Bhabha, 2009, URL : http://www.fabula.org/revue/document5451.php, consulté le 28 juin 2012.

  • [46]

    Guillermo Prieto, Memorias de mi tiempo, México, Porrúa, 1985, p. 96 (notre traduction).

  • [47]

    Ignacio Altamirano, La literatura nacional, México, Porrúa, vol. I, 1949, p. 13-14, cité dans Margo Glantz, « Ignacio M. Altamirano: los géneros literarios de la nación », dans Fractal, vol. VII, n°31, 2003, http://www.fractal.com.mx/F31Glantz.html, consulté le 28 juin 2012 (notre traduction).

  • [48]

    Cité par Alicia Correa Pérez, « Manuel Gutiérrez Nájera, el Modernismo y el Ateneo de la Juventud », dans Manuel Gutiérrez Nájera y la cultura de su tiempo, México, Universidad nacional autónoma de México, 1996, p. 515 (notre traduction).

  • [49]

    Voir Jorge Portilla, « Crítica de la crítica », dans Revista Mexicana de Literatura, n°1, sept.-oct. 1955, p. 51 : « Que peut bien signifier l’accusation – non le jugement critique – d’extranjerizante portée à un écrivain mexicain ? Cela signifie bien entendu que cet écrivain extranjerizant n’a pas le droit de s’adresser aux mexicains, [car] le Mexique est ou possède un bien spécifique que l’acte de communication de l’écrivain extranjerizante met en danger ; que nous les mexicains, nous possédons une forme d’excellence qui peut être contaminée par tout ce qui est étranger » (notre traduction).

  • [50]

    Voir Manuel Gutiérrez Nájera, « El cruzamiento en literatura », dans Revista Azul, 9 septembre 1894, t. I, n°19, p. 289-292, cité dans La mision del escritor : ensayos mexicanos del siglo XIX, op. cit., p. 409-414.

  • [51]

    « Nous sommes encore attachés à cette littérature hermaphrodite née du mélange monstrueux des écoles et espagnoles et françaises où nous avons tout appris », dans Margo Glantz, ibid., (notre traduction).

  • [52]

    La misión del escritor, ibid., p. 410.

  • [53]

    Idem.

  • [54]

    Idem.

  • [55]

    Idem.

  • [56]

    Voir Manuel Gutiérrez Nájera, « Literatura propia y literatura nacional », dans Obras, I, UNAM, México, 1959, p. 85-86.

  • [57]

    Claude Fell, « L’État, le livre et la lecture au Mexique, au lendemain de la Révolution », dans América, Cahiers du Criccal, n°23, 1999, p. 44.

  • [58]

    Jaime Torres Bodet, Autobiografía, Obras completas, FCE, « Letras Mexicanas », México, 1961, p. 285 cité par Claude Fell, Ibid, p. 45 (notre traduction).

  • [59]

    Pascale Casanova « Consécration et accumulation de capital littéraire », dans Actes de la recherche en sciences sociales 4, no 144, 2002, www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciencessociales-2002-4-page-7.htm, consulté le 28 juin 2012.

  • [60]

    Voir par exemple la table des matières de l’anthologie de traducteurs mexicains: Marco Antonio Montes de Oca, Ana Luisa Vega (coord.), El surco y la brasa. Traductores mexicanos, FCE, México, 1974.

  • [61]

    J. Vasconcelos, « Prólogo », dans Lecturas clásicas para niños, México, SEP, 1924, p. IX, cité dans Claude Fell, Ibid., p. 38-39.

  • [62]

    Voir « Los años cincuenta : sus obras y ambientes literarios », dans Manuel Fernández Perera (coord.), La literatura mexicana del siglo XX, Fondo de Cultura Económica, « Biblioteca mexicana », 2009, México, p. 277.

  • [63]

    Carlos Monsivaís, « Sergio Pitol, el viajero sobre la tierra », La Ventana, Portal informativo de la Casa de las Américas, 2005, http://laventana.casa.cult.cu/modules.php?name=News&file=article&sid=2892, consulté le 28 juin 2012.

  • [64]

    Voir le monologue de la Malinche extrait de Todos los gatos son pardos dans l’anthologie de Carlos Fuentes, Los cinco soles de México, Seix Barral, Barcelona, 2000, p. 81-83.

  • [65]

    Le tome II de ses oeuvres poétiques regroupe dans une section intitulée « versiones » neuf traductions de poésie française (notamment de Coppée, Déroulède, Hugo, Nerval, Catulle Mendès), dans Poesías completas, édition et prologue de Francisco González Guerrero, México, Porrúa, 1978.

  • [66]

    Notre traduction.

  • [67]

    Gloria Anzaldúa, Borderlands/la frontera, Aunt Lute Book, San Francisco, 1999, p. 58.

  • [68]

    Impératifs rappelés tant par Anna Avaraki que par Cécile Serrurier, plus particulièrement dans une perspective postcoloniale.

