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Appel à communications : Les personnages secondaires du théâtre grec antique : élaboration, réception, reconfiguration, de l’Antiquité à nos jours (Paris)
: 10/05/2024
: Paris, Jussieu (Centre International de Conférences Sorbonne Université)
: Marcus Garzon (ENS Paris), Cassandre Martigny (Sorbonne Université), Cécile Neeser Hever (Université de Genève)
: personnages.secondaires@gmail.com
: https://www.fabula.org/actualites/119719/les-personnages-secondaires-du-theatre-grec-antique-elaboration-reception.html

Appel à communications pour un colloque international : 


Les personnages secondaires du théâtre grec antique : élaboration, réception, reconfiguration, de l’Antiquité à nos jours


 Centre International de Conférences Sorbonne Université, salle 109 (4 place Jussieu 75005 Paris)


5 et 6 décembre 2024


Faire-valoir ou antagoniste, accompagnant-e, confident-e ou ami-e, le personnage secondaire du théâtre grec est à la fois indispensable à l’intrigue et considéré comme mineur. Ce paradoxe est au cœur du colloque international « Les personnages secondaires du théâtre grec antique : élaboration, réception, reconfiguration, de l’Antiquité à nos jours », dont l’objectif est double : il s’agira d’une part de s’interroger sur les représentations et les fonctions des personnages secondaires dans le théâtre antique lui-même et, d’autre part, d’explorer leur devenir dans un corpus varié, tant sur le plan historique (de l’Antiquité à la période contemporaine) que sur les plans générique et discursif (outre les réappropriations littéraires et artistiques, une grande place sera faite aux discours théoriques et critiques).

Longtemps laissés dans l’ombre de protagonistes le plus souvent éponymes, les personnages secondaires du théâtre grec antique font, depuis la fin des années 1960 et sous l’impulsion des théories postcoloniales, féministes, queers, intersectionnelles, l’objet d’un intérêt croissant, tant dans la réception littéraire que dans les études critiques. Ce colloque se propose d’étudier ces phénomènes contemporains, mais aussi d’observer comment, depuis l’Antiquité, toutes les réélaborations littéraires et discours critiques qui se sont intéressés aux personnages secondaires invitent à relire et à réinterpréter les pièces dont ils s’inspirent. Qu’elles soient d’ordre critique, théorique ou esthétique, ces réélaborations impliquent en effet un décentrement : décentrement par rapport au centre de l’intrigue des œuvres ; décentrement par rapport aux discours majoritaires à leur propos.

Seconds termes d’un binôme où l’homme est le protagoniste, la femme le personnage secondaire (Œdipe-Jocaste, Ajax-Tecmesse…), de couples d’amis ou de frères d’armes dont la relation a été problématisée depuis l’Antiquité (Achille-Patrocle, Oreste-Pylade), de couples de sœurs aux caractères et attitudes à la fois antithétiques et complémentaires (Antigone-Ismène, Electre-Chrysothémis), les personnages secondaires sont-ils simples faire-valoir n’ayant d’autre fonction dramaturgique que celle de mettre en avant, par contraste, leur pendant héroïque ? Ou sont-ils au contraire porteurs d’une parole et d’un éthos singuliers ? Dans la lignée des travaux de Marie Saint Martin (2019) sur les représentations d’Electre et ses sœurs ou de ceux de Cyril Gendry (2020) sur la nature fluctuante de la relation d’Achille et Patrocle, nous proposons de questionner les reconfigurations qu’ont pu connaître ces couples depuis l’Antiquité : que nous apprennent-elles sur les œuvres qui proposent ces interprétations et sur leur contexte d’écriture ? Quelles perspectives ouvrent-elles dans la réception du matériel source ?

