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Quatre grands poètes contemporains autour d'un sonnet : Ungaretti, Montale, Jouve et Bonnefoy traducteurs de Shakespeare

ARTICLE

Les sonnets de Shakespeare comptent parmi les oeuvres de poésie les plus lues, les plus commentées, mais aussi les plus traduites de la littérature occidentale : depuis plus de quatre cents ans ces sonnets, dont les conditions de publication et la dimension autobiographique restent mystérieuses, intriguent et fascinent les lecteurs. Un Shakespeare à la fois semblable et différent : différent car poète s’inscrivant dans la tradition européenne du sonnet, forme privilégiée de la poésie amoureuse et pourtant semblable car la langue, le style, le vers même sont familiers à qui connait son théâtre et c’est bien l’auteur d’Othello ou de Macbeth que le lecteur perçoit dans ces sonnets. Traduire les Sonnets de Shakespeare relève donc d’un double défi : « Traduire la poésie est une besogne ardue […]. Traduire Shakespeare, en général, est d'une difficulté supplémentaire, […]. Mais traduire les sonnets de Shakespeare ! Voilà qui touche à l'absurde. » [1] Il faut pourtant croire que cette entreprise absurde a tenté plus d'un traducteur mais surtout plus d’un poète, car nombre de ces traductions sont signées par des poètes confirmés.

En France, Pierre-Jean Jouve et Yves Bonnefoy, en Italie Giuseppe Ungaretti et Eugenio Montale, poètes reconnus dans leur pays et au-delà des frontières trop étroites de celui-ci, ont consacré une part de leur travail littéraire à la traduction : de manière ponctuelle ou systématique, chacun a proposé une traduction des Sonnets de Shakespeare. Loin de relever de la simple coïncidence, ce fait est le signe tangible qu’il existe entre ces quatre poètes des « affinités électives », des passerelles qui, au-delà des différences, relient leurs univers, tissent des liens entre leur conception et leur pratique singulières de la poésie. Le sonnet 33, seul à avoir été traduit par les quatre poètes, servira de support à une étude sur la traduction comme acte poétique, et ses enjeux. Il s’agira d’interroger la transmission d’une oeuvre dont l’écriture est inscrite dans un temps et dans un espace donnés mais aussi dans une forme poétique fixe. Comment traduire le sonnet shakespearien, comment le donner à lire-voir-entendre à un lecteur italien, à un lecteur français d’aujourd’hui ?

Traduire en vers ou traduire en prose : telle est la question première à laquelle est confronté tout traducteur de poésie, et qui prend, quand le texte relève d’une forme codifiée de la tradition littéraire d'un pays, une acuité particulière. Nous voudrions montrer que ce premier choix est déterminant, car de lui dépendent les autres principes, les autres solutions que le traducteur va adopter, et qui, selon la terminologie de Berman, en constituent le « projet ». Parce que ce choix initial est différent pour chacun, il nous permettra de cerner le projet de traduction de chacun, de restituer le cheminement parcouru et de mieux comprendre comment, partis d'un même original, les poètes-traducteurs arrivent à des résultats totalement différents. Enfin ce choix ne saurait être compris indépendamment d’une « position traductive » (Berman) intimement liée à leur conception de la poésie et à leur poétique.

En composant ses Sonnets, Shakespeare poursuit une oeuvre de poète commencée avec Vénus et Adonis (1593) puis Le viol de Lucrèce (1594). Le recueil paraît, peut-être sans autorisation de l'auteur en 1609 : le sonnet est alors de mode en Angleterre, après l’avoir été en Italie et en France au siècle précédent. Les Sonnets s'inscrivent donc dans une tradition tout en la remettant en question car ces poèmes d’amour s’adressent… à un jeune homme. Le sonnet shakespearien, en pentamètre iambique, est particulier : trois quatrains aux rimes alternées et un distique final, à la façon d’une « pointe ».

Jouve est le seul à faire le choix de la prose. Sa traduction (1955) sera, deux décennies durant, le texte par lequel la majorité des lecteurs français aborderont les Sonnets [2] . Jouve n’a pas beaucoup théorisé sa pratique de traducteur [3] . On note toutefois en ce sens l’expression « version française » et non « traduction », qui semble marquer la volonté d’effacement du traducteur devant son texte. Dans la préface aux Sonnets, Jouve aborde pourtant la question de sa traduction et du « projet » qui l’informe :

Notre travail dépendait donc d'un seul problème : comment faire passer le vers de Shakespeare, souvent monosyllabique et d'un mètre rigoureux, dans une organisation formelle suffisante ? Comment restituer, en un état de poème français, un extraordinaire ouvrage anglais, et son détail dialectique et lyrique ? Il n'était pas question de traduire en vers, de faire correspondre un vers syllabique français au maître anglais. Il fallait découvrir une forme française moins ambitieuse, mais aussi ouvragée qui fut organisée intérieurement. Notre traduction des Sonnets est en prose, et cette prose est scandée. [4]

