événement
Agrégation – Darwich (Horchani)
Présentation du recueil de Mahmoud Darwich, La terre nous est étroite et autres poèmes
Ines Horchani, LGC-MA Sorbonne Nouvelle
Mahmoud Darwich est à la fois un poète palestinien et le poète de la Palestine. Ces deux portes dentrée dans son uvre se font face mais sans doute ne faut-il pas les confondre ni les réduire à une seule porte. La forme de laction poétique chez Darwich apparaît donc comme circulaire, avec plusieurs portes dentrée (universaliste, humaniste, particulière, singulière )
Poésie et spatialisation :
« Mes poèmes ne distribuent pas quimages et métaphores. Mais des paysages, des villages, des champs. En fait, mes poèmes distribuent des lieux » (Mahmoud Darwich, Un Siècle décrivains).
La poésie selon Darwich crée, par la métaphore, un espace méta-physique (au deux sens du terme). Dans cette poésie, le sens se trouve reporté, comme lest la frontière physique. « Où irons-nous, après lultime frontière ? » (« La terre nous est étroite », p. 215)
Le report se fait également dans le temps (notamment par le motif des noces perpétuellement reportées) :
« Ne sois pas triste le dimanche,
Et annonce aux gens du village
Le report de nos noces
Aux premiers jours de lannée ». (« Cellule sans murs », p. 45)
«
- Nous marierons-nous ?
- Oui.
- Quand ?
- Lorsque le lilas poussera dans les képis des soldats » (« Le jardin endormi », p. 157)
La forme poétique naît de ce mouvement méta, dans un au-delà spatial et temporel :
« Cest un présent hors du temps »
« Cest un présent privé de lieu » (« La nuit du hibou » p.318)
Le poème naît de ce vide, de cet entre deux :
« Je dessine ma dépouille et tes mains sont deux roses.
Entre toi et moi, une tente ou une fête.
Entre toi et moi, deux images.
Et jajoute pour que tu oublies et te souviennes :
Entre moi et mon nom, des pays ». (« Telle est son image, et voici le suicide de lamant » :
p.102-103)
On peut donc parler dune poétique de lélan, du mouvement, de louverture :
« Le poème est en haut, et il peut
Menseigner ce quil désire
Ouvrir la fenêtre par exemple » (« Dispositions poétiques » p.339-341)
A. Une forme pour linforme :
Le poème donne forme (audible) à linforme (de la souffrance).
Lengagement de Mahmoud Darwich sest fait par nécessité, presque malgré lui. On peut se référer par exemple à lépisode du poème composé innocemment à 12 ans et qui lui vaut les menaces du gouverneur militaire : « Jai compris ce jour-là que la poésie est une affaire plus sérieuse que je ne croyais et quil me fallait décider de poursuivre ou dinterrompre ce jeu dangereux » (p. 381).
En réalité, Darwich est déjà engagé, dans cette voie de laction poétique. On note un contraste entre la solitude effective du poète et sa représentativité. La poésie de Darwich est une poésie identificatoire. La question de lidentité y est centrale. Elle prend la forme allégorique dun trou noir, dû à la perte du pays : « Sur une pierre cananéenne dans la Mer morte » (p. 299).
« Voici mon absence, maître qui dictes tes lois et te ris de ma vision. Que vaut le miroir pour le miroir ? Tu portes lun de mes visages, mais tu ne te réveilles pas de lHistoire » (« Telle est son image, et voici le suicide de lamant », p. 106) : « Je suis le locuteur absent ».
Mahmoud Darwich raconte « lhistoire de mon exil en moi et dans les autres » (p.278) et questionne son identité altérée :
« Les étoiles navaient quun rôle :
Mapprendre à lire
Jai une langue dans le ciel
Et sur terre, jai une langue
Qui suis-je Qui suis-je ? » (« Dispositions poétiques », p.339)
Des réponses éparses sont apportées par le poète au fil de cette anthologie.
Il ne se dit pas « apatride » (adjectif qualifiant la chevelure de la gitane p.358 dans « La gitane détient un ciel exercé ») mais il affirme quil est sa langue : Anâ loughatî.
On note également, au fil du recueil, la présence dinjonctions identitaires, parfois contradictoires, qui conduisent à un dédoublement :
- Injonction identitaire :
Sur lordre de sa mère :
« Sois toi-même où que tu sois. Porte
Le seul poids de ton cur, et reviens
Si ton pays sélargit à tous les pays, et
Change son état » (p. 331)
- Injonction contradictoire :
p.347 « Le voyageur a dit au voyageur : nous ne reviendrons pas comme »
« Pour être, joublie qui je suis
Le multiple en un, le contemporain »
- Dédoublement :
p.323 « Je marchais tout contre moi-même »
Au fil du recueil, se produit une diffraction du moi, un ébranlement des certitudes, et un éclatement de la forme.
Ainsi, dans « Ahmad al-Zaatar » (1977) : le poète sadresse (p.138) avec force et assurance à « Ahmad lUniversel » en lexhortant :
« Ahmad lArabe Résiste !
Pas le temps pour lexil et ma chanson »
Puis viendra le temps long de lexil, et de la poésie comme forme daction.
La poésie de Darwich donne forme à linforme de la souffrance par un recours continu à des figures mystiques : il est le Christ agonisant dans loliveraie (p.15), il est Joseph jeté par ses frères dans le puits (p.225). Il existe bel et bien une corrélation entre Mahmoud Darwich et une cause nationale, un destin collectif. Mais immense est la solitude du poète, creusée par labsence à soi.
B. Corrélations et échos
Je parle de corrélation mais je pourrais utiliser un autre mot, employé par Mahmoud Darwich lui-même au sujet de la poésie : il utilise le mot arabe de tabâbouq : littéralement, coïncidence. Il sagit ici du point de rencontre entre les forces du dehors violence de lHistoire, aberrations politiques et la force du dedans, très centrée chez Darwich, qui savait clamer ses poèmes lors de lectures publiques.
« Doù la justesse de la définition que Yannis Ritsos, lun de ses grands amis, fit de son art poétique lorsquil lui dit un jour, à lissue dun récital commun à Athènes : Tu es un poète lyrique épique !
Darwich fut ainsi constamment à la croisée du chuchotement intime et des chevauchées, des grandes envolées et, comme il aimait souvent à lécrire, du filet dune flûte au fond dune clairière, là où sexprimait la grande fragilité de lhomme ». Elias Sanbar, Dictionnaire amoureux de la Palestine, p.88.
La métaphorisation du pays correspond ainsi à son report, son transport, en poésie. Le pouvoir imaginal du langage savère efficace. Il conduit notamment à laffleurement dune mystique quand lespace physique savère perdu.
Le réel nest plus dès lors lici-maintenant, mais peut être invisible. A la page 277 on trouve ainsi deux occurrences du terme, avec une minuscule au 1er vers, puis avec une majuscule. Le terme employé dans le texte arabe est ghayb = mystère de labsence divine, qui est une présence invisible. La forme poétique rend ici la superposition, au cur du même texte, entre absence et présence. Le pays existe et nexiste plus. On assiste à la superposition, dans lespace poétique, de deux réalités parallèles, non-exclusives.
En stylistique arabe existe la catégorie du majâz : figuration par des images (racine J W Z = traverser, passer à travers, premier sens du mot majâz = passage étroit, goulet). Différentes figures de style sont désignées ainsi : comparaison, métonymie (voir annexe 2). Chez Darwich, laction poétique utilise toutes ces figures de style, comme un pouvoir de re-présentation au sens fort du terme, pour rendre présent ce qui est absent et ce qui est passé.
On note ainsi une coïncidence entre action poétique et action politique chez lui : le terme de tatâbouq désigne également l « homonymie » en arabe, et il existe chez Darwich une homonymie fondatrice de sa poétique : celle entre « la maison » le vers poétique tous deux désignés par le terme al-bayt.
Cette conception de la poésie comme demeure est très ancienne puisquelle nous vient de la poésie arabe préislamique dont les uvres nous sont parvenues sous la forme de poèmes monorimes, distribués en deux hémistiches, chaque hémistiche ayant pour nom une partie de la tente des nomades (annexe 1, qasîda, et p.178-197 « La qasida de Beyrouth » ou encore « Une rime pour les muallaqât » p.350-352 ). Darwich sinscrit dans cette tradition poétique où le vers crée un abri (p.361 : « Des mots, jédifie un abri sûr »). Ses poèmes ne sont plus monorimes ; ils font varier les rythmes, en reprenant parfois des rythmes classiques, mais surtout en trouvant leur propre rythme.
