Actes & Volumes collectifs
ARTICLE
La Grèce est un des pays européens pour qui la Première Guerre mondiale ne joue qu’un rôle secondaire. La raison est simple : avant l’attentat de Sarajevo, précedèrent deux guerres balkaniques – une contre la Turquie (1912-1913) et une autre contre la Bulgarie (1913) – qui lui ont permis de reconquérir des provinces occupées depuis plus de quatre siècles par les Ottomans, tandis que l’armistice du 11 novembre 1918 à Compiègne lui ouvrit la voie de récupérer les territoires d’Asie Mineure, peuplés de Grecs depuis l’Antiquité, initiative qui lui coûta une grande catastrophe, aussi bien militaire, sociale, économique que morale.
La nation grecque commença, en 1912, à réaliser victorieusement son plan nationaliste de la « Grande Idée », qui s’est d’un coup arrêté avec la Première Guerre mondiale, conflit considéré comme « étranger et étrange » par la majorité du peuple. Le résultat de cette situation est que la Grèce entra en guerre assez tard, après la défaite de l’Entente aux Dardanelles (1914-1916) et sans son plein gré, puisque le roi Constantin était non seulement germanophone et germanophile, mais aussi l’époux de la sœur du Kaïser et il s’opposait aux intentions de l’Entente, bien que les Alliés des Empires centraux soient les adversaires de l’état grec. C’est ainsi que l’armée et l’église grecque, fidèles et contrôlés par le palais, faisaient semblant de ne pas bien comprendre les intentions diplomatiques du libéral Premier Ministre de l’époque, de Vénizelos, qui forma un autre Gouvernement à Τhessalonique, osant violer la neutralité grecque et provoquer la division nationale, pour mieux réaliser les intentions de la « Grande Idée ».
La Première Guerre mondiale fut donc un conflit peu compris par l’opinion grecque ; seule la population des provinces récemment libérées était favorable aux troupes de l’Entente qui s’établirent en Macédoine grecque, à Salonique, formant un second front, celui d’Orient, pour soutenir et reconstituer l’armée serbe lors de l’invasion de ce pays, et fixer les troupes de l’Alliance des Empires centraux, surtout après la capitulation de la Russie.
Ce grand conflit avec ses divers événements bouleversa l’opinion du pays, puisque, pour la première fois, les Grecs ont dû s’engager dans une guerre qui ne visait pas directement leurs intérêts nationaux, qui les rendaient alliés avec les Grandes puissances de l’époque et surtout qu’ils constataient ne plus être maîtres de la destinée de leurs entreprises. Le fait que les troupes anglaises et françaises étaient composées de ressortissants de l’Indochine et de l’Inde, du Maghreb et de l’Afrique occidentale et qu’au Nord du pays, l’armée serbe et des troupes russes participaient aux combats, rendait plus complexe et réservée l’opinion publique qui venait juste de s’affranchir du joug ottoman et des « convoitises » des autres états balkaniques.
La grande durée de la Première Guerre mondiale (guerre que l’ensemble de l’opinion grecque restée un peu perplexe ne soutenait pas, parce qu’elle suscita la division du pays en laissant la Grèce seule, après la fin des hostilités internationales, à affronter la Turquie, ce qui provoqua la catastrophe de l’Asie Mineure et la fin des revendications nationales), causa une profonde crise de conscience en Grèce, que la littérature néohellénique essaya d’exprimer et d’analyser, aidant le pays à dépasser le choc de la défaite de 1922 et à retrouver son énergie. Elle essaya de répondre aux nouveaux besoins, très pressants, oubliant la restauration de l’Empire byzantin, hantise nationale après la constitution de l’Etat grec en 1830.
La génération d’écrivains « des années 30 [1] », fit son apparition, juste après la fin des hostilités d’une décénie guerrière, traîtant, au début, des sujets guerriers, en particulier de la Catastrophe de l’Asie Mineure, comme ce fut le cas des écrivains Stratis Myrivilis, Stratis Doukas, Ilias Venezis, sous deux formant des écoles ou tendances littéraires assez distinctes, à cause de leurs origines socio-culturelles. Bien que les premiers textes littéraires abordent la Première Guerre mondiale, cette génération d’écrivains a expérimenté toutes les tendances de la prose européenne de l’entre-deux-guerres : du monologue intérieur au roman historique et psychologique, du réalisme exprimé à travers le roman social aux œuvres d’engagement de la gauche.
