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L’effet "simpatico" dans l’adaptation européenne du spectacle de l’humoriste québécois Stéphane Rousseau par Franck Dubosc

ARTICLE

La place qu’occupe dans la culture québécoise l’École nationale de l’humour de Montréal et les nombreux festivals d’humour qui y ont été organisés pendant des décennies montre l’attachement des Québécois à la discipline humoristique. Comment expliquer une telle hégémonie de l’humour sur la scène culturelle québécoise ? L’humour au Québec a suivi la même évolution que le divertissement aux États-Unis pour aboutir dans les années 1920 au vaudeville, destiné au grand public, et au burlesque, présent dans les bars de strip-tease (appelés « clubs de danseuses » au Québec) qui laissaient aux humoristes débutants l’occasion de faire leurs preuves [1] . Ouellette et Vien définissent le burlesque aujourd’hui comme « de la comédie physique mêlée de sarcasme et d’ironie » et le vaudeville comme «construit sur des situations précises» [2] .

Les origines de l’humour au Québec et les lieux sulfureux qui furent son berceau montrent le lien très fort qu’il entretient avec la culture populaire et expliquent également pourquoi il s’agit d’une des formes d’art les plus appréciées et reconnues par les Québécois. Les humoristes y sont nombreux et chaque année des talents émergent grâce à la promotion annuelle de l’École nationale de l’humour. Ouellette et Vien comparent l’humour québécois à un « hybride de [leur] héritage british mêlé au côté plus théâtral des Français, agrémenté d’une twist de religieux » [3] . Selon elles, « le côté théâtral francophone, avec ses rituels et ses particularités, tient de la religion catholique » et le « côté plus dépouillé » du stand-up américain viendrait de la religion protestante [4] .

Ouellette et Vien affirment que l’essor de l’humour ne s’est jamais tari depuis la création du festival « Juste pour Rire » et de l’École nationale de l’humour, allant même jusqu’à parler à l’heure actuelle d’« âge d’or de l’humour » [5] . Les tentatives d’exportation de la part des humoristes québécois furent nombreuses, notamment grâce aux collaborations franco-québécoises organisées par «Juste pour Rire», mais rares sont ceux qui se sont taillé une place durable dans le cœur des Européens.

 

L’exportation de l’humour québécois en Europe remonte au début des années 1990, lorsque l’humoriste Michel Courtemanche, célèbre pour son humour très visuel, fut l’un des premiers à jouer ses spectacles à travers l’Europe avec succès [6] . Au début des années 2000, ceux qui ont rencontré la plus large popularité sont Anthony Kavanagh et Stéphane Rousseau, qui, en plus de faire salle comble, ont multiplié les apparitions à la télévision et au cinéma. Leurs spectacles mêlant humour, chant, danse et performance ont rapidement conquis le public français, belge et suisse et ont fait l’objet de nombreuses tournées. Cette polyvalence et l’universalité des thèmes choisis (tels que les relations amoureuses et professionnelles) donnent un caractère international à ces spectacles et ont rendu leur exportation plus facile, même si une adaptation du vocabulaire et des références culturelles restait nécessaire.

 

Nous allons ici étudier l’exemple du spectacle de Stéphane Rousseau intitulé Stéphane Rousseau : One-man show en Europe et plus sobrement Rousseau au Québec. Après l’avoir présenté au Québec, l’humoriste commence une tournée en France au cours de laquelle le spectacle sera enregistré au Bataclan en décembre 2006. Ses apparitions dans plusieurs films français entre 2008 et 2009 ont renforcé sa notoriété en France et garanti au spectacle un franc succès qui lui a permis de multiplier les spectacles en Europe, avant de mettre en suspens sa carrière scénique en 2016 et de revenir au Québec. Ce spectacle n’est pas un stand-up tel que présenté à l’heure actuelle. Il existe, selon Ouellette et Vien, trois formes d’humour sur scène. Le stand-up tient de la « conversation, avec un rythme » [7] constitué « d’une prémisse (set-up) et d’une chute […] toutes les 4-5 phrases » [8] . Le monologue consiste à «raconter une histoire avec un début, un milieu et une fin» [9] . Enfin, le sketch s’apparente à une courte pièce de théâtre [10] . Ce spectacle de Stéphane Rousseau combine plusieurs de ces types. Il comporte des monologues sur certains passages de sa vie, des instants de stand-up qui s’appuient davantage sur l’humour d’observation et créent une connexion avec le public qui s’identifie à lui grâce aux situations exposées, et les sketchs qui mettent en scène des personnages fictifs, comme le séducteur Rico Chico, le chanteur anglophone de Las Vegas ou sa tante Mary.