C. Poème sur le rythme:
« Les mots ont parlé et je suis parti
Je nen ai gardé que la cadence
Je lécoute, je lobserve, je la hisse » (p.347)
On note de nombreuses occurrences du terme « écho » dans le recueil par exemple :
« Lécho est sur les prairies ( ) Lécho est un dans les longues guerres » (p. 230).
La poésie est un écho (sadâ) et non pas une simple musique. La poésie est un écho du lieu réel, de lespace-temps perdu, dans le lieu dici. Cest le premier écho vivant, puis lécho de lécho (vers la mort). On peut se référer au double sens du mot as-sâdâ en arabe (voir lexique) qui devient « voix du trépas » (p.34). On relèvera aussi par exemple : « Nous ne pouvons, deux fois, traverser lécho » (p. 209), « Résonance de lécho » (p. 342), « Echo à lécho. Qui de nous a dit ces mots, moi / Ou létrangère ? » (p. 371).
Au sujet de son rapport à la métrique arabe classique on peut citer ses propos qui articulent la transition du mètre à la voix :
« Ce qui légitime le vers libre, cest quil propose de casser les cadences normalisées, pour en créer dautres. Par là il véhicule une nouvelle sensibilité, un goût nouveau. Il nous fait ressentir à quel point les mètres classiques peuvent être standardisés, sans originalité. Cest pourquoi jentretiens un dialogue avec le poème en vers libres, mais il est implicite. Il reste que je cherche, et que je trouve, solution à ce problème au sein même de la métrique classique. ( ) Le mètre est un outil qui sert à maîtriser la cadence interne. Il nest pas un principe immuable et na pas de forme définitive. Cest la voix du poète, sa cadence personnelle, qui confère au mètre sa musique. Regardez nimporte quelle partition, vous y trouverez des notes, mais vous ne trouverez pas deux interprètes qui les joueront sur le même temps. Je nai aucun complexe avec les mètres. Mes cadences changent à chacun de mes poèmes. Même dans un poème à mètre unique, lunité prosodique change selon la place que je lui assigne, selon ses rapports aussi avec le sens, la tonalité, quelle soit narrative, lyrique Rien ne limite ma liberté dans la recherche de mes propres cadences au sein du mètre ». (La Palestine comme métaphore, p.43-44)
La poésie nest pas simplement une production ou une imitation mais bien une performance.
La forme du poème de Darwich reste donc fidèle à cet esprit poétique du bayt, du vers qui est une maison même si le poète se libère des canons classiques. A ce propos, Darwich affirme que sa poésie est une « tente pour la nostalgie » (khayma lil-hanîn). Il désigne ainsi la nostalgie de la maison denfance détruite, la nostalgie du village natal rayé de la carte, la nostalgie de la terre, palestinienne, mais aussi la nostalgie de lêtre-ensemble, de lunité, humaine. Je traduis ici « hanîn » par « nostalgie » (qui est étymologiquement la maladie du retour) mais chez Darwich cette nostalgie nest pas une souffrance abstraite, elle un goût, celui, et ce sont sans doute ses vers les plus célèbres dans le monde arabe, café de sa mère et du pain de sa mère.
« Ma terre natale est, comme vous le savez, le lieu de convergence de messages divins, de civilisations et de cultures, de prophètes et denvahisseurs. Mais ils ont tous en commun davoir été passagers, quelles que furent les durées de leurs séjours. Aussi le « père » ne fut-il jamais un, définitif ou permanent. A la différence de la mère qui, même sil ne faut pas la réduire à cette seule métaphore, incarne lidée de la continuité physique et historique. De là, la force de notre adhésion culturelle à la « mère-terre ». » (La Palestine comme métaphore, p.9).
« Prenez lun de mes poèmes les plus accessibles : « Je me languis du pain de ma mère ». Ce poème na aucun lien avec quelque cause que ce soit, ce qui ne la pas empêché de bouleverser, et de continuer à bouleverser, des millions dêtres humains. Je ny parle pourtant que dune mère bien précise et non dune patrie. Mais cette mère parvient, grâce à limage poétique, à se transformer en une multitude dautres symboles, ce à quoi tend involontairement tout poète. Voilà un poème sans Histoire, sans souffle épique. Une simple ritournelle. Un homme chante sa mère, et son chant parvient à toucher les curs ». (La Palestine comme métaphore, p.103). Il sagit du poème de Darwich (p.16-17) « A ma mère » composé en 1966 et chanté partout dans le Monde arabe.
Dans la poésie de Darwich, cette rencontre ou coïncidence, dans lespace poétique, vient rappeler, sans la remplacer, la terre natale, dune conception ancestrale de la forme poétique revivifiée, et dune matière absente transportée par le poète dans lespace du poème, en souvenir de la terre-mère. Ces corrélations, entre le lointain et le tout-proche, entre lhomme, sa vie et son uvre, entre la Palestine comme pays et la Palestine comme métaphore, font de luvre de Darwich une uvre mouvante et stratifiée.
Il nous faut pour finir noter que Mahmoud Darwich considérait laction poétique comme un pharmakon, à la fois remède et poison. En effet, la poésie savère dangereuse quand elle vise à compenser labsence, alléger la souffrance. Les vers poétiques peuvent ressembler à une maison, mais il ne faut pas oublier les vrais lieux, les vrais gens, la vraie terre.
« Jai appris que la langue et la métaphore ne suffisent point pour fournir un lieu au lieu » (La Palestine comme métaphore, p.25)
D. Double postulation : poétique et politique
« Je crois que le thème Palestine, qui est à la fois appel et promesse de liberté, risque de se transformer en un cimetière esthétique sil demeure enfermé dans sa textualité, dans les limites que sont le « soi » et « lAutre », dans lespace délimité et le moment historique. Autrement dit, si le projet poètique ne recèle pas son aspiration propre, son objet propre qui, en fin de compte, nest que laccomplissement de la poésie » (La Palestine comme métaphore, p.26).
Darwich lui-même relève cette contradiction, ou cette complémentarité, entre laction politique et la forme poétique. On peut ainsi citer :
Watanî haqîba : Ma patrie est une valise
Watanî laysa haqîba : Ma patrie nest pas une valise
Ce sont deux vers de Darwich, qui, dune part, affirme que sa patrie peut être transportée dans une valise, sous la formes de poèmes, légers, qui ne prennent pas beaucoup de place, et suivent le voyageur où quil aille ; et rappelle, dautre part, que sa patrie nest pas une valise, quelle est une terre, des humains, une Histoire. La poésie est une patrie, qui ne remplace pas la vraie patrie.
Ainsi, laction poétique de Darwich est continue. Il sapparente à un poète troyen, obsédé par lécriture des textes absents.
« Ce qui manque terriblement dans lhéritage grec, cest la poésie de Troie. On raconte quelle fut écrite sur des tablettes aujourdhui disparues ( ). Jai choisi dêtre un poète troyen. Je suis résolument du camp des perdants. Les perdants qui ont été privés du droit de laisser quelque trace que ce soit de leur défaite, privés du droit de la proclamer. Jincline à dire cette défaite ; mais il nest pas question de reddition. » (La Palestine comme métaphore, p.29)
E. Pistes de lecture : Formes de laction poétique
- Personnel/impersonnel/universel : les pronoms personnels : je, locuteur absent, ou protéiforme ; forte présente de la 2ème personne du singulier (lennemi, la bien-aimée, le père) ; 3ème personne du singulier : la mère / importance accordée aux « choses » : arbres (citronniers, oliviers), au puits contemporain ou mythique (biblique) p.312, p.323 ; aux objets quotidiens (pain, tabac, café)
- Eloge/élégie de Soi et de lAutre
« Nous contemplons le monde, /A la hâte, / Et nous ne voyons aucun être / Pleurer un autre », (« La chute de la lune », 1969, p. 41)
Procédés didentification avec lAutre, ennemi ou ami, effets de lecture.
- Le poème comme re-fondation : p.206 Texte fondateur intitulé « Un mètre carré en prison ». Laction poétique comme exil et existence : projection spatiale, images-souvenirs et non pas images-inventions. La poésie non pas comme faire mais comme ressentir (sens du mot châir en arabe : le poète est celui qui ressent). Poésie comme acte, comme événement, comme performance. La lecture comme écoute (points de suspension dans les textes, parenthèses exemple p.42), et répétitions positives en littérature arabe). Symétrie problématique entre le lieu perdu et le lieu poétique.
