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Boccace. Modèles et héritage culturel d’un classique (1375-2025)
: 11/09/2024
: Université de Lille
: boccaccio2025@gmail.com

Colloque international


Boccace. Modèles et héritage culturel d’un classique (1375-2025)


15, 16 et 17 octobre 2025


Université de Lille


Pour célébrer les 650 ans de la mort de Boccace et mettre en lumière son rôle crucial en tant que pont entre le passé et la modernité européenne, ainsi qu’entre les Européens eux-mêmes, nous voudrions examiner son héritage littéraire et son influence jusqu’à aujourd’hui. Dans ce but le colloque se propose d’explorer les quatre grands axes suivants :


1. Boccace, pont entre passé et modernité

Boccace peut être considéré comme l’un des premiers ‘humanistes’, un de ces intellectuels qui ont ravivé l’intérêt pour les valeurs et les idées de l’Antiquité. Toute son oeuvre reflète cette renaissance de la pensée et de la culture classique latine (Cicéron, Ovide, Sénèque, etc…) mais aussi grecque (Éthique à Nicomaque), tout en abordant des sujets modernes et universels tels que l’amour, la morale, la satire sociale et la création artistique. C’est ainsi qu’il crée un lien entre l’héritage antique et la culture de son temps, tout en posant les bases des changements à venir dans la société et la littérature. Mais c’est également un intermédiaire entre la culture médiévale le précédant et cette même modernité. On lui doit par exemple la connaissance de textes fondamentaux, que ce soit le commentaire du médecin Dino del Garbo à la célèbre chanson de Guido Cavalcanti Donna me prega ou certaines des épîtres de Dante (la troisième, la onzième et la douzième). C’est lui, par ailleurs, qui crée la triade le reliant à Dante et à Pétrarque et qui invente pour ainsi dire la littérature italienne, proposant non seulement une base de classiques modernes, mais offrant aussi, avec le Decameron,une forme-livre qui d’une certaine manière deviendra canonique. Cette fonction de médiateur s’observe également au moyen de la bibliothèque de Boccace, à travers les livres qui ont résisté au temps mais aussi en reconstituant sa bibliothèque « virtuelle ». Cette restauration intellectuelle peut contribuer de manière significative à clarifier la relation entre Boccace, ses modèles littéraires et les écrivains de son temps, raison pour laquelle elle constituera l’un des sujets phares du colloque. L’attention sera bien évidemment portée sur les manuscrits de notre auteur, ses autographes et les manuscrits annotés passés entre ses mains, mais l’enquête doit aussi, utilement, s’étendre à la lecture de toutes les sources littéraires de ses oeuvres. À côté de la bibliothèque historique de Boccace, qui peut être reconstituée philologiquement grâce aux témoignages manuscrits, il existe en effet une grande bibliothèque de la mémoire de l’auteur, qui peut être restaurée par des enquêtes intertextuelles. La variété des éléments en jeu (textes classiques grecs et latins, poésie romane, poèmes narratifs médiévaux, roman grec byzantin, peut-être même oeuvres de la tradition orientale) permet d’identifier la contribution des différentes traditions littéraires à la production de Boccace.


2. Réception


Avec le Decameron, Boccace propose un genre, la nouvelle, dont on connaît depuis longtemps la grande fortune européenne (en France, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre), mais dont les canaux précis de transmission à des publics si différents restent souvent à déterminer. Rappelons par ailleurs que ce chef-d’oeuvre n’a pas seulement exercé une influence sur la nouvelle, mais qu’il a agi sur le roman des débuts de l’époque moderne. Livre destiné aux femmes et dans lequel elles prennent la parole, offrant une leçon de morale à l’un ou l’autre sexe, le Decameron a ouvert la voie à la littérature féminine, dont Marguerite de Navarre est l’une des représentantes les plus célèbres. D’autres oeuvres de Boccace ont inspiré quelques-unes des créatrices du XVIe siècle, comme Anne de Graville, dont le Beau roman n’existerait pas sans la Teseida, ou Hélisenne de Crenne qui utilise l’Elégie de Madame Fiammetta dans Les angoisses douloureuses qui procèdent d’amour.


