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ARTICLE
Certains auteurs anglais ou américains contemporains, tels A. S. Byatt, John Updike ou Joyce Carol Oates, continuent d’apposer à leurs œuvres de fiction deux étiquettes génériques différentes, tantôt novel tantôt romance. Ils suggèrent ainsi que l’opposition ancienne entre ces deux bannières garde sa pertinence, et ils s’en servent volontiers pour créer des effets de friction entre la matière d’une œuvre et son titre [1] . Cet article tentera de retracer quelques déplacements du romance [2] au sein d’un espace rassemblant l’Angleterre, la France et les États-Unis, tout en donnant une place privilégiée à l’œuvre de l’Américain Nathaniel Hawthorne. Chacun des romances de cet auteur s’accompagne en effet d’un texte liminaire – fictionnel ou théorique – où Hawthorne cherche à tracer les contours du genre qu’il pratique tout en renouvelant celui-ci avec vigueur. Dès lors les auteurs succédant à Hawthorne utiliseront les textes en question pour définir le romance [3] .
Alors que l’anglais peut choisir d’opposer novel et romance, le français, qui ne possède pas deux mots en concurrence l’un avec l’autre, unifie tous les récits de fiction en prose en un même ensemble, le « roman » [4] . Ce sur-genre semble donc, quelque peu fallacieusement, correspondre au champ du novel, terme dont la compréhension ne pose a priori pas de problème aux francophones. Il n’en va évidemment pas de même du romance, intraduisible – de même que romancer, l’auteur de romances [5] . Faute de nom, le genre du romance ne peut pas même exister dans la conscience des lecteurs français. Pour rendre romance, la langue française ne dispose guère que d’un adjectif, « romanesque » (auquel correspond parfois en anglais romantic [6] ), en d’autres termes, la langue française ne possède pas tant un genre, dont elle pourrait proposer une théorie, qu’une matière, le romanesque, prêt à se couler dans divers supports et formes [7] .
Qu’est-ce donc que ce romance, invisible depuis le point de vue français, sauf à pratiquer le comparatisme pour le rendre perceptible ? Qu’est-ce que ce genre que l’on associe à l’aventure et à l’extraordinaire, aux « mélodrames du bien et du mal [8] », et dont le nom semble trompeusement renvoyer à la bluette sentimentale ? À l’opposé du « roman », genre traditionnellement considéré comme rétif à toute définition, le romance reformule sans cesse ce qu’il est, pour mieux explorer ses propres possibles.
Pour définir le romance
En anglais, le mot romance dérive au XIIe siècle de lingua romana, langue vernaculaire parlée dans le Nord de la France, par opposition au latin, langue savante [9] . Par extension, il désigne les récits en vers et en prose, écrits au Moyen-Âge dans cette langue vernaculaire. Romance dénote donc d’abord le genre des romans courtois de chevalerie, puis des récits extrêmement longs, peignant des aventures merveilleuses [10] . Progressivement, il en vient à désigner tout récit de fiction en prose. « Romance » (en anglais) et « roman » (en français), dérivés de la même racine, furent ainsi longtemps des termes symétriques, rassemblant les mêmes œuvres sous leur enseigne commune.
Ces termes ont pourtant cessé d’être superposables quand l’anglais, au XVIIe siècle, a introduit novel pour désigner un genre narratif ressenti comme plus moderne que le romance. Les premiers novels sont des œuvres traduites depuis d’autres langues européennes, alors que les romances, peu à peu assimilés au corpus anglais, incarnent avant tout, aux yeux de leurs lecteurs, une tradition nationale.
Au cours du XVIIIe siècle, se multiplient des préfaces où les auteurs anglais opposent explicitement le rapport respectif au vraisemblable [probability] du romance et du novel [11] . En effet, si les novels sont issus de la mimesis et prétendent copier la nature, les romances ne revendiquent pas d’ancrage dans le réel, comme le laisse notamment entendre en 1762 le titre donné à une compilation anonyme d’histoires d’amour : Tout pour l’amour ; ou Le Monde bien perdu. Un nouveau romance, fondé entièrement sur la fiction [All for Love; or, The World Well Lost. A New Romance, Founded Entirely on Fiction]. Autrement dit, le genre du romance sera fondé non sur le rapport direct au monde, non sur le « réel [12] », mais sur le reste de la littérature, et il exhibe son propre caractère fictionnel. Quand une œuvre se proclame romance, elle demande donc au lecteur de ne pas croire à ce qu’elle dit. En d’autres termes, là où Balzac inscrit au début du Père Goriot « all is true [13] », l’auteur de romances déclare quant à lui « nothing is true ».
Tel est bien le cas des « Les Bureaux de la douane » [The Custom-House], long prologue apposé par Hawthorne à la Lettre écarlate, romance (The Scarlet Letter; Romance, 1850). Le narrateur y découvre un mystérieux « A » d’étoffe rouge rebrodée de volutes en fil d’or, et dont un rouleau de manuscrit conte l’histoire. Ces pages, rédigées sur du papier foolscap aux significations ambiguës – papier officiel papier venu d’Angleterre destiné à rédiger les documents officiels de la Couronne ; mais papier portant aussi en filigrane un bonnet de fou, emblème de fantaisie débridée – pourraient garantir la vérité historique du récit. Pourtant, loin de proposer au lecteur d’en prendre connaissance, le narrateur tourne délibérément le dos au topos du manuscrit trouvé et entreprend de relater les faits une seconde fois, à sa manière propre. Si ce narrateur mesure scrupuleusement les dimensions du « A » d’étoffe qu’il a découvert, c’est finalement pour éviter de se cantonner dans les contours rigides de ce signe écarlate, et pour mieux refuser de respecter le sens strict, la lettre, du manuscrit trouvé. Il préfère lancer ses propres arabesques dorées, brodant un romance sur la trame première qu’il enrichit des ornements de l’imagination.