Si les thèmes abordés sont universels (relations amoureuses, enfance, paternité et famille entre autres), il existe quelques références au Québec et à sa culture. Or, selon Ouellette et Vien, « le point pivot de l’humour est la notion de référence » [11] . Les référents culturels doivent donc être partagés par l’humoriste et son public afin de garantir le succès d’une blague, voire d’un numéro. Cependant, lorsqu’un humoriste s’adresse à un nouveau public cible qui ne partage pas la même culture ou la même variété linguistique, il doit soit rendre son humour plus international, soit remplacer les référents culturels utilisés dans le spectacle original par d’autres, liés à la culture cible.

Dans ce cas précis, l’adaptation a été réalisée par l’humoriste français Franck Dubosc. Leur humour très similaire, leurs nombreuses collaborations et leur image de séducteur dans leurs pays respectifs ont créé une complicité entre les deux artistes. Dubosc connaissait donc très bien l’humour de Rousseau au moment de l’adapter pour l’Europe. Notre objectif est de déterminer si cette affinité a pu se faire ressentir dans l’adaptation du spectacle.

L’effet simpatico

Qu’il s’agisse de traduction interlinguistique ou d’adaptation intralinguistique, le résultat variera en fonction du lien entre l’auteur original et le traducteur (ou adaptateur). La situation idéale se produit lorsque l’auteur et le traducteur appartiennent à la même époque et ont, comme le décrit Lawrence Venuti, une sensibilité commune [12] . Cela signifie que la traduction sera plus fidèle si le traducteur et l’auteur sont contemporains.

Pour décrire cette proximité entre les deux, Venuti utilise le mot italien simpatico, qui signifie comme en français « sympathique ». L’un des sens premiers du mot simpatia est « sentimento di attrazione o di adesione istintiva » [13] . Ce sens est donc plus spécifique que celui que nous connaissons du mot « sympathie », à savoir un « penchant naturel, spontané et chaleureux de quelqu’un vers une autre personne ». Le concept de simpatico implique une véritable connexion entre les univers artistiques des deux humoristes. Selon Venuti, « [t]he translator should not merely get along with the author, not merely find him likeable; they should also be an identity between them » [14] . La contemporanéité de Stéphane Rousseau et Franck Dubosc ainsi que la similarité de leur humour correspondent tout à fait à cette définition.

Cette notion de simpatico peut être très bénéfique et produire une traduction qui retranscrit précisément la pensée originale de l’auteur et donne l’illusion que le traducteur a suivi le même processus créatif que l’auteur [15] . Dans le cas de notre étude, cette illusion pourrait s’avérer exacte, car les deux humoristes doivent appliquer les mêmes procédés humoristiques dans le processus d’écriture de leurs spectacles respectifs. Pour montrer les manifestations du simpatico dans l’adaptation d’un spectacle humoristique, nous allons relever des extraits du spectacle présenté par Stéphane Rousseau en 2006 en France et les comparer à sa version québécoise.

Exemples de variations entre la version originale et l’adaptation
          1° Substitution d’un référent culturel par un équivalent dans la culture cible

Le premier exemple repose sur la figure humoristique de la comparaison, qui consiste à « comparer deux aspects en exagérant le ou les points qu’ont en commun deux éléments » [16] . La comparaison utilise souvent des référents culturels facilement reconnaissables en guise d’explication. Ils sont parfois très exagérés, comme c’est le cas ici. Dans la version québécoise, la comparaison fait référence à Aurore Gagnon, surnommée « Aurore, l’enfant martyre », née en 1909 à Sainte-Philomène-de-Fortierville et décédée en 1920 sous les coups de ses parents. Le procès de sa mère avait fait grand bruit et cette histoire a depuis été popularisée par des pièces de théâtre et des romans, le plus connu étant La petite Aurore d’Émile Asselin [17] . La référence à Aurore est ici un « culturème linguistique », c’est-à-dire l’utilisation d’un référent linguistique qui s’attache davantage à sa symbolique qu’à la réalité qu’il désigne [18] . Il était alors nécessaire de trouver en Europe un personnage, réel ou fictif, qui incarne ce que représente Aurore Gagnon au Québec. Le choix de Franck Dubosc s’est donc porté sur Cosette, personnage emblématique des Misérables de Victor Hugo, car elle incarne également une image de fillette maltraitée.

