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ARTICLE
En 1793, Johann Gottfried von Herder écrit un texte intitulé Cäcilia [1] , un court essai sur la musique qui débute par une réflexion sur le patronage de la musique par sainte Cécile. Aux portes du XIXe siècle, le théoricien allemand offre un témoignage d’une grande richesse sur les pouvoirs prêtés à la sainte patronne de la musique. Il rappelle d’abord les critiques qui ont été adressées à son patronage par ceux qui ont tenté de la faire descendre de son piédestal. Pour le philosophe, la sainte est devenue une muse par le rayonnement qu’elle a acquis dans deux arts : la peinture et la musique. En peinture d’abord, par le tableau de Raphaël, L’Extase de sainte Cécile : Herder, comme tous ses contemporains, est allé contempler le chef-d’œuvre in situ dans une des chapelles de l’église de San Giovanni in Monte à Bologne. En musique ensuite, puisque les fêtes de la Sainte-Cécile ont donné lieu à des compositions que l’écrivain affectionne particulièrement, au premier rang desquelles figure The Alexander’s Feast de Haendel [2] . Autrement dit, pour Herder, peu importe si sainte Cécile est devenue sainte patronne de la musique par un curieux hasard [3] : elle a fait depuis suffisamment ses preuves, en s’imposant comme une figure heuristique auprès des artistes.
De la part d’un écrivain protestant, on peut être étonné de cette louange adressée à une sainte catholique. Mais ce que loue Herder à travers cette figure, c’est la musique au sens le plus noble du terme, « la pure musique sacrée » [die reine heilige Musik] [4] , capable de faire entrer l’auditeur en Andacht. La capacité de sainte Cécile à incarner une haute conception de la musique est précisément ce qui intéresse Herder et, à sa suite, un grand nombre d’écrivains et de théoriciens de la musique européens.
Dans cet article, nous aimerions nous intéresser au medium essentiel qui a assuré la postérité de la sainte au XIXe siècle, à savoir le tableau de Raphaël, L’Extase de sainte Cécile, peint en 1514. Plus précisément, il s’agira d’étudier la manière dont cette représentation mystique de l’écoute musicale migre, culturellement et symboliquement, au cœur des théories romantiques sur la puissance de la musique. Comment la sainte catholique parvient-elle à fasciner les artistes des États germaniques protestants en s’imposant comme une figure de la Kunstreligion ?
Dans un premier temps, nous étudierons la migration géographique du tableau qui, à la fin du XVIIIe siècle, est transporté d’une église bolonaise jusqu’à la Grande Galerie du Louvre. Placé ainsi au cœur d’un régime médiatique puissant, l’œuvre de Raphaël offre aux peintres qui viennent la copier tableau et aux artistes qui viennent l’admirer un sujet d’inspiration durable. Les nombreux commentaires dont le tableau fait l’objet révèlent combien, à travers ces différentes migrations, l’extase chrétienne musicale qu’il incarne s’est ouverte à une lecture plurielle et sécularisée ; le tableau, ayant migré dans le patrimoine artistique européen par l’espace muséal, se décharge de sa dimension religieuse catholique pour entrer pleinement dans l’imaginaire musical romantique. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à quelques utilisations fictionnelles de la figure de sainte Cécile dans le corpus romantique allemand et français ; ces exemples permettront de mesurer que la physiologie extatique raphaélienne s’est radicalisée dans sa rencontre avec les théories romantiques sur la musique, tout en donnant à entendre un nouveau répertoire musical, non pas centré sur la musique instrumentale mais bien sur une musique vocale puissante et inquiétante.
De l’extase mystique à l’extase musicale romantique
À l’origine, L’Extase de sainte Cécile fut peint pour figurer dans une des chapelles de l’église San Giovanni in Monte à Bologne. Il y restera pendant deux siècles avant d’être emporté par Napoléon lors des campagnes d’Italie et ramené en triomphe à Paris. Le tableau, dans sa construction tripartite, illustre la conception néoplatonicienne de la musique ; cette théorie, empruntée à Boèce, repose sur une tripartition ascensionnelle de la musique : au plus bas de la hiérarchie musicale et du tableau figure la musica instrumentalis, représentée par Raphaël par des instruments gisants au sol et abîmés. Au milieu du tableau, sainte Cécile, tenant un orgue portatif qu’elle laisse presque s’échapper de ses mains, figure la musica humana, la musique intérieure ; si la sainte semble délaisser cette musique, cette dernière n’en reste pas moins placée au-dessus de la musica instrumentalis. Enfin, en haut du tableau, la musica mundana est représentée par le chœur des anges ; tout le monde n’accède pas à cette musique divine, vocale et supérieure aux deux autres, comme en témoigne le travail sur les regards réalisé par Raphaël.
Avant Raphaël, il y a eu des saintes Cécile ; mais le peintre bolonais apporte indéniablement un renouveau dans l’iconographie de la sainte et fonde sa postérité dans les arts. Après lui, la représentation de la sainte sera plus ou moins toujours assortie de motifs récurrents : le regard tourné vers le ciel, le concert céleste, la présence d’un ou plusieurs instruments délaissés – essentiellement l’orgue. Il fige durablement une attitude extatique qui fait de sainte Cécile une contemplative, une auditrice élue, plus qu’une praticienne de la musique.