Le prologue de Hawthorne met en scène la création douloureuse du romance, l’auteur « tentant de toutes ses forces de se représenter des scènes imaginaires, qui, le lendemain, pourront se déverser dans des descriptions multicolores sur la page ainsi illuminée » [striving to picture forth imaginary scenes, which, the next day, might flow out on the brightening page in many-hued description [14] ]. Les moments où les auteurs de romances éclairent par divers moyens le genre qu’ils sont en train de pratiquer valorisent volontiers la faculté d’imagination, et parfois même, à travers celle-ci, l’invraisemblable. Ainsi dans Flatland; A Romance of Many Dimensions, by a Square (1884), Edwin A. Abbott souligne la jubilation que suscite l’exploration des univers alternatifs purement imaginaires. L’auteur invite à saisir le monde à travers la perception d’un point, d’une ligne, d’un carré et d’une sphère. Et si la dernière page fait du récit la ramification d’une imagination malade, la dédicace de l’auteur, en revanche, évoque la nécessité d’« élargir l’imagination » [the Enlargement of the Imagination] pour lui ajouter sans cesse de nouvelles « dimensions [15] ». Un siècle plus tard, en 1980, Joyce Carol Oates, parodiant le geste de ses prédécesseurs d’antan, lesquels devaient se justifier devant leurs lecteurs d’exalter l’invraisemblable, place à l’orée de son ouvrage Bellefleur une « Note adressée au lecteur » exaltant les lois de l’imagination. Cette note pourrait elle aussi servir à définir le romance :
This is a work of the imagination, and must obey, with both humility and audacity, imagination’s laws. [… T]hat the implausible is granted an authority and honored with a complexity usually reserved for realistic fiction: the author has intended. Bellefleur is a region, a state of the soul, and it does exist; and there, sacrosanct, its laws are utterly logical.
Ceci est une œuvre de l’imagination, et doit obéir avec humilité et audace, aux lois de l’imagination. [… Q]ue l’invraisemblable fasse autorité et soit investi d’une complexité habituellement réservée à la fiction réaliste : l’auteur l’a voulu ainsi. Bellefleur est une région, un état de l’âme, et il existe vraiment ; là, ses lois, sacro-saintes, sont tout à fait logiques [16] .
Le terme de « romance » forme donc une étiquette à l’usage du lecteur, déterminant une réception, et décidant d’un mode de lecture, mais cette étiquette nous renseigne aussi sur les principes de création de l’œuvre, issu de la fancy, c’est-à-dire la toute puissante imagination créatrice, refusant de se laisser brider par la moindre contrainte.
Entre l’anglais et le français : romances instables, ébranlés par leur traduction
La traduction, qui met les textes en mouvement, constitue l’un des vecteurs de la migration des œuvres, et, par extension, des genres dont celles-ci sont supports et illustrations. Ainsi, la circulation pluridirectionnelle des œuvres traduites entre l’Angleterre, les États-Unis et la France, tantôt rend le genre invisible, tantôt révèle le romance là où ne le percevait pas.
Lorsqu’il s’agit de traduire en français les titres de romances, l’indication générique disparaît le plus souvent. À défaut, elle est rendue par des approximations peu satisfaisantes, telles « roman romanesque » et parfois même, tout simplement « roman », ce qui produit malentendus et contresens. Les traductions françaises des titres anglais nommant le romance produisent alors un éparpillement qui empêche le lecteur de penser en fonction du même les romances gothiques d’Ann Radcliffe ou de Matthew Gregory Lewis, les œuvres de Walter Scott, de Fenimore Cooper, de Melville, certains textes de Wilkie Collins, ou Tendre est la nuit de Fitzgerald (Tender Is the Night: A Romance, 1934).
Dès 1853, Émile Daurand Forgues (1813-1883) traduit The Scarlet Letter: A Romance de Hawthorne sous le titre La Lettre rouge-A-, roman américain (Paris, G. de Gonet). Il recourra à une formule similaire pour The House of the Seven Gables: A Romance, qui devient La Maison aux sept pignons, roman américain (Paris, Hachette, 1865). Dans « roman américain », on entend certes « traduit de l’américain », mais ce syntagme semble transférer l’indication générique au territoire de création. L’« Amérique » comble presque l’absence du mot romance disparu. Dans le cas de La Lettre rouge-A-, les connotations de l’étiquette générique effacée sont aussi déplacées vers le pseudonyme choisi par le traducteur, « Old Nick », suggérant que le diable lui-même participe à la traduction. Le genre du romance se confond en effet en partie avec sa branche gothique. Celle-ci, poussant à l’extrême l’invraisemblable, connut en Angleterre au tournant des XVIIIe et XIXe siècles une vogue telle qu’on en oublie presque que Walter Scott a développé un autre possible pour le genre, le romance historique, porté d’emblée à son paroxysme par Ivanhoe; A Romance (1820).
En sens inverse, les anglophones reconnaissent dans certaines œuvres françaises des romances, qu’ils réétiquettent au moment de les traduire. Ainsi, La Peau de chagrin de Balzac se présente explicitement dans sa première édition (1831) comme un « conte philosophique » qui, inséré dans la Comédie humaine, devient une « étude philosophique ». La première traduction américaine en 1843 annonce cependant, Luck and Leather: A Parisian Romance [17] . L’indication générique évide le texte de sa dimension philosophique et en transforme complètement la réception. De même, Ce qui ne meurt pas, premier roman de Barbey d’Aurevilly, rédigé en 1835, sera traduit en anglais par Oscar Wilde en 1902 sous le titre de What Never Dies: A Romance. Wilde durant son exil volontaire à Paris, emploie un pseudonyme rappelant celui du « Old Nick » de Daurand Forgues : « Melmoth ». Ce nom est emprunté à Melmoth the Wanderer (1820), le romance gothique rédigé par son grand oncle Charles Robert Maturin. Or Melmoth, l’homme errant qui a signé un pacte avec le diable, a ensuite migré dans une autre étude philosophique de Balzac, Melmoth réconcilié, datant de 1835 comme l’œuvre de Barbey [18] . Nul doute que Wilde ne se serve délibérément de ces intrications pour façonner une nouvelle figure, et devenir, du fond de sa propre damnation, « Melmoth le traducteur », laissant errer les textes d’une langue à l’autre, d’un genre à l’autre.
L’exil des auteurs se fait ainsi particulièrement propice aux migrations de genres. Ainsi, l’aristocrate français Bellin de la Liborlière, émigré en Allemagne durant la Terreur, a pratiqué le romance gothique à l’anglaise, tout d’abord de manière littérale avec Célestine ou les époux sans l’être (1798) [19] , puis sous la forme d’une version parodique, avec La Nuit anglaise, qui constitue une critique en acte de ce qu’il nomme le « nouveau genre [20] ». Bellin y remotive le lien entretenu avec le romance médiéval – selon sa formule une jeune fille « se promène de château en château pour chercher des aventures, comme jadis les chevaliers [21] » –tout en reliant explicitement l’attrait pour le genre horrifique gothique aux circonstances historiques. Selon lui en effet, le lecteur « terroriste » exigerait une « révolution dans la manière d’écrire [22] ». La Nuit anglaise constitue comme un écho amuï de Don Quichotte transposé dans le contexte de la Révolution française : un bourgeois français, affolé par la lectures des romances – non plus livres de chevalerie mais œuvres gothiques venues d’Angleterre – devient incapable de distinguer le vrai du faux. Grâce à une mise en scène horrifique, ses enfants le contraignent à signer avec le diable un pacte où il renonce à lire des romances. Il promet alors de ne plus se repaître que de novels, qui, à l’instar de Tom Jones ou Clarissa, brossent « des peintures de mœurs véritables et bien dessinées [23] ».