Renonçant aux vers, Jouve conserve toutefois la structure du sonnet. Quatrains et distique correspondent aux paragraphes, la ponctuation découpe des unités : une unité syntaxique et sémantique pour l’ensemble des quatrains, divisés par une ponctuation semi-forte en trois sous-groupes, une autre pour le distique. On voit bien, pourtant, ce que la « prose poétique » de Jouve emprunte à la versification française : le troisième paragraphe est en cela emblématique. Si, comme y incite Jouve, on fait « quelques entorses aux règles traditionnelles […] dans la scansion (en particulier pour le « e » muet) » [5] , on peut y reconnaître quatre alexandrins aux rimes embrassées. Cette présence-absence de l’alexandrin comme de la rime caractérise l’ensemble de la traduction [6] . Traduction « poudre-aux-yeux » selon le jugement sévère de Meschonnic qui conclut cependant en 1999 : « Les sonnets de Shakespeare passent encore pour les mieux traduits dans la version en prose de Pierre Jean Jouve, de 1955. Qui est seulement moins pire que les autres ». [7]

Le choix de Montale [8] est, en apparence, diamétralement opposé à celui de Jouve : en effet, si Montale reproduit dans sa traduction la structure (trois quatrains/un distique) du sonnet shakespearien, chaque strophe correspondant également à une unité sémantique et syntaxique (que Montale souligne en concluant chacun par un point, ponctuation plus forte que celle de l’original), en revanche, au niveau du vers, il prend plaisir à briser cette unité par l'utilisation d’enjambements systématique dans les deux premiers quatrains, qui culmine avec l'enjambement du distique final. Il renforce ainsi l'oxymore du soleil s’enténébrant (« sole abbuiarsi ») et souligne à la rime l’opposition terrestre/céleste [9] sur laquelle l’entière traduction a insisté. Il respecte aussi le schéma original de rimes : alternées (quatrains), suivies (distique) ; toutefois seuls les v. 1 et 3 sont unis par une rime conforme au canon, les autres le sont par un jeu de demi-rimes (voir les vers 2 et 4 : - ino/-ine) ou d’assonances (distique).

Conserver la structure du sonnet shakespearien affirme la volonté de l'inscrire dans la tradition poétique du pays d'origine, de ne pas le ramener à la tradition italienne du sonnet qui a tant marqué la poésie transalpine : ainsi, le lecteur italien ressentira le caractère étranger du poème.

Mais en ce qui concerne la métrique, Montale choisit de changer le pentamètre anglais en hendécasyllabe – « son correspondant le plus fonctionnel dans le cadre de la tradition littéraire [italienne] » [10] – qui fait alors figure d’équivalent culturel du vers anglais : l’adopter signifie ramener le poème traduit dans la tradition de la culture cible. Par ailleurs, la syllabe supplémentaire concédée au traducteur permet de réduire les différences inhérentes à la seule dimension linguistique : l’anglais riche en monosyllabes et termes syllabiquement brefs jouit d'une plus grande densité sémantique que l’italien ou le français ; le texte traduit est toujours plus long que l’original. Mais Montale opère aussi un travail important sur les mots, la formulation pour se rapprocher de la concision de l'anglais : ainsi le v. 9 est composé uniquement de termes mono- ou bisyllabiques (« Anch’io sul fare del giorno ebbi il mio sole »), tandis que sur l'ensemble du sonnet, on compte un seul mot de 5 syllabes et trois de 4 syllabes. La traduction conduit donc Montale à une exploration nouvelle, différente, de sa langue maternelle, « une lutte pour faire émerger de notre encombrant langage polysyllabique une dimension autre ». [11]

Cette prééminence accordée à la forme justifie – ou permet de le faire – les aménagements du contenu sémantique plus proprement dit. Montale, c’est immédiatement perceptible, vise à une concentration qui passe par la suppression, la fusion, le transfert. Elle s'affiche dès les deux premiers vers : l’adverbe de temps « spesso » traduit et concentre « full many a glorious morning », tandis que les deux syntagmes « a glorious morning »/« sovereign eye » fusionnent dans le second vers en un unique adverbe (« sovranamente »), renforçant le sens de « splendere ». Au niveau syntaxique, le texte montalien rattache le « vidi » (je vis) à tous les autres verbes des propositions infinitives complément d’objet : « vidi splendere […] baciar […] accendere […] alzarsi […] celare », là où Shakespeare joue sur l’alternance infinitifs/participes présents.