Pendant trois siècles donc, les voyageurs européens vont se succéder dans cette petite église proche de Bologne pour aller admirer ce tableau de Raphaël ; dans leur carnet de voyage et dans leur correspondance, tous ménagent un commentaire élogieux sur le tableau. Goethe ne déroge pas à la règle quand il entreprend son Voyage en Italie ; le 17 octobre 1786, dans une lettre adressée à Charlotte von Stein, il écrit ainsi :
So rück ich nach und nach. Die Venezianische Schule hab ich wohl gesehen, morgen komm ich nach Bologna, wo denn auch meine Augen die Cezilia von Raphael erblicken werden.
J’avance ici peu à peu. J’ai bien vu l’école vénitienne, demain j’arrive à Bologne, où mes yeux pourront tout de même voir la Sainte Cécile de Raphaël [5] .
Le lendemain, le voilà arrivé à Bologne où il s’empresse d’aller voir la célèbre toile ; le 18 octobre, il écrit à nouveau à Charlotte von Stein :
Es ist, was ich zum voraus wusste, nun aber mit Augen sah : er hat eben immer gemacht, was andere zu machen wünschten, und ich möchte jetzt nichts darüber sagen, als dass es von ihm ist.
C’est bien tel que d’avance, je le savais, mais maintenant je l’ai vue de mes yeux. [Raphaël] a toujours fait ce que d’autres désiraient faire, et maintenant, je ne voudrais dire qu’une seule chose de ce tableau, c’est qu’il est de lui [6] .
Le célèbre musicographe anglais Charles Burney aura lui aussi l’occasion d’aller admirer le tableau lors d’un concert qu’il décrit longuement dans The Present State of Music in France and Italy [7] ; il s’agit du concert annuel de la Société Philharmonique, fondée en 1666, qui avait pris l’habitude de se rassembler dans la petite église de San Giovanni in Monte : nul doute que la présence du tableau de Raphaël avait motivé ce choix. Dans une note de bas de page, Charles Burney souligne l’agréable configuration d’écoute dans l’église :
This church is rendered famous by the possession of two of the best pictures in Bologna, or, perhaps, in the world, the St. Cecilia of Raphael, and the Madona of the Rosary of Domenichini. They are placed in two chapels, opposite to each other, between which, and in full view of these charming paintings, I had the advantage of sitting to hear the music.
L’église est devenue célèbre car elle abrite deux des meilleures toiles de Bologne, ou peut-être du monde. La Sainte Cécile de Raphaël et La Madone du Rosaire du Dominiquin. Elles sont placées dans deux chapelles, à l’opposé l’une de l’autre, entre lesquelles, et avec une vue complète sur ces merveilleuses peintures, j’avais la chance d’être assis pour entendre la musique [8] .
Cette volonté affichée d’aller admirer L’Extase de sainte Cécile permet de comprendre combien le tableau appartient à la mémoire de l’histoire de l’art européen. Dès le milieu du XVIIIe siècle d’ailleurs, les multiples guides et journaux de voyage véhiculent une critique d’art – et une idéologie patrimoniale – dans laquelle le tableau de Raphaël se voit inscrit de fait [9] . Ces manuels ont en tout cas fait de Bologne une étape que suivent les grands voyageurs en cette fin de XVIIIe siècle ; mais on notera que les commentaires sur le tableau sont encore largement rattachés à la mystique chrétienne : sainte Cécile reste celle qui a perdu le goût de la musique terrestre et qui, in corde suo [10] , entre en communion avec Dieu par l’audition d’une supra musique. À chaque fois, le tableau est distingué pour la manière dont Raphaël a su peindre le « ravissement », révélant ainsi combien le tableau a figé une physiologie de l’extase musicale.
En 1798, le tableau arrive à Paris et il est exposé dans le Salon Carré puis dans la Grande Galerie du Musée central des arts, rapidement rebaptisé Musée Napoléon. Si sainte Cécile fait partie de l’imaginaire collectif européen, c’est essentiellement grâce à la Sainte Cécile de Raphaël ; or sa présence sur le territoire national est un facteur important de la diffusion du mythe de Raphaël en France et de la postérité du sujet sainte Cécile dans les arts au XIXe. La toile est copiée sur place, gravée et des estampes circulent dans toute l’Europe. Après le retour du tableau à Bologne en 1815, nombreux sont les artistes européens du XIXe siècle qui, dans leurs pérégrinations italiennes, se rendront à nouveau dans la ville natale de Raphaël. Stendhal, dont on connaît la passion pour l’Italie et l’opéra italien, a manifesté un intérêt très vif pour le tableau de Raphaël qu’il évoque à plusieurs reprises dans ses écrits sur l’art et sur la peinture italienne [11] . Chateaubriand [12] , Balzac [13] , Liszt [14] , et bien d’autres artistes commenteront avec passion la toile du maître bolonais. Ces multiples commentaires esthétiques sur le tableau de Raphaël aboutissent à une somme considérable qui permet de comprendre le rôle qu’a pu jouer la figure de sainte Cécile auprès des artistes romantiques de la première moitié du XIXe siècle : le tableau est érigé en idéal artistique, à la fois parce qu’il a été peint par celui qui est considéré comme le maître absolu de la peinture européenne, mais aussi parce que la contemplation même du tableau est rattachée à des voyages d’artistes qui ont tracé les sillons d’une culture patrimoniale.
