parution

THE SMASHING PUMPKINS ou L’UNITE MISE EN PIECES
: Michel AROUIMI
: fr
: Daniel Lesueur
: Michel Arouimi
: ISBN : 978-237848-293-0
: CAMION BLANC
: 2
: http://www.camionblanc.com/index.php?p=contact
 

The Smashing Pumpkins ou l’Unité mise en pièces, Camion Blanc, 2021, 388 p. (ill.)

 

Depuis trois décennies, le poète Billy Corgan, auteur du recueil Blinking with fists (2004), apprécié comme une expression de l’esprit de la nouvelle génération aux Etats Unis, anime le célèbre groupe de rock fondé par lui-même, The Smashing Pumpkins, avec la volonté de bouleverser les cadres de l’industrie musicale. Outre leur étrangeté, la technique de ses poèmes s’apparente à celle de la peinture la plus abstraite ; de même avec les chansons écrites par cet artiste extraordinairement prolifique.

La littérature, et en particulier celle du XIXe siècle, est célébrée dans maints albums des Pumpkins, en raison des leçons universelles qu’elle comporte, et qui se perpétuent dans ces albums. Le tout dernier d’entre eux, Cyr (2020), comporte une vingtaine de titres : le deuxième et l’avant-dernier sont liés par leur ancrage littéraire: un hommage à Thomas de Quincey (dans la chanson « Confessions Of A Dopamine Addict ») et un autre, encore plus apparent, à William Blake : la chanson « Tyger Tyger », n’est rien moins qu’une réécriture du fameux poème de Blake The Tyger, dans lequel est justement questionné le sens métaphysique de la symétrie. Laquelle est exemplifiée dans le rapport de ces deux chansons : une énigme parmi cent autres, sur divers plans de la conception de l’album.

Ce jeu poétique prend des aspects plus subtils dans un album antérieur, Monuments to an Elegy : la symétrie est celle de la position des deux titres « Beige Beige » et « Dorian [Dorian ]» : il s’agit bien sûr de Dorian Gray (Wilde est l’objet d’une dédicace dans le vidéo-clip d’une chanson plus ancienne (« Ava Adore »). Beige et gris (gray) : deux couleurs mêlées, dont le symbolisme intéresse l’objet de la quête poétique de Corgan : une certaine idée de l’unité ou « symmetry of form », telle que l’envisageait Herman Melville, qui semble avoir laissé des traces dans l’imagination de Corgan.

La finesse des intentions dont témoigne le contenu des albums des Pumpkins, n’est pas plus remarquable que celle des textes de Corgan (comme ceux, plus rares, de James Iha, guitariste star des Pumpkins). Ces textes s’offrent comme des microcosmes parfaitement agencés,  dont le pouvoir de fascination est augmenté par les références aux grandes traditions : l’Apocalypse bien sûr, mais aussi le Livre des Morts (dans le tout premier album, Gish, 1993).

Au fil des chansons ou des albums, l’alternance de certaines légendes bibliques (Caïn)  et celles de l’Egypte antique, suggèrent un éclectisme profondément motivé : loin des emprunts ludiques à la Tradition, devenus coutumiers dans l’univers de la pop. L’écriture de Corgan étant impulsée par une méditation de ces grands repères culturels, acclimatés dans son propre univers, si absolument moderne. Corgan s’est d’ailleurs risqué à publier des albums solos de musique électronique. On lui doit une adaptation du roman initiatique d’Herman Hesse, Siddharta (2016) : huit heures durant, Corgan récite le texte de Hesse, sur une musique de son cru.

Cette capacité de synthèse n’est pas détachée de préoccupations philosophiques, dont témoigne évasivement le journal intime de Corgan, publié sur le net. Le drame de la victime émissaire, et tout ce que René Girard lui associe (même si rien dans les écrits de Corgan ne suggère sa lecture de Girard), hante la plupart des albums des Pumpkins, en particulier Adore (1999) : le bouc solitaire, dans une des illustrations du livret, présente un rapport préoccupant avec les autres images de ce livret…

Est-ce Rimbaud qui a soufflé autrefois l’idée de l’alchimie dans l’imagination de Corgan ? La connaissance de l’alchimie, dans son sens originel, est évidente dans des albums dont la conception générale et l’écriture des chansons, paroles et musique, honorent les sens convergents de l’ « alchimie du verbe » : mariage de valeurs, et rythmes « instinctifs », ces rythmes dont Corgan donne volontiers la clé, avec des nombres énigmatiques, dans certaines chansons ou dans le livret de l’album.

Cet ouvrage consacré aux Smashing Pumpkins (vingt-quatre chapitres titrés) met donc en avant le lien, manifesté par leurs chansons, qui unit la culture de masse et maints grands repères de la littérature. Cette approche s’étend à l’aspect visuel de la production des Pumpkins : leur imagerie très sophistiquée, à laquelle concourent de nombreux artistes plasticiens, respectueux des préoccupations de Corgan. En témoigne l’inspiration probable d’un dessin fameux de William Blake, dans l’image intérieure de la pochette de l’album Cyr, réalisée par des graphistes américains novateurs.