appel
Bâtiment Lettres-Philosophie
2 boulevard Gabriel
21000 DIJON
Le genre de la fantasy et la technique de l’animation connaissent de nos jours un véritable engouement, caractérisé par un succès public évident : les rayons des librairies font désormais une grande place à la fantasy, des librairies spécialisées dans le genre ouvrent même leurs portes ; quant à l’animation, elle est présente partout : dans la publicité, dans les clips vidéos, dans les jeux vidéo, dans les films de prévention, dans les effets spéciaux en tout genre et surtout, dans le cinéma d’animation lui-même, dont les films et séries du monde entier attirent les spectateurs dans les salles de cinéma et devant leurs écrans d’ordinateur. Mais en dépit de ce succès, fantasy comme animation partagent encore aujourd’hui un certain parfum d’illégitimité, leur succès public étant parfois considéré comme de simples phénomènes ponctuels. Le monde académique, littéraire comme cinématographique, n’a intégré que récemment la fantasy aux genres dignes d’être étudiés et peine encore à reconnaître l’animation comme une technique à la hauteur de la prise de vues réelles.
De ce point de vue, les prix et récompenses peuvent servir d’indicateurs : très peu de films d’animation sont primés dans les grands festivals internationaux de cinéma (ouverts, pourtant, à l’animation comme à la prise de vues réelles), de même que les romans de fantasy ne sont jamais sur les listes des grands prix littéraires internationaux – si bien que les acteurs du genre ont désormais fondé leurs propres prix et festivals pour contrer cette invisibilisation relative du genre et créer leurs propres réseaux de reconnaissance symbolique. Cette illégitimité implicite (ou ce régime de post-légitimité[1]) tient en partie à une idée reçue : fantasy et animation seraient réservées à la jeunesse, ou à un public d’éternel·les adolescent·es incapables de grandir. Au-delà du discrédit problématique qui touche encore les œuvres jeunesse aujourd’hui, il s’agit là d’un raccourci trompeur : si la fantasy partage en effet une riche histoire commune avec la littérature de jeunesse, une vaste partie de son corpus s’adresse indéniablement à un public plus âgé – les sous-genres de l’heroic fantasy, de la dark fantasy et de la gritty fantasy se définissent d’ailleurs par leurs univers sombres, souvent violents et désenchantés. Quant à l’animation, sa confusion avec le seul dessin animé, dont l’un des modèles hégémoniques fut Disney, a contribué à la considérer comme destinée aux enfants, parfois (dans le meilleur des cas) à un public familial. Pourtant, il existe toute une part d’animation spécifiquement réservée aux adultes (que l’on songe, par exemple, au documentaire animé, dont Valse avec Bachir fut l’un des grands modèles il y a quelques années) et les origines de l’animation, comme celles du cinéma en prise de vues réelles, n’ont rien d’un univers enfantin puisqu’il s’agissait avant tout, de Émile Cohl à Winsor McCay, de mettre en place et de légitimer une nouvelle technique et un art nouveau.
À partir de ces prémices, nous aimerions réfléchir aux rapports qui peuvent unir fantasy et animation artistique dans un sens large (courts et longs-métrages, séries, clips, jeux vidéo, films en prise de vues réelles intégrant de l’animation, pour la conception des effets spéciaux ou pour créer un film techniquement hybride). Un ouvrage récent, Fantasy/Animation. Connections Between Media, Mediums and Genres, collectif dirigé par Christopher Holliday et Alexander Sergeant (Routledge, 2018) a déjà abordé la question. Mais de nombreuses problématiques et de nombreux corpus restent à envisager, en tenant compte notamment d’une approche différente de la notion de fantasy, entendue ici comme genre de l’imaginaire bien spécifique et non dans son sens plus large référant à l’univers merveilleux, comme tel est le cas dans la culture anglo-saxonne[2]. Il nous semble en outre d’autant plus important de valoriser une publication en français sur cette question que le cinéma d’animation a une longue et belle tradition française : le premier dessin animé a été créé en France et les écoles d’animation françaises (les Gobelins ou l’ENSAD à Paris, la Poudrière à Valence, Émile Cohl à Lyon, pour n’en citer que quelques-unes) ont, depuis plusieurs décennies déjà, une solide réputation dans le monde, notamment outre-Atlantique où de nombreux animateur·rices français·es sont embauché·es par les grands studios américains.
Dès lors, dans quelle mesure et sous quelles formes l’animation se prête-t-elle au genre de la fantasy ? Quels sont les atouts qui lui permettent de donner forme à un monde surnaturel ? Quels choix visuels sont faits pour mettre en scène son univers littéraire ? Et qu’est-ce qu’implique cette mise en images, à la fois sur le plan technique et sur le plan esthétique ? On pourra envisager ces questions dans le cas des adaptations bien sûr (Le Seigneur des anneaux par exemple, adapté certes par Peter Jackson sous forme de trilogie, mais aussi en film d’animation par Ralph Bakshi en 1978), mais aussi dans le cadre de créations originales (Rebelle, réalisé par le studio Pixar et sorti en 2012, en est un exemple).