Version québécoise Version européenne
Thérapeute : Eh bien, chacun sa recette personnelle. Vous la trouverez, monsieur Rousseau. Mais dites-moi, pourquoi pensez-vous ne pas être heureux ? Vous avez eu une enfance heureuse ?

Rousseau : Comparativement à Aurore oui oui j’ai pas de…

Public : Rire +++

 

 

Stéphane Rousseau (2008)., Rousseau [DVD] Montréal, TVA films, 2008 (00:07:50-00:08:05)

Thérapeute : Eh bien, chacun sa recette personnelle. Vous la trouverez, monsieur Rousseau. Mais dites-moi, pourquoi pensez-vous ne pas être heureux ? Vous avez eu une enfance heureuse ?

Rousseau : Comparativement à Cosette oui j’ai pas de…

Public : Rire +

 

 

Stéphane Rousseau (2006), Stéphane Rousseau—One Man Show, Paris, Sony Music Vidéo, 2006.

(00:08:12-00:08:25)

          2° Adaptation des référents culturels avec modification du sens original

La notion de référent est un point essentiel de l’humour puisque ce dernier est « le point d’ancrage de la blague » [19] . Il doit être « connu — et reconnaissable — par tous » tant « en termes de proximité géographique […] ou de temps » [20] . Si certaines allusions peuvent être remplacées par des équivalents dans la culture cible, d’autres stratégies d’adaptation ont été adoptées dans ce spectacle.

Suppression du référent et remplacement de la figure humoristique par une forme universelle
Version québécoise

 

Version européenne
R : L’opération a bien été mais le médecin lui avait dit : « attention madame Paradis suite à l’anesthésie vous devez être au repos pendant au moins une semaine. » Mais elle, quand elle s’est réveillée [en aparté] je vous jure que c’est vrai, elle a décidé de laver son plancher de chambre d’hôpital. [ton de la confidence] C’est vrai qu’au Québec c’est préférable de le faire soi-même des fois mais..

P : ++ [applaudissements]

 

Stéphane Rousseau, 2008, op. cit. (01:30:41-01:31:02)

 

R : […] L’opération s’est bien déroulée mais après l’anesthésie le médecin lui avait bien dit : « attention madame Paradis suite à l’anesthésie vous devez rester inactive pendant une semaine. » Mais elle, elle était hyperactive. Quand elle s’est réveillée, elle a lavé son plancher de chambre d’hôpital. [Ton de la confidence] 90 ans elle avait. Sa sœur venait la voir elle avait envie que ce soit propre.

 

 

Stéphane Rousseau, 2006, op. cit., (01:34:33-01:34:51)

 

Lorsqu’il explique au public les suites de l’opération de sa tante Mary, Stéphane Rousseau en profite pour tacler les hôpitaux québécois, tristement connus pour leur insalubrité [21] . Cette figure humoristique est celle de la méchanceté gratuite, qui revient à « faire un gag sur une personnalité connue avec le seul but de la faire mal paraître » [22] . La personnalité est ici remplacée par une entité dont la mauvaise réputation est connue de tous les Québécois. Néanmoins, cette réputation des hôpitaux québécois est inconnue en Europe. C’est pour cette raison qu’il est parfois essentiel de s’éloigner de l’équivalence formelle au texte original pour suivre le principe de l’équivalence fonctionnelle qui permettra de rétablir l’objectif initial de ce texte qui est de faire rire le public. Selon Delia Chiaro, afin d’être traduisible, une blague doit être « restructurée », et s’il est nécessaire de traduire l’humour verbal, tout doit être mis en œuvre pour faire rire même si c’est au détriment de l’équivalence formelle [23] . C’est en effet l’approche la plus opportune lorsque l’effet humoristique est la priorité du texte à traduire et que, dans ce cas, la forme importe peu. La chute a donc été remplacée par une figure d’incompatibilité logique, qui a pour but de « mettre ensemble des choses qu’on n’associe pas naturellement, mais tout en respectant une certaine logique » [24] . Il semble en effet insensé qu’une patiente âgée nettoie elle-même sa chambre d’hôpital, mais cela paraît logique dans la mesure où elle reçoit de la visite. Le sens de la blague est complètement différent du sens original, mais l’équivalence fonctionnelle est respectée, car le rire du public est conservé par cette figure qui se rapproche de l’absurde, qui est un type d’humour universel.