Le titre complet de ce texte semble alors faire du principe de la traduction en cascade le tremplin permettant à la fiction de rebondir :
La Nuit anglaise ou les Aventures jadis un peu extraordinaires, mais aujourd’hui toutes simples et très communes, de M. Dabaud, marchand de la rue Saint-Honoré, à Paris ; roman comme il y en a trop, traduit de l’Arabe en Iroquois, de l’Iroquois en Samoyède, du Samoyède en Hottentot, du Hottentot en Lapon, et du Lapon en Français ; par le R. P. Spectroruini, moine italien, 2 vol., se trouve dans les ruines de Paluzzi, de Tivoli, dans les caveaux de Ste Claire ; dans les abbayes de Grasville, de St Clair ; dans les châteaux d’Udolphe, de Mortymore, de Montnoir, de Lindenberg, en un mot dans tous les endroits où il y a des revenants, des moines, des ruines, des bandits, des souterrains, et une tour de l’Ouest.
Tout en se rappelant sans doute que Don Quichotte constituait déjà un manuscrit trouvé traduit de l’arabe, Bellin parodie ouvertement le titre l’œuvre fondatrice de la branche gothique du romance, The Castle of Otranto, A Story. Translated by William Marshal, Gent. from the Original Italian of Onuphrio Muralto, Canon of the Church of St. Nicholas at Otranto, texte de Horace Walpole paru en 1764. Dans la préface de la première édition du Château d’Ortrante Walpole présentait explicitement cette œuvre comme la traduction d’un ouvrage relatant une histoire du temps lointain des croisades, et imprimé en caractères gothiques [in the black letter [24] ] à Naples en 1529.
Chez Bellin, le glissement feint d’une langue à l’autre épuise l’œuvre prétendument traduite pour n’en laisser qu’une accumulation cocasse de stéréotypes. Le titre démesuré déroule toutes les conventions du genre, tout en faisant écho aux titres de Lewis, auteur du Moine ou de Ann Radcliffe, auteur des Mysteries of Udolfo. La littérature a connu des Virgile travestis. Ici, Bellin, qui emploie volontiers le terme de « Radcliffade [25] » pour désigner le romance gothique, propose une Radcliffe travestie, revêtant, pourrait-on dire, des habits de voyage.
Comme les auteurs anonymes d’All for Love en 1762, Bellin rappelle d’entrée de jeu que le genre du romance est bien « fondé sur la fiction ». En effet le corps du texte de La Nuit Anglaise se présente comme un collage de citations extraites de neuf romances gothiques anglais, identifiés par des notes en bas de page, de sorte à démontrer l’aspect conventionnel et interchangeable des formules et des scénarios. En moins de deux cents pages, ce montage textuel suffit à condenser la bibliothèque prolifique de la littérature gothique. Le texte fonctionne comme un répertoire de motifs, mis en valeur par un jeu d’italiques et de guillemets, autant de détails – au sens conféré par Daniel Arasse à ce terme [26] – concentrant la substance même du genre [27] . Par l’accumulation de stéréotypes, Bellin célèbre le plaisir qu’il y a pour un lecteur à reconnaître des codes génériques parfaitement balisés. Ainsi, très tôt, le genre du romance gothique se parodie lui-même, et joue une sorte de mascarade, exhibant ses propres poncifs en signe de reconnaissance.
Dans le texte de Bellin le terme de « romance » est absent. Il est systématiquement remplacé par le syntagme « roman anglais [28] », qui annonce le « roman américain » au sens où l’emploiera le traducteur de Hawthorne. La forme courte du titre, La Nuit anglaise, assimile bien le genre à un territoire de création spécifique : l’Angleterre. Symétriquement, l’œuvre de Bellin sera traduite en anglais en 1800 et publiée en 1817, tant en Angleterre [29] qu’aux États-Unis [30] sous le titre suivant : The Hero; or, the Adventures of a Night: A Romance. Translated from the Arabic into Iroquoise; from the Iroquoise into Hottentot; from the Hottentot into French; and from the French into English. Dans ce nouveau titre, plus besoin d’énumérer les poncifs ni même de préciser que la « nuit » est « anglaise ». L’étiquette générique précisant « romance » suffit à indiquer ce caractère nécessairement « anglais » et à dresser un programme de stéréotypes.
Pourtant, quoi que prétende cette étiquette, La Nuit anglaise constitue-t-elle vraiment un romance ? Sa charge parodique n’en fait-elle pas aussi un anti-romance, c’est-à-dire un novel, selon la terminologie proposée par Áron Kibédi Varga dans son article intitulé « Le roman est un anti-roman » [31] ? Un même texte peut ainsi réunir plusieurs possibles et osciller entre plusieurs genres selon la manière dont le lecteur choisit de l’investir. Un personnage chez Bellin n’affirme-t-il pas : « Le héros n’est plus rien dans un roman, c’est le lecteur qui est tout [32] ». Si le texte fait en l’occurrence référence aux affects du lecteur mis en émoi par la frénésie des aventures, ces mots n’ouvrent pas moins le chemin à une formule fameuse de Hawthorne. La conclusion de La Lettre écarlate refuse de trancher entre plusieurs manières d’expliquer les événements narrés et déclare : « Le lecteur pourra choisir entre ces différentes théories » [The reader may choose among these theories [33] ]. C’est là la migration majeure du romance, vers le territoire instable de l’interprétation [34] . Le genre d’un texte ne constituerait jamais qu’une proposition, que le lecteur pourrait ou non accepter, contribuant ainsi à façonner l’œuvre qu’il lit. Hawthorne laisse en effet le romance migrer en direction de l’autre genre, le novel. Les préfaces de La Maison aux sept pignons (1851) et de Valjoie [The Blithedale Romance, 1852] refusent de tracer un clivage rigide entre les deux genres narratifs, pour préserver la fluidité de ces œuvres. Romance et novel montrent peut-être la même chose, mais sous des éclairages différents. Libre au lecteur dès lors de reconnaître dans un récit le monde qu’il connaît déjà, ou de déréaliser le réel.