Progressivement, les commentaires versent d’ailleurs dans une métaphysique romantique dont la proximité avec la mystique – notamment dans la sémantique, les thématiques, etc. – est indéniable. Le topos du ravissement, sans cesse réinvesti par tous les commentateurs du tableau, du passage de la terre au ciel, de l’opposition entre musique terrestre et musique céleste, s’ouvre à une relecture laïcisée de L’Extase de sainte Cécile : le ravissement musical, toujours divin, se détache de sa dimension chrétienne ; cette « ivresse de l’extase » musicale, telle qu’elle sera pensée par les romantiques allemands puis par les romantiques français, emprunte à la vierge de Raphaël l’idée d’un saisissement puissant, du passage d’un monde terrestre à un monde céleste, mais les considérations théologiques sont délaissées au profit d’une lecture esthétique. En d’autres termes, le tableau et la sainte patronne qu’il représente s’imposent comme une matérialisation de la puissance de la musique et de ses effets.
À ce titre, deux commentaires du tableau sont révélateurs de ce changement de paradigme dans la lecture et l’interprétation qui en est faite. Le premier émane d’un écrivain et théologien allemand, Karl-Friedrich Scholler, issu de son Italienische Reise. L’écrivain ne consacre pas moins d’une quinzaine de pages à une étude de la Sainte Cécile qu’il érige en une allégorie de l’enthousiasme artistique :
In dem Bilde der Heiligen Cäcilia stellte Raphael nichts Geringeres dar als die Begeisterung, die mit der Kunstschöpfung verbunden ist, selbst. Wie der Freund der Weisheit und der Wissenschaft, so fern er dieser ist, in Begriffen denkt, so denkt der Maler, weil er ein solcher ist, in farbigen Bildern; und wie das klare, tiefst durchbildete, allseitige Bewusstsein seines eigenen Wesens Jenem als Gipfel des Bestrebens winkt, von dessen Höhe sich die Aussicht frei nach allen Seiten öffnet, eben so ist für diesen das Vermögen, jene Kraft selbst bildlich darzustellen, womit er wirkt, die höchste Aufgabe, deren preiswürdige Lösung ihm den Meisterbrief einhändigt, der ihn mit weiser Freiheit berechtigt, alles Große und Erhabene zu bilden ; denn für den, der diese Aufgabe gelöst, ist nichts mehr zu schwer, und er sieht in seliger Befriedigung ruhig von seiner Höhe, die keine über sich hat, über die ungeheure Weite, welche das Gebiet der Kunst umspannt. Raphael hat in der Heiligen Cäcilia gleichsam – das Wort ist zu wagen, wenn es auch dunkel klingt – die Inkarnation des Kunstgeistes gemalt. Wie er in seinem letzten Bilde, das über seinem Katafalke stand, das Geheimnis der Verklärung des Heilandes auf Tabor gemalt und die Religion verherrlicht, so offenbarte er in der Heiligen Cäcilia das Geheimnis der Verklärung der Kunst.
Dans le tableau de Sainte Cécile, Raphaël ne représenta rien moins que l’enthousiasme même qui accompagne la création artistique. Tout comme le véritable ami de la sagesse et de la science pense en concepts, le peintre, parce qu’il est peintre, pense en images colorées. Le premier cherche avant tout à avoir une conscience claire, profondément réfléchie et exhaustive de son propre être, il veut atteindre ce sommet à partir duquel il jouit d’une vue dégagée sur tout ce qui l’environne. Pour le peintre, la tâche la plus haute consiste à représenter en images cette puissance qui guide son activité, et une fois qu’il détient cette précieuse capacité, on lui délivre un brevet de maître qui l’autorise à représenter avec une sage liberté tout ce qui est grand et sublime. Car plus rien n’est trop difficile pour celui qui a acquis cette capacité, et, jouissant d’une bienheureuse satisfaction, il contemple tranquillement depuis son sommet que rien ne dépasse, l’énorme étendue du territoire de l’art. En même temps, Raphaël a peint dans sa Sainte Cécile – il faut oser le mot, même s’il a l’air obscur – l’incarnation de l’esprit de l’art. De la même façon que sur son dernier tableau, qui était posé sur son catafalque, il a peint le secret de la transfiguration du Sauveur sur le mont Thabor et exalté la religion, de même il révéla dans la Sainte Cécile le secret de la transfiguration de l’art [15] .
Les termes que nous avons soulignés révèlent combien ce commentaire est empreint d’une mystique romantique. Il est d’ailleurs très proche, dans l’esprit, de celui qu’écrira Liszt à peine quelques années plus tard, faisant lui aussi du tableau de Raphaël une allégorie de la musique et des effets qu’elle doit produire sur l’auditoire [16] . Scholler, comme Liszt, utilise le tableau comme un prétexte à une réflexion esthétique sur les pouvoirs de l’art et sur le statut sacré de l’artiste.
Un deuxième commentaire plus tardif du tableau est également révélateur de cette nouvelle manière d’envisager l’œuvre de Raphaël. Il est extrait de l’ouvrage que le célèbre critique d’art Charles Clément consacre à Michel-Ange, Léonard de Vinci et Raphaël. Paru en 1861, il propose une longue description de la Sainte Cécile de Raphaël.