« Exotisation »

Dans certains cas, nous pouvons observer que la version européenne introduit des référents culturels qui n’existent pas dans la version québécoise, tout en les expliquant au public. Cela a pour effet de donner une touche plus « exotique » au spectacle et rappeler au public les origines québécoises de Stéphane Rousseau afin que l’adaptation ne neutralise pas l’originalité de l’œuvre. Venuti relève un phénomène approchant dans la traduction de livres policiers étrangers et le qualifie de traduction « exotisante » (« exoticising »). Ce type de traduction souligne une différence culturelle en s’appuyant sur des références spécifiques à la culture étrangère [25] .

Version québécoise

 

Version européenne

 

R : Oui ? Allô ? [Ton étonné] ce soir ? Attends-moi un instant. [Il écarte le téléphone imaginaire de son oreille] Elle me dit que ce soir, elle a réservé une auberge sur le bord d’un lac pour les amoureux. Qu’est-ce que je fais ?

 

Stéphane Rousseau, 2008, op. cit. (01:00:10-01:00:20)

 

 

R : [s’éclaircit la voix] oui. Ce soir ? Attends-moi un instant. [Il écarte le téléphone imaginaire de son oreille] elle me dit que ce soir elle a réservé une auberge à North Hatley. North Hatley c’est dans les Cantons-de-l’Est, c’est une heure de Montréal dans l’Est cette fois-ci. Je vous fais visiter le Québec ce soir. Il y a plein de petites auberges qui surplombent un lac, c’est de toute beauté. Qu’est-ce que je fais ?

 

Stéphane Rousseau, 2006, op. cit. (01:06:46-01:07:05)

 Dans cet exemple, Rousseau décrit un lieu où il est invité à un rendez-vous galant. Dans la version québécoise, il reste neutre en désignant un « lac pour les amoureux ». Dans la version européenne, il le situe plus précisément à North Hatley, un village d’Estrie, région anciennement appelée Cantons-de-l’Est. Il choisit délibérément Montréal comme point de repère afin de permettre aux spectateurs qui connaissent déjà le Québec de se situer. Cette démarche n’a pas pour objectif d’améliorer la compréhension de l’œuvre originale, car il ne cherche pas d’équivalence sur le territoire européen. Elle permet simplement de donner une touche originalité à son texte, de mieux installer la narration et de faire voyager le public qui peut imaginer les lacs canadiens. De plus, elle permet de rendre invisible l’adaptation en conservant des références étrangères.

Adaptation des « sacres » québécois

L’une des particularités linguistiques qui rendent le français québécois si reconnaissable au sein de la francophonie est l’utilisation des « sacres », ces mots issus du champ sémantique religieux utilisés comme jurons. En effet, c’est pour se rebeller contre la « domination religieuse » exercée par les catholiques au Québec pendant un siècle à partir de 1860 que les Québécois se sont mis à utiliser ces « blasphèmes » [26] . Ils ont notamment été popularisés en France par des humoristes comme Laurent Gerra et exagérés par les Français qui les utilisent bien plus souvent que ne le feraient les Québécois eux-mêmes. S’ils sont historiquement liés au français québécois, un usage trop fréquent de ces derniers peut être vu comme stéréotypé. Dans l’adaptation du spectacle de Stéphane Rousseau, plusieurs stratégies ont été adoptées pour pallier cet écueil.

Version québécoise

 

Version européenne

 

R : Elle me dit « super on se la fait ! » Dans 30 minutes, on se rejoint au chair lift. Elle a dû m’attendre un mozus de bout {but}.

P : Rire ++

 

Stéphane Rousseau, 2008, op. cit. (00:16:33-00:16:38)

 

R : Elle dit « super on se la refait ! » Oh merde. Elle m’a attendu au télésiège. Probablement qu’elle m’attend encore toujours aujourd’hui.