Ce mouvement, issu du vaste courant du démoticisme ne réussit à s’imposer que dans le domaine de la littérature, hésitant à se heurter ouvertement aux forces sociales opposées à la tentative de rénovation. Par contre, les poètes de cette génération, ayant assimilé les courants littéraires européens, étaient parvenus à renouveler leurs moyens d’expression et leurs formes, mettant en valeur le retour aux sources, à la tradition de la littérature crétoise, d’Eptanèse ou insulaire, exploitant et reliant la poésie populaire et savante, négligeant la signification fonctionnelle au sein de la société grecque. G. Séféris, Y. Ritsos, O. Elytis, N. Vrettakos, sont les classiques de la nouvelle poésie grecque, parvenus à créer une poésie moderne typiquement néo-hellénique, dont certaines réalisations ont déjà dépassé la frontière grecque.
Cette génération fascinée par l’idée de la modenité et du renouvellement de la littérature, visant à contribuer au changement de la mentalité du pays, s’est exprimée par deux tendances assez distinctes : la première à Athènes, cité célèbre avec sa population purement grecque, qui continua à s’adapter à l’influence européenne, sans oublier son prestige d’antan, celui de l’Antiquité, soit à assimiler plus profondément les influences littéraires et sociales de l’Europe occidentale, en particulier ceux de la prose, pour mieux souligner l’aspect moderniste du devenir néogrec ; la seconde à Thessalonique, ville récemment libérée du joug ottoman, peuplée de musulmans, de slaves, de juifs et de grecs, où s’est créée une tendance littéraire, qui avait ses sources auprès des racines du milieu de la petite bourgeoisie conservatrice grecque, du milieu agricole des réfugiés venus de l’Asie Mineure après 1922, de l’impact de Byzance et des influences centro-européennes, transmises en particulier par les intellectuels juifs [2] .
Cette génération qui a vécu la décennie belliqueuse 1912-1922, fera son apparition par un roman de guerre, De Profundis (1924) de Stratis Myrivilis [3] , publié sous forme épistolaire, en feuilleton, dans un journal de Mytilène, capitale de l’île de Lesbos, près de l’île de Limnos, juste en face des Dardanelles, où la flotte de l’Entente avait sa base navale. Bien sûr, le roman de guerre grec ne connût pas le succès équivalent français, mais ses trois principaux représentants, Myrivilis, Stratis Doukas [4] et Ilias Vénézis [5] , sont les premiers à mettre fin à l’idéologie nationaliste de la «Grande Idée», à orienter la littérature grecque vers le modernisme et les tendances européennes, sans négliger la tradition culturelle et langagière populaires, et à faire émerger l’image d’un humanisme, lié aussi bien avec l’antiquité qu’avec l’esprit qui avait permis aux Grecs, à retrouver leur Indépendance des Turcs.
Les trois romans principaux, issus de la guerre, De profundis (1924) de Myrivilis, Histoire d’un prisonnier de guerre de Doukas (1929), dédié « aux supplices communs des peuples » et Numéro 31328 de Venezis, sont trois œuvres, où la guerre est présentée non pas sous une dimension épique mais comme une réalité responsable de l’humiliation de la dignité humaine, comme une chimère qui accentue la rivalité des peuples.
Dans les trois romans la narration est toujours à la première personne, le narrateur participe lui-même à la guerre, il est temoin de ses horreurs, mais il ne connaît que ce qu’il ressent des événements ; il ignore comment va se dérouler la guerre et la situation qu’il subit ; ce n’est pas un narrateur omniscient et pour cette raison son récit suit l’ordre des événements tandis que ses descriptions visent soit à lier l’environement au climat psychologique de la situation, soit à souligner la douleur humaine que la guerre provoque.
Le fait que deux de ces trois auteurs proviennent d’Asie Mineure et le troisième, Myrivilis, d’une île située en face des côtes turques et récemment libérée (soit d’écrivains qui ont vécu et connaissent l’art populaire et ne sont pas soucieux d’imiter le roman européen mais de renouveler la littérature grecque et de la lier avec la société), les pousse à ne pas insister trop sur les événements mais à les neutraliser, pour que les sentiments exprimés ne soient pas personnels, mais décriptifs de la mémoire collective, de cette tradition historique, que souvent l’histoire rationelle nie [6] .
