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Appel à contributions pour la Revue de la BNU de Strasbourg : Imaginaires et fantasmes autour des techniques de l’intelligence
Date de l'échéance : 15/04/2025
Lieu de l'événement : Strasbourg
Imaginaires et fantasmes autour des techniques de l’intelligence
Argumentaire
L’irruption avec ChatGPT de l’intelligence artificielle générative dans l’espace public – autant qu’au cœur des espaces privés les plus intimes – a généré pléthore de discours couvrant tous les genres du spectre : de la sotériologie technobéate annonçant l’avènement d’une ère nouvelle pacifiée par l’exercice d’une rationalité machinique supérieure, neutre et objective ; jusqu’à l’eschatologie numérique des prophètes de malheur qui augurent la fin d’une humanité définitivement aliénée dans sa propre technique. À l’horizon d’une « singularité » toujours promise, qui verrait la machine dépasser et remplacer l’être humain, mais qui continue pourtant de reculer, l’IA est la source de toutes les promesses et de toutes les angoisses : elle résoudrait la crise climatique, elle rendrait obsolètes nombre d’emplois, elle permettrait de grands progrès scientifiques, notamment dans la santé, elle serait la cause de discriminations raciales et sexuelles, elle permettrait d’optimiser les échanges économiques à l’échelle globale, elle servirait à la désinformation, à la surveillance et à l’armement.
Dans la longue histoire de la technique, l’intelligence artificielle n’est pourtant, peut-être, que le dernier avatar en date du mythe prométhéen. Des automates d’Héphaïstos selon Homère, au canard de Vaucanson, en passant par le fameux Turc mécanique de Johann Wolfgang von Kempelen au xviiiè siècle et jusqu’aux réseaux de neurones de la cybernétique et aux robots anthropomorphes, la mimesis machinique a toujours été à la fois source de connaissance autant que de peurs. Dans le prolongement de cette impressionniste lignée, l’IA apparaît comme une tentative de réifier certaines facultés de la cognition humaine en l’externalisant dans des dispositifs informatiques réputés autonomes. En tant que « prothèse cognitive », elle permet ainsi de réaliser des opérations intellectuelles qui avaient, au préalable et avant son introduction, déjà été découpées en tâches simples, normalisées et codifiées – l’IA s’inscrit ainsi dans la longue histoire de la formalisation des compétences humaines, depuis la « réduction en art » de l’époque moderne jusqu’au taylorisme contemporain.
Une perspective historique sur l’intelligence humaine et ses artificialisations multiples permet donc de mettre en lumière, au-delà de l’économie de la promesse, les véritables ruptures autant que les continuités entre l’IA générative numérique et ses antécédents ; de brouiller la distinction entre naturel et artificiel à l’endroit même de la technique où certains anthropologues ou philosophes voient « la nature humaine » ; voire de questionner ce qu’est l’intelligence même, la nature de l’esprit et la créativité humaine. Une telle perspective diachronique et comparative permet encore de se pencher sur les représentations sociales et culturelles des techniques d’imitation des facultés humaines, en particulier cognitives, comment ces représentations sont construites et mobilisées dans l’espace public et privé, comment elles participent d’imaginaires collectifs où l’on trouve à la fois des rêves de perfection et des cauchemars de domination.
Le numéro 33 de La Revue de la BNU se propose de questionner et d’historiciser plus spécifiquement les mythes, les fantasmes, les promesses ou les imaginaires qui entourent et qui nourrissent, à travers l’histoire, les machines et plus largement les dispositifs qui ambitionnent d’imiter l’activité humaine, en particulier l’activité de pensée. Dans les arts et la littérature, dans les textes scientifiques ou religieux, dans des essais philosophiques ou pédagogiques, comment sont représentés des objets et des êtres non humains intelligents ? Comment ces objets techniques ont-ils été conçus théoriquement et construits matériellement, puis comment ont-ils circulé à travers des aires géographiques et culturelles variées ? Selon les époques et les contextes socio-culturels, quelles peurs et quels espoirs sont attachés à ces dispositifs dans les représentations collectives ? Quelles économies de la promesse, de la rédemption ou de fin du monde se cristallisent autour de ces techniques et de leurs discours d’escorte ?