Si en 1799 l’Angleterre constitue le territoire par excellence du romance, comme l’atteste le texte de Bellin, à partir de 1850, ce sont les États-Unis qui semblent remplir cette fonction. Comment comprendre ce transfert ?
Migrations transatlantiques : l’Amérique, territoire du romance après l’Angleterre ?
Les œuvres narratives, lorsqu’elles migrent vers les rivages américains, possèdent une propension à se transformer en romances, comme si ce territoire était propre à révéler les réserves d’imagination enfouies dans les textes. Ainsi, Lord Jim de Conrad, publié en 1899 en Angleterre muni du sous-titre « A Tale » devient aux États-Unis Lord Jim: A Romance [35] . Ainsi encore, Henry James, tant qu’il vit à Boston écrit des contes à la manière de Hawthorne, prenant la forme de romances microscopiques [36] , avant de partir s’installer en Europe où il développera sa veine réaliste [37] . Pour comprendre l’affinité unissant les États-Unis et le genre du romance, il faut donc se pencher plus avant sur l’œuvre de Nathaniel Hawthorne (1804-1864), lequel est considéré comme le père fondateur de la fiction américaine car, pour ses lecteurs, il se substitue aux modèles anglais. C’est dorénavant sur lui que ses compatriotes pourront s’appuyer, comme en témoigne une lettre de William James, envoyé à son frère Henry après avoir lu La Maison aux sept pignons :
I thank heaven that Hawthorne was an American. [...] That you and Howells with all the models in English literature to follow, should needs involuntarily have imitated (as it were) this American, seems to point to the existence of some real American mental quality.
Je remercie le ciel que Hawthorne soit américain. [...] Le fait que Howells et toi ayez été amenés involontairement (pour ainsi dire) à imiter cet Américain, en dépit de tous les modèles littéraires fournis par la littérature anglaise, tend à prouver qu’il existe bel et bien une tournure d’esprit spécifiquement américaine [38] .
Alors même que Hawthorne déplore le manque de matière romanesque disponible dans un Nouveau Monde ne possédant pas de passé profond où puiser des récits [39] , ses œuvres majeures, publiées à Boston, empruntent ostensiblement la voie du romance. Ce sont The Scarlet Letter: A Romance (1850, La Lettre écarlate) ; The House of the Seven Gables: A Romance (1851, La Maison aux sept pignons) ; The Blithedale Romance (1852, Valjoie) ; The Marble Faun: Or, The Romance of Monte Beni [40] (1860, Le Faune de marbre). La déclaration d’identité générique, réitérée dans chaque titre, constitue un programme de création et une bravade envers la littérature européenne, laquelle, en 1850, a fait le choix du réalisme. Les préfaces de Hawthorne affirment que, par opposition au novel, contraint par le vraisemblable, le romance donne à l’auteur toutes les libertés [41] . Le romance, pourrait-on dire, devient l’équivalent générique du Land of Freedom. Rendre vigueur et complexité à ce genre méprisé, prêt à tomber en désuétude en Angleterre, c’est en quelque sorte déclarer l’indépendance littéraire de l’ancienne colonie [42] . L’enjeu est d’autant plus crucial que l’Angleterre et les États-Unis partagent une même langue : ce sera notamment par l’usage des genres que pourra s’opérer la distinction entre ces deux territoires de création. Le narrateur de La Lettre écarlate n’a plus besoin de traduire le « manuscrit trouvé » (contrairement aux narrateurs-éditeurs de Don Quichotte, du Château d’Otrante, de La Nuit anglaise, d’Ivanhoé et de tant d’autres œuvres) mais en revanche il doit broder dessus pour en faire un romance. Son refus du novel manifeste le désir d’un nouveau type de fiction, suscitant des modes de lecture adaptés à l’immense territoire inconnu qu’il faut défricher. En choisissant la voie du romance, c’est-à-dire de ce que Northrop Frye considère comme une forme archaïque de la fiction [43] , les États-Unis entreprennent de refonder leur littérature à partir des origines.
Le prologue de La Lettre écarlate souligne que ce romance est conçu sur un rivage et une lisière, là où commencent un océan – route de l’Europe et des Indes – et un pays. Le texte pourra circuler dans les deux sens, et se faire pleinement américain, à mesure que les pionniers font reculer la frontière à l’intérieur du territoire encore en construction des États-Unis. D’après Henry James, qui a consacré à Hawthorne, en 1879, un ouvrage critique majeur, le romance pourra aussi retourner vers l’Europe :
Something might at last be sent to Europe as exquisite in quality as anything that had been received, and the best of it was that the thing was absolutely American; it belonged to the soil, to the air; it came out of the very heart of New England.
Enfin il devenait possible d’expédier à l’Europe un ouvrage de qualité aussi exquise que tout ce que l’ancien continent avait envoyé, et, pour couronner le tout, l’ouvrage en question était absolument américain ; il appartenait au sol, à l’air, il était issu du cœur même de la Nouvelle-Angleterre [44] .
Dans ce prologue, qui forme une esquisse autobiographique, Hawthorne brosse avec humour un portrait de lui-même en inspecteur des douanes, fonction qu’il exerça bel et bien à Salem de 1846 à 1848 [45] . Voilà qui déconcertera le lecteur du XXIe siècle, habitué à considérer l’écrivain comme un contrebandier. Et si le prologue rappelle soigneusement que Chaucer et Robert Burns furent eux aussi douaniers [46] , il faut tout de même que Hawthorne le fonctionnaire soit renvoyé pour pouvoir redevenir auteur. Il convient pourtant de méditer les propositions d’un texte qui voit explicitement dans l’officier du bureau des douanes une figure alternative à celle de l’écrivain :
No longer seeking nor caring that my name should be blazoned abroad on title-pages, I smiled to think that it had now another kind of vogue. The Custom-House marker imprinted it, with a stencil and black paint, on pepper-bags, and baskets of anatto, [...] and bales of all kinds [...], in testimony that these commodities had paid the impost, and gone regularly through the office.
Devenu indifférent à l’idée de voir la page titre des livres blasonner mon nom de par le monde, je souriais à l’idée qu’il connaissait aujourd’hui un autre genre de vogue. Le tampon de la Douane l’imprimait, au pochoir et à la peinture noire, sur les sacs de poivre, les paniers de rocou [...] et les ballots de toutes sortes [...], attestant que ces denrées avaient payé la taxe, et qu’elles étaient dûment passées par le bureau [47] .