Ainsi le procédé agrège les deux premiers quatrains, mettant au centre du texte le poète-narrateur et le spectacle qu’il perçoit. Au niveau sémantique, la métaphore de Shakespeare est également simplifiée par la réduction des éléments anthropomorphisés au profit du seul soleil : du « matin » qui regarde d’ « un oeil souverain », on passe à l’ « oeil du matin », claire métaphore que Montale explicite, au v. 8, par « astre », réservant, comme Shakespeare, « soleil » au troisième quatrain. Et encore le placement à la rime met-il le mot en exergue. Le sonnet 33, devenu plus « solaire », se rapproche ainsi de l’univers poétique de Montale, de son poème le plus connu, Meriggiare pallido e assorto : même soleil là aussi plus méditerranéen que celui de Shakespeare, même succession de verbes à l’infinitif.

Durant cette période troublée de guerre et d’après-guerre, Ungaretti aussi s’intéresse aux Sonnets [12] : il en traduit, en plusieurs étapes, quarante. Son projet de traduction est encore différent ; le choix, en terme de métrique, s’impose à lui comme une révélation alors qu'il peine sur les traductions :

Tout à coup je me suis rendu compte que, s'il n'était pas présomptueux de s'obstiner à faire passer d’une langue à l'autre avec une certaine précision un contenu poétique, il était absurde de ne pas laisser chacune de ces langue, si dissemblables, suivre chacune son propre vers […]. [13]

Cette solution, qui ne l’a même pas effleuré pour Góngora – car espagnol et italien sont des langues très proches – lui paraît pour l'anglais une nécessité absolue.

Ungaretti reproduit la forme du sonnet original, respecte les correspondances sémantico-syntaxiques établies par Shakespeare. En revanche il s’écarte du modèle fixe original pour les vers et les rimes. Il renonce à la rime au profit d’un jeu d’assonances et d’allitérations, d’un rythme du vers. En effet, le jeu des accentuations toniques propre à l’italien donne un phrasé rythmique et phonique qui le rapproche du chant, notion chère à Ungaretti : pour lui, le poète doit faire chanter la langue, et la rime ne s'impose donc pas en italien pour donner une cadence, contrairement au français comme il le note à propos de la traduction en vers de Garnier (1927) [14] . Quant au mètre, il connaît des variations importantes, et la disposition du texte sur la page le donne d’emblée à voir. Peut-on pour autant parler de vers libre ? Ungaretti s’y refuse et revendique, avec véhémence, la conformité de ses vers aux schémas métriques canoniques de la prosodie italienne. À propos du sonnet 33, il répond ainsi aux reproches du critique N. Orsini : « Je rappelle, entre parenthèses, que pour ce qui est de la métrique, mes vers sont des vers tout à fait réguliers de 9 et 7, ou 7 et 9 syllabes ou encore de 10 et 5 ou 5 et 10 syllabes » [15] . Les vers les plus longs résultent donc de la juxtaposition de vers brefs : ainsi peut-on lire, dans le premier quatrain, les combinaisons suivantes : v. 1 : 11 ; v. 2 : 7+7 ; v. 3 : 7+5 ; v. 4 : 9+7. Car Ungaretti explique : « Les vers de 9, 7, 11 ou 5 syllabes n’ayant jamais été des schémas pour moi, ils ne naissent jamais après que j’ai trouvé les paroles, mais ils naissent avec les paroles, dont ils animent naturellement le sens » [16] . L’hétérogénéité des mètres domine dans la composition interne comme dans la longueur totale de chaque vers : le sonnet 33 compte des vers de 11 à 21 syllabes. Cette longueur, importante pour la prosodie italienne, s’explique par la différence linguistique déjà notée : « il faut tenir compte que dans un même groupe de mots, la quantité de syllabes de l’italien est supérieure à celle de l’anglais dans un rapport d’environ 16 pour 10 ou 11 ». [17]

La décision d’abandonner la contrainte de la forme fixe du sonnet est pour Ungaretti une vraie libération. Dans sa préface, il revient sur sa difficulté à traduire les Sonnets : en 1931 ce n’est qu’un projet, il s’y essaie entre 1936 et 1942 en vain (« je revins des mois durant, sans avancer d’un pas, harceler ces pages »). Le déclic se produit en 1943, durant ces « semaines horribles » de l’Occupation où le poète est dans l’incapacité totale d’écrire le moindre vers [18] . La contrainte formelle abolie, « la difficulté se réso[ud] d’elle même » et il traduit avec une facilité qui le déconcerte lui-même [19] . Le guide alors le « respect du sens des mots » : il s’agit de rester au plus près de l’auteur pour nouer avec lui, à travers les textes, un « contact direct, secret [20] » en ce que, pour Ungaretti « une traduction est toujours le résultat d’un compromis entre deux esprits ». [21]

Affranchi des contraintes du mètre et de la rime, Ungaretti a plus de latitude pour faire passer ce que son travail analytique de traducteur lui fait percevoir comme caractéristique des Sonnets de Shakespeare. Car si les sonnets sont chez Shakespeare comme chez Pétrarque « cri de la passion amoureuse », ce cri n’en est pas moins très différent : « le cri de la passion amoureuse pas moins absolu chez Shakespeare que chez Pétrarque, le cri, chez Pétrarque presque silence, émis sans témoin, le cri chez Shakespeare, plein d’échos de peuple, hurlement ». [22] Ungaretti, qui voit dans les Sonnets « un concentré de son théâtre » [23] , a voulu rendre cette vitalité débordante, qui passe par un foisonnement d’images comme par un vocabulaire très concret.