Cette composition est une des plus poétiques, des plus élevées et on peut dire des plus religieuses que Raphaël ait imaginées. La sainte, debout au milieu du tableau, est entourée de saint Paul et de Marie-Madeleine, de saint Jean l’Évangéliste et de saint Augustin. La tête vers le ciel, elle laisse tomber l’orgue en entendant les cantiques des bienheureux, qui répondent à ses chants. Je ne crois pas que l’ivresse de l’extase ait jamais été représentée avec tant de force et dans des conditions si complètes de beauté pittoresque. Sainte Cécile n’est presque plus sur la terre ; son âme s’élance hors d’elle pour se mêler aux chœurs des esprits glorifiés, et il semble qu’un souffle suffirait pour l’emporter vers la céleste patrie. Le rêve qu’elle faisait dans ses mystiques ardeurs se réalise. Elle entend, elle voit ces êtres mystérieux que sa pieuse et poétique imagination lui montrait dans les profondeurs de l’infini. Elle est sur les confins des deux mondes, et c’est ainsi que l’on se représente saint Augustin et sa mère assis sur le rivage d’Ostie, plongeant leurs regards dans le ciel entr’ouvert, et s’entretenant des choses éternelles [17] .
Là aussi, la description permet de mesurer l’évolution du vocabulaire et la romanticisation de la lecture du tableau qui s’est opérée. L’extase chrétienne est devenue « ivresse », « poétiqu[e] ». Plongée dans un « rêve » – substantif qui n’est pas sans évoquer un riche intertexte romantique –, la sainte ressent les puissants effets de la musique. Mais ces effets sont justement traduits par un vocabulaire qui emprunte, entre autres, aux propos sur la musique de Wackenroder, Tieck, Kleist, Hoffmann, Sand et Balzac : la musique est rattachée désormais aux « profondeurs de l’infini », aux « choses éternelles », à une réalité transcendante que seul l’art des sons est capable de faire naître. Figure de théorisation de la musique sacrée donc, sainte Cécile, par le tableau de Raphaël, s’impose ainsi comme un outil d’appropriation, d’incarnation, une figure trope qui permet de penser à la fois l’inspiration musicale et les effets à produire sur l’auditoire.
Extases musicales dans la fiction au XIXe siècle
Intéressons-nous désormais à quelques utilisations fictionnelles de la figure de sainte Cécile et du tableau de Raphaël dans le corpus romantique allemand et français. Sur ce point, notons dès à présent un paradoxe : pourquoi les artistes romantiques allemands se saisissent-ils d’un tableau qui place la musique instrumentale tout en bas de la hiérarchie des musiques alors même que c’est justement la musique instrumentale qui est censée représenter la musique absolue ? Nous pouvons avancer deux conjectures. Premièrement, dans les différents commentaires qui circulent sur le tableau, le recentrement qui s’opère autour de la figure de la sainte permet de penser la musique par les effets qu’elle procure : le haut et le bas du tableau sont ainsi relégués à une place secondaire pour une focalisation sur le lieu de l’extase musicale figurée par la sainte. L’isolement de la sainte dans cette temporalité de l’extase, alors que les quatre autres saints du tableau échappent à l’appel céleste, permet ainsi de matérialiser à la fois l’élection de l’auditeur – et de l’artiste – et sa solitude. Deuxièmement, même associée à la Kunstreligion, sainte Cécile conserve une dimension réactionnaire, rattachée à la toute-puissance de la musique vocale, à des compositeurs du passé, à un âge d’or mythifié de la musique d’église : figure de la religion rivale pour les écrivains protestants du début du XIXe siècle, elle permet de mesurer le fantasme qui entoure le faste musical catholique. Elle offre ainsi une nouvelle entrée dans le corpus du romantisme allemand, cette fois-ci centrée sur une dilection pour une musique vocale religieuse. Enfin, notons que la sainte patronne céleste ne figure pas, comme on pourrait le penser, un simple contrepoint au diabolus in musica largement consacré par des siècles de mélophobie. Dans le corpus littéraire romantique qui la convoque, elle s’associe à une toute-puissance de la musique qui l’entraîne sur le terrain inquiétant de l’art des sons. Parce que la sainte rend possible une rencontre avec le sublime, un face à face avec l’infini, elle est à l’origine d’une théophanie ; mais ces apparitions suscitent des réactions radicales.
Sous quelles formes le tableau et la sainte migrent-ils dans la fiction musicale ? Une rapide typologie nous permettra d’appréhender différentes formes d’apparitions et d’instrumentalisations de la sainte dans le corpus fictionnel de la première moitié du XIXe siècle. Un premier cas nous est fourni par la célèbre nouvelle de Wackenroder, Das merkwürdige musikalische Leben des Tonkünstlers Joseph Berglinger, La remarquable vie musicale du musicien Joseph Berglinger, dans laquelle la sainte est convoquée par une prière du musicien construite sur un fort syncrétisme entre mystique religieuse et pacte aux accents faustiens. En effet, lorsque Berglinger se tourne vers « la sainte vénérée entre toutes […] protectrice de la musique » [18] [diejenige unter den Heiligen […], die als Beschützerin der Tonkunst verehrt] afin qu’elle lui offre le pouvoir de toucher, par sa musique, le cœur des chrétiens, il commence par « [s]’agenouiller » dans un hommage contrit devant la puissance de « [s]es sons merveilleux ». Mais il se présente comme son « esclave ensorcelé » dont l’âme est devenue « folle » et il souhaite s’« abîmer dans un chant » [19] .