À ce concept général, les auteurs grecs utilisent l’opposition du couple identité/altérité [7] pour faciliter le processus du rôle des critères, qui aboutissent, avec le temps, à devenir mentalité, habitude, tradition et conscience historique. Il est facile de constater que le comportement individuel et social, exigé par l’identification, devient mentalité, se constitue en mythe, impose des traits idéologiques, décrit des codes d’action. Ce comportement dépendant de l’appartenance à une identité n’est certes pas objectif, mais il offre une solution certaine, lors d’une crise, et dans ce cas le roman de guerre se présente comme un modèle de l’historicité, qui à un moment donné a un caractère d’individualité [8] .
Cette poétique du roman de guerre influencera tout le roman de la génération de années 1930, sur le plan de l’aspect confessionnel ou du témoignage qui est la vision individuelle d’un événément historique, la vision d’une partie de l’histoire [9] ; sur le plan de la ressemblance, qui renvoie le lecteur à une expérience soit vécue, soit connue (en aucun cas, dans un roman de guerre, on ne fait mention d’un récit inventé, d’une fiction préfabriquée [10] ), enfin au niveau de la rétrospectivité du récit, qui permet de présenter le roman comme l’affirmation, la dénonciation ou la réflexion critique d’une thèse, tout comme le récit qui procure des preuves à une cause, à un système d’idées [11] .
Sur ce point, il faut noter que ces romans présentent le conflit décrit comme quelque chose de neuf, qui n’a aucun rapport avec les guerres précédentes [12] . C’est pourquoi tous les événements autobiographiques ou romancés, décrits, narrés et présentés sont axés sur les conséquences de la guerre, conséquences que les lecteurs auxquels ils s’adressent ont subi ou subissent. De ce processus il en résulte deux traits : le premier consiste en la condamnation de l’existence du passé entretenue par la mémoire collective, soit comme une absurdité, soit comme un mensonge. Le passé n’existe que par le présent actuel qui dicte l’avenir [13] ; le second que le récit des événements implique une certaine conception de la causalité [14] qui vise à faire mieux ressortir la construction du projet, l’histoire de l’avenir.
Ces deux conséquences imposent à leur tour à ce que la structure du roman (de guerre) présente aussi deux variants : d’un côté, le récit d’enquête, qui est d’ordre autobiographique [15] ; d’autre part, on a le récit d’un événement, qui est d’ordre historique [16] . Ces deux cas de récits s’entremêlent formant une narration unique que la fiction manie et remanie à volonté, à cause d’une série d’autres événements et de choses insérés entre le moment du vécu et le moment où la mémoire le recrée [17] . D’où la nécessité des auteurs de privilégier certaines techniques, comme le dialogue, qui vise à faire revivre en direct les scènes ou à les animer ; le monologue intérieur, au moyen duquel le lecteur s’informe des intentions, des sentiments et des pensées du personnage qui vit la guerre et ses conséquences ; la dissimulation de l’acte narratif par l’emploi du présent, qui tend à faire venir l’histoire sur le devant.
Sous ce prisme, le roman de guerre qui se rapporte à l’histoire, à des événements réels, exprime toutefois, au moyen de la fiction, la supériorité des traits d’appartence à une identité et parallèlement démystifie tous les arguments de l’Autre [18] . Par consequent, si l’histoire décrit une réalité simple, la fiction ou le mythe transforme tout événement historique, lui attribuant des dimensions que l’idéologie d’appartenance collective ou personnelle exige [19] .
Ce qui évolue dans le récit c’est le héros-narrateur qui utilise son imagination et sa mémoire comme moyens pour voyager dans un temps imaginaire, où présent, avenir et passé sont bien distincts. Le discours qui découle de cette projection de la réalité sur la dimension imaginaire permet au roman de créer une idée-but, une idéologie-résultat [20] . Tout est axé sur l’avenir, en particulier la mémoire collective qui agit et fonctionne sous des apparences individuelles, comme la puissance motrice d’affronter la crise présente et d’esquisser l’avenir [21] . Le cadre idéologique des romans de Doukas, Myrivilis, Venezis, en est la preuve.
Cependant, les auteurs de ces romans ont le sentiment que leur témoignage personnel est représentatif et que leur mémoire personnelle deviendra collective. C’est pourquoi, pour eux, décrire la guerre a une importance capitale, puisque leur discours narratif influencera des consciences, puisque leur mémoire deviendra mémoire de leurs lecteurs et contribuera à la formation de la mémoire collective. Ainsi ils atteignent leurs objectifs, renouvelant la narratologie grecque (roman épistolaire de Myrivilis ou de la tradition du conte oral à l’aide du monologue intérieur, le cas de Stratis Doukas), la langue (utilisant la démotique parlée et l’enrichissant par la création de nouveaux mots), le contenu idéologique (humour et caricature de l’identité nationale, des institutions nationales ou internationales, et surtout encourageant un nouveau modèle de liberté individuelle).