Ses productions latines (De mulieribus claris, Genealogia deorum gentilium, De casibus virorum illustrium) participent également à cette fortune – extraordinaire dès le XVe siècle en ce qui les concerne – au point d’offrir matière, par la suite, à de nombreuses réélaborations. Il est à noter que, sur les 91 manuscrits connus du De mulieribus claris, pas moins de 60 sont conservés dans des bibliothèques non italiennes, ce qui témoigne de l’attention exceptionnelle qu’on a portée à cette oeuvre. L’héritage que le Decameron a laissé au théâtre européen, tant directement que par le biais de la médiation, a été d’une ampleur extrême. Il faut évidemment citer le Cymbeline de Shakespeare qui dérive de la 9e nouvelle de la deuxième journée, qui, à son tour, se nourrit d’un des épisodes les plus célèbres de l’histoire romaine : celui de la violence faite à Lucrèce, raconté par Tite-Live, dont Boccace s’inspire au départ, mais en donnant une fin heureuse à l’histoire. Il est à la fois, ici, source et courroie de transmission. Et ce sont des siècles de culture européenne qui se mêlent et se nourrissent les uns des autres. Innombrables sont les phénomènes dus à la médiation d’autres oeuvres. Rappelons seulement la Calandria de Bernardo Dovizi da Bibbiena, ponctuée de références continues remontant aussi bien au Decameron qu’à Plaute et à l’Arioste. Une telle comédie, jouée à la cour d’Urbin en 1513, a connu une fortune qui a concerné le public européen tout entier, jouée qu’elle a été à Lyon (1548) et à Munich (1569). L’Allemagne s’intéresse aussi tant au Boccace du Decameron, dont la traduction a été imprimée en 1473, qu’à l’auteur des oeuvres latines : le De casibus virorum illustrium a été traduit en allemand et publié en 1545. Pour des raisons historico-religieuses, la fortune boccacienne y fait l’objet d’un chapitre à part, mais il n’en reste pas moins que des auteurs comme Lessing et Goethe, pour ne citer qu’eux, se sont souvent confrontés à Boccace, tant sur le plan théâtral (pour le premier) que narratif (pour le second). Pour finir évoquons l’Espagne où l’influence de Boccace a été si grande qu’au XVe siècle ni Dante ni Pétrarque n’avaient autant de lecteurs. On y lit d’abord aussi ses oeuvres latines, puis le Decameron flanqué de la Fiammetta, traduite en catalan avant de l’être en castillan. Mais ce sont les oeuvres narratives et le théâtre du Siècle d’Or qui lui réservent le plus bel accueil. Rappelons seulement ici que les Novelas ejemplares de Miguel de Cervantes sont principalement influencés par les premières journées du Decameron(I 10 ; II 6, 9 et 10).


3. Intermédialité


Les études sur l’intermédialité constituent également un axe de recherche important. Si la fortune iconographique de l’oeuvre boccacienne – thématique qu’a lancée le volume Boccaccio Visualizzato de Vittore Branca en 1999 – a constitué un axe de recherche très fréquenté, on enquête surtout actuellement sur ses rapports avec le cinéma et le théâtre. Ses nouvelles sont un modèle important pour le théâtre et constituent une réserve inépuisable d’intrigues et de personnages, à tel point que dans toute la tradition théâtrale européenne des XVIe et XVIIe siècles, il est possible de reconnaître une adaptation performative de la nouvelle à l’intérieur d’un cadre théorique qui redéfinit, fréquemment et en profondeur, à la fois sa structure et sa forme. Il apparaît donc que la nouvelle et le théâtre partagent des questions et des centres d’intérêt identiques, comme l’hybridation des styles, les effets de l’oeuvre sur le public, la mise en scène ou la mise en voix du texte.


Les relations entre Boccace et le cinéma ne sont pas moins remarquables. Parmi les nombreuses versions cinématographiques du Decameron, l’adaptation signée par Pier Paolo Pasolini en 1971 est particulièrement importante, ce dont témoigne le livre récent de Carlo Vecce, Il Decameron di Pasolini, storia di un sogno (Roma, Carocci, 2022). Mais il faut citer aussi des réalisations cinématographiques plus récentes, comme Meraviglioso Boccaccio de Paolo et Vittorio Taviani. La persistance du modèle de Boccace dans la culture du XXe siècle est cependant plus large. Des études récentes, comme celle de Marco Bardini, explorent le rôle et l’influence durable de ce chef d’œuvre littéraire et offrent une analyse complète et approfondie de l’impact continu du Decameron de Boccace sur la création artistique et culturelle, depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours, en mettant en lumière sa pertinence et sa polyvalence à travers les âges. L’objectif est d’examiner le concept du « personnage Boccace » et la manière dont celui-ci a été utilisé et interprété dans des oeuvres de création variées (littérature, cinéma, théâtre et musique compris) ainsi que dans des produits culturels et des pratiques de la contre-culture et de la sous-culture.