Public : Rire +

 

Stéphane Rousseau, 2006, op. cit. (00:17:01-00:17:10)

 

Dans le lexique québécois, les sacres peuvent également être utilisés sous des formes très variées, notamment « en tant que substantif, adjectif, adverbe d’intensité ou encore ils seront conjugués comme un verbe » [27] . Le sacre mozus est largement utilisé comme une variante de maudit, mais peut également être considéré comme dérivé de Moïse (moses en anglais [28] ). Il sert ici à intensifier la notion de « bout », qui désigne dans ce cas une longue durée [29] . Il montre que Nathalie a dû attendre Stéphane Rousseau très longtemps aux télésièges, car il ne s’est jamais présenté au rendez-vous, puisqu’il avait cassé ses skis. La familiarité de cette expression suffit à provoquer le rire au Québec, mais l’équivalent français « putain » pourrait sembler trop injurieux pour le public par rapport au début du spectacle et créer un décalage. Elle disparait donc de la version québécoise mais l’intention de faire rire demeure grâce à une autre figure humoristique plus absurde, celle de l’exagération que nous avons citée plus haut, car il est absurde de croire que cette femme l’attend encore. L’humour absurde crée ici l’effet de surprise nécessaire à l’efficacité de la chute, mais cette surprise est davantage concentrée sur le fond que sur la forme, comme c’est le cas de la version originale. L’équivalence fonctionnelle est respectée, car même si l’idée est différente de la version originale, le message humoristique est bel et bien délivré.

 

Dans les exemples que nous venons d’étudier, l’adaptation se révèle être fluide, car à aucun obstacle posé par les différences de référents culturels, la fonction humoristique de l’œuvre n’a été sacrifiée au prix de la fidélité au texte. Ce dernier se retrouve parfois profondément changé pour conserver l’équivalence fonctionnelle du texte humoristique, qui prime ici sur l’équivalence textuelle. Néanmoins, cette adaptation n’avait pas pour objectif d’être « domesticante », pour reprendre les termes de Venuti (« domesticating » [30] ). Elle peut être qualifiée de dépaysante (« foreignizing »), voire exotisante (« exoticizing »), à certains moments puisqu’elle laisse transparaitre les origines québécoises de Stéphane Rousseau pour cultiver son originalité par rapport aux autres humoristes qui se produisent en France. La conservation de l’intention humoristique, prioritaire face à la fidélité absolue à l’original, est omniprésente, notamment grâce à l’utilisation de figures humoristiques universelles qui reflètent davantage une démarche de l’écriture humoristique qu’une transposition du texte original vers une variété cible du français. Franck Dubosc suit donc le même processus créatif que Stéphane Rousseau, tout en laissant au spectateur l’illusion que le texte que l’humoriste lui présente est bien le sien en tout point, ce qui constitue les principaux effets de la présence du simpatico.

Si aujourd’hui Stéphane Rousseau adapte lui-même ses spectacles (Les Confessions de Stéphane Rousseau en 2010 et Stéphane Rousseau brise la glace en 2013) grâce à l’expérience qu’il a pu acquérir auprès du public européen, cette adaptation par Franck Dubosc s’est avérée être une stratégie tout aussi satisfaisante à l'époque où il faisait ses premiers pas sur les scènes françaises, belges et suisses. Le choix de Franck Dubosc comme adaptateur, même si nous ignorons s’il a été fait par les productions « Juste pour Rire » ou par Rousseau lui-même, assurait un respect de l’œuvre originale dans toutes ses qualités culturelles et humoristiques, en raison de la complicité artistique qui lie les deux artistes. Le simpatico transparait dans cette adaptation à travers l’utilisation de figures humoristiques, différentes de la version originale mais efficaces sur le nouveau public cible et la conservation d’éléments originaux pour mettre en valeur l’exception culturelle de Rousseau. Il ne s’agit pas simplement d’une adaptation mise à sa disposition, mais d’un véritable échange entre les deux artistes.

L’étude de l’adaptation d’autres spectacles d’humour québécois pourrait nous indiquer si la tendance dans le domaine se tourne davantage vers la domestication ou le dépaysement, qu’elle soit réalisée par l’humoriste lui-même ou par un autre auteur en fonction de ses connaissances du public cible.

Notes

  • [1]

    Sylvie Ouellette et Christiane Vien. Écrire l’humour, c’est pas des farces !, Montréal, Druide, 2017, p. 51.

  • [2]

    Ibid., p. 52.