Ainsi, dans le sonnet 33, il traduit « basest clouds » par « vili nuvole » et « ugly rack » par « osceni fumi », accentuant le caractère trivial, méprisable des nuages, trait qui se retrouve dans la traduction littérale, loin de tout euphémisme, de « stain » par « macchiarsi » (se tacher, se souiller). Pour Ungaretti, la vision et, partant, le poème de Shakespeare s’articule sur l’opposition radicale monde terrestre vs monde céleste : ce qui justifie également la traduction de « region cloud » par « umano clima » :

Au v. 12 du sonnet 33, j'ai traduit région par « de notre milieu » […]. Il m'a semblé que le vers n'avait pas de sens si l'on ne donnait au mot « région » une valeur analogue à celle habituellement utilisée de « portion de territoire localement circonscrit », et qu'il s'agissait là d'une de ces symétries d'images, fréquentes dans l'imaginaire shakespearien : « soleil du ciel », « nuage du ciel » en relation avec « soleil terrestre », « nuages terrestres, de milieu humain, de climat humain ». [24]

Cette opposition amène également « universo orbato » (v. 7) où l’adjectif contient à lui seul l’essence du poème revisité par Ungaretti [25] : orbato signifie « privé de, orphelin de » mais rappelle aussi orbo (« privé de la vue, aveugle ») et, par paronomase orbita, l’orbite vide du ciel privé de son œil-soleil. Raisonnement qui donne sens au « disgrazia » du vers suivant, quant à première vue on peut penser à une transposition erronée de l’anglais « disgrace ».

Le choix de la forme aussi participe de cette restitution du « cri » : un poème loin des canons établis qui déstabilise le lecteur, un sonnet où l’hétérogénéité des vers – diversité des mètres, absence de rime – procure la sensation de « déséquilibre explosif » propre aux Sonnets. [26]

En 1994, Bonnefoy traduit Vingt quatre sonnets de Shakespeare. Dans la préface, il théorise sa position de poète et de traducteur [27] . Le projet de traduction exposé est très proche de celui d’Ungaretti, comme le confirme l'édition trilingue de 1999 [28] où, à côté de l’original figurent la traduction d’Ungaretti et celle, inédite, de Bonnefoy – qui a complété la sélection des poèmes traduits « pour être en adéquation avec celle d’Ungaretti ». Dans la préface de 1994, Bonnefoy argumente ses choix traductifs. Comme Ungaretti, il refuse le mètre et la rime mais aussi le nombre de 14 vers, propre au sonnet élisabéthain dont il « estime licite de ne retenir que ce que cette structure a de facilement préservable et qui d'ailleurs peut suffire à l'évoquer : sa découpe en quatre strophes l'une, la dernière, plus brève quand il s'agit de Shakespeare. Quatre strophes, mais je ne me soucierai absolument pas du nombre des vers dans chaque. » Exit, donc, « ce carcan des quatorze vers, des huit (sic) rimes, du nombre fixe des pieds ». [29]

En 1994, puisque l’« on ne traduit bien que son proche », Bonnefoy voit en Shakespeare un frère en poésie, à l’instar de Yeats (« je n’ai pas essayé de rendre en français la rythmique si singulière de Yeats, et je ne songe pas davantage à calquer […] la musique verbale du poète élisabéthain »). Ses choix répondent à l’unique exigence de fidélité à la « poésie véritable ». Il conclut : « Je me dis […] que l’on peut donc perdre beaucoup de la rhétorique, si reste par ailleurs un peu de la poésie ». Bonnefoy continue à écrire sur la traduction des Sonnets : en 2000 [30] , en 2006 [31] et finalement en 2007 [32] : autant d’étapes menant au renversement complet de sa perception des Sonnets et au « reniement » de ses traductions précédentes.

En 2000, Bonnefoy contredit les propos de 1994, affirmant : « Je n'ai pas entrepris […] de traduire les Sonnets comme, par exemple, je l’ai fait pour les poèmes de Yeats motivé simplement par mon souci poétique ». Il le fait pour deux autres raisons. D’abord, « une curiosité » : par la traduction du théâtre il s’est fait « une certaine idée de Shakespeare » qu’il ne « retrouve pas dans les Sonnets », au point que si on lui disait « que l’auteur des sonnets est quelqu’un d’autre […] [il] n’en serai[t] pas étonné » [33] . La seconde est son insatisfaction vis-à-vis des traductions publiées, en prose, en vers et même en vers libres en ce qu’elles sont « juxtalinéaires » et il conclut sur la nécessité déjà affirmée en 1994 de traduire en vers libre et sans « se limiter à 14 vers ».