Et c’est bien « mille cœurs » [tauzend Herzen] que le musicien entend toucher par sa composition ; Joseph Berglinger quitte ainsi le vocatif pénitent pour affirmer une première personne dont l’ambition musicale est grande :
Möcht ich einst mit lautem Schalle
In des Tempels voller Halle
Ein erhabnes Gloria
Dir und allen Heil’gen weihen,
Tausend Christen zu erfreuen:
Heilige Cäcilia!J’aimerais un jour d’une forte voix
Dans la grande salle comble du temple
Vouer un Gloria sublime
À toi et à tous les Saints,
Pour réjouir mille chrétiens
Ô sainte Cécile ! [20]
La volonté affirmée de composer « un Gloria sublime » [Ein erhabnes Gloria] et la mention de la « forte voix » [lautem Schalle] replacent au centre de la prière de Joseph Berglinger la puissance de la musique vocale dont la sainte patronne est la représentante absolue ; l’envolée lyrique finale de la prière du musicien finit de sceller le pacte faustien entre le jeune compositeur et la vierge chrétienne :
Öffne mir der Menschen Geister,
Dass ich ihrer Seelen Meister
Durch die Kraft der Töne sei;
Dass mein Geist die Welt durchklinge,
Sympathetisch sie durchdringe,
Sie berausch in Phantasei!Ouvre-moi l’esprit des hommes,
Pour que maître de leurs âmes
Par la puissance des sons je sois ;
Que mon esprit résonne à travers le monde,
Qu’il le pénètre par sympathie,
Et l’enivre en imagination ! [21]
Le jeune compositeur exige ici le don du génie musical, l’inspiration d’une musique capable de provoquer justement l’Andacht par la composition d’un « sublime Gloria » ; en voulant se rendre « maître [des] âmes » des fidèles, Berglinger quitte les régions éthérées céciliennes pour plonger dans des abîmes inquiétants.
Un deuxième exemple de modalité d’apparition de la sainte patronne dans la fiction nous est donné par une nouvelle de Heinrich von Kleist, écrite en 1811, Die Heilige Cäcilie oder die Gewalt der Musik, Sainte Cécile ou la puissance de la musique. Dans ce texte, la douce vierge est devenue une figure vengeresse menaçante : quatre frères, venus commettre un iconoclasme dans un couvent d’Aix-la-Chapelle le jour de la Fête-Dieu, sont frappés de paralysie au moment où les sœurs entonnent le Gloria in excelsis ; non seulement ils renoncent au saccage du couvent mais ils se prosternent en adoration devant les images saintes et finissent leur existence dans un asile où, tous les soirs à minuit, ils chantent l’air entendu ce jour-là. Le miracle est attribué par l’Église catholique à la sainte patronne de la musique qui aurait pris les traits de la sœur Antonia alors mourante. C’est donc sainte Cécile qui, ce jour-là, aurait conduit l’exécution de la Messe et aurait sévèrement soumis les iconoclastes à la puissance de son art. La musique religieuse, une Messe italienne, devient dans ce texte une arme puissante et aliénante. Étrange extase musicale donc, où les topoï du ravissement se radicalisent, où les sentiments esthétique et religieux se rencontrent avec une telle violence qu’ils conduisent les quatre frères tout droit à l’asile [22] . Étrange sainte patronne donc qui se travestit dans le corps d’une malade et qui vient punir avec violence les partisans de la Réforme. La sœur Antonia n’est d’ailleurs pas sauvée et succombe à une fièvre typhoïde le soir même de la Fête-Dieu. De plus, le couvent est sécularisé quelques années plus tard…
Notre troisième exemple d’utilisation de la figure de la sainte est sûrement le plus répandu dans la fiction de la première moitié du XIXe siècle : il consiste à convoquer directement le tableau de Raphaël pour rendre compte d’une scène d’extase musicale. On trouve une illustration de ce cas dans Le Cousin Pons de Balzac. Schmucke, le professeur de musique allemand, tente de rendre ses esprits à Pons qui vient de s’évanouir. Se mettant alors au piano, il plonge son auditeur dans le même état que la sainte sur le tableau de Raphaël :
L’exécution, arrivée à ce degré de perfection, met en apparence l’exécutant à la hauteur du poète, il est au compositeur ce que l’acteur est à l’auteur, un divin traducteur de choses divines. Mais dans cette nuit où Schmucke fit entendre par avance à Pons les concerts du paradis, cette délicieuse musique qui fit tomber des mains de sainte Cécile ses instruments, il fut à la fois Beethoven et Paganini, le créateur et l’interprète ! Intarissable comme le rossignol, sublime comme le ciel sous lequel il chante, varié, feuillu comme la forêt qu’il emplit de ses roulades, il se surpassa, et plongea le vieux musicien qui l’écoutait dans l’extase que Raphaël a peinte, et qu’on va voir à Bologne. Cette poésie fut interrompue par une affreuse sonnerie. La bonne des locataires du premier étage vint prier Schmucke, de la part de ses maîtres, de finir ce sabbat [23] .