Outre les personnages secondaires nommés qui appartiennent à l’élite héroïque, il est aussi nécessaire de considérer tout le personnel mineur de la tragédie, très souvent anonyme (nourrices, gardes, serviteurs, messagers, esclaves…), et qui fait l’objet d’un intérêt spécifique dans la réception moderne et contemporaine, tant critique qu’esthétique (Paillard 2008). On s’intéressera alors aux minorités (de classe, de genre et de race) dans les textes antiques et dans leurs réélaborations ultérieures . Dans les réappropriations fictionnelles contemporaines, on peut penser à Œdipe sur la route (1990) et Antigone (1997) d’Henry Bauchau, qui adjoignent aux personnages repris à la tradition mythologique une série de personnages auxiliaires, nommés ou non, ou encore à certaines reconfigurations qui font de figures mineures les catalyseurs de l’action tragique (ainsi, Sophronie, l’esclave de Jocaste, qui précipite le fils dans le lit de sa mère dans Mes Œdipe de Jacqueline Harpman, 2006). Les membres du chœur antique, qui appartiennent à une catégorie sociale (esclaves, marins), à une classe d’âge ou de genre (des femmes, des jeunes filles, des vieillards) pourront également faire l’objet d’une étude portant sur leur place et à leur rôle dans les tragédies attiques et dans les mises en scène des textes qui nous en sont parvenus (Vasseur-Legangneux 2004 ; Baudou 2021).

Les communications pourront porter sur tous types de corpus, esthétiques – textuels, scéniques, visuels, plastiques, cinématographiques … – mais aussi théoriques et critiques. Cet empan délibérément large doit permettre d’interroger et de contextualiser la réception de la figure traitée, de l’Antiquité jusqu’à la période contemporaine, à travers différentes aires géographiques, linguistiques et culturelles. Les communications pourront explorer les questions suivantes, sans pour autant devoir s’y limiter :

  • Questions terminologiques : qu’est-ce qu’un personnage secondaire ? Qu’est-ce qu’un personnage mineur ? Ces définitions changent-elles en fonction du corpus, de l’époque ou encore du genre considéré ? Une définition à la fois dynamique et englobante est-elle possible, qui prendrait en compte les différences d’époque, de lieu et de genres performatifs ?

  • Questions génériques : les tragédies attiques présentant des personnages secondaires aux côtés des personnages principaux sont déjà des réélaborations des épopées archaïques (Heidmann 2008). Il sera possible d’analyser les effets (énonciatifs, narratifs) induits par ce passage de l’épique au tragique sur le statut de personnage (Gély 1999, Ponnau 2008). Des questions similaires se posent à propos des changements de genre dans les réinterprétations plus récentes, voire contemporaines. En quoi le choix du genre littéraire peut-il être déterminant dans la revalorisation d’un personnage secondaire ? Certains genres sont-ils plus propices que d’autres à cette revalorisation ?

  • Questions (trans)historiques : on pourra s’interroger sur les raisons sociétales et discursives qui font de l’époque contemporaine (dès les années 1960) un terreau particulièrement fertile pour une attention sans équivalent à ces figures de l’ombre, voire de la marge du mythe. Mais si la période contemporaine a insufflé aux réécritures de mythes les préoccupations poético-politiques des théories issues des mouvements de libération (études postcoloniales, féminisme,  mouvements queer et LGBT+) et apparaît donc comme singulièrement propice à la réévaluation de personnages autrefois négligés, elle n’en a pas l’apanage. Les communications étudiant des corpus antérieurs seront donc particulièrement bienvenues, afin de nuancer et de problématiser l’impression d’une éclipse entre l’Antiquité et la période contemporaine. L’analyse des phénomènes de reconfiguration et de réappropriation pourra également conduire à s’interroger sur la possibilité d’un « devenir » mythe (Gély 2008) des personnages secondaires : dans quels cas et à quelles conditions un personnage secondaire ou mineur peut-il accéder au statut de personnage principal ?