En 2006, le poète se fait plus critique : dans les Sonnets, à la différence des deux premiers recueils, on n’entendrait plus la « voix de Shakespeare », étouffée sous la « pléthore de lieux communs qui sont souvent de la banalité la plus éhontée ». Or ces derniers « se situent en deçà de toute situation où ils seraient observés, critiqués, voire moqués, on ne peut donc que les estimer tout à fait assumés par celui qui tient ce discours où ils se succèdent. Ils ne sont pas l’objet d’une réflexion mais son instrument ». [34]

Bouleversement : de « poésie véritable » (1994), les Sonnets deviennent en 2006 « de l’art et non de la poésie », « beaucoup d’habile rhétorique dans le discours et une musique souvent exquise dans les vers ». Bonnefoy interroge l’incompréhensible paradoxe : « pourquoi celui qui devient si grand poète au théâtre se préfère, dans ces sonnets, simple artiste ? ». Il émet l’hypothèse que « Shakespeare est entré dans l’espace du sonnet non pour sauver celui-ci, pour le rendre à la poésie, mais pour méditer la structure de l’être au monde social, victime de valeurs et de représentations dogmatisées, sclérosées » [35] . Cette supposition sera reprise et étayée plus solidement encore en 2007 où il oppose « un Je de surface, responsable de la plupart des pensées explicites dans ces poèmes, stéréotypes de l'intellectuel ou du sentiment, à quelqu'un qui serait actif dans leur profondeur, celui-ci cette fois plus intimement Shakespeare lui-même, attentif à ce qui demande à prendre forme sous sa plume de sonnettiste occasionnel et y percevant une dialectique qui lui laisse entrevoir ce qu'est la vraie poésie ». Par ce « dédoublement de soi portant jugement sur la poésie » [36] , Shakespeare a expérimenté le danger que le poème fait courir à la poésie, renonçant définitivement à écrire de la poésie en tant que poète, c’est-à-dire en dehors de son théâtre.

Cette perception nouvelle amène le traducteur à revenir sur ses positions : il se conformera à la forme du sonnet, au sens strict de ses 14 vers :

Ce qu'il faut donc employer, c’est un vers libre, mais au sein duquel l'instance formelle si agissante dans le texte des sonnets aura autant de droit et d'autorités que possible. […] J'ai fini par comprendre que ce n'était pas desserrer mais resserrer qu'il fallait, pour que les stéréotypes, les lieux communs ainsi plus fortement enchâssés paraissent avec la force et même l'éclat de l'image du monde qu’ils constituent. Je suis donc revenu aux quatorze vers et cela avec le désir de tendre ses cordes aussi intensément que possible, au prix de sacrifier, s'il le fallait de ce point de vue, certains détails de peu d'intérêt pour le sens. [37]

Nous avons ici retracé les étapes d’un cheminement qui conduit à une volte-face : parcours que le lecteur des premières traductions ne peut imaginer et que celui des dernières traductions peut difficilement reconstituer. Cet exemple montre bien comment le travail de traduction conduit à une lecture critique et à une interprétation forcément personnelle des textes. Le temps est un facteur déterminant : la lecture proposée en 2007 ne peut advenir qu’à un certain moment du parcours du poète Bonnefoy, et surtout de la réflexion du théoricien Bonnefoy. Il reste que la position traductive de 2007 pose question, car elle suppose que le lecteur épouse la position de Bonnefoy : qu’il voie dans les Sonnets une parodie de poésie, un poème qui n’est qu’artifice visant à dénoncer à travers les stéréotypes d’une forme poétique codifiée les stéréotypes régissant la société contemporaine. Il faut donc qu’il ait lu les quarante pages de préface, dans lesquelles Bonnefoy donne la « clef de lecture » de sa traduction.

Or si la démonstration peut, d’un point de vue argumentatif, emporter l’adhésion de celui qui la lit, il n’est pas sûr, et nous nous plaçons là du point de vue individuel de la sensibilité littéraire, qu’elle résiste à la lecture des textes. Dans cette traduction « nouvelle manière », Bonnefoy se conforme strictement à la structure du sonnet élisabéthain, qu’il rend même plus visible : chaque strophe a une autonomie syntaxique marquée par la ponctuation forte en fin de quatrain et ce « découpage » s’affiche aussi dans la disposition typographique. Si la structure se resserre, le vers ne s’allonge pas : 10, 11 ou 12 syllabes, avec une dominante des 10 et 12 syllabes « mètres du rythme de Bonnefoy » [38] . Le poète revendique, dans cette version encore, le refus du « juxtalinéaire » et s’ingénie, à l’intérieur des strophes, à brouiller les frontières de chaque vers par l’usage quasi systématique de l’enjambement (v. 1 à 6), ou encore par la diffraction de la phrase qui en rend certains fragments autonomes : ainsi l’exclamation initiale (« Que j'ai vu de glorieux matins ! ») défait-elle la savante construction de Shakespeare subordonnant au verbe voir infinitifs et gérondifs des sept vers suivants.

