parution
Nerval haut et court: une corde faite mots
Auteur : Michel AROUIMI
Langue : fr
EAN13 : EAN13 : 9782336539409
Éditeur : L'Harmattan
Année de publication : L'Harmattan, Paris, 2025
NERVAL HAUT ET COURT
- Dès ses poèmes de jeunesse, la plupart inspirés par l’épopée napoléonienne, et jusqu’à Aurélia, les écrits de Nerval sont émaillés par des préfigurations de sa pendaison, thème affirmé de certains de ses récits (La Main enchantée, Le Marquis de Fayolle). Les raisons psychanalytiques de ce phénomène ne suffisent pas à en éclairer le sens : ces préfigurations s’accompagnant d’une symbolique intéressant les fondements de la pensée traditionnelle (la « cabale » n’est pas un vain mot dans Aurélia et autres récits de Nerval).
- Les connaissances livresques de Nerval dans ce domaine ne peuvent expliquer un autre aspect de ce phénomène : quand dans ces œuvres du poète, le rythme d’écriture, induit par la répétition de nombreux termes, coïncide avec les mesures que la tradition associe au pouvoir créateur de la divinité. Un pouvoir dont la perception, dans un esprit humain, passe pour être un bénéfice accordé aux condamnés à la pendaison, selon un écrit dont Nerval ne semble pourtant pas avoir connu l’existence…
- Ce mystère (de l’origine prétendue divine du verbe humain) se renouvelle dans le Billy Budd de Melville, où la pendaison, évoquée avec un terme emprunté à la cabale, n’est que celle du héros éponyme.
- Tout se passe comme si Nerval avait très tôt intériorisé un savoir, intuitivement acquis, qui aurait influé, tragiquement, sur sa vision d’un monde où s’effrite le sacré.
- Sans se perdre dans les abysses de ce mystère, cet ouvrage en neuf parties n’en repère que les formes visibles : celles de la forme textuelle, notamment incarnée par la figure la plus séduisante décrite dans Aurélia, récit où ne manquent pas les indices allégoriques du procédé itératif.
- Or, la vision de Nerval a souvent les airs d’une remise en cause, rimbaldienne si l’on veut, de la nature d’un mystère qui n’aurait du sacré que l’apparence. Ce dilemme insoluble parcourt son œuvre, même si la « combinaison des nombres », dans Aurélia, n’est pas l’objet de l’ironie qui infuse certains de ses écrits antérieurs.
- Autre ambiguïté : la curiosité active de Nerval pour un certain Orient — pas celui qui a engendré la cabale. Nerval y rêve, ou y aperçoit bien des têtes coupées et des strangulations qui donnent l’idée de la projection anticipée, au gré de ces visions très diverses, de la crise fatale, à Paris, dans un décor horrible, lui-même préfiguré dans ces visions.
- La plus grande souffrance de Nerval aura été la conscience des limites que la pensée moderne impose à des « voyages métaphysiques », auxquels Rimbaud a lui-même si vite renoncé, dans un sacrifice à peine moins sinistre. La remise en cause, dans cet ouvrage, n’est pas celle de la ou des traditions (certaines auscultées par Nerval), mais plutôt celle de cette pensée qui, pour ainsi dire, manque de souffle.