Citations
- Homonymie « maison » et « vers poétique » (bayt) : Un siècle décrivain, Mahmoud Darwich « Et la terre, comme la langue », un film de Simone Bitton et Elias Sanbar, France 3, 1997
- « tente pour la nostalgie » (khayma lil-hanîn), ibid.
- « Mes poèmes ne distribuent pas quimages et métaphores. Mais des paysages, des villages, des champs. En fait, mes poèmes distribuent des lieux », ibid.
- « Jai un problème, je le reconnais, je nai pas accepté à ce jour que jétais vaincu», ibid.
- « Le fait de ne pas connaître le français est peut-être lun des secrets de mon amour pour Paris », ibid.
- La Palestine comme métaphore, p.9 : « Ma terre natale est, comme vous le savez, le lieu de convergence de messages divins, de civilisations et de cultures, de prophètes et denvahisseurs. Mais ils ont tous en commun davoir été passagers, quelles que furent les durées de leurs séjours. Aussi le « père » ne fut-il jamais un, définitif ou permanent. A la différence de la mère qui, même sil ne faut pas la réduire à cette seule métaphore, incarne lidée de la continuité physique et historique. De là, la force de notre adhésion culturelle à la « mère-terre »
- La Palestine comme métaphore, p.25 : « Jai appris que la langue et la métaphore ne suffisent point pour fournir un lieu au lieu »
- La Palestine comme métaphore, p.26 : « Je crois que le thème Palestine, qui est à la fois appel et promesse de liberté, risque de se transformer en un cimetière esthétique sil demeure enfermé dans sa textualité, dans les limites que sont le « soi » et « lAutre », dans lespace délimité et le moment historique. Autrement dit, si le projet poétique ne recèle pas son aspiration propre, son objet propre qui, en fin de compte, nest que laccomplissement de la poésie »
- La Palestine comme métaphore, p.56 : « Sil métait demandé dêtre mon propre critique, jaffirmerais quaprès la sortie de Beyrouth je me suis rapproché du rivage de la poésie. Contrairement à ce quon pense généralement, je considère que ma période beyrouthine fut ambigüe. A cause de la pression de la guerre civile principalement. A cause de la douleur aussi, des sentiments à fleur de peau, sans oublier le devoir délégie funèbre à la mémoire des amis qui mouraient littéralement dans mes bras. ( ) Lécriture poétique requiert une température stable avoisinant les vingt degrés ! Le gel et les canicules tuent la poésie, et Beyrouth était en ébullition. Bouillonnement des sentiments et des visions. Beyrouth fut un territoire de perplexité ».
- La Palestine comme métaphore, p.103 : « Prenez lun de mes poèmes les plus accessibles : « Je me languis du pain de ma mère ». Ce poème na aucun lien avec quelque cause que ce soit, ce qui ne la pas empêché de bouleverser, et de continuer à bouleverser, des millions dêtres humains. Je ny parle pourtant que dune mère bien précise et non dune patrie. Mais cette mère parvient, grâce à limage poétique, à se transformer en une multitude dautres symboles, ce à quoi tend involontairement tout poète. Voilà un poème sans Histoire, sans souffle épique. Une simple ritournelle. Un homme chante sa mère, et son chant parvient à toucher les curs ».
- La Palestine comme métaphore, p.43-44 : « Ce qui légitime le vers libre, cest quil propose de casser les cadences normalisées, pour en créer dautres. Par là il véhicule une nouvelle sensibilité, un goût nouveau. Il nous fait ressentir à quel point les mètres classiques peuvent être standardisés, sans originalité. Cest pourquoi jentretiens un dialogue avec le poème en vers libres, mais il est implicite. Il reste que je cherche, et que je trouve, solution à ce problème au sein même de la métrique classique. ( ) Le mètre est un outil qui sert à maîtriser la cadence interne. Il nest pas un principe immuable et na pas de forme définitive. Cest la voix du poète, sa cadence personnelle, qui confère au mètre sa musique. Regardez nimporte quelle partition, vous y trouverez des notes, mais vous ne trouverez pas deux interprètes qui les joueront sur le même temps. Je nai aucun complexe avec les mètres. Mes cadences changent à chacun de mes poèmes. Même dans un poème à mètre unique, lunité prosodique change selon la place que je lui assigne, selon ses rapports aussi avec le sens, la tonalité, quelle soit narrative, lyrique Rien ne limite ma liberté dans la recherche de mes propres cadences au sein du mètre ».
- Elias Sanbar, Dictionnaire amoureux de la Palestine, p.88 :
« Doù la justesse de la définition que Yannis Ritsos, lun de ses grands amis, fit de son art poétique lorsquil lui dit un jour, à lissue dun récital commun à Athènes : Tu es un poète lyrique-épique !
Darwich fut ainsi constamment à la croisée du chuchotement intime et des chevauchées, des grandes envolées et, comme il aimait souvent à lécrire, du filet dune flûte au fond dune clairière, là où sexprimait la grande fragilité de lhomme ».
- Darwich, « Contrepoint », portrait dEdward Saïd, cité par Elias Sanbar in Dictionnaire amoureux de la Palestine, p.349 :
Et lidentité ? je dis
Il répond : Autodéfense
Lidentité est fille de la naissance. Mais
elle est en fin de compte luvre de celui
qui la porte, non le legs du passé.
Je suis le multiple
En moi, mon dehors renouvelé
Mais jappartiens à linterrogation de la victime.
Nétais-je de là-bas, jaurais entraîné mon cur
à y élever la gazelle de la métonymie
Porte donc ta terre natale où que tu sois
Et sois narcissique sil le faut.
- La Palestine comme métaphore, p.29 : « Ce qui manque terriblement dans lhéritage grec, cest la poésie de Troie. On raconte quelle fut écrite sur des tablettes aujourdhui disparues. ( ) Jai choisi dêtre un poète troyen. Je suis résolument du camp des perdants qui ont été privés du droit de laisser quelque trace que ce soit de leur défaite, privés du droit de la proclamer. Jincline à dire cette défaite ; mais il nest pas question de reddition ».