Sur un plan technique d’abord, il s’agira de voir comment les créatures et l’univers de fantasy peuvent être créés. Cela nous amènera à évoquer les grandes techniques de l’animation (2D et 3D, sous toutes leurs formes, mêlées ou isolées). On pourra également s’interroger sur les limites de l’animation. Qu’en est-il, par exemple, de la motion capture ? S’agit-il d’une technique d’animation ? Cela dépend-il des cas (on pense par exemple aux films de Robert Zemeckis et au studio ImageMovers) ? Et dans quelle mesure peut-on parler d’animation pour les effets spéciaux dans les films en prise de vues réelles ? Le Seigneur des anneaux de Peter Jackson ou Avatar de James Cameron font-ils appel à des procédés d’animation ? Si oui, lesquels ? Et comment considérer les grands fabricateurs de créatures en stop motion (Ray Harryhausen, Phil Tippett) et ceux d’effets spéciaux en tous genres (Willis O’Brien) ?
Si des approches techniques sont précisément appelées pour définir le champ de l’animation, la même interrogation peut concerner la fantasy, dont les contours définitionnels, bien que clairement définis par les riches études parues ces dernières années[3], restent poreux et font l’objet de dissensions entre les espaces anglophones et francophones, qui regroupent ou distinguent les registres fantastique et merveilleux. Dans l’espace français, la fantasy a longuement partagé le même étiquetage éditorial que la science-fiction, et c’est en partie le rejet de la première par la seconde qui a favorisé leur distinction au sein de labels et de collections dédiées. Et si la démultiplication des sous-genres et de leurs hybridations (science fantasy, romantasy, cozy fantasy…) se double parfois d’une hypersegmentation des catégories éditoriales, qui permet un ciblage efficace du public, les acteurs du genre semblent préférer aujourd’hui l’appellation englobante de « littératures de l’imaginaire », qui tend à réconcilier toutes les déclinaisons sous une seule et même bannière. Du côté de l’animation, une série comme Arcane (2021-2024), tirée de l’univers du jeu vidéo League of Legends, pose indirectement la question d’une porosité visuelle des genres en mettant en images l’« hextech », une « technomagie » qui croise les rouages et pièces de machinerie avec les éclairs colorés généralement associés à la magie, réconciliant la dualité représentée dans une œuvre comme Nausicaä de la vallée du vent (1984), qui opposait l’imaginaire scientifique incarné par l’empire tolmèque au bestiaire fabuleux de la forêt.
Sur un plan artistique ensuite, la création d’un univers cohérent et marquant visuellement est essentielle, et la mise en image des créatures magiques de la fantasy a souvent fait l’objet d’un travail particulier. Dans ces conditions, l’évolution des dessins ou des représentations d’un personnage (par exemple, les créatures de L’Histoire sans fin – Fuchur, Morla, Gmork –, ou Gollum dans Le Seigneur des anneaux, fabriqué à partir des illustrations de John Howe et Alan Lee) mérite d’être étudiée de près.
Dans le cas précis des adaptations, comment passe-t-on du papier à l’écran ? Quels choix sont faits concernant les décors, les personnages, etc. ? Les exemples sont légion, en animation pure (Le Château ambulant de Miyazaki, adapté du roman de Diana Wynne Jones ou Taram et le chaudron magique, qui s’inspire des Chroniques de Prydain de Lloyd Chudley Alexander), dans le jeu vidéo (Warcraft ou Final Fantasy), ou pour la création des effets de films en prise de vues réelles (Excalibur de John Boorman, qui met en jeu un univers de sword and sorcery, Conan le barbare, qui reprend quant à lui le personnage d’heroic fantasy créé par Robert E. Howard, Le Monde de Narnia, Harry Potter, Game of Thrones ou encore Gormenghast, série en quatre épisodes réalisée par la BBC à partir du grand classique de Mervyn Peake). En termes de registre, certaines adaptations privilégient la parodie et méritent donc d’être étudiées pour leur décalage humoristique assumé (The Princess Bride de Rob Reiner par exemple, d’après le roman du même nom de William Goldman). On notera toutefois que le côté parodique est parfois involontaire et tient au vieillissement du film, ce qui peut être le cas d’Excalibur par exemple. Dans ce cas, il peut être intéressant de se pencher aussi sur la différence entre animation pure et films à effets spéciaux animés : le cinéma d’animation peut-il être considéré comme une solution pour ralentir le vieillissement d’un film et de ses effets spéciaux ?
Dans le cas des créations originales, comment l’univers est-il fabriqué, inventé ? Les mondes visuels et les scénarii empruntent-ils à d’autres œuvres fictionnelles, littéraires ou cinématographiques, connues ? Outre Brave (Rebelle) en animation chez Pixar, on peut songer au Legend de Ridley Scott ou au Willow de Ron Howard.