  • Poétique et politique de la réception : la dimension poétique de la réappropriation féministe et post-coloniale de figures de la tradition gréco-romaine est indissociable de sa dimension politique, car il s’agit de se réapproprier des figures considérées comme oubliées, marginalisées, ou représentées d’une façon qui paraît injuste par une tradition patriarcale et raciste qu’on retourne alors contre elle-même. Dans cette perspective, il s’agira d’étudier les réécritures, les réappropriations et les « révisions » féministes (Rich 1972, Ostriker 1982) et post-coloniales des œuvres antiques au prisme de ces personnages secondaires et d’analyser les dynamiques de revalorisation /« transvalorisation » (Genette 1982) de ces personnages. Pour autant, toutes les réécritures de textes canoniques focalisées sur un personnage mineur ou secondaire n’ont pas la même charge subversive. Au-delà du corpus mythologique, Jeremy Rosen (2016) a montré la grande popularité, en particulier dans le domaine anglo-saxon, de cette pratique e depuis les années 1960-1970. Dans l’espace francophone, on mentionnera les travaux de Richard Saint-Gelais sur la transfictionnalité (2011). Dans ce genre aux contours fluides, nombre de ces réécritures se présentent comme un jeu narratif et dramaturgique a priori exempt de toute préoccupation critique ou subversive. Certaines d’entre elles s’inscrivent même dans une perspective très révérencielle, voire capitalisent sur l’autorité de leur prédécesseur. Dans le prolongement de ces questions, on pourra aussi s’interroger sur les limites poétiques et politiques de telles entreprises, prises entre la subversion et la consécration implicite du texte qu’elles réécrivent.

  • Au-delà des corpus esthétiques et de critique littéraire universitaire, les personnages secondaires du théâtre antique ont aussi pu devenir les emblèmes de propositions théoriques et politiques (Tomiche 2006, Solnit 2014) et de nouveaux paradigmes interprétatifs (Rawlinson 2014). On pourra explorer les possibles, mais aussi les tensions inhérentes à l’élévation d’un personnage autrefois minorisé au statut d’emblème ou de symbole.

  • Questions épistémologiques : le retournement de la focale indissociable de l’intérêt (qu’il soit théorique ou esthétique) pour ces personnages demande-t-il de repenser la question du point de vue, en études littéraires et au-delà ? On pourra ici convoquer le champ des perspectives de recherches situées.


Les propositions de communications (200-300 mots), en français ou en anglais, accompagnées d’une brève bio-bibliographie sont à faire parvenir à personnages.secondaires@gmail.com d’ici au 10 mai 2024.

Comité d’organisation : Marcus Garzon (Ecole Normale Supérieure) ; Cassandre Martigny (Sorbonne Université) ; Cécile Neeser Hever (Université de Genève).

Bibliographie sur le sujet :


ATTALI, Maureen, « Des réécritures féministes d’épopées antiques pour diffuser le renouvellement historiographique : Lavinia, Circé et Le Silence des vaincues », Le Temps des médias, vol. 37, n° 2, 2021, p. 147–163.


BAUDOU, Estel, Créer le chœur tragique : une archéologie du commun (Allemagne, France, Royaume-Uni ; 1973-2010), Paris, Classiques Garnier, 2021.


BERTHIER, Manon, DEJOIE, Caroline, HERTIMAN, Marys Renné, LEÏCHLE, Mathilde, LEVY, Anna, MARTIGNY, Cassandre, MEYER, Suzel, PLANTEC VILLENEUVE, Maud (dir.), Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2023.


BOEHRINGER, Sandra, CREVIER-GOULET, Sarah-Anaïs, SANTOS Beatriz, “Déméter et Koré. Actualisations féministes d’un mythe” (dossier), Cahiers du genre 2023/1 (n° 74).


GELY, Véronique, « Mythes et genres littéraires : de la poétique à l’esthétique des mythes », dans Sylvie Ballestra-Puech et Jean-Marc Moura (dir.), Le Comparatisme aujourd’hui, Lille, Éditions du Conseil scientifique de l’Université Charles de Gaulle-Lille 3, « Travaux et Recherches », 1999.


GELY, Véronique, « Le devenir-mythe des œuvres de fiction », dans Sylvie Parizet (dir.), Mythe et littérature, Paris, Lucie éditions pour la SFLGC, 2008.