Bibliographie
Anthologies :
- Rien quune autre année Anthologie poétique (1966-1982), trad. Abdellatif Laâbi, Minuit, 1983
- Au dernier soir sur cette terre, trad. Elias Sanbar, Coll.Babel, Actes Sud, 1999
- Anthologie poétique, trad. Elias Sanbar, Coll.Babel, Actes Sud, 2009
Victims of a map, Samih al-Qâsim, Adonis, Mahmud Darwish, Al-saqi Books, Londres, 1984 (anthologie arabe-anglais, avec une introduction dAbdullah al-Udhari)
Entretiens en français :
- Palestine, mon pays : laffaire du poème, avec S.Bitton, O.Avnéri et M.Peled, Minuit, 1988
- La Palestine comme métaphore, trad. Elias Sanbar, Coll.Sindbad, Actes Sud, 1997
- Entretiens sur la poésie, avec Abdo Wazen et A.Beydoun, trad. F.Mardam-Bey, Actes Sud, 2006
- LExil recommencé, trad.E.Sanbar, Actes Sud, 2013
« Pour moi, la poésie est liée à la paix », article paru dans « LHumanité », 15 avril 2004
Entretien en arabe :
- JE SOUSSIGNE, MAHMOUD DARWICH Entretien avec Ivana Marchalian, trad.Hana Jaber, Actes Sud, 2015
Journal Nazwa, Oman, janvier 2002, avec Samer Abû Hawâsh
Etudes en langues européennes :
- ABOU-BAKR, Randa, The conflict of voices in the poetry of Dennis Butrus and Mahmud Darwish, Ed.Wiesbaden Reichert, 2004
- ABU-HASHHASH, Ibrahim : Tod und Trauer in der Poesie des Palästinensers Mahmud Darwich, Klaus Schwarz Verlag, Berlin, 1994
- AL-ALLAQ, Ali : « Tradition as a Factor of Modernism : Darwishs Application of a Mask », in J.R. Smart (ed.), Tradition and Modernity in arabic Language and Literature, Londres, Curzon Press, 1996
- BITTON, Simone : « Le poème et la matraque » in Mahmoud Darwich, Palestine mon pays Laffaire du poème, Les éditions de Minuit, 1988
- BOUSTANI, Sobhi et Marie-Hélène Avril-Hilal (dir.) : Poétique et politique : la Poésie de Mahmoud :
- Contribution de Sobhi Bostani : « La poésie de Mahmoud Darwich et le quotidien sublimé »
- Contribution de Rania FATHY, de lUniversité du Caire « Art(s) poétique(s) de Mahmoud Darwich. Souvre sur cette question : «
- Comment sétablit lalliance entre le poétique et le politique ? Dans quelle mesure la poésie de Darwich arrive-t-elle à concilier deux paradigmes qui demeurent, pour daucuns, profondément antagonistes, car portant atteinte et à la résistance en lenfermant dans le métaphorique et au poème en le dépossédant de sa poéticité ? »
Réponse : le poème se présente « comme un contre-pouvoir », « un acte de présence », « victoire en termes de supériorité poétique, non dhégémonie miliaire »
- Contribution de Lahouari Ghazzali, de lUniversité de Bordeaux « La figure du Christ dans les poèmes de Mahmoud Darwich »
Contribution de Francesca Corrao, de lUniversité de Naples : « LAbsence source de limage »
- Contribution de Kadhim Jihad Hassan, de lINALCO « Politique du poème » qui parle de la « restauration de lêtre par la vertu de quelques vocables » (p.155)Darwich, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010
- COOPMAN, Pierre et Rima Barrack : « Mahmoud Darwich : poète face au monde », Défis-sud, mars 1998, n°32
- DE DAMPIERRE-NOIRAY, Eve : « De la « terre des ancêtres » (G.Ungaretti) à la « Palestine comme métaphore » (M.Darwich), la guerre comme appropriation poétique du monde. Apports comparatistes, XXXIXe congrès de la SFLGC, Université de Strasbourg, 13-15 novembre 2014, à paraître
- HAMMO, Raba, LEpilogue Andalou de Mahmoud Darwich, Les Voiliers de Mer, Aubagne, 2014
- KHATIBI, Abdelkebir : « Comment fonder poétiquement une nation en exil ? » in Une nation en exil, Hymnes gravés, Mahmoud Darwich et Rachid Koraïchi, Actes Sud/Barzakh
- LE CLEZIO, J.M.G. « Les noces palestiniennes », La Nouvelle Revue Française n°500, septembre 1994
- MANNSON, Annette : Passage to a New Wor(l)d : Exile and Restoration in Mahmoud Darwishs wrintings, 1960-1995, Presses de lUniversité dUppsala, 2003
- MATTAWA, Khaled : Mahmoud Darwish : The Poets Art and his Nation, Syracuse University Press, 2014
- MILICH, Stephan : Fremd meinem Namen und fremd meiner Zeit : Identität und Exil in der Dichtung von Mahmud Darwish, Berlin, Hans Schiler Verlag, 2004
- NASSAR, Hala and Najat Rahman (eds) : Mahmoud Darwish, Exiles Poet : Critical Essays, Northampton, Interlinks Books, 2008
- NU(E) n°20, Carnets de lI.I.S.M.M. « Mahmoud Darwich », juin 2002
- XAVIER, François : Mahmoud Darwich dans lexil de sa langue, Autre Temps, Région PACA, 2004
- Etudes en langue arabe :
- Une multitude darticles sur Internet (approche soit littéraire soit politique, rarement les deux à la fois). Exemples :
- Haydar Tawfîq BAYDUN, « Mahmud Darwîch châir al-ard al-muhtalla » (Mahmoud Darwich, le poète des territoires occupés)
- Site Diwan al-arab : « Ousloubiyyât fî-chir Mahmoud Darwich » (Analyses stylistiques de la poésie de Mahmoud Darwich)
- Saïd AYYAD, « Al-houwiyya wa-l-woujoud fî-chir Mahmoud Darwich » (Identité et existence dans la poésie de Mahmoud Darwich)
Etudes critiques sur support papier :
- BALGAZIZ, Abdallah (dir.) Hakadhâ takallama Mahmoud Darwîch, Dirâsât fî-dhikrâ rahîlihi (Ainsi parlait Mahmoud Darwich, Etudes critiques en son hommage), Markaz dirâsât al-wihda alarabiyya, Liban, 2009
- BACCAR, Tawfîq, « Le Fou de Palestine », préface à Moukhtârât chiriyya (Anthologie), Dâr al-nachr, Tunis, 1985
- NABOULSI, Chakir, Majnoun al-tourab, Dirâsa fî-chir wa-fikr Mahmoud Darwich (Le Fou de la terre, Une étude de la poésie et de la pensée de Mahmoud Darwich), Al-mouassasa al-arabiyya li-l-dirâsât wa-l-nachr, Beyrouth, 1987
- MOUSA, Ibrahim : Al-quds bayna nouqouch al-houwiyya wa-ch-tiâl al-mouqâwama fî-chir Mahmoud Darwich (Jérusalem entre linscription de lidentité et lembrasement de la résistance dans la poésie de Mahmoud Darwich), Anaquel de Estudios Arabes, 2011, vol.22
- WAZIN, Abdul : Al-gharîb yaqa alâ nafsihi, qirâa fî-amâlihi al-jadîda (Létranger finit par se rencontrer lui-même Lecture des dernières uvres de Mahmoud Darwich), 2006
- Sur la Palestine : SANBAR, Elias, Figures du Palestinien Identité des origines, identité de devenir, Gallimard et Dictionnaire amoureux de la Palestine, Plon
Annexes complémentaires
Annexe 1 : Forme poétique arabe classique : la qasîda
Voici, translittérés et traduits, les premiers vers du poème dImrual-Qays (mort vers 550 après JC). Ce texte, dans sa composition et sa présentation typographique, est considéré comme le modèle de la poésie arabe classique.
Qifâ nabki min dhikrâ habîbin wa-mazili bi-siqti al-liwâ bayna ad-dakhouli fa-hawmali
Fa-toudhiha fa-l-miqrâti lam yafou rasmouhâ limâ nasajathâ min janoubin wa chamali
Ô mes deux amis, arrêtons nos montures et pleurons, au souvenir du bien-aimé
Il demeurait là, parmi les plis de cette dune, entre Dakhoul et Hawmal
Et Toudhih et Miqrât. Les dernières traces de son campement ne sont pas encore effacées
Grâce au tissage du vent du Sud et du vent du Nord.
Annexe 2 : lexique comparé
+ Pour lanalyse des images poétiques :
istiâra : métaphore. Racine Y R = critère, norme, étalon, jauge.
Premier sens du mot istiara= lemprunt au sens propre.
souwar : images. Racine S W R = aspect, copie, forme, tableau.
majâz : sens figuré. Racine J W Z = traverser, passer à travers.
Premier sens du mot majâz = passage étroit, goulet
ramz : symbole. Racine R M Z = faire des signes avec les yeux,
indiquer. Premiers sens du mot = code puis attributs, emblèmes
tatâbouq : homonymie. Racine : T B Q = superposition de deux couches, coïncidence, identification, symétrie.
tachbîh : comparaison. Racine Ch B H : imiter, prendre pour modèle.
Premier sens du mot : forcer la ressemblance (ka=comme)
kinâya : métonymie. Racine K N Y : donner un surnom. Premier sens du mot : allusion
+ Sur les formes poétiques arabes :
qasida : texte, écrit ou oral, monorimé et mono-rythmé, qui a la forme des poèmes arabes préislamiques (muallaqât, voir celui reproduit ci-dessus). Traduit en français par « poème ». Sens littéral du mot qasîda = qui cherche à atteindre
nathr : désigne la prose arabe. Sens littéral = ce qui est dispersé.
balâgha : éloquence, rhétorique, art de persuader. Sens littéral du mot balâgha = ce qui permet datteindre
chir et châir : poésie et poète. Racine : Ch R = sentir, ressentir. Le poète est celui qui ressent le monde.
adab : désigne la littérature comme art civilisateur. Racine A D B = finesse, douceur, politesse, savoir-vivre
bayt : la maison, et le vers poétique. Racine B Y T = lieu où passer la nuit
qafiya : rime. Racine Q F W = désigne la nuque, mais aussi la fin de toute chose, et la trace dans le sable.
iltizâm : engagement. Racine L Z M = obligation
bahr : mètre poétique. Premier sens : la mer / îqâ cadence (comme en français : idée de bruit de pas sur le sol) / sadâ : écho
Racine S D Y = la soif, la distance, la mort. As-sadâ = écho et corps sans vie.