4. Enseignements moraux, sociaux et politiques de Boccace


Le Decameron, qui a souvent et faussement été interprété comme un livre n’incitant qu’à l’amour, paraît proposer en réalité une réflexion sur cette passion, une invitation à la repenser radicalement. Lucia Battaglia-Ricci a démontré que le manuscrit autographe reprend la forme et le format d’un traité académique, ce qui laisse penser que Boccace considérait son livre comme un ouvrage de nature didactique (Scrivere un libro di novelle, 2013). Écouter même les nouvelles les plus explicites sur le plan érotique n’a du reste pas influencé le comportement des membres de la brigata, comme le souligne Panfilo à la fin de la dernière journée. Au contraire de Francesca da Rimini et de Paolo dans la Divine comédie, les dix jeunes filles et jeunes gens du Decameron n’ont pas superposé la littérature à la vie. Le chef-d’oeuvre de Boccace est une oeuvre qui met lectrices et lecteurs au défi d’évaluer la solidité de sa morale. Comme le suggère la Conclusion de l’auteur (8-15), c’est un livre qui est confié à l’intelligence du lecteur, qui est conscient que tout peut être utilisé à bon ou à mauvais escient. Boccace, peut-on dire, inaugure au Moyen Âge une poétique du lecteur.


Du Decameron et de ses autres oeuvres, qui abordent des questions éthiques et des problèmes de rapports sociaux intemporels tels que la justice, la corruption et le pouvoir, lecteurs et lectrices de toutes les époques peuvent tirer des leçons non seulement morales, mais aussi sociales et politiques. Que l’on pense à la courtoisie exemplaire de Cisti Fornaio et Guido Cavalcanti, dans les nouvelles 2 et 9 de la sixième journée, étudiées par Kristina Olson (Courtesy Lost, 2015), à l’humilité enseignée par l’histoire des vicissitudes du roi Arthur dans le De casibus et, de manière générale, à toutes les valeurs proposées par les grandes oeuvres latines, du De casibus au De mulieribus. Par ailleurs, comme le rappelle Stefano Jossa, l’horizon du Decameron est avant tout politique, car le livre offre l’exemple « d’une pratique communautaire qui devient allégorie politique du bon gouvernement et du vivre ensemble en société » (« Non giucando [...] ma novellando ». Primi appunti per una lettura comunitaria del ‘Decameron’, 2015).


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Les propositions de communications, en italien et en français, pourront notamment concerner :


- les sources antiques et romanes de Boccace


- les rapports entre Boccace et les écrivains en langue vernaculaire


- les oeuvres de Boccace, tant en latin qu’en italien


- les manuscrits et les imprimés des oeuvres de Boccace et de leurs traductions


- l’héritage de Boccace en Europe (et éventuellement dans les littératures des langues néolatines


d’Amérique) : traductions, réécritures, intertextualité et réutilisation jusqu’au XXIe siècle


- les études visuelles et les relations texte-image dans la tradition de l’oeuvre de Boccace


- des mises en scène théâtrales et des réalisations cinématographiques.


Les propositions, de 300 mots maximum, seront accompagnées d’une brève biographie des auteurs, de 100 mots maximum, et devront parvenir au secrétariat du colloque(boccaccio2025@gmail.com) au plus tard le 11 septembre 2024.


Les nuitées à Lille des intervenants retenus seront financées par les institutions organisatrices.


Les frais de voyage seront à la charge des participants.


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Ce colloque est une des étapes d’un projet franco-italien conçu par l’Université de Lille et par


l’Università della Calabria. Il est co-organisé par Cristina Figorilli (Università della Calabria), Teresa Nocita (Università dell’Aquila), Enrica Zanin (Université de Strasbourg), Massimo Lucarelli (Université de Caen Normandie, LASLAR), Raffaella Zanni et Anne Robin (Université de Lille, CECILLE).


 

 

 
: Enrica ZANIN