Dans cette double évocation de la toile de Raphaël, Balzac envisage à la fois la source de la musique sur le tableau – « les concerts du paradis » – et les effets de cette musique sur l’auditeur – « l’extase que Raphaël a peinte ». La précision de la ville qui abrite la célèbre toile, « Bologne », permet d’inscrire le passage dans une réalité suprafictionnelle. La scène reproduit ainsi le tableau dans son intégralité, du bas vers le haut : Balzac évoque les instruments aux pieds de la sainte, la sainte elle-même, figurée par l’extase de Pons, et le concert céleste, interprété par Schmucke, sur un instrument pourtant bien terrestre, le piano. Cette référence à la toile de Raphaël permet de comprendre le pouvoir synesthésique qui lui est attaché : il permet de convoquer, dans l’espace textuel, la source musicale, le phénomène sensoriel de l’audition et l’expérience intime et intérieure de l’écoute. On voit aussi combien l’extase est désormais codifiée plastiquement par une physiologie particulière, incarnée par l’attitude de la sainte sur le tableau. Mais dans l’économie romanesque, l’espace-temps de l’extase est voué à s’achever brutalement ; ici, le rappel à l’ordre des voisins vient briser l’envolée esthétique, comparée prosaïquement à un « sabbat ». La musique est interrompue violemment par une autre musique qui n’a rien de céleste, celle de l’« affreuse sonnerie ».
J’emprunte un autre exemple à George Sand dans son roman Consuelo, dans lequel son héroïne est comparée explicitement à maintes reprises à la sainte. Le passage qui nous intéresse ici se situe au début du roman, quand la jeune femme est invitée à chanter pour la première fois devant une large assemblée, dans l’église des Mendicanti. Elle y interprète l’air célèbre de Marcello, I cieli immensi narrano ; la description laisse place à un véritable tableau construit comme celui de Raphaël :
Mais quelle miraculeuse transformation s’était opérée dans cette jeune fille tout à l’heure si blême et si abattue, si effarée par la fatigue et la crainte ! Son large front semblait nager dans un fluide céleste, une molle langueur baignait encore les plans doux et nobles de sa figure sereine et généreuse. […] Aucun morceau n’était mieux approprié à l’espèce d’exaltation religieuse où se trouvait en ce moment l’âme de cette noble fille. Aussitôt que les premières paroles de ce chant large et franc brillèrent devant ses yeux, elle se sentit transportée dans un autre monde. Oubliant le comte Zustiniani, les regards malveillants de ses rivales, et jusqu’à Anzoleto, elle ne songea qu’à Dieu et à Marcello, qui se plaçait dans sa pensée comme un interprète entre elle et ces cieux splendides dont elle avait à célébrer la gloire. […] Un feu divin monta à ses joues, et la flamme sacrée jaillit de ses grands yeux noirs, lorsqu’elle remplit la voûte de cette voix sans égale et de cet accent victorieux, pur, vraiment grandiose, qui ne peut sortir que d’une grande intelligence jointe à un grand cœur [24] .
Le passage reprend la composition tripartite de la toile de Raphaël. Les contours du tableau sont clairement délimités : Consuelo est dans « la tribune de l’orgue » sous « la voûte » de l’église, qui rappelle symboliquement les cieux – i cieli – évoqués dans le chant. Il firmamento lucido répond aux « cieux splendides » mentionnés dans la narration et reconstitue ainsi la partie supérieure du tableau de Raphaël. Au sol, ce ne sont pas les instruments que Consuelo foule aux pieds, mais bien tous les problèmes rattachés à sa vie terrestre que l’énumération balaie d’un revers de main. Au milieu, figure la jeune femme qui interprète la musique de Marcello, se faisant ainsi l’intermédiaire entre Dieu et les hommes.
À la différence du tableau de Raphaël, Consuelo chante, devenant ainsi une incarnation de la Sainte Cécile de Raphaël commentée par Liszt [25] . Cette relecture du tableau est particulièrement intéressante puisqu’elle offre un nouvel exemple de la récupération romantique de l’extase de sainte Cécile. Bien que George Sand inscrive la scène dans un cadre religieux, elle proclame ici la puissance de la musique terrestre, en rappelant l’identité du compositeur, Marcello. Mais elle proclame également la supériorité de la musique vocale sur la musique instrumentale, puisque toute la description se focalise sur la voix et le chant de Consuelo. Le compositeur et l’interprète sont les deux divinités de ce passage, lesquelles donnent lieu à une double extase : celle de Consuelo, interprétant ces pages célestes, et celle de l’auditoire. Le ravissement de Consuelo d’abord est clairement explicité par le fait qu’elle est « transportée dans un autre monde » et par l’isotopie religieuse qui domine dans le passage : « feu divin », « flamme sacrée ». La description picturalisante retranscrit physiologiquement les effets de l’extase avec la référence au rougissement des joues de Consuelo et au changement qui se produit dans son regard. La puissance de cette extase est mise en valeur par les réactions des spectateurs de la scène : en témoignent le « torrent de larmes délicieuses » qui s’échappe des yeux du compositeur et le cri du comte « ne pouvant maîtriser son émotion » : « Par tout le sang du Christ, cette femme est belle ! C’est sainte Cécile, sainte Consuelo ! c’est la poésie, c’est la musique, c’est la foi personnifiées » [26] . L’analogie est donc clairement confirmée ici.