Ines Horchani, LGC-MA Sorbonne Nouvelle
Mahmoud Darwich est à la fois un poète palestinien et le poète de la Palestine. Ces deux portes dentrée dans son uvre se font face mais sans doute ne faut-il pas les confondre ni les réduire à une seule porte. La forme de laction poétique chez Darwich apparaît donc comme circulaire, avec plusieurs portes dentrée (universaliste, humaniste, particulière, singulière )
Poésie et spatialisation :
« Mes poèmes ne distribuent pas quimages et métaphores. Mais des paysages, des villages, des champs. En fait, mes poèmes distribuent des lieux » (Mahmoud Darwich, Un Siècle décrivains).
La poésie selon Darwich crée, par la métaphore, un espace méta-physique (au deux sens du terme). Dans cette poésie, le sens se trouve reporté, comme lest la frontière physique. « Où irons-nous, après lultime frontière ? » (« La terre nous est étroite », p. 215)
Le report se fait également dans le temps (notamment par le motif des noces perpétuellement reportées) :
« Ne sois pas triste le dimanche,
Et annonce aux gens du village
Le report de nos noces
Aux premiers jours de lannée ». (« Cellule sans murs », p. 45)
«
- Nous marierons-nous ?
- Oui.
- Quand ?
- Lorsque le lilas poussera dans les képis des soldats » (« Le jardin endormi », p. 157)
La forme poétique naît de ce mouvement méta, dans un au-delà spatial et temporel :
« Cest un présent hors du temps »
« Cest un présent privé de lieu » (« La nuit du hibou » p.318)
Le poème naît de ce vide, de cet entre deux :
« Je dessine ma dépouille et tes mains sont deux roses.
Entre toi et moi, une tente ou une fête.
Entre toi et moi, deux images.
Et jajoute pour que tu oublies et te souviennes :
Entre moi et mon nom, des pays ». (« Telle est son image, et voici le suicide de lamant » :
p.102-103)
On peut donc parler dune poétique de lélan, du mouvement, de louverture :
« Le poème est en haut, et il peut
Menseigner ce quil désire
Ouvrir la fenêtre par exemple » (« Dispositions poétiques » p.339-341)
A. Une forme pour linforme :
Le poème donne forme (audible) à linforme (de la souffrance).
Lengagement de Mahmoud Darwich sest fait par nécessité, presque malgré lui. On peut se référer par exemple à lépisode du poème composé innocemment à 12 ans et qui lui vaut les menaces du gouverneur militaire : « Jai compris ce jour-là que la poésie est une affaire plus sérieuse que je ne croyais et quil me fallait décider de poursuivre ou dinterrompre ce jeu dangereux » (p. 381).
En réalité, Darwich est déjà engagé, dans cette voie de laction poétique. On note un contraste entre la solitude effective du poète et sa représentativité. La poésie de Darwich est une poésie identificatoire. La question de lidentité y est centrale. Elle prend la forme allégorique dun trou noir, dû à la perte du pays : « Sur une pierre cananéenne dans la Mer morte » (p. 299).
« Voici mon absence, maître qui dictes tes lois et te ris de ma vision. Que vaut le miroir pour le miroir ? Tu portes lun de mes visages, mais tu ne te réveilles pas de lHistoire » (« Telle est son image, et voici le suicide de lamant », p. 106) : « Je suis le locuteur absent ».
Mahmoud Darwich raconte « lhistoire de mon exil en moi et dans les autres » (p.278) et questionne son identité altérée :
« Les étoiles navaient quun rôle :
Mapprendre à lire
Jai une langue dans le ciel
Et sur terre, jai une langue
Qui suis-je Qui suis-je ? » (« Dispositions poétiques », p.339)
Des réponses éparses sont apportées par le poète au fil de cette anthologie.
Il ne se dit pas « apatride » (adjectif qualifiant la chevelure de la gitane p.358 dans « La gitane détient un ciel exercé ») mais il affirme quil est sa langue : Anâ loughatî.
On note également, au fil du recueil, la présence dinjonctions identitaires, parfois contradictoires, qui conduisent à un dédoublement :
- Injonction identitaire :
Sur lordre de sa mère :
« Sois toi-même où que tu sois. Porte
Le seul poids de ton cur, et reviens
Si ton pays sélargit à tous les pays, et
Change son état » (p. 331)
- Injonction contradictoire :
p.347 « Le voyageur a dit au voyageur : nous ne reviendrons pas comme »
« Pour être, joublie qui je suis
Le multiple en un, le contemporain »
- Dédoublement :
p.323 « Je marchais tout contre moi-même »
Au fil du recueil, se produit une diffraction du moi, un ébranlement des certitudes, et un éclatement de la forme.
Ainsi, dans « Ahmad al-Zaatar » (1977) : le poète sadresse (p.138) avec force et assurance à « Ahmad lUniversel » en lexhortant :
« Ahmad lArabe Résiste !
Pas le temps pour lexil et ma chanson »
Puis viendra le temps long de lexil, et de la poésie comme forme daction.
La poésie de Darwich donne forme à linforme de la souffrance par un recours continu à des figures mystiques : il est le Christ agonisant dans loliveraie (p.15), il est Joseph jeté par ses frères dans le puits (p.225). Il existe bel et bien une corrélation entre Mahmoud Darwich et une cause nationale, un destin collectif. Mais immense est la solitude du poète, creusée par labsence à soi.
B. Corrélations et échos
Je parle de corrélation mais je pourrais utiliser un autre mot, employé par Mahmoud Darwich lui-même au sujet de la poésie : il utilise le mot arabe de tabâbouq : littéralement, coïncidence. Il sagit ici du point de rencontre entre les forces du dehors violence de lHistoire, aberrations politiques et la force du dedans, très centrée chez Darwich, qui savait clamer ses poèmes lors de lectures publiques.
« Doù la justesse de la définition que Yannis Ritsos, lun de ses grands amis, fit de son art poétique lorsquil lui dit un jour, à lissue dun récital commun à Athènes : Tu es un poète lyrique épique !
Darwich fut ainsi constamment à la croisée du chuchotement intime et des chevauchées, des grandes envolées et, comme il aimait souvent à lécrire, du filet dune flûte au fond dune clairière, là où sexprimait la grande fragilité de lhomme ». Elias Sanbar, Dictionnaire amoureux de la Palestine, p.88.
La métaphorisation du pays correspond ainsi à son report, son transport, en poésie. Le pouvoir imaginal du langage savère efficace. Il conduit notamment à laffleurement dune mystique quand lespace physique savère perdu.
Le réel nest plus dès lors lici-maintenant, mais peut être invisible. A la page 277 on trouve ainsi deux occurrences du terme, avec une minuscule au 1er vers, puis avec une majuscule. Le terme employé dans le texte arabe est ghayb = mystère de labsence divine, qui est une présence invisible. La forme poétique rend ici la superposition, au cur du même texte, entre absence et présence. Le pays existe et nexiste plus. On assiste à la superposition, dans lespace poétique, de deux réalités parallèles, non-exclusives.
En stylistique arabe existe la catégorie du majâz : figuration par des images (racine J W Z = traverser, passer à travers, premier sens du mot majâz = passage étroit, goulet). Différentes figures de style sont désignées ainsi : comparaison, métonymie (voir annexe 2). Chez Darwich, laction poétique utilise toutes ces figures de style, comme un pouvoir de re-présentation au sens fort du terme, pour rendre présent ce qui est absent et ce qui est passé.
On note ainsi une coïncidence entre action poétique et action politique chez lui : le terme de tatâbouq désigne également l « homonymie » en arabe, et il existe chez Darwich une homonymie fondatrice de sa poétique : celle entre « la maison » le vers poétique tous deux désignés par le terme al-bayt.
Cette conception de la poésie comme demeure est très ancienne puisquelle nous vient de la poésie arabe préislamique dont les uvres nous sont parvenues sous la forme de poèmes monorimes, distribués en deux hémistiches, chaque hémistiche ayant pour nom une partie de la tente des nomades (annexe 1, qasîda, et p.178-197 « La qasida de Beyrouth » ou encore « Une rime pour les muallaqât » p.350-352 ). Darwich sinscrit dans cette tradition poétique où le vers crée un abri (p.361 : « Des mots, jédifie un abri sûr »). Ses poèmes ne sont plus monorimes ; ils font varier les rythmes, en reprenant parfois des rythmes classiques, mais surtout en trouvant leur propre rythme.