Le livre, sur le modèle des paniers de rocou (c’est-à-dire de teinture écarlate, annonçant la couleur de l’œuvre), doit circuler de par le monde, traversant les frontières et les douanes de l’esprit. L’œuvre complet de Hawthorne condamne l’inertie et la permanence ; l’auteur ne pourrait concevoir d’immobilité pour les livres dans lesquels s’incarnent les genres. Quel lien le prologue dessine-t-il alors en creux entre la douane et l’invention du romance ? « Douane » se dit en anglais « custom-house », littéralement la « maison des coutumes, usages et traditions ». Le prologue ancre la naissance du texte dans la custom-house, la maison des traditions européennes, autrefois propriété de la couronne britannique, mais enjoint aussi de sortir de cette demeure pour se mettre en mouvement, en quête d’un ailleurs indéfini et instable (somewhere else [48] ).
Hawthorne emprunte directement à la branche gothique du romance anglais ses motifs constitutifs, comme la faute familiale transmise de génération en génération et la demeure ancestrale hantée de fantômes (La Maison aux sept pignons). Ces transferts ne font que mieux ressortir sa tentative pour inventer une matière autochtone dans ses trois premiers romances. Ainsi The Blithedale Romance se déroule dans une communauté fouriériste, Hawthorne s’inspirant de ce qu’il considère comme l’épisode le plus « romanesque » [romantic] de sa propre existence [49] , les fondateurs d’utopie vivant en toute liberté dans le pays de leur imagination. En revanche, l’intrigue du Faune de marbre, œuvre rédigée en Angleterre, retourne en Europe, aux sources mêmes du genre. Comme dans les œuvres d’Ann Radcliffe, l’action se déroule en l’Italie, parmi les moines criminels [50] . Néanmoins, si au moment du dénouement, les œuvres de Radcliffe s’astreignent à élucider un à un leurs propres mystères, Le Faune de marbre écarte ostensiblement ce procédé. L’ultime chapitre refuse toute explication et obscurcit les énigmes. Hawthorne tend au lecteur une œuvre impénétrable, destinée à le laisser perplexe. Le romance a cessé d’être synonyme d’aventures en cascade. Les événements les plus romanesques du Faune de Marbre, comme les enlèvements, s’accomplissent dorénavant dans les interstices de la narration et les blancs de l’œuvre. Chez Hawthorne, le genre du romance, loin de sempiternellement répéter les formules narratives dont se gaussait Bellin, constitue un espace en formation, ouvert à de nouveaux possibles.
Dans un essai de 1992, Playing in the Dark, Toni Morrison se demande explicitement pourquoi la jeune Amérique du XIXe siècle a eu si souvent recours au romance, genre inventé dans une Europe que l’on avait cherché à fuir [51] ? Elle ne répond pas pour sa part qu’il s’agit de concurrencer l’Europe par le genre que cette dernière a méprisé. Selon Morrison, le romance, qui permet de se retirer momentanément du réel pour laisser à l’esprit la latitude d’explorer certains problèmes, offre aux Américains la possibilité de partir, par l’imagination, à la conquête de ses propres peurs : peur de l’absence de civilisation, d’une nature débridée dépourvue de limites, de la solitude, des agressions venant du dehors comme du dedans, en bref, peur devant tout ce qui se rapporte à une liberté pourtant tant convoitée. Le romance, pour ainsi dire impossible dans un pays trop neuf, devient aussi le genre le plus nécessaire à ce pays.
Alors même qu’il affirme que sa jeune nation souffre d’un défaut de passé, Hawthorne montre le revers de la fondation de l’Amérique, et interroge le lien du présent au passé, selon un trait à ses yeux constitutif du genre [52] . Morrison, répondant à la tradition fondée par Hawthorne, fait de même, notamment dans Beloved (1987) et dans A Mercy (Un Don, 2008). Ces romances historiques suivent la voie du réalisme magique pour peindre dans l’esclavage le versant refoulé de la fondation d’une prétendue terre de liberté. Ce faisant, ils illustrent les analyses de Northrop Frye, lequel affirme que le romanesque possède un potentiel subversif, par opposition au roman à prétention réaliste [53] . Ce dernier se montrerait conservateur en tentant de reproduire le monde tel qu’il est. Le romance, si longtemps minoré au regard du novel considéré comme plus sérieux, devient au contraire le genre capable de prendre efficacement en charge la représentation de l’horreur du crime contre l’humanité. Il se fait en effet outil pour poser des questions aux représentations nécessairement déformées du passé proche et lointain.
Du texte vers l’image : migration inattendue d’un historical romance
La propension du genre du romance américain à s’emparer de l’histoire afin d’en rectifier les récits est illustrée par une autre migration, s’effectuant cette fois depuis le texte vers les arts visuels. Le romance, genre si difficile à percevoir depuis la France, cherche dorénavant littéralement à se faire visible. Considérons Gone, An Historical Romance of a Civil War as It Occurred b’tween the Dusky Thighs of One Young Negress and Her Heart (papier, 396,2 x 1524 cm, 1994, MoMA de New York [54] ), œuvre de Kara Walker (née en 1969), ayant valu à la plasticienne américaine la reconnaissance internationale. La longue formule choisie par Walker parodie, comme le faisait déjà Bellin, les titres interminables du XVIIIe siècle. La charge porte néanmoins dorénavant contre Gone with the Wind de Margaret Mitchell (Autant en emporte le vent, 1936). À la manière d’un projectile ironique, le mot de romance fait voler en éclats les prétentions de Gone with the Wind à évoquer l’aventure exaltante et l’amour. Le romance de Walker se « fonde » bien « sur de la fiction » (comme le voulait All for Love en 1762), mais au sens où il remanie et attaque une œuvre ayant marqué l’imaginaire collectif, pour révéler que rien n’y est vrai. Gone rend en effet visible ce qu’occulte Gone with the Wind : la condition des esclaves noirs et l’insoutenable violence sexuelle subie par ces derniers. En d’autres termes, Walker transforme les ombres portées de Gone with the Wind pour en faire la matière d’une fresque complexe.
Bellin inventait quelque chose de l’ordre du découpage textuel en hachant menu la bibliothèque du romance gothique pour n’en laisser qu’un texte resserré fait des résidus de tous les autres récits [55] . De manière passablement inattendue, Walker emploie à son tour le découpage. Elle forme des silhouettes de papier, selon un passe-temps en vogue dans les salons aristocratiques au XVIIIe siècle [56] . L’opposition nette entre le noir et le blanc, constitutive de la société américaine au XIXe siècle, est transposée au contraste entre les silhouettes et leur fond. De manière troublante, elle s’estompe en revanche dans la représentation des personnages eux-mêmes, tous traités en papier sombre : seuls les contours de leurs costumes stéréotypés suggèrent encore qui est qui [57] .