Peuvent aussi être évoqués les jeux d’influence d’une œuvre à une autre : celle du Seigneur des anneaux, qui semble monumentale, ou de manière plus ponctuelle, des reprises de scènes, comme celle de la mort dans les marécages d’Artax, le cheval blanc d’Atreyu, dans L’Histoire sans fin, très clairement reprise dans une scène de Blanche-Neige et le Chasseur de Rupert Sanders, intéressante adaptation du conte des frères Grimm dans un univers de dark fantasy.
Enfin, on ne négligera pas le cas d’adaptations multiples d’une même œuvre, pouvant donner lieu à de riches études comparées (Alice’s Adventures in Wonderland, le classique de Lewis Carroll a par exemple été adapté à de nombreuses reprises, notamment par Walt Disney en 1951, Jan Švankmajer en 1988 et Tim Burton en 2010).
À partir de ces éléments de réflexion, voici quelques axes (non exhaustifs) que nous vous proposons d’aborder :
- la représentation des mondes secondaires imaginaires et de la magie : l’animation permet-elle plus aisément la mise en images des univers de fantasy et de leurs particularités magiques ? Est-elle plus efficace que les effets spéciaux ? Permet-elle plus de libertés techniques ? On peut, dans ce cadre, songer à l’histoire des Féeries théâtrales, dans lesquelles le cinéma intervenait souvent comme « clou du spectacle », pour représenter la magie grâce à la technique. Le cinéma d’animation permet-il de réconcilier technologie et magie, des catégories qui ont souvent été opposées, ne serait-ce que dans la différence entre fantasy et science-fiction, ou dans la littérature du XIXe siècle qui oppose perpétuellement merveilleux et science ?
- un questionnement technique autour des limites de l'animation : qu’appelle-t-on animation exactement ? Peut-on considérer que les effets spéciaux procèdent aussi de l’animation ? L’animation serait-elle la seule solution pour mettre en images le merveilleux ?
- les frontières du genre de la fantasy à l’écran : quelles porosités avec la science-fiction, le fantastique et le merveilleux dans les œuvres d’animation ? Le genre de la fantasy (tel que nous le définissions en français) y est-il clairement identifiable, et quels effets visuels et choix de représentation le caractérisent ?
- la question de l'adaptation et de la création originale : l’animation permet certes de mettre en images les mondes imaginaires, mais aussi d’en créer de nouveaux, en reprenant un ensemble de codes narratifs et visuels – codes qui proviennent du medium textuel mais aussi de l’illustration. Quelles implications techniques et esthétiques dans le cas d’une adaptation et dans celui d’une création originale ?
- le lien entre cinéma d'animation et tradition de l'illustration de fantasy : depuis les débuts de la fantasy, une grande attention a été portée à l'illustration, de Tolkien qui illustrait ses œuvres et dessinait ses propres cartes, aux manuels de jeux de rôles très richement illustrés. Les fans de fantasy ont souvent leurs auteur·rices mais aussi leurs illustrateur·rices préféré·es (John Howe, Alan Lee, Frank Frazetta, Olivier Ledroit, Sandrine Gestin...) et collectionnent les artbooks ou les belles (ré)éditions illustrées. Dans ce cadre, peut-on considérer que le cinéma d’animation permettrait de perpétuer cette tradition essentielle de l’illustration en fantasy ?
Les propositions d’articles (200-300 mots), accompagnées d’une notice bio-bibliographique, sont à envoyer à Vanessa Besand (vanessa.besand@u-bourgogne.fr) et à Marie-Lucie Bougon (mbougon@cyu.fr) avant le 20 décembre 2025.
Après acceptation, les articles (autour de 35 000 signes notes et espaces comprises) seront à remettre pour le 31 mars 2026.
[1] Eric Maigret, Matteo Stefanelli (dir.), La bande dessinée : une médiaculture, Paris, Armand Colin, coll. « Médiacultures », 2012.
[2] Nous renvoyons sur ce point à l’ouvrage d’Anne Besson, La Fantasy (Paris, Klincksieck, coll. « 50 questions », 2007), plus précisément à la question 3, p. 16-20.
[3] Jacques Baudou, La Fantasy (Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2005) ; Anne Besson et Myriam White-Le Goff (dir.), Fantasy, le merveilleux médiéval aujourd’hui (Bragelonne, coll. « Essais », 2017) ; Anne Besson, La Fantasy (op.cit.) ; Anne Besson (dir.), Dictionnaire de la fantasy (Paris, Vendémiaire, 2018) ; ainsi que les différents actes des colloques des Imaginales dirigés par Anne Besson chez ActuSF : Fantasy et histoire(s) (2019), Game of Thrones, un modèle pour la fantasy ? (2021), et Fantasy et médias (dir. Anne Besson, Florian Favard et Natacha Vas-Deyres, 2022).