Notes
- [1]
La génération de 1930 renouvela la prose et aurait mérité de conférer à la littérature néohellénique une notoriété internationale que seuls quelques romanciers ont obtenue, le plus souvent grâce au cinéma. Ses principaux représentants sont Stratis Myrivilis (1892-1969) connu pour ses romans de guerre ; Ilias Venezis (1904-1973) écrivain imaginatif, humaniste avec son écriture élégante ; Anghelos Terzakis (1907-1961) auteur de plusieurs œuvres remarquables dont La Décadence des Skliros, La Cité violette, La Princesse Isabeau, Voyage avec l’étoile du soir, La Vie secrète; Thanassis Petsalis-Diomidis (1904-1995) avec ses œuvres La Dame des honneurs, Au-delà de la mer, Nos enfants, Les Mavrolykos, La Cloche de la Sainte-Trinité; Michalis Karagatsis (1908-1960) écrivain d’une forte imagination créatrice, reflétée dans une œuvre abondante de nouvelles et de romans, dont l’ Histoire nocturne, L’Île perdue, Le Seigneur de Castropyrgos, Fièvre, Le Grand Sommeil, Sang perdu et gagné, Le Colonel Liapkin, La Grande Chimère, Yioukerman; Kosmas Politis (1888-1974) avec plusieurs ouvrages caractérisés par leur réalisme, comme Le Bois de citronniers et Eroïca; Georges Theotokas (1905-1966) le plus cartésien des prosateurs de cette generation; son premier ouvrage, Libre esprit, demeure le manifeste de cette generation, tandis que ses romans les plus connus sont Argos, Le Démon, Léonis.
- [2]
Voir G. Fréris, « Aperçu des tendances actuelles des prosateurs de Thessalonique », Cahiers Balkaniques, Paris, INALCO, 1992, n° 18, p. 177-203 et « L’Ecole poétique de Thessalonique, Tradition et modernité », Bulletin de Liaison, Paris, INALCO, n° 11, 1993, p. 75- 95, ainsi que l’œuvre de Jean-Luc Chiappone, Le Mouvement moderniste de Thessalonique, 1932-1939, – t. 1, figures de l’intimisme, – t. 2, figures du cosmopolitisme, L’Harmattan, Paris, 2006 & 2009.
- [3]
Stratis Myrivílis (1890-1969), pseudonyme d’Efstratios Stamatopoulos appartient à la « Génération des années 1930 ». Il participa aux guerres balkaniques, fut membre des forces armées du gouvernement de défense nationale d’Elefttérios Venizelos, combattit lors de la guerre gréco-turque (1919-1922). Il publia son premier roman De Profundis, en feuilleton (1923-1924) puis en livre, en 1930. Ce roman prit source dans ses nouvelles, Le Volontariat, Images de la guerre, publiées au journal Aube de Mytilène qui formeront en 1915, son recueil de nouvelles, Histoires rouges et l’archétype du roman De Profundis, au journal Libre discours en 1917, et plus tard à la revue La Cloche, 1923-1924. Son roman, L’Institutrice aux yeux d’or en 1932, fut adapté au cinéma par Dínos Dimópoulos, en 1969. Son troisième roman, Notre-Dame de la sirène de 1939, ne parut qu’en 1949, à cause de l’occupation de la Grèce par les puissances de l’Axe. Durant cette période, il quitta la direction de la radio grecque et entra en résistance. On lui doit aussi de nombreuses nouvelles. Il présida le jury de la Semaine du cinéma grec, en 1960.
- [4]
Stratis Doukas (1895-1983) est né à Moskonissia d’Asie Mineure. Il a entrepris des études de droit, interrompues par la guerre. Engagé en 1916, dans l’armée formée à l’ordre de Venizelos, il a perdu un bras lors de la déroute grecque en Asie Mineure. En 1929 il publia son récit, L’Histoire d’un prisonnier de guerre, dont la simplicité du genre littéraire fait allusion à la narration simpliste d’Homère et de l’Écriture sainte. Critique d’art, Doukas créa et collabora avec plusieurs revues aussi bien d’Athènes que de Thessalonique et il fut un opposant des Nazis et de la Junte (1967-1974).