La force de l’œuvre de Walker repose sur la dissociation drastique du médium et du représenté, mettant en conflagration le mineur et le majeur. La plasticienne donne à la technique modeste et peu pérenne de la « peinture à la silhouette » l’ample ambition et le très grand format de la peinture d’histoire, laquelle couronnait traditionnellement la hiérarchie des genres picturaux. « Historical Romance », annonce le titre de Gone qui tisse ainsi un lien ferme avec le Beloved de Toni Morrison. L’œuvre de Walker se métamorphose alors sous le regard qui la contemple. Tout d’abord, l’œil sans méfiance ne distingue guère que des formes gracieuses. Puis le médium désuet, que l’on croyait inoffensif, révèle soudain qu’il peut aussi servir à représenter des scènes de viol et de fellation forcée [58] . Le regardeur est pris par surprise et son malaise ne s’en fait que plus intense. Une esclave semble avorter en dansant, tandis que les petits cadavres, sans doute issus d’un viol, se fracassent sur le sol. Une autre, gisant à terre, laisse peut-être échapper un placenta prenant mystérieusement la forme d’un buste de Goethe [59] , cependant qu’un enfant brandit une volaille égorgée comme pour un rituel de sorcellerie. La technique de la silhouette, fondant ensemble les protagonistes, brouille la signification de ces différents groupes. Une forme à l’anatomie incompréhensible, et dont on ne sait si elle réunit un ou deux personnages, survole la scène, suggérant tout à la fois un autre viol, une possession maléfique et une déformation monstrueuse. Cet élément, plus encore que le reste, demande un travail d’interprétation, sans que rien ne guide avec certitude le regardeur déconcerté.
Gone de Kara Walker constitue un commentaire sur les possibles du genre du romance, lequel possède bel et bien des analogies avec l’art de la silhouette. Comme la silhouette, le romance ne peint pas directement le réel mais présente, dans une simplification suggestive, des personnages souvent dépourvus d’intériorité, se résumant à des contours. Ce faisant, il prétend d’abord donner à ce qu’il montre des formes clairement définies, tranchant nettement entre le bien et le mal. Il peut néanmoins constituer un théâtre d’ombres complexes, impalpables, indécidables [60] . Pour pouvoir inventer ses romances Hawthorne prétendait devoir se tenir dans « un territoire neutre situé quelque part entre le monde réel et le pays des fées, où l’Avéré et l’Imaginaire peuvent se rencontrer et s’imprégner chacun de la nature de l’autre » [a neutral territory, somewhere between the real world and fairy-land, where the Actual and the Imaginary may meet, and each imbue itself with the nature of the other61]. Cette formule demeurée célèbre désigne un lieu de l’entre-deux, indéfinissable, ne possédant que des caractéristiques négatives, l’indécidabilité et l’instabilité [61] . Le romance de papier découpé pratiqué par Walker se déploie dans un même territoire insituable, appartenant à la fois à l’Avéré et à l’Imaginaire [62] . Karen Walker est bien elle aussi une héritière de Hawthorne l’auteur de romances. L’un et l’autre sont des montreurs d’ombres et de fantômes.
Bibliographie
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GENETTE, Gérard, Figures V, Paris, Éditions du Seuil, 2010.
Notes
- [1]
Au début du XXe siècle, Joseph Conrad et Ford Madox Ford avaient intitulé avec humour leur fiction écrite à quatre mains Romance; A Novel (1903). On pourrait multiplier les exemples de titres ironiques, à l’instar de celui qu’invente Richard Brautigan : The Abortion: An Historical Romance 1966 (1971), traduit par L’Avortement : une histoire romanesque en 1966.
- [2]
Selon l’usage des études anglophones, le mot romance sera employé au masculin, pour le distinguer de la romance, qui renvoie d’une part à des genres poétiques et musicaux, et d’autre part à un genre dramatique illustré notamment par le théâtre tardif de Shakespeare. Le mot romance recouvre donc potentiellement plusieurs genres, qui se superposent les uns aux autres.
- [3]
Une épigraphe donnée par David Lodge à Small World: An Academic Romance (1984) cite la préface de The House of the Seven Gables (1851) où Hawthorne définit le genre du romance. L’épigraphe de Possession: A Romance (1990) d’A. S Byatt s’empare des mêmes lignes, qui font ainsi office de préface condensée et de mode d’emploi offert au lecteur pour lui apprendre à lire le livre.
- [4]
Sur l’absence dommageable de traduction exacte pour romance en français, voir Gérard Genette, Figures V, Paris, Éditions du Seuil, 2010, p. 110-111.
- [5]
Notons de surcroît que l’anglais dispose de deux verbes correspondant à ce genre : to romance et to romanticize (ou romanticise), c’est-à-dire « rendre semblable aux romances ».
- [6]
Voir l’usage par Hawthorne de « romantic », notamment dans The Blithedale Romance, dans Collected Novels, New York, The Library of America, 1983, p. 634 et p. 745. L’adjectif, opposé aux idées de « probabilité » et de « vérité », n’y renvoie pas au mouvement littéraire du romantisme mais au bien genre du romance. Néanmoins cet adjectif, qui souligne la qualité fictionnelle de certains « ornements et excroissances » [romantic ornaments and excrescences] selon une expression du Faune de marbre (The Marble Faun, dans ibid., p. 877), permet aussi à Hawthorne d’ouvrir un dialogue avec les auteurs romantiques européens auxquels il répond parfois, tels E.T.A Hoffmann et Tieck (explicitement cités, ibidem) ou Balzac.
- [7]
Pour un examen de la matière romanesque qui ne lie pas celle-ci au genre du romance, voir Gilles Declercq et Michel Murat (dir.), Le Romanesque, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2004.
- [8]
Irène Bessière, Le Récit fantastique : la poétique de l’incertain, Paris, Larousse, 1973, p. 11.
- [9]
Sur l’opposition entre novel et romance dans la littérature britannique, voir Baudoin Millet, « Novel et Romance : histoire d’un chassé-croisé générique », Cercles, n°16, vol. 2, 2006, p. 85-96. Dans ce paragraphe et le suivant, nous résumons les analyses de cet auteur.
- [10]
Dans Small World: An Academic Romance, David Lodge déplace ironiquement dans le monde universitaire les quêtes des romans de chevalerie. Un de ses personnages rédige une thèse de doctorat sur l’épaisseur de la notion de romance, et cherche une théorie qui parvienne à rendre compte aussi bien du poème de Spencer The Faerie Queen (1590) que des récits de Barbara Cartland.