C. Poème sur le rythme:
« Les mots ont parlé et je suis parti
Je nen ai gardé que la cadence
Je lécoute, je lobserve, je la hisse » (p.347)
On note de nombreuses occurrences du terme « écho » dans le recueil par exemple :
« Lécho est sur les prairies ( ) Lécho est un dans les longues guerres » (p. 230).
La poésie est un écho (sadâ) et non pas une simple musique. La poésie est un écho du lieu réel, de lespace-temps perdu, dans le lieu dici. Cest le premier écho vivant, puis lécho de lécho (vers la mort). On peut se référer au double sens du mot as-sâdâ en arabe (voir lexique) qui devient « voix du trépas » (p.34). On relèvera aussi par exemple : « Nous ne pouvons, deux fois, traverser lécho » (p. 209), « Résonance de lécho » (p. 342), « Echo à lécho. Qui de nous a dit ces mots, moi / Ou létrangère ? » (p. 371).
Au sujet de son rapport à la métrique arabe classique on peut citer ses propos qui articulent la transition du mètre à la voix :
« Ce qui légitime le vers libre, cest quil propose de casser les cadences normalisées, pour en créer dautres. Par là il véhicule une nouvelle sensibilité, un goût nouveau. Il nous fait ressentir à quel point les mètres classiques peuvent être standardisés, sans originalité. Cest pourquoi jentretiens un dialogue avec le poème en vers libres, mais il est implicite. Il reste que je cherche, et que je trouve, solution à ce problème au sein même de la métrique classique. ( ) Le mètre est un outil qui sert à maîtriser la cadence interne. Il nest pas un principe immuable et na pas de forme définitive. Cest la voix du poète, sa cadence personnelle, qui confère au mètre sa musique. Regardez nimporte quelle partition, vous y trouverez des notes, mais vous ne trouverez pas deux interprètes qui les joueront sur le même temps. Je nai aucun complexe avec les mètres. Mes cadences changent à chacun de mes poèmes. Même dans un poème à mètre unique, lunité prosodique change selon la place que je lui assigne, selon ses rapports aussi avec le sens, la tonalité, quelle soit narrative, lyrique Rien ne limite ma liberté dans la recherche de mes propres cadences au sein du mètre ». (La Palestine comme métaphore, p.43-44)
La poésie nest pas simplement une production ou une imitation mais bien une performance.
La forme du poème de Darwich reste donc fidèle à cet esprit poétique du bayt, du vers qui est une maison même si le poète se libère des canons classiques. A ce propos, Darwich affirme que sa poésie est une « tente pour la nostalgie » (khayma lil-hanîn). Il désigne ainsi la nostalgie de la maison denfance détruite, la nostalgie du village natal rayé de la carte, la nostalgie de la terre, palestinienne, mais aussi la nostalgie de lêtre-ensemble, de lunité, humaine. Je traduis ici « hanîn » par « nostalgie » (qui est étymologiquement la maladie du retour) mais chez Darwich cette nostalgie nest pas une souffrance abstraite, elle un goût, celui, et ce sont sans doute ses vers les plus célèbres dans le monde arabe, café de sa mère et du pain de sa mère.
« Ma terre natale est, comme vous le savez, le lieu de convergence de messages divins, de civilisations et de cultures, de prophètes et denvahisseurs. Mais ils ont tous en commun davoir été passagers, quelles que furent les durées de leurs séjours. Aussi le « père » ne fut-il jamais un, définitif ou permanent. A la différence de la mère qui, même sil ne faut pas la réduire à cette seule métaphore, incarne lidée de la continuité physique et historique. De là, la force de notre adhésion culturelle à la « mère-terre ». » (La Palestine comme métaphore, p.9).
« Prenez lun de mes poèmes les plus accessibles : « Je me languis du pain de ma mère ». Ce poème na aucun lien avec quelque cause que ce soit, ce qui ne la pas empêché de bouleverser, et de continuer à bouleverser, des millions dêtres humains. Je ny parle pourtant que dune mère bien précise et non dune patrie. Mais cette mère parvient, grâce à limage poétique, à se transformer en une multitude dautres symboles, ce à quoi tend involontairement tout poète. Voilà un poème sans Histoire, sans souffle épique. Une simple ritournelle. Un homme chante sa mère, et son chant parvient à toucher les curs ». (La Palestine comme métaphore, p.103). Il sagit du poème de Darwich (p.16-17) « A ma mère » composé en 1966 et chanté partout dans le Monde arabe.
Dans la poésie de Darwich, cette rencontre ou coïncidence, dans lespace poétique, vient rappeler, sans la remplacer, la terre natale, dune conception ancestrale de la forme poétique revivifiée, et dune matière absente transportée par le poète dans lespace du poème, en souvenir de la terre-mère. Ces corrélations, entre le lointain et le tout-proche, entre lhomme, sa vie et son uvre, entre la Palestine comme pays et la Palestine comme métaphore, font de luvre de Darwich une uvre mouvante et stratifiée.
Il nous faut pour finir noter que Mahmoud Darwich considérait laction poétique comme un pharmakon, à la fois remède et poison. En effet, la poésie savère dangereuse quand elle vise à compenser labsence, alléger la souffrance. Les vers poétiques peuvent ressembler à une maison, mais il ne faut pas oublier les vrais lieux, les vrais gens, la vraie terre.
« Jai appris que la langue et la métaphore ne suffisent point pour fournir un lieu au lieu » (La Palestine comme métaphore, p.25)
D. Double postulation : poétique et politique
« Je crois que le thème Palestine, qui est à la fois appel et promesse de liberté, risque de se transformer en un cimetière esthétique sil demeure enfermé dans sa textualité, dans les limites que sont le « soi » et « lAutre », dans lespace délimité et le moment historique. Autrement dit, si le projet poètique ne recèle pas son aspiration propre, son objet propre qui, en fin de compte, nest que laccomplissement de la poésie » (La Palestine comme métaphore, p.26).
Darwich lui-même relève cette contradiction, ou cette complémentarité, entre laction politique et la forme poétique. On peut ainsi citer :
Watanî haqîba : Ma patrie est une valise
Watanî laysa haqîba : Ma patrie nest pas une valise
Ce sont deux vers de Darwich, qui, dune part, affirme que sa patrie peut être transportée dans une valise, sous la formes de poèmes, légers, qui ne prennent pas beaucoup de place, et suivent le voyageur où quil aille ; et rappelle, dautre part, que sa patrie nest pas une valise, quelle est une terre, des humains, une Histoire. La poésie est une patrie, qui ne remplace pas la vraie patrie.
Ainsi, laction poétique de Darwich est continue. Il sapparente à un poète troyen, obsédé par lécriture des textes absents.
« Ce qui manque terriblement dans lhéritage grec, cest la poésie de Troie. On raconte quelle fut écrite sur des tablettes aujourdhui disparues ( ). Jai choisi dêtre un poète troyen. Je suis résolument du camp des perdants. Les perdants qui ont été privés du droit de laisser quelque trace que ce soit de leur défaite, privés du droit de la proclamer. Jincline à dire cette défaite ; mais il nest pas question de reddition. » (La Palestine comme métaphore, p.29)
E. Pistes de lecture : Formes de laction poétique
- Personnel/impersonnel/universel : les pronoms personnels : je, locuteur absent, ou protéiforme ; forte présente de la 2ème personne du singulier (lennemi, la bien-aimée, le père) ; 3ème personne du singulier : la mère / importance accordée aux « choses » : arbres (citronniers, oliviers), au puits contemporain ou mythique (biblique) p.312, p.323 ; aux objets quotidiens (pain, tabac, café)
- Eloge/élégie de Soi et de lAutre
« Nous contemplons le monde, /A la hâte, / Et nous ne voyons aucun être / Pleurer un autre », (« La chute de la lune », 1969, p. 41)
Procédés didentification avec lAutre, ennemi ou ami, effets de lecture.
- Le poème comme re-fondation : p.206 Texte fondateur intitulé « Un mètre carré en prison ». Laction poétique comme exil et existence : projection spatiale, images-souvenirs et non pas images-inventions. La poésie non pas comme faire mais comme ressentir (sens du mot châir en arabe : le poète est celui qui ressent). Poésie comme acte, comme événement, comme performance. La lecture comme écoute (points de suspension dans les textes, parenthèses exemple p.42), et répétitions positives en littérature arabe). Symétrie problématique entre le lieu perdu et le lieu poétique.