- [5]
Ilias Venezis (1904-1973), pseudonyme d’Ilias Mellos, né à Aïvali d’Asie Mineure. À l’âge de 18 ans, lors de la débacle de l’Asie Mineure, il est arrêté et conduit par les Turcs aux travaux forcés. Libéré, il racontera son expérience en feuilleton, dans la revue La Cloche de Mytilène, en 1924, et plus tard, en 1931, ce matéreil constituera son premier roman, Numéro 31328. En 1939, il publie son second roman, Sérénité et en 1943, son troisième, Terre Eolienne. Il participa à la résistance contre les Nazis.
- [6]
« Cette tradition historique, que le temps rend presque mythique, bien que vivement critiquée par la critique historique avec ses critères scientifiques objectifs, exerce un impact sur toute conscience individuelle et collective parce qu’à travers l’histoire l’individu découvre son monde spirituel. Si les événements historiques (guerres, combats, victoires, défaites, etc.) pèsent fort sur tout individu, le fait de les revivre intérieurement ou de se les rappeler, selon les circonstances, c’est-à-dire la foi intérieure au mythe historique, entretenue par la tradition y compris littéraire, est une réalité qui constitue et conserve le monde intérieur de la conscience d’un individu, d’un peuple, d’une nation ». Voir Etienne Balibar – Immanuel Wallerstein, Race, nation, classe. Les identités ambiguës, Paris, Ed. La Découverte, 1990.
- [7]
Par traits caractéristiques, nous visons à l’ensemble des valeurs et des événements qu’une société ou un individu s’approprie, à tel point que cet ensemble avec le temps devient aussi tradition historique, mythe. À cette conception idéologique très générale du couple identité/altérité, est liée aussi le rapport des hommes à la nature et entre eux, ou à leur histoire, dans la mesure où elle est le développement de ce qui fait une société, c’est-à-dire qu’on remarque l’existence d’une identité/altérité collective et individuelle, ce qui explique mieux les différents niveaux d’appartenance, de dépendance et d’exclusion. Voir Jakob Huber, « Identité et contradiction. À propos du rôle possible de la science et de la politique dans le conflit des minorities », Cahiers Francophones d’Europe Centre-orientale, Pécs/Vienne, 1992, n° 2, p. 151-162.
- [8]
Voir Gerald Prince, « Introduction à l’étude du narrataire », Poétique, n° 14, 1973, p. 178-196.
- [9]
Voir Michèle Leleu, Les Journaux intimes, Paris, P.U.F., 1952, Béatrice Didier, Le Journal intime, Paris, P.U.F., 1976 ainsi que l’ouvrage collectif, Le Journal intime et des formes littéraires, Genève-Paris, Droz, 1978.
- [10]
Voir Guy Durandin, Les Fondements du mensonge, Paris, Flammarion, 1972 et l’article de Jacques Derrida, « Signature, événement, contexte » Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, p. 365-393.
- [11]
Voir Bruno Vercier, « Le mythe du premier souvenir et sa place dans le récit : Pierre Loti, Michel Leiris », Revue d’histoire littéraire de la France, 1975, n° 6 et d’Etiemme Balibar et Pierre Macherey, « Sur la littérature comme forme idéologique. Quelques hypothèses marxistes », Littérature, n° 13, 1974, p. 29-48.
- [12]
Le héros de la narration, pour s’exprimer, n’utilise ni des idées abstraites, ni des sentiments flous, comme c’est le cas avec le roman historique. L’auteur du roman de guerre ayant été lui-même témoin d’une façon directe ou indirecte du conflit, il met en évidence son témoignage, le transformant selon le message qu’il veut laisser, selon son idéologie. G. Fréris, op. cit., p. 74-79. Voir sur cette question, Philippe Hamon, Texte et idéologie, Paris, P.U.F., coll. « Écritures », 1984.
- [13]
Ce processus résulte aussi, indirectement, de l’article de Jean Strobinski, « Le style de l’autobiographie », Poétique, n° 3, 1970, p. 257-265, repris in La Relation critique, Gallimard, 1971, p. 83- 98. Voir également, Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, chapitre « Gide et l’espace autobiographique », op. cit., p. 165-195.
- [14]
Roland Barthes soutient que « le récit comme forme extensive à la fois au Roman et à l’Histoire, reste bien, en général, le choix ou l’expression d’un moment historique », Le Degré zéro de l’écriture, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1972, p. 25. Voir aussi Roland Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits », Communications, n° 8, 1966.