- [11]
Sur l’usage de « probabilty » par Smollett, voir Baudoin Millet, art. cité, p. 93. Voir aussi les analyses sur la préface de Joseph Andrews de Fielding (1742) par le même Baudoin Millet dans « Ceci n’est pas un roman » : l’évolution du statut de la fiction en Angleterre de 1652 à 1754, Louvain, Peeters, 2007, p. 297.
- [12]
Tentant de définir le romance, Henry James compare l’expérience du réel à un aérostat, dont la nacelle serait reliée par une longue corde à la terre. L’auteur de romances couperait quant à lui cette corde, de sorte à libérer du « réel » (c’est-à-dire du réservoir des expériences directes du monde que nous possédons tous en commun) cet aérostat. Henry James, Préface à The American [1907], dans The Art of Criticism, Henry James on the Theory and the Practice of Fiction, Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 1986, p. 271-285.
- [13]
Honoré de Balzac, Le Père Goriot [1835], La Comédie humaine, t. II, éd. Marcel Bouteron, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, p. 848 : « Ah ! sachez-le : ce drame n’est ni une fiction, ni un roman. All is true ».
- [14]
Nathaniel Hawthorne, The Scarlet Letter, dans Collected Novels, op. cit., p. 149. Notre traduction. Les ornements brodés par Hawthorne font office d’enluminures (illuminations en anglais) sur la page s’illuminant [brightening] : la couleur noire, emblématique du romance gothique, se nuance infiniment.
- [15]
Edwin Abbott Abbott, Flatland: A Romance of Many Dimensions [1884], Princeton et Oxford, Princeton University Press, 1991, p. 103 puis p. V.
- [16]
Joyce Carol Oates, Bellefleur, New York, E. P. Dutton, 1980, p. xi. Traduction française : Bellefleur, roman, trad. Anne Rabinovitch, Stock, 1981, p. 11. Samuel Chase Coale consacre un chapitre à Oates dans In Hawthorne’s Shadow: American Romance from Melville to Mailer, Lexington, The University Press of Kentucky, 1985, p. 161-179.
- [17]
Honoré de Balzac, Luck and Leather; A Parisian Romance, Boston, Brainard & Company ; New York, M.Y. Beach, Sun office ; Philadelphia, G.B. Zeiber ; Bangor (Me.), David Bugbee, 1843.
- [18]
Balzac avait pour projet – finalement abandonné – de traduire Melmoth the Wanderer. Julian Hawthorne, fils de Nathaniel Hawthorne a relié les deux Melmoth (irlandais et français) dans les volumes II et III de son Library of the World’s Best Mystery and Detective Stories, New York, Review of Review Company, 1908.
- [19]
Il est l’auteur de Célestine, ou les époux sans l’être, Hambourg, 1798, réimprimé à Paris en 1800.
- [20]
Louis-François-Marie Bellin de la Liborlière, La Nuit anglaise [imprimé chez Charles Pougens, Paris, 1799], éd. Maurice Lévy, Toulouse, Anacharsis, 2006, p. 31.
- [21]
Ibid., p. 54.
- [22]
Ibid., p. 40.
- [23]
Ibid., p. 189.
- [24]
Horace Walpole, The Castle of Otranto [1764], Londres, Cassell and Company, 1886, p. 7. Traduction française : Le Château d’Otrante, trad. Dominique Corticchiato, Corti, coll. « Caractères gothiques », 1981, p. 147.
- [25]
Voir par exemple Bellin de la Liborlière, La Nuit anglaise, op. cit., p. 111, p. 130, p. 138, p. 169 et p. 189.
- [26]
Daniel Arasse, Le Détail : pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, Flammarion, 1992.
- [27]
Sur le rôle du détail dans l’étude du genre, voir Gérard Genette, Figures V, op. cit., p. 128.
- [28]
Voir par exemple Bellin de la Liborlière, La Nuit anglaise, op. cit., p. 52, p. 82, p. 90, p. 102, p. 111, p. 132, p. 177, p. 189 et p. 194.
- [29]
L’œuvre est publiée à Londres, chez T. and J. Allman, C. Rice et chez Baldwin, Cradock and Joy en 1817.
- [30]
L’œuvre est publiée à Philadelphie chez Carey and Son en 1817.
- [31]
Áron Kibédi Varga, « Le roman est un anti-roman », dans Littérature, n°48, 1982, p. 3-20.
- [32]
Bellin de la Liborlière, La Nuit anglaise, op. cit., p. 107.
- [33]
Nathaniel Hawthorne, The Scarlet Letter, op. cit., p. 340. Notre traduction.
- [34]
La notion de « territoire de l’interprétation », introduite par Sacvan Bercovitch dans The Office of The Scarlet Letter, Baltimore, John Hopkins University Press, 1991, p. 576-597, est reprise par Cécile Roudeau, « Hawthorne et ses sorties : lieu et écriture du lieu dans La Lettre écarlate et « Les Bureaux de la douane », dans Bruno Monfort (dir.), The Scarlet Letter, Paris, Éditions du Temps, 2005, p. 29.
- [35]
L’œuvre est publiée à New York, chez Doubleday & McClure co., en 1900. Cette migration générique est évoquée par Maurine Baudry, « Romance, novel et récit. Temps et événement dans Lord Jim », dans Carlo Umberto Arcuri et Christophe Reffait (dir.), Romance, Amiens, Encrage Université, coll. « Romanesque », 2011, p. 135-161.
- [36]
Voir notamment Henry James, De Grey: A Romance et A Romance of Certain Old Clothes, publiés en 1868 dans The Atlantic Monthly.
- [37]
Sur la scission générique, chronologique et géographique de l’œuvre de James, voir Annick Duperray, « Introduction » à Henry James, Nouvelles, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. LXI.
- [38]
Lettre de William James à son frère Henry, 19 janvier 1870, citée par F. O. Matthiessen, The James Family, New York, Alfred A. Knopf, 1948, p. 319. Traduction française par Annick Duperray dans Henry James, Nouvelles, t. I, op. cit., p. 1340.
- [39]
Nathaniel Hawthorne, Préface à The Marble Faun, op. cit., p. 855.
- [40]
L’œuvre fut simultanément publiée à Londres et à Leipzig sous un titre légèrement différent : Transformation: Or, The Romance of Monte Beni.