Citations
- Homonymie « maison » et « vers poétique » (bayt) : Un siècle décrivain, Mahmoud Darwich « Et la terre, comme la langue », un film de Simone Bitton et Elias Sanbar, France 3, 1997
- « tente pour la nostalgie » (khayma lil-hanîn), ibid.
- « Mes poèmes ne distribuent pas quimages et métaphores. Mais des paysages, des villages, des champs. En fait, mes poèmes distribuent des lieux », ibid.
- « Jai un problème, je le reconnais, je nai pas accepté à ce jour que jétais vaincu», ibid.
- « Le fait de ne pas connaître le français est peut-être lun des secrets de mon amour pour Paris », ibid.
- La Palestine comme métaphore, p.9 : « Ma terre natale est, comme vous le savez, le lieu de convergence de messages divins, de civilisations et de cultures, de prophètes et denvahisseurs. Mais ils ont tous en commun davoir été passagers, quelles que furent les durées de leurs séjours. Aussi le « père » ne fut-il jamais un, définitif ou permanent. A la différence de la mère qui, même sil ne faut pas la réduire à cette seule métaphore, incarne lidée de la continuité physique et historique. De là, la force de notre adhésion culturelle à la « mère-terre »
- La Palestine comme métaphore, p.25 : « Jai appris que la langue et la métaphore ne suffisent point pour fournir un lieu au lieu »
- La Palestine comme métaphore, p.26 : « Je crois que le thème Palestine, qui est à la fois appel et promesse de liberté, risque de se transformer en un cimetière esthétique sil demeure enfermé dans sa textualité, dans les limites que sont le « soi » et « lAutre », dans lespace délimité et le moment historique. Autrement dit, si le projet poétique ne recèle pas son aspiration propre, son objet propre qui, en fin de compte, nest que laccomplissement de la poésie »
- La Palestine comme métaphore, p.56 : « Sil métait demandé dêtre mon propre critique, jaffirmerais quaprès la sortie de Beyrouth je me suis rapproché du rivage de la poésie. Contrairement à ce quon pense généralement, je considère que ma période beyrouthine fut ambigüe. A cause de la pression de la guerre civile principalement. A cause de la douleur aussi, des sentiments à fleur de peau, sans oublier le devoir délégie funèbre à la mémoire des amis qui mouraient littéralement dans mes bras. ( ) Lécriture poétique requiert une température stable avoisinant les vingt degrés ! Le gel et les canicules tuent la poésie, et Beyrouth était en ébullition. Bouillonnement des sentiments et des visions. Beyrouth fut un territoire de perplexité ».
- La Palestine comme métaphore, p.103 : « Prenez lun de mes poèmes les plus accessibles : « Je me languis du pain de ma mère ». Ce poème na aucun lien avec quelque cause que ce soit, ce qui ne la pas empêché de bouleverser, et de continuer à bouleverser, des millions dêtres humains. Je ny parle pourtant que dune mère bien précise et non dune patrie. Mais cette mère parvient, grâce à limage poétique, à se transformer en une multitude dautres symboles, ce à quoi tend involontairement tout poète. Voilà un poème sans Histoire, sans souffle épique. Une simple ritournelle. Un homme chante sa mère, et son chant parvient à toucher les curs ».
- La Palestine comme métaphore, p.43-44 : « Ce qui légitime le vers libre, cest quil propose de casser les cadences normalisées, pour en créer dautres. Par là il véhicule une nouvelle sensibilité, un goût nouveau. Il nous fait ressentir à quel point les mètres classiques peuvent être standardisés, sans originalité. Cest pourquoi jentretiens un dialogue avec le poème en vers libres, mais il est implicite. Il reste que je cherche, et que je trouve, solution à ce problème au sein même de la métrique classique. ( ) Le mètre est un outil qui sert à maîtriser la cadence interne. Il nest pas un principe immuable et na pas de forme définitive. Cest la voix du poète, sa cadence personnelle, qui confère au mètre sa musique. Regardez nimporte quelle partition, vous y trouverez des notes, mais vous ne trouverez pas deux interprètes qui les joueront sur le même temps. Je nai aucun complexe avec les mètres. Mes cadences changent à chacun de mes poèmes. Même dans un poème à mètre unique, lunité prosodique change selon la place que je lui assigne, selon ses rapports aussi avec le sens, la tonalité, quelle soit narrative, lyrique Rien ne limite ma liberté dans la recherche de mes propres cadences au sein du mètre ».
- Elias Sanbar, Dictionnaire amoureux de la Palestine, p.88 :
« Doù la justesse de la définition que Yannis Ritsos, lun de ses grands amis, fit de son art poétique lorsquil lui dit un jour, à lissue dun récital commun à Athènes : Tu es un poète lyrique-épique !
Darwich fut ainsi constamment à la croisée du chuchotement intime et des chevauchées, des grandes envolées et, comme il aimait souvent à lécrire, du filet dune flûte au fond dune clairière, là où sexprimait la grande fragilité de lhomme ».
- Darwich, « Contrepoint », portrait dEdward Saïd, cité par Elias Sanbar in Dictionnaire amoureux de la Palestine, p.349 :
Et lidentité ? je dis
Il répond : Autodéfense
Lidentité est fille de la naissance. Mais
elle est en fin de compte luvre de celui
qui la porte, non le legs du passé.
Je suis le multiple
En moi, mon dehors renouvelé
Mais jappartiens à linterrogation de la victime.
Nétais-je de là-bas, jaurais entraîné mon cur
à y élever la gazelle de la métonymie
Porte donc ta terre natale où que tu sois
Et sois narcissique sil le faut.
- La Palestine comme métaphore, p.29 : « Ce qui manque terriblement dans lhéritage grec, cest la poésie de Troie. On raconte quelle fut écrite sur des tablettes aujourdhui disparues. ( ) Jai choisi dêtre un poète troyen. Je suis résolument du camp des perdants qui ont été privés du droit de laisser quelque trace que ce soit de leur défaite, privés du droit de la proclamer. Jincline à dire cette défaite ; mais il nest pas question de reddition ».