  • [3]

    Ibid., 136.

  • [4]

    Ibid.

  • [5]

    Ibid.

  • [6]

    Voir, par exemple, Richard Therrien, « Michel Courtemanche : Les malheurs de l’homme sourire » (https://www.lesoleil.com/archives/michel-courtemanche-les-malheurs-de-lhomme-sourire-17af59fb0b1b45d1f65d054eb79f060c, consulté le 27 août 2019.

  • [7]

    S. Ouelette et C. Vien, Écrire l’humour, op. cit., p. 41.

  • [8]

    Ibid.

  • [9]

    Ibid., p. 39.

  • [10]

    Ibid., p. 45.

  • [11]

    Ibid., p. 23.

  • [12]

    Voir Lawrence Venuti, The translator’s invisibility: A history of translation, London, Routledge, ²2008, p. 237.

  • [13]

    Nous traduisons : « sentiment d’attraction ou d’adhésion instinctif ».

  • [14]

    Lawrence Venuti, The translator’s invisibility, op. cit., p. 237. Nous traduisons : « Le traducteur ne devrait pas simplement bien s’entendre avec l’auteur, ni seulement le trouver appréciable, il devrait aussi y avoir une reconnaissance mutuelle. ».

  • [15]

    Voir ibid., p. 237 sq.

  • [16]

    Ibid., p. 64.

  • [17]

    Voir Alonzo Le Blanc, « GAGNON, AURORE (baptisée Marie-Aurore-Lucienne), dite Aurore l’enfant martyre », in Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 , Université Laval/University of Toronto. (http://www.biographi.ca/fr/bio/gagnon_aurore_14F.html).

  • [18]

    Michel Ballard, « Les stratégies de traduction des désignateurs de référents culturels », in La traduction, contact de langues et de cultures (I), Artois Presses Université, Vol. 1, 2005, p. 125‑152, ici p.145.

  • [19]

    S. Ouelette et C. Vien, Écrire l’humour, op. cit., p. 62.

  • [20]

    Ibid., p.62-63.

  • [21]

    Voir, par exemple, Héloïse Archambault, (2019, mai 25). « Des hôpitaux dans un piètre état », Le Journal de Montréal, 25 mai 2019, https://www.journaldemontreal.com/2019/05/25/des-hopitaux-dans-un-pietre-etat, consulté 26 août 2019.

  • [22]

    S.Ouelette et C. Vien, Écrire l’humour, op. cit., p. 69.

  • [23]

    Delia Chiaro, « Verbally expressed humor and translation », in Victor Raskin (éd.), The primer of humor research, Berlin, Mouton de Gruyter, 2008, p. 569‑610 (ici p. 589).

  • [24]

    Ibid.

  • [25]

    Voir Lawrence Venuti, The translator’s invisibility, op. cit., p. 160.

  • [26]

    Mario Bélanger, Petit guide du parler québécois, Montréal, A. Stanké, ²2004, p. 211.

  • [27]

    Marie-Pierre Gazaille et Marie-Lou Guévin, Les 1000 mots indispensables en québécois. Paris, First-éditions, 2012, p. 16.

  • [28]

    Voir Florian Colas, « 10 expressions québécoises qu’un français ne peut comprendre », (https://generationvoyage.fr/10-expressions-quebecoises-francais-comprendre/), consulté le 26 août 2019, et Benoît Melançon, « Moïse en Québec » (https://oreilletendue.com/2018/09/12/moise-en-quebec/, consulté le 26 août 2019).

  • [29]

    « Bout », in Le Dictionnaire Usito, Université de Sherbrooke, Les Éditions Delisme, 2019 (https://usito.usherbrooke.ca/d%C3%A9finitions/bout).

  • [30]

    Lawrence Venuti, The translator’s invisibility, op. cit., p. 15.

Biographie de l'auteur

Camille NOEL

Camille Noël est docteure en langues, lettres et traductologie de l’Université de Mons (Belgique) et docteure en littératures comparées de l’Université Polytechnique Hauts-de-France. Ses recherches portent principalement sur l’adaptation de l’humour en général et celle des spectacles d’humour québécois en Europe en particulier, sur la traduction interculturelle et la traduction audiovisuelle. Traductrice de formation, elle enseigne actuellement les langues à l’IUT de Valenciennes et met en application sur scène ses recherches sur l’humour.