Notons pour finir que, de cette utilisation dans la fiction du tableau de Raphaël, découle une autre sous-catégorie, particulièrement intéressante dans une perspective d’études de genre. Elle se compose de scènes de tableaux vivants où des jeunes filles sont invitées à poser en sainte Cécile, sans être de véritables praticiennes de la musique ou sans pouvoir faire état de leurs réelles aptitudes musicales. Ces personnages féminins sont victimes d’un encadrement, au double sens du terme. Premièrement, elles sont destinées à entrer dans un cadre, à interpréter un certain répertoire, à inféoder leur pratique musicale à l’éducation qui leur est dispensée, à obéir à un idéal de vertu et de perfectionnement dans lequel la musique joue un rôle déterminé et limité. Deuxièmement, elles sont également transformées en tableau par un regard masculin qui les objective.
Au tout début du XIXe siècle, Sainte Cécile s’est déplacée et les artistes l’ont suivie. Ils étaient déjà là à Bologne, dans la petite église de San Giovanni, pour admirer cette pala d’autel ou pour écouter un concert de la Sainte-Cécile. Ils allèrent au Louvre, venant de toute l’Europe, pour admirer la sainte « sous le ciel barbouillé de suie de Paris » [27] ; ceux qui ne la connaissaient pas encore furent guidés, dans leur visite du musée, par des manuels de bonne circulation qui devaient les y conduire. Ils reprirent enfin le chemin de Bologne quand elle fut ramenée dans sa ville natale. Ces différents régimes d’accrochage – une église et deux musées – ont contribué à informer le regard des artistes sur le tableau : quand il revient à Bologne, le tableau n’est plus le même ; sa dimension symbolique chrétienne s’est enrichie au profit d’une lecture largement empreinte de la mystique romantique.
En corollaire, les écrivains romantiques qui se saisissent de la figure de sainte Cécile dans la fiction modifient-ils la notion d’extase musicale telle que Raphaël l’avait imaginée sur sa pala d’autel. S’ils reprennent la scénographie du tableau – l’idée du ravissement et du rapt –, ils la radicalisent. La sainte patronne de la musique d’église, la douce sainte Cécile écoutant les chants des chérubins, revêt des visages inquiétants ; en devenant une des Muses de la Kunstreligion, elle voit ses attributions se radicaliser et ses pouvoirs s’amplifier. Elle conserve cependant l’une de ses attributions premières : celle de privilégier la musique vocale et d’être rattachée à une musique religieuse du passé. Elle puise sa force d’évocation et de soumission dans des oratorios, des messes, dans une musique qui place le chant choral au-dessus de la musique instrumentale. Par ailleurs, cette dimension réactionnaire de la figure, largement rattachée à un âge d’or de la musique catholique, se retrouve également dans des portraits féminins (littéraires et picturaux) qui réinvestissent la scénographie du tableau de Raphaël par le prisme de la morale bourgeoise, où est une « Sainte Cécile » une jeune fille bien comme il faut, qui pose non plus devant un orgue mais devant un piano… attendant désespérément d’être remarquée par un beau jeune homme.
Bibliographie
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Notes
- [1]
Johann Gottfried von Herder, Cäcilia, dans Zerstreute Blätter, Fünfte Sammlung, Gotha, Carl Wilhelm Ettinger, 1793. Une version en allemand moderne du texte de Herder ainsi qu’une traduction inédite figurent dans les annexes de ma thèse, « “Cette jolie muse chrétienne”. La figure de sainte Cécile dans les arts en Europe au XIXe siècle ».
- [2]
Il évoque la partition dans la suite de son texte.
- [3]
Beaucoup de critiques circulent sur le patronage de la musique par sainte Cécile, lequel est jugé arbitraire.
- [4]
Johann Gottfried von Herder, op. cit., p. 287.
- [5]
Jean Lacoste, Le « Voyage en Italie » de Goethe, Paris, PUF, Perspectives Germaniques, 1999, p. 69.
- [6]
Jean Lacoste, op. cit., p. 74.
- [7]
Charles Burney, The Present State of Music in France and Italy, or the Journal of a Tour Through Those Countries, Undertaken to Collect Materials for a General History of Music, Londres, imprimé par T. Becket and Co. Strand, J. Robeson, New-Bond Street, and G. Robinson, Paternoster-Row, seconde édition, 1773, p. 230-237.
- [8]
Ibid., p. 230.
- [9]
On pense notamment aux guides de voyage de Charles-Nicolas Cochin (1758) et de Jérôme de Lalande (1767).
- [10]
Cette citation est extraite de la Passio Sanctae Caeciliae, au moment où sainte Cécile tente d’occulter la musique de son cortège nuptial pour se recueillir et prier, en son cœur, [in corde suo].
- [11]
Stendhal, Rome, Naples et Florence (1817), Paris, Gallimard, collection folio, 1987, p. 265-266 et p. 348-349.
- [12]
François-René de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe (1809-1841), vol. 2, livre trentième, chap. 2, Paris, Gallimard 1990, p. 227.
- [13]
Voir infra.
- [14]
Franz Liszt, « Lettre XI. La Sainte Cécile de Raphaël », 14 avril 1839, dans Lettres d’un bachelier es musique, Édition Le Castor Astral, collection « les Inattendus », 1991, p. 151-155.
