appel

Les ratages, les dysfonctionnements et les vices de la Pop Culture
: 20/02/2019
: Université de Haute-Alsace, à Mulhouse
: Frédétique Toudoire-Surlapierre et Sébastien Hubier
: frederique.toudoire@uha.fr
: Faculté des lettres, langues et sciences humaines
Université de Haute-Alsace
10, rue des Frères Lumière
68093 Mulhouse Cedex
: https://www.ille.uha.fr/presentation-de-lille/

Les ratages, les dysfonctionnements et les vices de la Pop Culture


 2-3 mai 2019


 

There is a spectacular rise of what we might call a bio-morality which promotes the following fundamental axiom: a person who feels good is a good person; a person who feels bad is a bad person.

Alenka Zupančič

 

Dans The Wellness Syndrome, Carl Cederström et Andre Spicer[1], respectivement professeur à l’université de Stockholm et professeur à l’université de Londres, se sont attachés à mettre au jour les rouages et les enjeux du culte hypermoderne du bien-être. Depuis deux décennies, nos sociétés ont érigé la santé au rang de valeur et imposé de nouvelles interdictions dirimantes : il faut arrêter de fumer, il faut diminuer sa consommation d’alcool, il faut manger cinq fruits et légumes par jour, il faut éviter les graisses et cuisiner des aliments riches en vitamines, il faut faire du sport, car c’est bon pour la forme, il faut délaisser la voiture au profit du vélo car c’est bon pour la planète, etc. Il faut consommer la bonne, la saine, la juste nourriture issues des économies sociale et solidaire. Il faut éviter les produits au gluten... Partout, l’image d’une personne saine et mince est érigée en modèle, et tous ceux qui n’atteindraient pas cet idéal – les gros, les fumeurs, les intempérants et débauchés de toutes les sortes – sont soupçonnés de manquer de volonté, d’hygiène, d’être paresseux, incapables de se prendre en main. A y regarder de près, ces intimations constantes trahissent un profond mépris de classe, cette prāxis qui, au prétexte du politiquement correct, blâme en réalité la classe laborieuse, révélant au passage combien BoBos, hipsters, twees métrosexuels et autres yuccies sont, dans les faits, de petits tyrans coupés de la vie quotidienne des masses.

De toutes ces formes d’injonction morale, il devient de plus en plus difficile de se libérer : outre-Atlantique, des universités font signer des contrats à leurs étudiants dans lesquels ceux-ci s’engagent à avoir une hygiène de vie impeccable. Des professeurs s’imaginent en coachs de vie dans le même temps que des directeurs des ressources humaines se renomment « directeurs du bonheur ». Ce n’est pas là le moindre des paradoxes : tout en obligeant les salariés à travailler le plus possible, dans des conditions de plus en plus dures, les entreprises – que les sociétés de contrôle érigent en modèle – les assujettissent à de longues des séances de méditation ou leur imposent, à leur bureau même, de longue séances de tapis de course. En Angleterre, l’entreprise suédoise Scania surveille en permanence les constantes vitales de ses employés (qui sont pénalisés s’ils ne font pas assez d’exercice) et le syndicat des enseignants de Chicago soumet désormais ses membres à un suivi personnalisé les contraignant à surveiller leur cholestérol et à pratiquer une activité sportive (sous peine de quoi ils doivent payer une amende de six-cent dollars). Là comme dans tant d’autres domaines, tout est mis en place que l’individu – ou, plus exactement, le dividuel pour parler comme Deleuze[2] – se sente coupable s’il ne se résout pas à dompter son corps dans le sens de la mode.