- [15]
Marcel Lobet, La Ceinture de feuillage, essai sur la confession déguisée, Bruxelles, La Renaissance du livre, 1966.
- [16]
Philippe Lejeune, « Vécu-Écrit », BREF, n° 13, février 1978, p. 5-31, repris au chapitre « Le document vécu », Je est un autre, op. cit., p. 203-228.
- [17]
Voir Jacques Rustin, « L’Histoire véritable » La Littérature romanesque du XVIIe siècle français, Cahiers de l’Association internationale des études françaises, n° 18, mars 1966, p. 89-102 et « Mensonges et vérité dans le roman français du XVIIe siècle », Revue d’histoire littéraire de la France, janvier-février 1969, p. 13-38.
- [18]
Le « mythe » romanesque falsifie toujours l’histoire qu’on embellit. L’objectivité des faits et des événements est vue, donnée et présentée selon la conception imposée par la collectivité : on exagère le danger, on rend plus dramatique la situation pour mieux souligner l’action de nos héros – action qui en principe dépasse les limites humaines – on accentue le comportement du héros qui agit toujours au nom de la collectivité d’où il provient et à laquelle on appartient ; pour des raisons idéalistes, on insiste sur ce comportement « exceptionnel » comparé à un analogue du passé, etc. Par contre, on attribue à l’adversaire tous les traits négatifs, étant toujours dans une position d’infériorité par rapport au « nous » collectif idéalisé : c’est lui le grand fautif, le méchant, le barbare, en un mot, l’éternel opposant aux buts de la collectivité, lié lui-aussi à un archetype négatif du passé.
- [19]
Voir Robert Escarpit, Le Littéraire et le social. Eléments pour une sociologie de la littérature, Paris, Flammarion, 1970, où le système communicatif, entre romancier et public, est privilégié aux dépens de l’analyse des structures littéraires. C’est pourquoi si l’histoire constitue pour le roman de guerre la matière première, la raison de son action, de sa narration, son cadre romanesque, elle est aussi l’essence de la vraissemblance, la confirmation d’un témoignage pour un événement que le lecteur a vécu ou connaît. Si le rôle de l’histoire est décisif pour la connaissance et l’évolution de l’individu, dans un groupe social, la fiction de l’histoire contribue à renforcer cette tendance, surtout quand le lecteur ne parvient pas à distinguer le mythe de la réalité, quand l’identification du fantastique coïncide avec le réel.
- [20]
C’est pourquoi le lecteur prend conscience de la naissance de cette idée, il devient à son tour témoin de cette prise de conscience et de l’évolution de cette idée, il constate le passage du personnel au collectif et simultanément il imagine le sort de cette prise de conscience dans l’avenir. De cette coexistence de la réalité (histoire) avec l’utopie (fiction) découle la réussite diachronique du roman de guerre, puisque le roman de guerre, bien qu’il décrive un milieu limité (vie monotone de champs de bataille et une action toujours polarisée sur les exploits d’un héros), il est toujours orienté vers un avenir meilleur. Rappelons que G. Bachelard soutenait dans L’Air et les songes, Paris, J. Corti, 1983, p. 283-284, que l’« image littéraire, c’est un sens à l’état naissant ; […] Signifier autre chose et faire rêver autrement, telle est la double fonction de l’image littétaire […] Quand cette parole prend conscience de soi, alors l’activité humaine désire écrire, c’est-à-dire agencer les rêves et les pensées… ».
- [21]
« L’écriture, étant la forme spectaculairement engagée de la parole, contient à la fois, par une ambiguité précieuse, l’être et le paraître du pouvoir, ce qu’il est et ce qu’il voudrait qu’on le croie », Roland Barthes, op. cit., p. 22.
Pour citer cet article
Georges FRÉRIS, "La guerre et la prise de la conscience humaine, ou la Première Guerre mondiale et son impact sur la littérature néo-hellénique", in M. Finck, T. Victoroff, E. Zanin, P. Dethurens, G. Ducrey, Y.-M. Ergal, P. Werly (éd.), Littérature et expériences croisées de la guerre, apports comparatistes. Actes du XXXIXe Congrès de la SFLGC
, URL : https://sflgc.org/acte/georges-freris-la-guerre-et-la-prise-de-la-conscience-humaine-ou-la-premiere-guerre-mondiale-et-son-impact-sur-la-litterature-neo-hellenique/, page consultée le 24 Novembre 2024.Biographie de l'auteur
Georges FRÉRIS