- [15]
Karl Friedrich Scholler, Italienische Reise, premier volume, Leipzig, 1831, Verlag von C.H.F. Hartmann, p. 297-298. Nous soulignons.
- [16]
Voir supra, note 14.
- [17]
Charles Clément, Michel-Ange. Léonard de Vinci. Raphaël. Avec une étude sur l’art en Italie avant le xvie siècle et des catalogues raisonnés historiques et bibliographiques, Paris, Michel Lévy frères, 1861, p. 298-299.
- [18]
Wilhelm Heinrich Wackenroder, Das merkwürdige musikalische Leben des Tonkünstlers Joseph Berglinger, La remarquable vie musicale du musicien Joseph Berglinger, dans Épanchements d’un moine ami des arts (1797), traduit de l’allemand par Charles Le Blanc et Olivier Schefer, Paris, José Corti, 2009, p. 129.
- [19]
Ibid. : „Deine wunderbaren Töne, // Denen ich verzaubert fröne, // Haben mein Gemüt verrückt. // Löse doch die Angst der Sinnen, – // Lass mich in Gesang zerrinnen, // Der mein Herz so sehr entzückt“.
- [20]
Wilhelm Heinrich Wackenroder, op. cit., p. 129.
- [21]
Ibid.
- [22]
Timothée Picard a étudié cette temporalité propre à l’extase musicale qui se radicalise dans la fiction de la première moitié du xixe siècle : « Dans le temps de l’extase, la musique donnerait accès à un monde qui, jusqu’alors, semblait réservé à la religion, et que les religions établies semblent justement de moins en moins à même de révéler. Les champs lexicaux de l’énergie et de la luminosité font de cet événement une extase autant érotique que religieuse. Comme dans l’extase, le sujet est alors voué à dépasser les limites de son individuation et à coïncider avec le grand Tout universel. […] Notons cependant que cette initiation possède à nouveaux certains traits ambivalents. Une fois entré dans ce royaume, il semble difficile d’en sortir. Par cette réserve, il s’agit pour Hoffmann de rendre compte d’une constante : le danger qu’il y a, pour l’être fini, à côtoyer trop longtemps l’infini qui lui est donné d’entrevoir grâce à la musique. […] Une autre difficulté double cette difficulté première : celle qu’il y a, une fois sorti du temps de l’extase, à conserver cette vision, à en rendre compte et, le cas échéant, à lui donner forme dans une œuvre d’art. Les images de l’engloutissement et de l’enlèvement reviennent alors plusieurs fois à travers le texte, de même que celles de la grandeur, de l’immensité, et du vertige : ce royaume musical démesuré, où les abstractions musicales sont personnifiées, sidère l’être, et le tient à sa merci » ; Timothée Picard, Âge d’or, décadence, régénération, Un modèle fondateur pour l’imaginaire musical européen, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 469 à 470.
- [23]
Honoré de Balzac, Le Cousin Pons (1847), Paris, Pocket, Paris, 1994, p. 282.
- [24]
George Sand, Consuelo (1842-1843), Paris, Éditions Phébus Libretto, 1999, p. 91.
- [25]
Dans son commentaire du tableau, le compositeur imagine en effet que Raphaël a peint la sainte au moment « où [sainte Cécile] s’apprête à chanter une hymne au Dieu tout-puissant., Franz Liszt, op. cit., p. 152.
- [26]
George Sand, op. cit. p. 91.
- [27]
J’emprunte cette citation au commentaire de Chateaubriand sur la sainte : « Bologne, 28 septembre 1828. Bologne me semble moins désert qu’à l’époque de mon premier voyage. J’y ai été reçu avec les honneurs dont on assomme les ambassadeurs. J’ai visité un beau cimetière : je n’oublie jamais les morts ; c’est notre famille. Je n’avais jamais si bien admiré les Carrache qu’à la nouvelle galerie de Bologne. J’ai cru voir la Sainte Cécile de Raphaël pour la première fois, tant elle était plus divine qu’au Louvre, sous notre ciel barbouillé de suie » ; François-René de Chateaubriand, op. cit., p. 227.
Pour citer cet article
Amandine Lebarbier, « L’extase musicale en migration : de Raphaël à l’Andacht romantique, de Bologne à Paris », SFLGC, bibliothèque comparatiste, publié le .../.../2019, URL : https://sflgc.org/acte/lebarbier-amandine-lextase-musicale-en-migration-de-raphael-a-landacht-romantique-de-bologne-a-paris/, page consultée le 04 Décembre 2024.
Biographie de l'auteur
LEBARBIER Amandine
Amandine Lebarbier est agrégée de Lettres Modernes et docteure en littérature comparée de l’Université Paris Nanterre. Elle a soutenu une thèse en 2017 intitulée «“Cette jolie muse chrétienne”. La figure de sainte Cécile dans la littérature et dans les arts en Europe au XIXe siècle ». Ses recherches portent essentiellement sur les liens entre la littérature et les arts, en particulier la musique. Elle s’intéresse notamment à l’historicité des représentations de la musique en littérature et en peinture et à l’historicité des pratiques culturelles musicales. Les débats et théories esthétiques, les questions poétiques liées aux fictions musico-littéraires, l’étude des rapports entre musique et société, en particulier dans une perspective d’études de genre, sont au cœur de ses recherches.