- [41]
Ainsi, dans la préface du Faune de marbre, Hawthorne s’arroge le droit d’user d’une « liberté jouissant d’une impunité absolue » [unwarrantable freedom], The Marble Faun, op. cit., p. 855.
- [42]
Sur ce choix voir aussi Michael Davitt Bell, « Romance and rational Orthodoxy » dans Susanne Manning et Andrew Taylor (dir.) Transatlantic Literary Studies, a Reader, Edimbourg, Edinburgh University Press, 2007, p. 249-255.
- [43]
Voir notamment Northrop Frye, Anatomie de la critique, trad. Guy Durand, Paris, Gallimard, 1969, p. 227.
- [44]
Henry James, Hawthorne [1879], dans Literary Criticism, Essays on Literature, American Writers, English Writers, Library of America, 1984, p. 143. Notre traduction.
- [45]
Hawthorne avait déjà travaillé dans le bureau des douanes de Boston, en 1836, au moment où la Nouvelle-Angleterre contrôlait la route des Indes. Herman Melville occupa quant à lui un poste à la douane de New York de 1866 à 1885.
- [46]
Nathaniel Hawthorne, The Scarlet Letter, op. cit., p. 141.
- [47]
Ibid., p. 142. Notre traduction. Certains critiques décèlent ici des allusions aux taxes douanières frappant les imprimés en 1849, créant une situation asymétrique entre Angleterre et États-Unis, et facilitant le piratage des œuvres américaines en Angleterre. Voir John Haydock, Melville’s Intervisionary Network, Clemson, Clemson University Press, 2016, p. 12 et p. 31.
- [48]
Nathaniel Hawthorne, The Scarlet Letter, op. cit., p. 128 et surtout p. 157.
- [49]
Nathaniel Hawthorne, Préface à The Blithedale Romance, op. cit., p. 634.
- [50]
En 1858, un séjour à Rome est pour Hawthorne occasion de parcourir consciemment le territoire originel du romance. Il compare l’hôtel marseillais où il est descendu aux châteaux labyrinthiques où « le lecteur erre à minuit, dans les romances de Mrs. Radcliffe » [the reader wanders at midnight, in Mrs. Radcliffe’s romances]. Nathaniel Hawthorne, The French and Italian Notebooks, The Centenary Edition of the Works of Nathaniel Hawthorne, t. XIV, éd. Thomas Woodson, Columbus, Ohio University Press, 1980, p. 36-37. Notre traduction.
- [51]
Toni Morrison, Playing in the Dark: Whiteness and the Literary Imagination, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1990, p. 36. Traduction française : Playing in the Dark, trad. Pierre Alien, Paris, Christian Bourgeois, p. 57-58.
- [52]
Voir Nathaniel Hawthorne, préface à The House of the Seven Gables, dans Collected Novels, op. cit., p. 352.
- [53]
Northrop Frye, The Secular Scripture: A Study of the Structure of Romance, Cambridge (Mass.), Havard University Press, 1976, p. 164.
- [54]
On trouvera ici une reproduction de cette œuvre, https://www.moma.org/collection/works/110565, consulté le 13 novembre 2017.
- [55]
L’œuvre de Max Ernst, Une semaine de bonté ou Les Sept Éléments capitaux (Paris, Jeanne Bucher, 1934), qui retravaille les illustrations des Damnées de Paris de Jules Mary (1884) pourrait être interprétée comme la migration ironique de certains stéréotypes du romance vers le médium du découpage et du collage.
- [56]
Voir Georges Vigarello, La Silhouette, du xviiie siècle à nos jours. Naissance d’un défi, Paris, Éditions du Seuil, 2012.
- [57]
Voir les interprétations de Rémi Astruc, « Kara Walker, mémoires de l’esclavage en noir et blanc », 13 janvier 2014, http://www.raison-publique.fr/article672.html, consulté le 18 février 2016.
- [58]
L’une des scènes les plus insoutenables de Beloved évoque les fellations infligées par leurs gardiens blancs à des esclaves fugitifs détenus dans une « ferme-prison ». Toni Morrison, Beloved, Londres, Vintage Books, 2004, p. 127.
- [59]
Kara Walker a déclaré : « Ce n’est pas une silhouette de Goethe. C’est Goethe maquillé en “nègre” » [It is not a silhouette of Goethe. It is Goethe in blackface], Fireside Chat, The Society for the Encouragement of the San Francisco of Museum of Modern Art, 1999, cité par Gwendolyne DuBois Shaw, Kara Walker, Seeing the Unspeakable, Duke University Press, 2010, p. 18-9.
- [60]
Plusieurs œuvres de Kara Walker prennent la forme d’un théâtre d’ombres animées. Ce médium trouve un de ses sources dans les propositions de The House of the Seven Gables de Hawthorne, op. cit., chap. XI, « The Arched Window », consacré à un spectacle de marionnettes.
- [61]
Nathaniel Hawthorne, The Scarlet Letter, op. cit., p. 149. Notre traduction.
- [62]
Cécile Roudeau, « Hawthorne et ses sorties », art. cité, p. 24.
- [63]
Pour un exemple de la nature ambiguë et instable des récits du romance, voir notamment Nathaniel Hawthorne, The House of the Seven Gables, op. cit., chap. XVIII, « Governor Pyncheon ». Le narrateur conte une histoire de fantômes en la présentant comme un jeu de sa fantaisie, une digression à ne pas prendre en compte dans la trame du récit, et qui pourtant annonce la mort de plusieurs personnages.
Pour citer cet article
Claire Gheerardyn, « Romance ? Migrations d’un genre invisible depuis la France (Angleterre, France, États-Unis, XIXe-XXIe siècles) », SFLGC, bibliothèque comparatiste, publié le .../.../2019, URL : https://sflgc.org/acte/gheerardyn-claire-romance-migrations-dun-genre-invisible-depuis-la-france-angleterre-france-etats-unis-xixe-xxie-siecles/, page consultée le 30 Octobre 2024.
Biographie de l'auteur
GHEERARDYN Claire
Depuis 2016, Claire Gheerardyn est maître de conférences en littérature comparée à l’Université Toulouse – Jean Jaurès. Elle est l’auteur d’une thèse portant sur la manière dont la littérature européenne, russe et américaine s’approprie les monuments (XIXe-XXIe siècles). C’est dans le cadre de ses travaux sur les relations entre littérature et sculpture qu’elle est en venue à s’intéresser au Faune de marbre de Hawthorne, et de là à son œuvre complet et à la notion de romance. Ses autres travaux portent principalement sur les entrecroisements de la littérature avec les autres arts, et sur la notion d’intensité.