Bibliographie
Anthologies :
- Rien quune autre année Anthologie poétique (1966-1982), trad. Abdellatif Laâbi, Minuit, 1983
- Au dernier soir sur cette terre, trad. Elias Sanbar, Coll.Babel, Actes Sud, 1999
- Anthologie poétique, trad. Elias Sanbar, Coll.Babel, Actes Sud, 2009
Victims of a map, Samih al-Qâsim, Adonis, Mahmud Darwish, Al-saqi Books, Londres, 1984 (anthologie arabe-anglais, avec une introduction dAbdullah al-Udhari)
Entretiens en français :
- Palestine, mon pays : laffaire du poème, avec S.Bitton, O.Avnéri et M.Peled, Minuit, 1988
- La Palestine comme métaphore, trad. Elias Sanbar, Coll.Sindbad, Actes Sud, 1997
- Entretiens sur la poésie, avec Abdo Wazen et A.Beydoun, trad. F.Mardam-Bey, Actes Sud, 2006
- LExil recommencé, trad.E.Sanbar, Actes Sud, 2013
« Pour moi, la poésie est liée à la paix », article paru dans « LHumanité », 15 avril 2004
Entretien en arabe :
- JE SOUSSIGNE, MAHMOUD DARWICH Entretien avec Ivana Marchalian, trad.Hana Jaber, Actes Sud, 2015
Journal Nazwa, Oman, janvier 2002, avec Samer Abû Hawâsh
Etudes en langues européennes :
- ABOU-BAKR, Randa, The conflict of voices in the poetry of Dennis Butrus and Mahmud Darwish, Ed.Wiesbaden Reichert, 2004
- ABU-HASHHASH, Ibrahim : Tod und Trauer in der Poesie des Palästinensers Mahmud Darwich, Klaus Schwarz Verlag, Berlin, 1994
- AL-ALLAQ, Ali : « Tradition as a Factor of Modernism : Darwishs Application of a Mask », in J.R. Smart (ed.), Tradition and Modernity in arabic Language and Literature, Londres, Curzon Press, 1996
- BITTON, Simone : « Le poème et la matraque » in Mahmoud Darwich, Palestine mon pays Laffaire du poème, Les éditions de Minuit, 1988
- BOUSTANI, Sobhi et Marie-Hélène Avril-Hilal (dir.) : Poétique et politique : la Poésie de Mahmoud :
- Contribution de Sobhi Bostani : « La poésie de Mahmoud Darwich et le quotidien sublimé »
- Contribution de Rania FATHY, de lUniversité du Caire « Art(s) poétique(s) de Mahmoud Darwich. Souvre sur cette question : «
- Comment sétablit lalliance entre le poétique et le politique ? Dans quelle mesure la poésie de Darwich arrive-t-elle à concilier deux paradigmes qui demeurent, pour daucuns, profondément antagonistes, car portant atteinte et à la résistance en lenfermant dans le métaphorique et au poème en le dépossédant de sa poéticité ? »
Réponse : le poème se présente « comme un contre-pouvoir », « un acte de présence », « victoire en termes de supériorité poétique, non dhégémonie miliaire »
- Contribution de Lahouari Ghazzali, de lUniversité de Bordeaux « La figure du Christ dans les poèmes de Mahmoud Darwich »
Contribution de Francesca Corrao, de lUniversité de Naples : « LAbsence source de limage »
- Contribution de Kadhim Jihad Hassan, de lINALCO « Politique du poème » qui parle de la « restauration de lêtre par la vertu de quelques vocables » (p.155)Darwich, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010
- COOPMAN, Pierre et Rima Barrack : « Mahmoud Darwich : poète face au monde », Défis-sud, mars 1998, n°32
- DE DAMPIERRE-NOIRAY, Eve : « De la « terre des ancêtres » (G.Ungaretti) à la « Palestine comme métaphore » (M.Darwich), la guerre comme appropriation poétique du monde. Apports comparatistes, XXXIXe congrès de la SFLGC, Université de Strasbourg, 13-15 novembre 2014, à paraître
- HAMMO, Raba, LEpilogue Andalou de Mahmoud Darwich, Les Voiliers de Mer, Aubagne, 2014
- KHATIBI, Abdelkebir : « Comment fonder poétiquement une nation en exil ? » in Une nation en exil, Hymnes gravés, Mahmoud Darwich et Rachid Koraïchi, Actes Sud/Barzakh
- LE CLEZIO, J.M.G. « Les noces palestiniennes », La Nouvelle Revue Française n°500, septembre 1994
- MANNSON, Annette : Passage to a New Wor(l)d : Exile and Restoration in Mahmoud Darwishs wrintings, 1960-1995, Presses de lUniversité dUppsala, 2003
- MATTAWA, Khaled : Mahmoud Darwish : The Poets Art and his Nation, Syracuse University Press, 2014
- MILICH, Stephan : Fremd meinem Namen und fremd meiner Zeit : Identität und Exil in der Dichtung von Mahmud Darwish, Berlin, Hans Schiler Verlag, 2004
- NASSAR, Hala and Najat Rahman (eds) : Mahmoud Darwish, Exiles Poet : Critical Essays, Northampton, Interlinks Books, 2008
- NU(E) n°20, Carnets de lI.I.S.M.M. « Mahmoud Darwich », juin 2002
- XAVIER, François : Mahmoud Darwich dans lexil de sa langue, Autre Temps, Région PACA, 2004
- Etudes en langue arabe :
- Une multitude darticles sur Internet (approche soit littéraire soit politique, rarement les deux à la fois). Exemples :
- Haydar Tawfîq BAYDUN, « Mahmud Darwîch châir al-ard al-muhtalla » (Mahmoud Darwich, le poète des territoires occupés)
- Site Diwan al-arab : « Ousloubiyyât fî-chir Mahmoud Darwich » (Analyses stylistiques de la poésie de Mahmoud Darwich)
- Saïd AYYAD, « Al-houwiyya wa-l-woujoud fî-chir Mahmoud Darwich » (Identité et existence dans la poésie de Mahmoud Darwich)
Etudes critiques sur support papier :
- BALGAZIZ, Abdallah (dir.) Hakadhâ takallama Mahmoud Darwîch, Dirâsât fî-dhikrâ rahîlihi (Ainsi parlait Mahmoud Darwich, Etudes critiques en son hommage), Markaz dirâsât al-wihda alarabiyya, Liban, 2009
- BACCAR, Tawfîq, « Le Fou de Palestine », préface à Moukhtârât chiriyya (Anthologie), Dâr al-nachr, Tunis, 1985
- NABOULSI, Chakir, Majnoun al-tourab, Dirâsa fî-chir wa-fikr Mahmoud Darwich (Le Fou de la terre, Une étude de la poésie et de la pensée de Mahmoud Darwich), Al-mouassasa al-arabiyya li-l-dirâsât wa-l-nachr, Beyrouth, 1987
- MOUSA, Ibrahim : Al-quds bayna nouqouch al-houwiyya wa-ch-tiâl al-mouqâwama fî-chir Mahmoud Darwich (Jérusalem entre linscription de lidentité et lembrasement de la résistance dans la poésie de Mahmoud Darwich), Anaquel de Estudios Arabes, 2011, vol.22
- WAZIN, Abdul : Al-gharîb yaqa alâ nafsihi, qirâa fî-amâlihi al-jadîda (Létranger finit par se rencontrer lui-même Lecture des dernières uvres de Mahmoud Darwich), 2006
- Sur la Palestine : SANBAR, Elias, Figures du Palestinien Identité des origines, identité de devenir, Gallimard et Dictionnaire amoureux de la Palestine, Plon
Annexes complémentaires
Annexe 1 : Forme poétique arabe classique : la qasîda
Voici, translittérés et traduits, les premiers vers du poème dImrual-Qays (mort vers 550 après JC). Ce texte, dans sa composition et sa présentation typographique, est considéré comme le modèle de la poésie arabe classique.
Qifâ nabki min dhikrâ habîbin wa-mazili bi-siqti al-liwâ bayna ad-dakhouli fa-hawmali
Fa-toudhiha fa-l-miqrâti lam yafou rasmouhâ limâ nasajathâ min janoubin wa chamali
Ô mes deux amis, arrêtons nos montures et pleurons, au souvenir du bien-aimé
Il demeurait là, parmi les plis de cette dune, entre Dakhoul et Hawmal
Et Toudhih et Miqrât. Les dernières traces de son campement ne sont pas encore effacées
Grâce au tissage du vent du Sud et du vent du Nord.
Annexe 2 : lexique comparé
+ Pour lanalyse des images poétiques :
istiâra : métaphore. Racine Y R = critère, norme, étalon, jauge.
Premier sens du mot istiara= lemprunt au sens propre.
souwar : images. Racine S W R = aspect, copie, forme, tableau.
majâz : sens figuré. Racine J W Z = traverser, passer à travers.
Premier sens du mot majâz = passage étroit, goulet
ramz : symbole. Racine R M Z = faire des signes avec les yeux,
indiquer. Premiers sens du mot = code puis attributs, emblèmes
tatâbouq : homonymie. Racine : T B Q = superposition de deux couches, coïncidence, identification, symétrie.
tachbîh : comparaison. Racine Ch B H : imiter, prendre pour modèle.
Premier sens du mot : forcer la ressemblance (ka=comme)
kinâya : métonymie. Racine K N Y : donner un surnom. Premier sens du mot : allusion
+ Sur les formes poétiques arabes :
qasida : texte, écrit ou oral, monorimé et mono-rythmé, qui a la forme des poèmes arabes préislamiques (muallaqât, voir celui reproduit ci-dessus). Traduit en français par « poème ». Sens littéral du mot qasîda = qui cherche à atteindre
nathr : désigne la prose arabe. Sens littéral = ce qui est dispersé.
balâgha : éloquence, rhétorique, art de persuader. Sens littéral du mot balâgha = ce qui permet datteindre
chir et châir : poésie et poète. Racine : Ch R = sentir, ressentir. Le poète est celui qui ressent le monde.
adab : désigne la littérature comme art civilisateur. Racine A D B = finesse, douceur, politesse, savoir-vivre
bayt : la maison, et le vers poétique. Racine B Y T = lieu où passer la nuit
qafiya : rime. Racine Q F W = désigne la nuque, mais aussi la fin de toute chose, et la trace dans le sable.
iltizâm : engagement. Racine L Z M = obligation
bahr : mètre poétique. Premier sens : la mer / îqâ cadence (comme en français : idée de bruit de pas sur le sol) / sadâ : écho
Racine S D Y = la soif, la distance, la mort. As-sadâ = écho et corps sans vie.