GENDRY, Cyril, Achille et Patrocle, un mythe du couple masculin : étude historique et mythopoétique de la relation d’Achille et Patrocle de l’Antiquité à nos jours (domaines grec, latin, français et anglais), thèse de doctorat dirigée par Véronique Gély, Sorbonne Université, soutenue le 13 novembre 2020.


GENETTE, Gérard, Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Seuil, « Poétique », 1982.


HEIDMANN, Ute, « Comment comparer les (r)écritures anciennes et modernes des mythes grecs ? » dans Sylvie Parizet (dir.), Mythe et littérature,  Paris, Lucie éditions pour la SFLGC, 2008, p. 143-160.


MARTIGNY, Cassandre, Devenir Jocaste : naissances et renaissances du personnage, de l’Antiquité à nos jours, thèse de doctorat sous la codirection de Véronique Gély et Marie-Pierre Noël, Sorbonne Université, soutenue le 17 novembre 2023.


NEESER HEVER, Cécile, « Minor Characters, Genre, and Relationality: Antigone’s Sister in Contemporary Literature », in Codina, Núria, Vermeulen, Pieter (dir.), Pluralizing the Minor: Figures, Genres, Practices (Special Issue), Interventions. International Journal of Postcolonial Studies, 2024, disponible en ligne : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/1369801X.2024.2314276 (consulté le 25 mars 2024).


OSTRIKER, Alicia, « The Thieves of Language: Women Poets and Revisionist Mythmaking », Signs, n° 8, 1982, p. 68–90.


PAILLARD, Elodie, The Stage and the City. Non-elite characters in the tragedies of Sophocles, Paris, Ed. de Boccard, 2017 .


PONNAU, Gwenhaël, « Sur le passage d’un genre à un autre : quelques propositions », D’un genre littéraire à l’autre, Mont-Saint-Aignan, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2008.


RAWLINSON, Mary C., « Beyond Antigone: Ismene, Gender and the Right to Life », in Chanter, Tina & Sean D. Kirkland (éd.), The Returns of Antigone. Interdisciplinary Essays, Albany, State University of New York Press, 2014, p. 101-121.


RICH, Adrienne, « When We Dead Awaken: Writing as Re-Vision », College English, vol. 34, n° 1, 1972, p. 18–30.


ROSEN, Jeremy, Minor Characters Have their Day: Genre and the Contemporary Literary Marketplace, New York, Columbia University Press, 2016.


SAINT-GELAIS, Richard, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Seuil, 2011.


SAINT MARTIN, Marie, Représentations d’Electre, antiques et modernes, Paris, Classiques Garnier, 2019.


SOPHOCLE, Aïas / Ajax, texte établi par Alphonse Dain ; revu par Jean Irigoin, puis par Paul Demont ; introduction, traduction & commentaire par Paul Demont, Paris, Les Belles Lettres, 2022.


SOLNIT, Rebecca, « Cassandra Among the Creeps », Harper’s Magazine, 1er octobre 2014,  disponible en ligne: https://harpers.org/archive/2014/10/cassandra-among-the-creeps/ (consulté le 18 septembre 2023). L’essai a été repris dans Men Explain Things to Me, Chicago, Haymarket Books, 2014 (trad. fr. par Céline Leroy, Ces hommes qui m’expliquent la vie, Paris, Éditions de l’Olivier, 2018).


THEVENET, Lucie, Phèdre à Hippolyte. Scènes d’aveux antiques et contemporaines, Paris, Les Belles Lettres, coll. “Vérité des mythes”, 2022.


TOMICHE, Anne, « Philomèle dans le discours de la critique littéraire contemporaine », dans Philomèle. Figures du rossignol dans la tradition littéraire et artistique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2006, p. 305-324.


VASSEUR-LEGANGNEUX, Patricia, Les tragédies grecques sur la scène moderne : Une utopie théâtrale, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2004.

: https://www.fabula.org/actualites/119719/les-personnages-secondaires-du-theatre-grec-antique-elaboration-reception.html