Exclamatif également, le « soit » en début de distique condense le v. 13 de Shakespeare et permet d’étirer la fin du poème, rendant plus sensible, en fin de vers, l’opposition entre « terrestres » et « du ciel » [39] . « Soit ! » est un ressort de traduction souvent utilisé par Bonnefoy pour initier les distiques des Sonnets mais ici il fait disparaître le mot « amour » introduisant ainsi un autre brouillage : de quoi le « soleil » est-il métaphore ? Ne pourrait-on penser qu’il symbolise, pour le poète parlant à la première personne, renommée, célébrité et « gloire », cette « splendeur » de l’artiste parvenu au « firmament » ? En anglais, l’interprétation de la métaphore est suggérée aussi par la paronomase « my sun »/ « my son », le traducteur français ne pouvant la restituer, la présence du terme « amour » apparaît, en conséquence, tout à fait indispensable.

Ce brouillage de la métaphore peut être relié à celui des images des premiers quatrains : Bonnefoy, comme Shakespeare, n’utilise le terme « soleil » qu’au troisième, mais dans le sonnet de Shakespeare « sovereign eye » et « golden face » sont d’une interprétation immédiate, quand Bonnefoy multiplie les pluriels (« de glorieux matins » « des yeux ») changeant le mot face (certes polysémique en anglais) en « lèvres ». « Sa lumineuse face » apparaît au vers 5 et l’image ainsi suggérée du soleil explique le passage, grammaticalement incohérent, du pluriel au singulier. Ces modifications de sens importantes ne sauraient être justifiées par le respect de la forme.

Ce parcours forcément trop rapide à travers les traductions de quatre poètes-traducteurs choisis non seulement parce qu’ils sont des poètes reconnus mais aussi parce qu’ils illustrent quatre projets de traduction différents a voulu montrer combien il est nécessaire de penser la traduction en lien avec la création poétique. Pour un poète, traduire un autre poète c’est d’abord traduire un auteur que l'on sent proche de soi-même et de son propre univers poétique en dépit des différences de temps, de culture, de langue. Mais traduire c’est aussi faire oeuvre poétique à part entière, différemment mais tout aussi pleinement. Et chacun le revendique à sa manière : Bonnefoy en posant sa traduction comme lecture, Jouve en évacuant le terme même de traduction, Ungaretti en consacrant une part très importante de son invention poétique à la traduction, Montale en arrêtant de composer pour traduire et redynamiser l’inspiration poétique. Et puisqu’ils incluent leurs traductions, au même titre que leurs textes, dans leurs œuvres complètes, l’expression d’Ungaretti se vérifie pleinement : chacun d’entre eux fait par la traduction « oeuvre originale de poésie ». [40]

 

 

Sources

 

Shakespeare, Sonnet 33

 

Full many a glorious morning have I seen

Flatter the mountain tops with sovereign eye,

Kissing with golden face the meadows green,

Gilding pale streams with heavenly alchemy;

Anon permit the basest clouds to ride

With ugly rack on his celestial face,

And from the forlorn world his visage hide,

Stealing unseen to west with this disgrace :

Even so my sun one early morn did shine,

With all triumphant splendour on my brow;

But, out! alack ! he was but one hour mine,

The region cloud hath mask’d him from me now.

Yet him for this my love no whit disdaineth :

Suns of the world may stain when heaven’s sun staineth.

 

 

Traduction de Pierre Jean Jouve

 

(Shakespeare’s Sonnets, © Mercure de France, 1969, version française de Pierre Jean Jouve)

 

Combien de fois ai-je vu le glorieux matin flatter le haut de la montagne d'un oeil souverain, baisant de sa vermeille face les vertes prairies, dorant les pâles eaux par divine alchimie ;

 

Permettre ensuite aux vils nuages de passer, en affreuse traînée sur sa céleste face, et puis cacher son visage au monde abandonné, glissant non vu avec sa honte vers l'ouest ;

 

Ainsi mon soleil de bonne heure a brillé, sur mon front, en toute triomphale splendeur, mais loin hélas, lui qui ne fut à moi qu'une heure, la région de nuage l’a maintenant masqué.

 

Et pour cela pourtant amour ne le dédaigne : soleil du monde peuvent ternir si le soleil du ciel ternit.

 

 

Traduction d’Eugenio Montale

 

(Quaderno di traduzione, ©Milan, Mondadori, 1948)

 

Spesso, a lusingar vette, vidi splendere

sovranamente l'occhio del mattino,

e baciar d'oro verdi prati, accendere

pallidi rivi d'alchimìe divine.