Toutefois, ce culte de la santé est bien loin d’être dénué d’enjeux économiques, politiques et idéologiques. Il est en effet indéfectiblement lié à l’ultralibéralisme : le sujet hypermoderne est socialement conçu comme responsable de son état – c’est-à-dire de ses performances. S’il échoue à mincir, à courir ou à se muscler, il ne peut jamais s’en prendre qu’à lui-même. Dans le sillages des analyses de la « biomoralité » initiées, dans une perspective lacanienne, par Alenka Zupančič à l’université de Nova Gorica[3], on devine que la grande révolution hypermoderne correspond, entre autres choses, à ce moment théorique où bien-être et bonheur n’ont plus été conçus comme un accomplissement personnel mais érigés au rang de valeur ultime. Bien entendu, cette quête obsessionnelle et paranoïaque du bonheur – qui s’accompagne de formes insensées d’hypermoralisation, d’hygiénisme, d’aseptisation, de conformisme, d’uniformisation politiquement correcte et de restriction des libertés – est une pure illusion : car, au bout du compte, comme le concluent Carl Cederström et Andre Spicer, « life is necessarily experiencing pain and defeat ». Pis encore, cette société férocement émolliente du « Feel good, and shut up » est éminemment anxiogène et même, en somme, névrogène. Comment, en effet, les sujets de la baby-loser generation pourraient-ils supporter sans dommages psychiques d’être quotidiennement confrontés à l’éloge, direct ou indirect, du winner ; éloge qui intervient dans tous les domaines, scolaires, universitaires, fictionnels, idéologiques, politiques, technologiques, professionnels, etc. ? Ces dommages mentaux sont d’autant plus importants qu’il ne s’agit plus seulement aujourd’hui de réussir mais aussi – et, surtout – de prouver qu’on a mérité sa réussite, son statut, sa célébrité. Comment ces membres de la génération Z (1996-...) pourraient-ils supporter de se voir systématiquement accusés d’être responsables de problèmes écologiques prétendument si immenses qu’ils risqueraient de conduire à une nouvelle extinction de masse. Car dans le monde de nos sociétés de contrôle qui n’ont pas renoncé aux contraintes des sociétés disciplinaires, tout doit être présenté comme aléatoire, incertain, douloureux, dangereux. Tout est menace : l’énergie, l’épuisement la biodiversité, la déforestation, l’agriculture industrielle, l’assèchement des terres nourricières, les famines, les ravages sociaux, l’exploitation industrialisée, hypermondialisée et destructrice des sols, des goûts, de la santé. La consommation serait elle-même – et en elle-même – un vice, et le progrès technologique une perversité.

Lors de ces deux journées d’étude, on s’attachera à toutes les représentations des vices et des dysfonctionnements dans la pop culture – littérature de grande diffusion, littérature pour jeunes adultes, romans graphiques, bandes dessinées, musique, fictions cinématographiques, télévisuelles et néo-médiatiques (webcams, photographies numériques, blogs), reality tv shows, productions vidéo-ludiques, etc. : l’amour du gras, de la junk food, de l’alcool ou des drogues, l’excès technologique, le sentiment de vide, le burn-out, l’infantilisation narcissique de la société, l’hypocondrie, la neurasthénie, la névrose, le binge drinking (ou watching), la terreur de la contagion, de la mort, voire des génocides, les perversions sexuelles (du désir pour les real dolls à l’addiction pornographique), les représentations de ce que Pascal Bruckner appelle « l’internationale des pétasses » (pour lesquelles « le sexe est devenu le dernier snobisme, celui auquel chacun doit souscrire sous peine de mort sociale »).

Les propositions (un titre assorti d'un court résumé et d'une aussi courte bio-bibliographie) doivent être envoyées à sebastien.hubier@univ-reims.fr et fredrique.toudoire@uha.fr avant le 20 février 2019

[1]    Carl Cederström & Andre Spicer,The Wellness Syndrome, Cambridge, Oxford & Boston, Polity Press, 2015.

[2]    Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », in Pourparlers 1972-1990, Paris, Minuit, 1990.

[3]    Alenka Zupančič, The Odd One In, Cambridge, MIT Press, coll. « Short Circuits », 2008 & What IS Sex?, Cambridge, MIT Press, coll. « Short Circuits », 2017.
: Université de Haute-Alsace