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Déplacements, diasporas, replis imaginaires : état des lieux sur la littérature « de voyage » dans la Caraïbe
: 05/01/2026
: Université d'Orléans et Université de Tours
: Cécile Chapon (Tours, ICD) et Kerry-Jane Wallart (Orléans, RÉMÉLICE)
: cecile.chapon@univ-tours.fr
: https://caracol.hypotheses.org/1032
Rencontres CARACOL

Université d’Orléans (le 9 avril) et Université de Tours (le 10 avril)

Organisation : Cécile Chapon (ICD) et Kerry-Jane Wallart (RÉMÉLICE)

Déplacements, diasporas, replis imaginaires : état des lieux sur la littérature « de voyage » dans la Caraïbe

Ces journées d’étude souhaitent interroger les évolutions récentes des formes, diverses et hybrides, voire expérimentales, de littérature de voyage. La Caraïbe a pu constituer un exemple canonique du récit de voyage colonial (descriptions ethnographiques, relevés topographiques, récits d’expédition et d’installation), puis du contre-récit (avec par exemple, le roman The Lonely Londoners de Samuel Selvon, mais aussi un essai tel que Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon). Depuis leur émergence dans les années 1980, les études postcoloniales ont scruté les projets de ces textes où les auteurs des territoires anciennement colonisés et/ou dominés politiquement par les nations européennes se sont attachés à écrire à rebours du récit de voyage colonial, cette fois depuis le point de vue du sujet colonisé. Il s’agissait de donner à voir une perspective marginalisée jusque-là ; de mettre en scène des voix poétiques et des personnages (de romans, théâtre, nouvelles mais aussi d’essais littéraires) qui voyageraient depuis les « marges » extra-européennes jusqu’au centre, ou vers d’autres territoires du « Sud global ». Dans le même temps, les théories poststructuralistes ont mis en lumière des pratiques du voyage qui s’inscrivaient déjà, avant l’ère des indépendances, dans une modalité de la résistance ou à tout le moins de la subversion. Ce double corpus de textes, colonial et post(-)colonial, pose à l’analyse critique des questions qui sont très bien problématisées par les auteurs eux-mêmes : comment sortir d’un binarisme entre dominant et dominé, entre pouvoir impérial et résistance à ce même pouvoir ? Entre ceux qui ont la légitimité de circuler, et les autres ?

Plus récemment (années 2000), les études dites de « mobilité », ou mobility studies, ont ajusté la focale critique sur les migrations multi-directionnelles des sujets diasporiques, ou qui poursuivent un héritage diasporique familial par leurs propres trajectoires. Dans The European Tribe, Caryl Phillips expose bien l’expérience diasporique comme un fait mondialisé de la fin du vingtième siècle, expérience qui a d’abord été faite, de façon singulière et répétée, par les hommes et les femmes de la Caraïbe ; cette lecture correspond au tournant théorique du décolonial. Néanmoins, si les approches factuelles du voyage postcolonial et décolonial ont dominé les lectures des littératures caribéennes, le voyage de l’imagination, le voyage empêché et projeté a été beaucoup moins traité – une dimension souvent effacée par la prééminence de la question du tourisme dans l’archipel.

Ces journées d’étude souhaitent en particulier engager une réflexion sur le voyage mental, intérieur ; sur d’autres manières de parcourir le monde, y compris par le biais de l’écriture, et notamment de l’écriture expérimentale. De fait, ces îles – ainsi que la bordure littorale continentale de la Caraïbe – ont aussi été le lieu d’un enfermement pour les populations déportées de force et réduites en esclavage. On peut se demander comment cette immobilité subie a fait son chemin dans les formes artistiques, et notamment littéraires ; il s’agit de repérer les occurrences de dérives imaginaires, de rêveries ambulantes, de déplacement projeté, sans qu’aucune de ces traversées terrestres ou maritimes ne soient mises en œuvre. On peut aussi penser aux nombreuses expérimentations faites, ces dernières années, du côté de la fiction spéculative (utopies et dystopies).

Les axes suivants, non exhaustifs pourront être envisagés, autour d’un corpus de préférence caribéen, insulaire ou non, ou d’autres espaces marqués par l’expérience plantationnaire :

- Voyages empêchés, espace projeté : comment les textes narratifs, poétiques, théâtraux ou les propositions théoriques disent l’enfermement, la restriction des déplacements, l’espace confiné, et comment projettent-ils un espace extérieur, autre, réel ou rêvé ?

- Drive, rêverie : la drive, l’errance convoquent en général des personnages marginaux, proches de la folie ; la rêverie quant à elle suggère une forme de puissance imaginaire, développée en général par un sujet installé dans une situation, mentale et matérielle, plus confortable : comment ces différentes modalités, maladives ou non, créatrices ou obsessionnelles du voyage intérieur se manifestent-elles dans les textes et les arts caribéens ?

- Voyage imaginaire et fiction spéculative : dans quelles mesures l’espace insulaire et l’expérience plantationnaire ont-ils nourri des propositions utopiques et dystopiques qui thématisent ou performent la question du déplacement ?

- Écritures expérimentales : comment dire le voyage quand il n’a pas réellement lieu, et même lorsque le voyage (exil, exploration, retour) a bien lieu, comment les récits de voyage contemporains renouvellent-ils une forme trop chargée de modèles et de querelles et façonnent-ils d’autres appréhensions esthétiques et éthiques du déplacement ?

Les propositions de communication, de 500 mots environ, peuvent être en français, en anglais ou en espagnol ; elles sont à envoyer, accompagnées d’une succincte biobibliographie, à caracol.olc@gmail.com avant le 05 janvier 2026. Réponse le 12 janvier.

Bibliographie indicative

Jean Bessière et Jean-Marc Moura (dir.), Littératures postcoloniales et représentations de l’ailleurs : Afrique, Caraïbe, Canada, Paris, Honoré Champion, 1999.

Irma Cantú, « Usos y desusos de la teoría del viaje y su aplicación a la literatura latinoamericana », TRANS-, 5 | 2008, DOI : https://doi.org/10.4000/trans.245.

Cheryl Fish et Farah Griffin (dir.), A Stranger in the Village: Two Centuries of African-American Travel Writing, Boston, Beacon Press, 1998.

Édouard Glissant, Le Discours antillais [Seuil, 1981], Paris, Gallimard, 1997.

– Traité du Tout-monde, Paris, Gallimard, 1997.

Wilson Harris, The Womb of Space: The Cross-Cultural Imagination, Westport, London, Greenwood Press, 1983.

María Teresa Johansson y Lucía Stecher, “Escrituras de viaje de la diáspora afrocaribeña contemporánea: rutas hacia la metrópoli, África y de regreso al Caribe”, Perífrasis. Revista de Literatura, Teoría y Crítica, vol. 16, núm. 34, p. 47-63, 2025, DOI: https://doi.org/10.25025/perifras¡s202516.34.03.

Gerry L’Étang (éd.), Drive. L’errance ensorcelée, Paris, HC éditions 2009.

Garth Lean et Russell Staiff (dir.), Travel and Imagination, London, Routledge, 2016.

Christine Montalbetti, Le Voyage, le monde et la bibliothèque, PUF, coll. Écriture, 1997.

Lizabeth Paravisini-Gebert et Ivette Romero-Cesareo (dir.), Women at Sea, Travel Writing and the Margins of Caribbean Discourse, New York, Palgrave Macmillan, 2001.

Caryl Phillips, The European Tribe, Londres, Faber and Faber, 1987.

Georges Voisset (dir.), L’Imaginaire de l’archipel, Paris, Karthala, 2003.
: Cécile Chapon