Poi vili fumi alzarsi, intorbidata

d’un tratto quella celestiale fronte,

e fuggendo a occidente il desolato

mondo, l’astro celare il viso e l’onta.

Anch’io sul far del giorno ebbi il mio sole

e il suo trionfo mi brillò sul ciglio :

ma, ahimè, poté restarvi un’ora sola,

rapito dalle nubi in cui s’impiglia.

Pur non ne ho sdegno: bene può un terrestre

sole abbuiarsi, se è così il celeste.

 

 

Traduction de Giuseppe Ungeretti

 

(Quaranta sonetti di Shakespeare, ©Milan, Mondadori, 1946)

 

Ho veduto più d’un mattino in gloria

Con lo sguardo sovrano le vette lusingare,

Baciare d'aureo viso i verdi prati,

Con alchimia di paradiso tingere i rivi pallidi,

 

E poi a vili nuvole permettere

Di fluttuargli sul celestiale volto

Con osceni fumi sottraendolo all'universo orbato

Mentre verso ponente non visto scompariva,

[con la sua disgrazia.

 

Uguale l’astro mio brillò di primo giorno

Trionfando splendido sulla mia fronte;

Ma, ah ! non fu mio che per un’ora sola,

E dell’umano clima nubi già l’hanno a me mascherato.

 

Non l’ha in disdegno tuttavia il mio amore :

Astri terreni possono macchiarsi se il sole del cielo si macchia.

 

 

Traduction d’Yves Bonnefoy

 

(Shakespeare, Les Sonnets, © Paris, Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », 2007)

 

Que j'ai vu de glorieux matins ! Ils caressaient

Des yeux toutes les cimes, pressant leurs lèvres

Sur les prairies dont l'eau encore grise

Se veinait de cet or : alchimie céleste!

 

Mais bientôt des nuages, vile matière, nuit,

Envahissaient sa face lumineuse,

Et lui se dérobait à ce triste monde,

Il s'enfuyait vers l'ouest, avec sa honte.

 

Semblablement mon soleil a brillé

Tôt, un matin. Sa splendeur m'éblouit.

Hélas, il ne fut mien que pour une heure,

Les nues du firmament me l'ont dérobé.

 

Soit ! Peuvent bien noircir les soleils terrestres,

Si déjà s'enténèbre celui du ciel.

Notes

  • [1]

    Pierre Jean Jouve (préf.), Shakespeare’s sonnets, version française de Pierre Jean Jouve, Mercure de France, 1969. p. 21.

  • [2]

    Pierre-Jean Jouve, Les Sonnets de Shakespeare, Paris, Editions du Sagittaire, 1955, puis Shakespeare’s sonnets, version française de Pierre Jean Jouve, op cit. La traduction est reprise par Gallimard qui la publie en 1975 dans la collection « Poésie », édition remplacée en 2007 par la traduction de Bonnefoy. Entre 1955 et 1970, aucune nouvelle traduction n’est publiée en France.

  • [3]

    Jouve a traduit une dizaine d’ouvrages intégrés à son OEuvre (Mercure de France, 1987) dont Shakespeare (Sonnets, Phénix et Colombe) mais aussi les Poèmes de Montale et ceux d’Ungaretti.

  • [4]

    Pierre Jean Jouve, op. cit., p. 21.

  • [5]

    Ibid.

  • [6]

    Patrick Hersant parle de « l’omniprésence de l’alexandrin dans cette prose poétique », voir « Shakespeare en miroir : Pierre-Jean Jouve », Epistémè, n°6, 2004, www.etudes-episteme.org.

  • [7]

    Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Verdier, 1999, p. 281, cité par P. Hersant, ibid.

  • [8]

    Montale a lui aussi mené une importante activité de traducteur, privilégiant romans et pièces de théâtre d’auteurs américains, anglais, espagnol – il voit dans la prose « le champ où peut germer la trouvaille poétique » (Intervista immaginaria, in Eugenio Montale Sulla poesia, Milan, Mondadori, 1976, p. 564. Sauf mention contraire, toutes les traductions de l’italien sont nôtres). De façon moins assidue mais tout aussi significative, il a traduit de grands poètes. Ces textes que Montale a appelé « les miettes du festin de ses traductions » ont été recueillis in Quaderno di traduzione, Meridiana, 1948. Désormais in Montale, Tutte le poesie, Mondadori, 1998. Y figurent trois sonnets shakespeariens (22, 33, 48), traduits avant 1948 (Sonnet XXXIII dans « Città », Rome, 7 décembre 1944, Sonnets XXII et XLVIII dans « L’Immagine » Rome, juin 1947, n° 2). Montale a aussi traduit quatre pièces de Shakespeare (publiées en 1949).

  • [9]

    Voir Maria Pia Musatti, « Montale traduttore: la mediazione della poesia », Strumenti Critici, 1980, vol. 14, n° 1, p. 132-33.

  • [10]

    Ibid, p. 131.

  • [11]

    Eugenio Montale, Sulla poesia, op. cit., p. 567.