Problématiques possibles (non exhaustif)
- Les automates depuis l’Antiquité et jusqu’à l’époque contemporaine, en passant par la Renaissance et les Lumières, font figure de candidats privilégiés, illustrant comment des machines mimétiques sont à la fois des instruments de compréhension du monde par la modélisation et les objets d’un spectacle public source de débats et de passions.
- En particulier, les machines à calculer comme la Pascaline, l’arithmomètre ou les calculatrices mécaniques ont joué un rôle important dans la réification d’une activité cognitive canonique autant qu’elles ont été les objets d’un commerce lucratif dans l’histoire de la globalisation.
- Les faux automates, comme le fameux Turc mécanique, qui semblaient savoir jouer aux échecs et abritaient en réalité un opérateur humain, sont des cas singuliers qui mettent en lumière à la fois l’économie de la promesse, voire de la tromperie, qui anime les fantasmes autour de ces objets, autant que l’irréductible nécessité d’une intervention humaine dans leur fonctionnement réputé autonome.
- Les personnages de fiction fabriqués de toute pièce par des créateurs singuliers, comme Victor Frankenstein, sont également révélateurs des fantasmes démiurgiques qui habitent ou qui hantent ceux-ci autant que de l’aliénation découlant de leurs créations.
- Plus généralement, la littérature, le théâtre ou le cinéma de science-fiction sont des observatoires pertinents de l’histoire des représentations autour des techniques de l’intelligence.
- Les systèmes d’automatisation de l’information dans des bibliothèques universelles comme le Mundaneum de Paul Otlet, le Memex de Vannevar Bush ou la mécanographie, prédécesseur de l’informatique numérique, illustrent l’aspect prothétique d’une technique qui doit équiper l’intellect humain.
- Plus récemment, évidemment, l’émergence de la robotique, en particulier anthropomorphique, et de l’ordinateur numérique pour le traitement de l’information ont été accompagnés de discours cybernétique et/ou transhumaniste prophétisant des futurs sombres ou radieux sous le signe de l’intelligence artificielle.
Bibliographie sélective
Cave, Stephen, Kanta Dihal, and Sarah Dillon (dir.), AI Narratives: A History of Imaginative Thinking about Intelligent Machines, Oxford, Oxford University Press, 2020.
Cormerais, Franck et Jacques Athanase Gilbert (dir.), « Religiosité technologique », numéro spécial de Études digitales, vol. 1, no. 5, 2018.
Gefen, Alexandre (dir.), « Imaginaires de l’I.A. », Belphegor, vol. 22, no. 1, 2024. https://doi.org/10.4000/11tfb
Kyrou, Ariel, « Dans les imaginaires de l’IA », Multitudes, no. 78, vol. 1, pp. 75-83, 2020. https://doi.org/10.3917/mult.078.0075 .
Voskuhl, Adelheid, Androids in the Enlightenment: Mechanics, Artisans, and Cultures of the Self, Chicago, The University of Chicago Press, 2013.
Lucadou, Julia von, Sauter des gratte-ciel, Arles, Actes Sud, 2021
Ishiguro, Kazuo, Klara et le soleil, Paris, Gallimard, 2021
Bello, Antoine, Ada, Paris, Gallimard, 2016
Schwab, Klaus, La quatrième révolution industrielle, Malakoff, Dunod, 2017
Modalités de soumission
Les propositions d’articles destinées au n° 32 de La Revue de la BNU devront être envoyées avant le 15 avril 2025 à Christophe Didier, rédacteur en chef : christophe.didier@bnu.fr
Plus précisément, l’envoi, au format Word, comprendra :
- un résumé de 2 000 signes indiquant la teneur de l’article et son plan prévisionnel ;
- un court curriculum vitae de l’auteur, accompagné d’une liste des principales publications.
Politique d'évaluation
Les propositions seront examinées par le comité scientifique de la revue, et les réponses (acceptation ou refus) communiquées aux auteurs au plus tard à la fin mai 2025. Les articles définitifs, d’une longueur de 20 000 signes, espaces compris (tolérance de plus ou moins 10 %), accompagnés de leurs illustrations (5 à 6, 300 dpi minimum), seront alors à remettre pour le 15 décembre 2025.
Délai moyen entre soumission et publication : 52 semaines.
Source de l'information : Patrick Werly