  • [69]

    Les publications scientifiques se multiplient autour du Printemps érable. L’importance de la création artistique (graphique, littéraire, musicale, etc.) est sans doute l’une des pistes les plus passionnantes. Sur la question de la reprise du canon littéraire, cf. notamment Michel Lacroix et alii, « La grève en vers et en prose : silence des consacrés, prolifération de la parole sauvage », à paraître dans un ouvrage collectif dirigé par Marcos Ancelovici et Francis Dupuis-Déry aux éditions Écosociété en 2014 (tous mes remerciements à Michel Lacroix) et Chantal Guy, « Lectures militantes et le “mystère Miron” », La Presse, édition du 28 septembre 2012, http://www.lapresse.ca/arts/livres/201209/28/01-4578419-lectures-militantes-et-le-mysteremiron.php, consulté le 5 mai 2013.

  • [70]

    Un enregistrement est en ligne et disponible en format vidéo (http://www.onf.ca/film/Speak_White/) et en format audio (http://www.independance-quebec.com/falardeau/download/sons/MicheleLalonde_SpeakWhite.mp3).

  • [71]

    Marco Micone, Speak what, VLB, Poésie, Montréal, 2001.

  • [72]

    Gerardo Acerenza (dir.), Dictionnaires français et littératures québécoise et canadienne-française, Ottawa, Les Éditions David, « Voix savantes » no 25, 2005, 270 p.

  • [73]

    http://www.youtube.com/watch?v=zkbBeQ21d1c, consulté le 24 juin 2012.

  • [74]

    Pierre Vallières, Nègres Blancs d’Amérique, Parti Pris, Montréal, 1968, 472 pages.

  • [75]

    La problématique est commune à plusieurs mouvements contemporains qui revendiquent une démocratie plus directe, depuis les Indignados jusqu’aux Printemps « de jasmin », pour une analyse de fond, cf. Simon Tormey, « ‘Not in my Name’ : Deleuze, Zapatismo and the Critique of Representation », Parliamentary Affairs 59(1), 2006, p. 138-154.

  • [76]

    Rainier Grutman forge le néologisme hétérolinguisme dans sa thèse où il le définit comme « la présence dans un texte d’idiomes étrangers, sous quelque forme que ce soit, aussi bien que de variétés (sociales, régionales ou chronologiques) de la langue principale », cf. Rainier Grutman, Des langues qui résonnent. L’hétérolinguisme au XIXème siècle québécois, Québec, Fides, 1997, p.37. Nous définissons l’hétérolinguisme comme la mise en scène d’une langue comme plus ou moins étrangère le long d’un continuum d’altérité construit dans et par un discours (ou un texte) donné. L’hétérolinguisme invite ainsi à dénaturaliser les frontières entre les langues et à les penser de manière historique et graduée, cf. Myriam Suchet, L’Imaginaire hétérolingue, Paris, Classiques Garnier, « Littérature et mondialisation », à paraître.

  • [77]

    Jenny Salgado, auteure-compositeure-interprète de rapp, a signé une autre reprise intitulée « Spit White ! », dans son album …Et tu te suivras (2011). Voici le refrain : « Y’en a qui chantent en anglais / Pour parler aux Anglais / Y’en a qui chantent en anglais / Pour parler aux Américains / Y’en a qui chantent dans toutes les langues / Pour parler au monde entier… / Moi, c’te toune-là, / J’ai l’ goût d’ t’a chanter en joual ! ». Ici, les lignes de partagent traversent l’anglais/américain et le français/joual.

  • [78]

    Ute Heidmann, « Comparatisme différentiel et analyse de discours. La comparaison différentielle comme méthode », in Jean-Michel Adam et Ute Heidmann (éd.), Sciences du texte en analyse de discours, Genève, Slatkine Erudition, 2005, p.109.

  • [79]

    Dans les termes de Rushdie traduit par Aline Chatelin : « Il est généralement admis qu’on perd quelque chose dans la traduction ; je m’accroche obstinément à l’idée qu’on peut aussi y gagner quelque chose », cf. Patries imaginaires, Essais et critiques, traduction de l’anglais par Aline Chatelin, Paris, Christian Bourgois, « 10/18 », 1993, p.28.

  • [80]

    Georges Steiner, Après Babel, Une poétique du dire et de la traduction, traduction de l’anglais par L. Lotringer et P. E. Dauzat, Paris, Albin Michel, 1998, 688 p. Voir aussi François Ost, Traduire. Défense et illustration du multilinguisme, Paris, Fayard, « Ouvertures », 2009, 421 p.

  • [81]

    Naoki Sakai, Translation and Subjectivity, op. cit., p.15. Voir aussi Naoki Sakai, « La traduction comme filtre », traduit de l’anglais par Didier Renault, in Transeuropéennes, 25 Mars 2010, http://www.transeuropeennes.eu/fr/articles/200, consulté le 26 avril 2013.

  • [82]

    Sonia Branca-Rosoff (dir.), L’Institution des langues. Autour de Renée Balibar, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2001, 328 p.

  • [83]

    Umberto Eco, Dire presque la même chose, traduction de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Librairie générale française, « Le livre de Poche », 2010, 503 p.

  • [84]

    Brian Mossop, « The Translator as Rapporteur: A Concept for Training and Self-Improvement », in Meta 28(3), 1983, p. 244-278.

  • [85]

    Theo Hermans, « The Translator’s Voice in Translated Narrative », in Target 8 (1), 1996, p. 23-48.

  • [86]

    Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, « Points essais », 1996, 424 p.