  • [12]

    Voir XXII sonetti di Shakespeare, Rome, Documento, 1944 ; « Sei sonetti », Poesia, I, Janvier 1945 ; Quaranta sonetti di Shakespeare, Mondadori, 1946, repris in Shakespeare, Quaranta sonetti, trad. Y. Bonnefoy, trad. G. Ungaretti, ed. C. Ossola, Turin, Einaudi, 1999.

  • [13]

    Giuseppe Ungaretti (préf.), Quaranta sonetti di Shakespeare, op. cit., p. 11.

  • [14]

    « Il se peut que dans une langue qui, comme le français dispose uniquement de mots accentués sur la dernière syllabe et dont beaucoup, dans leur prononciation, sont monosyllabiques, la rime soit après tout, pour rendre sensible une cadence, l’expédient métrique le plus naturel », ibid., p. 22.

  • [15]

    Ibid., p. 35.

  • [16]

    Ungaretti, Vita di un uomo, Saggi e interviste, Mondadori, 1974, p. 573, cité par Isabel Violante Picon « Une oeuvre originale de poésie » Giuseppe Ungaretti traducteur, Presses de l’Université de Paris Sorbonne, 1998, p. 141. Le texte d’Ungaretti « Della metrica e del tradurre » est une réponse à la recension très critique de Pellizzi (La Fiera Letteraria, 3 oct. 1946.)

  • [17]

    G. Ungaretti, préface à Quaranta sonetti di Shakespeare, op. cit., p. 11.

  • [18]

    La traduction représente donc pour Ungaretti à ce moment-là de sa vie le seul moyen possible de continuer sa création poétique.

  • [19]

    Voir I. Violante Picon, op. cit., p. 137.

  • [20]

    G. Ungaretti, préface à Quaranta sonetti di Shakespeare, op. cit., p. 11-12.

  • [21]

    Ibid., p. 23.

  • [22]

    Ibid., p. 15.

  • [23]

    Ibid., p. 36.

  • [24]

    Ibid., p. 27.

  • [25]

    Nous suivons là l’analyse d’I. Violante Picon qui note : « L’‘universo orbato’ contient toute la Rome baroque et torturée que traverse le sujet lyrique et dramatique depuis Sentimento del Tempo à Il Dolore », op. cit., p. 39.

  • [26]

    G. Ungaretti, préface à Quaranta sonetti di Shakespeare, op. cit., p. 16.

  • [27]

    William Shakespeare, Vingt-quatre sonnets, Paris, Les Bibliophiles de France, 1994, puis Vingtquatre sonnets, trad. et postface Y. Bonnefoy, Thierry Bouchard, Yves Prié, 1995.

  • [28]

    Shakespeare, Quaranta sonetti, trad. Y. Bonnefoy, trad. G. Ungaretti, ed. C. Ossola, Turin, Einaudi, 1999.

  • [29]

    Y. Bonnefoy, Vingt-quatre sonnets, op. cit., p. 58-59. La référence ainsi libellée fait de Bonnefoy l’auteur des Sonnets !!!

  • [30]

    Y. Bonnefoy, « La traduction des sonnets de Shakespeare » dans Patricia Dorval (dir.), Shakespeare et la France, Montpellier, Université Paul Valéry, 2000, p. 47-62.

  • [31]

    Y. Bonnefoy, « Quelques propositions quant aux Sonnets de Shakespeare » dans Yves Peyré (dir.), Shakespeare poète, Société française Shakespeare, 2006. p. 13-38.

  • [32]

    Y. Bonnefoy, « Les sonnets de Shakespeare et la pensée de la poésie » dans Shakespeare, Les Sonnets, coll. « Poésie/Gallimard », 2007. p. 7-38

  • [33]

    Y. Bonnefoy, « La traduction des Sonnets de Shakespeare », op. cit., p. 55.

  • [34]

    Y. Bonnefoy, « Quelques propositions quant aux Sonnets de Shakespeare », op. cit., p. 27.

  • [35]

    Ibid, p. 30.

  • [36]

    Ibid, p. 29.

  • [37]

    Ibid., p. 37.

  • [38]

    Michael Edwards, « Yves Bonnefoy et les Sonnets de Shakespeare », Littérature 2008, n° 150, p. 117.

  • [39]

    Mais Bonnefoy ne joue pas sur la paronomase, la « presque rime » terrestres/céleste.

  • [40]

    Violante Picon place son étude des traductions d’Ungaretti sous le sceau de cette expression dont elle indique la source : Vita d’un uomo, Saggi e interventi, Milan, Mondadori, 1974. p. 739 : « La poésie est tellement individuelle et inimitable, qu’elle est intraduisible. […]. Pourquoi traduit-on alors, me demanderez-vous ? Pourquoi est-ce que moi-même je traduis ? Simplement pour faire une oeuvre originale de poésie. ».